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Rupture conventionnelle et situations particulières. Par Marie-Laure Arbez-Nicolas, Avocat.
Parution : lundi 26 octobre 2020
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La rupture conventionnelle est un mode de rupture du CDI d’un commun accord des parties. Elle ne peut être imposée ni par l’employeur, ni par le salarié et ne doit pas être confondue avec la rupture amiable d’un CDD.

Pour être valable, elle suppose un accord libre et éclairé de chaque Partie. La rupture conventionnelle ne doit pas être affectée par un vice du consentement. A défaut, elle encourt la nullité.

Il y a vice du consentement lorsque le salarié donne son accord à une rupture conventionnelle, par erreur, du fait d’un dol, ou encore sous la menace ou la violence.

En cas de difficultés économiques et en particulier dans le contexte de la Covid-19, l’employeur peut-il proposer une rupture conventionnelle individuelle ?

La Jurisprudence affine les cas de recours et les contours du libre consentement du salarié dans des contextes particuliers. Si elle reconnaît largement la validité du consentement donné par le salarié, la prudence reste de mise.

I. Rupture conventionnelle dans un contexte conflictuel.

Il est désormais admis que l’existence de différends voire de tensions entre l’employeur et le salarié n’interdit pas le recours à une rupture conventionnelle [1].

Au cas d’espèce, l’employeur avait notifié au salarié deux avertissements en raison de la mauvaise qualité de son travail ; 6 mois et 3 mois avant la signature de la rupture conventionnelle.

Autrement dit, l’existence d’un différend n’affecte pas en elle-même la validité de la rupture conventionnelle.

Attention toutefois pour l’employeur à ne pas user de son pouvoir disciplinaire pour faire pression et obtenir la signature d’une rupture conventionnelle [2].

Au cas présent, la Cour de cassation a considéré que l’employeur avait fait pression sur la salariée en lui délivrant deux avertissements injustifiés et successifs, ce qui avait eu des conséquences sur son état de santé.

II. Rupture conventionnelle et licenciement.

Il ressort de la Jurisprudence que :
- les parties peuvent recourir à une rupture conventionnelle alors même qu’une procédure disciplinaire est engagée ou envisagée ;
- l’employeur pourra toujours engager ou reprendre la procédure disciplinaire et prononcer une sanction y compris pour faute grave.

En d’autres termes, la signature par les Parties d’une rupture conventionnelle après l’engagement d’une procédure disciplinaire de licenciement, n’emporte pas pour l’employeur renonciation à l’exercice de son pouvoir disciplinaire [3].

En revanche, l’abus du pouvoir disciplinaire pour contraindre la signature d’une rupture conventionnelle est susceptible d’invalider la rupture conventionnelle.

III. Rupture conventionnelle et situation de harcèlement.

La Cour de cassation ne rejette pas automatiquement la validité d’une rupture conventionnelle signée dans un contexte de harcèlement.

L’existence d’un fait de harcèlement n’affecte pas en elle-même la validité de la rupture conventionnelle.

Le salarié doit établir qu’au moment de la rupture conventionnelle son consentement était vicié du fait du harcèlement [4].

A défaut, la situation de harcèlement ne suffit pas à invalider la rupture.

Dans un arrêt du 1er septembre 2020, la Cour d’appel de Besançon a décidé que la rupture conventionnelle signée avec un salarié dont l’état de santé était fragilisé en raison notamment des pressions immédiates exercées par l’employeur est nulle [5].

Une situation de violence morale en raison d’un harcèlement moral peut être constitutive d’un vice du consentement entraînant la nullité de la rupture [6].

IV. Rupture conventionnelle - arrêt maladie - inaptitude.

Le recours au dispositif de la rupture conventionnelle est possible sauf fraude ou vice du consentement :
- Avec un salarié déclaré inapte [7] ;
- Avec un salarié en arrêt maladie professionnelle ou accident de travail [8] et a fortiori en arrêt maladie.

V. Rupture conventionnelle et situation de maternité.

Une rupture conventionnelle peut être valablement conclue avec une salariée enceinte, en congé de maternité ou à son retour de congé [9].

VI. Rupture conventionnelle concomitante à des difficultés économiques.

La rupture conventionnelle est exclue du champ du licenciement économique [10].

En vertu de l’article L1237-16 du Code du travail la rupture conventionnelle n’est pas applicable aux ruptures de contrats de travail résultant des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).

L’article L1233-3 du Code du travail relatif au licenciement économique, dispose quant à lui que les règles relatives au licenciement économique, sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l’exclusion de la rupture conventionnelle.

Motif économique et rupture conventionnelle peuvent donc co-exister : une rupture conventionnelle peut être conclue en présence de difficultés économiques et elle conserve ses propres règles de procédure.

Dans le contexte de la Covid-19, et afin de limiter les risques d’un contentieux ultérieur, l’employeur peut avoir intérêt à proposer une rupture conventionnelle individuelle.

Attention toutefois : car si les difficultés économiques n’interdisent pas de conclure une rupture conventionnelle individuelle, celle-ci ne doit pas être utilisée afin de contourner les règles du licenciement économique collectif [11].

La rupture conventionnelle ne doit pas dissimuler une rupture fondée sur un motif économique.

La Cour de cassation a jugé que lorsque les ruptures conventionnelles ont une cause économique et s’inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent l’une des modalités ; elles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel applicable et les obligations de l’employeur en matière de PSE [12].

En outre, en cas de détournement des règles applicables en matière de licenciement économique la DIRECCTE pourrait être amenée à refuser l’homologation.

Si la rupture conventionnelle peut coexister avec le licenciement économique, il existe un risque de contentieux - accru en présence d’un PSE.

Plus généralement, le salarié pourrait invoquer avoir été privé des diverses « garanties » offertes par le licenciement économique (entre autres contrat de sécurisation professionnelle ou congé de reclassement, priorité de réembauche, etc.).

Enfin, on rappellera la récente jurisprudence selon laquelle l’absence de remise d’un exemplaire de la rupture conventionnelle constitue une cause de nullité de la rupture [13].

Maître ARBEZ-NICOLAS Marie-Laure Avocat au Barreau de Paris [->mlan@avocat-mlan.fr]

[1Cass. 15 Janvier 2014 n°12-23942.

[2Cass. 8 juillet 2020, n° 19-15441.

[3Cass. 3 mars 2015 n°13-15551.

[4Cass. Soc. 23 Janvier 2019 n°17-21550.

[5CA Besançon 1er septembre 2020 n°18-02192.

[6Cass. Soc. 29 Janvier 2020 n°18-24296.

[7Cass. Soc. 9 mai 2019 n°17-28767.

[8Cass. 30 septembre 2014 n°13-16297.

[9Cass. Soc. 25 mars 2015 n°14-10149.

[10L1233-3 du Code du travail.

[11Voir notamment instruction ministérielle du 23 mars 2010.

[12Cass. 9 mars 2011 N°10-11-581.

[13Cass. Soc. 23 septembre 2020 n°17-25770.