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Relation contractuelle : la Covid-19 est-elle un cas de force majeur en droit guinéen ? Par Alpha Traoré, Juriste.
Parution : jeudi 24 décembre 2020
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La situation de Covid-19 constitue-t-elle un cas de force majeur selon le Droit Guinéen ?

La question qui ne cesse de se poser dans le cadre du contexte actuel en guinée et dans le monde est celle de savoir si le débiteur d’une obligation peut invoquer le Covid-19 en tant que nouvelle épidémie sanitaire et ou les mesures que ce virus a impliquées comme constituant un cas de force majeure pour suspendre l’exécution de son obligation ou solliciter la résolution du contrat le cas échéant.

La force majeure est prévue à l’article 1104 du code civil, qui dispose :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1088 ».

Il existe ainsi un évènement de force majeure si trois conditions sont remplies :

(i) L’évènement échappe au contrôle du débiteur,
(ii) Il ne pouvait être raisonnablement prévu au moment de la conclusion du contrat et
(iii) Les effets de cet évènement ne peuvent être évités par des mesures appropriées.

On retrouve là les critères habituellement retenus par les tribunaux d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité pour qualifier un évènement de force majeure. L’évènement ainsi défini doit enfin empêcher l’exécution d’une ou plusieurs obligation(s).

Nous examinerons dans un premier temps les mesures exceptionnelles et dans un second temps l’effet de Covid-19 sur les relations contractuelles.

I- Les mesures exceptionnelles Covid 19.

L’état d’exception désigne de façon générale, des situations ou le droit commun est suspendu, ce qui peut se référer à des cas juridiques distincts, tels que l’état d’urgence, l’état de guerre, l’état de siège, la loi martiale etc… ; pour ce qui est de la situation de covid-19, il a été déclaré l’état d’urgence sanitaire ce qui, a entrainé des mesures restrictives prises par les autorités dont le confinement, le couvre-feu, les fermetures de commerces, l’interdiction de rassemblement.

Nous développerons en (A) la mise en application des mesures et en (B) la place de la jurisprudence dans l’application de ces mesures.

A- La mise en application des mesures :

L’application de ces mesures a ainsi suscité une paralysie totale des activités économiques, notamment la restauration, l’hôtellerie, le tourisme, le transport, la pêche… L’exécution d’obligations contractuelles pour les personnes évoluant dans ces secteurs les plus touchés devient donc automatiquement impossible et comme le dit ce principe juridique :

‘’à l’impossible, nul n’est tenu’’.

En analysant, l’on se rend compte que ces mesures sont les conséquences engendrées par la maladie de Covid-19, alors il revient à se poser la question de savoir si cela constitue un cas de force majeure pouvant être invoqué par un débiteur pour suspendre ou se libérer de ses obligations contractuelles sans pénalités ?

Même si cette appréciation est laissée au juge, en nous basant sur les critères de qualification de force majeure (extérieur, imprévisible et insurmontable), l’on pourrait qualifier également ces mesures de cas de force majeure qui limitent les droits d’aller et de venir, dans le sens où elles constituent un obstacle insurmontable à l’exécution d’obligations contractuelles qui nécessitent le mouvement des personnes et des activités.

Ces mesures ont donc un impact sérieux sur l’exécution des contrats car il y a ralentissement involontaire des activités dus au respect des mesures restrictives prises par les Etats, alors le plus probable serait que les obligations contractuelles soient suspendues pour cette période de pandémie ou que le contrat soit définitivement résilié par le juge, pour les contrats comportant une clause de force majeure, la question serait réglé par les parties en vertu du principe de liberté contractuelle, mais il revient dans les autres cas au juge d’apprécier au cas par cas, en fonction de la situation concrète rencontrée si le fait de force majeure peut être prononcé.

B- La place de la jurisprudence dans l’application de ces mesures :

Egalement sur la question, il y a eu des jurisprudences qui ont reconnue des pandémies comme étant des cas de force majeure pour des raisons qu’il était impossible de prévoir l’ampleur que pourraient prendre ces dernières, ce qui pourrait être transposable à la situation actuelle concernant la pandémie de covid-19 d’autant plus qu’elle remplit les conditions d’extériorité, d’imprévisibilité et d’insurmontable qui se caractérise par l’incapacité des Etats du monde à maîtriser cette maladie ainsi que ses conséquences.

Nous pouvons citer à titre illustratif :
- l’arrêt CA Aix-en-Provence, 3 mai 2006, JurisData n°2006-306944, il était reproché à un hôtelier et une agence de voyage la fermeture du baby-club et la contamination de deux clients à l’épidémie de gastro-entérite ; la cour s’est fondée sur l’existence d’un cas de force majeure car les intimés ne pouvant prévoir l’ampleur qu’allait prendre cette épidémie, leur responsabilité avait donc été dégagée ;
- l’arrêt CA Agen, 21 janvier 1993, JurisData n°1993-040559 a considéré que l’épidémie de brucellose bovine vu sa grande virulence et sa contagion redoutable revêtait les caractéristiques de de la force majeure ;
- les arrêts CA Colmar, 12 mars 2020, n° 20/01098 ; CA Colmar, 23 mars 2020, n°20/01207, ces arrêts rendus en matière de droit d’asile retiennent que la pandémie de covid-19 revêt les caractères de la force majeure, justifiant l’absence du demandeur d’asile, ce dernier ayant été en contact avec une personne infectée.

A noter que des précédant de cas de pandémies telles que : le bacille de la peste [1], les épidémies de grippe H1N1 en 2009 [2], le virus du chikungunya [3] ou encore la dengue [4] ; n’ont pas été jugés comme des crises sanitaires constitutives d’événements de force majeure.

Pour le cas de la Guinée, le code de la santé publique en son article 162 autorise la prise de mesures exceptionnelles pour les cas d’épidémies notamment :
- Restrictions de la circulation des personnes et des biens ;
- Fermeture des lieux publics et privés ;
- Interdiction de la vente des denrées alimentaires et des boissons ;
- Destruction des objets souillés susceptibles de contagion.

II- L ’effet de Covid-19 sur les relations contractuelles :

Tout d’abord, la caractérisation de la force majeure semble pouvoir être admise à l’examen de la jurisprudence connue concernant des autres cas d’épidémies (dengue, peste, grippe aviaire par exemple).

En effet, pour ces épidémies, les juges n’ont pas admis la force majeure aux motifs notamment que les maladies étaient connues, pas suffisamment graves ou encore qu’un traitement préventif contre la maladie existait pour les éviter.

Or, la situation actuelle de Covid-19 est totalement différente des cas d’épidémies précédemment examinés par les tribunaux : il s’agit d’une pandémie mondiale, très présente en Guinée, les effets sur la population et sur le commerce sont exceptionnellement importants, il n’existe pas de traitement pour la Covid-19 et de nombreuses mesures gouvernementales (susceptibles de constituer un « fait du prince ») ont été prises afin de lutter contre la propagation du virus qui ont conduit notamment à la fermeture obligatoire de nombreux commerces.

Au regard des spécificités de l’épidémie actuelle, de sa dangerosité et de ses conséquences paralysantes pour l’économie, il est donc possible et même probable que les tribunaux reconnaissent que la Covid-19 et ou les mesures prises en raison du virus constituent un cas de force majeure.

Nous analyserons en (A) les conditions d’applications de la force majeure sur un contrat et en (B) la résolution d’un contrat pour force majeure.

A- Conditions de la force majeure sur un contrat :

Toutefois, pour que la force majeure puisse produire ses effets sur le contrat, outre la démonstration que les trois conditions précitées de l’article 1104 du code civil sont remplies, encore faut-il que la partie qui l’invoque démontre dans les faits qu’à la date à laquelle elle devait exécuter son obligation, elle en était empêchée en raison de Covid-19 (ou en raison des mesures prises pour lutter contre sa propagation).

La chronologie des faits et la date de conclusion du contrat sont donc des éléments essentiels pour caractériser l’existence d’un évènement de force majeure ayant des effets sur le contrat.

Pour des contrats conclus récemment, à tout le moins à partir du moment où l’épidémie de Covid-19 commençait à prendre de l’ampleur l’épidémie prononcée par le gouvernement mars 2020 pourrait-on soutenir, la force majeure paraît difficile à invoquer dans la mesure où le virus était prévisible au moment de la conclusion du contrat.

A l’inverse, pour les contrats conclus avant cette date et avant la parution des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation de Covid-19, la caractérisation de la force majeure serait envisageable, les conditions de l’article 1092 du code civil étant assurément remplies. La difficulté viendra néanmoins de la démonstration que la Covid-19 empêche l’exécution du contrat.

A titre d’exemple, s’agissant en particulier d’une obligation de paiement, si l’épidémie a eu, sur le plan économique, des conséquences irrésistibles expliquant le défaut de paiement, la force majeure pourrait être retenue au bénéfice du débiteur de cette obligation dans la mesure où l’impossibilité d’exécuter le contrat en raison de la force majeure serait démontrée.

La force majeure serait toutefois certainement appréciée dans ce cas en tenant compte des mesures de soutien aux entreprises mises en place par le gouvernement, qui sont susceptibles d’ôter au défaut de paiement son caractère impossible et par conséquent à la force majeure son caractère irrésistible.

En tout état de cause, les mesures gouvernementales prises pour éviter la propagation de Covid-19, qui pourraient être qualifiées de fait du Prince le cas échéant, pourraient être qualifiées de cas de force majeure empêchant l’exécution d’un contrat.

Ensuite, une fois la force majeure admise, c’est la suspension de l’exécution de l’obligation qui peut être invoquée et, uniquement dans certaines circonstances particulières, la résolution du contrat.

Il n’est pas question de réaménager le contrat comme on le souhaite ou d’y mettre un terme unilatéralement dans n’importe quelles conditions.

B- Résolution d’un contrat pour force majeure :

En cas de résolution du contrat, les conséquences seront plus complexes à appréhender lorsque le contrat aura déjà été partiellement exécuté. Il conviendra alors de se référer aux solutions classiquement mises en œuvre par la jurisprudence, qui distingue les conséquences de la résolution selon l’utilité qu’ont eu pour une partie les prestations réalisées par l’autre partie avant la force majeure et le cas échéant la volonté des parties :
- Si les prestations fournies sont d’utilité continue, comme c’est le cas en matière de bail par exemple, alors la résolution du contrat ne remet pas en cause les périodes d’exécution antérieures à la survenance de la force majeure, de telle sorte que la contrepartie des prestations qui ont été effectivement fournies demeure due au titre du contrat. La résolution du contrat est alors dépourvue d’effet rétroactif et produit les effets d’une résiliation ;
- Si, en revanche, les prestations fournies n’avaient d’utilité que si le contrat était totalement exécuté ou que les parties avaient voulu faire des prestations un tout indivisible, alors il y a lieu à résolution du contrat. Il sera alors fait application du régime des restitutions.

Enfin, les parties doivent être extrêmement vigilantes à la rédaction de leur contrat ou des conditions générales et s’assurer que le contrat n’exclut pas une pandémie telle que la Covid-19 des cas de force majeure admis.

Traoré Alpha Kabinet juriste consultant Droit maritime

[1CA Paris, 25 septembre 1998, n° 1996/08159.

[2CA Besançon, 8 janvier 2014, n° 12/02291.

[3CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, n° 17/00739.

[4CA Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009, n° 08/02114.