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Vérification des créances : les conséquences de la décision d’incompétence du juge commissaire. Par Vincent Mosquet, Avocat.
Parution : lundi 29 mars 2021
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Une attention particulière doit être apportée à l’ordonnance du juge commissaire rendue en matière de vérification des créances lorsqu’il ne désigne pas la personne qui doit saisir la juridiction compétente.

L’article R624-5 du Code de commerce dispose dans un premier alinéa que lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l’existence d’une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d’un mois à compter de la notification ou de la réception de l’avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d’appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.

1) Sur les formes de l’appel de la décision du juge commissaire se déclarant incompétent.

L’article R624-5 avait été modifié par un de ces multiples décrets de procédure qui foisonnent depuis quelques années, en l’espèce le décret n°2017-891 du 6 mai 2017, article 5. Ce décret avait entre autres dispositions remplacé le contredit par l’appel assorti de conditions particulières lorsqu’il s’agit de contester une décision relative à la compétence.
Il n’est pas inintéressant de rappeler ce point qui donne un éclairage sur le sens de l’appel de la décision du juge commissaire qui se déclare incompétent : il s’agit d’un appel en matière de compétence qui doit donc être traité dans les formes et conditions prévues aux articles 83 et suivants du Code de procédure civile.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé dans un arrêt publié au bulletin du 2 juillet 2020 (19-11624) qu’il résulte des articles 83, 84 et 85 du Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n°2017-891 du 6 mai 2017, que, nonobstant toute disposition contraire, l’appel dirigé contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige relève, lorsque les parties sont tenues de constituer un avocat, de la procédure à jour fixe et qu’en ce cas, l’appelant doit saisir, dans le délai d’appel, le premier président de la cour d’appel en vue d’être autorisé à assigner l’intimé à jour fixe.

La chambre commerciale de la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur le sujet, mais si elle tient compte de l’évolution de l’article R624-5 lors du remplacement du contredit par l’appel compétence, elle devrait prendre la même décision.
L’article 84 du Code de procédure civile dit que le délai d’appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement. Le greffe procède à cette notification adressée aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Le recours n’est donc pas l’un des recours habituels contre les ordonnances du juge commissaire à savoir le recours devant le tribunal [1] ou l’appel devant la Cour d’appel comme en matière de vérification des créances (R 624-7) ou de vente des biens du débiteurs (R642-37-1 et R642-37-3)
Le délai de l’appel compétence n’est pas de 10 jours mais de 15 jours à compter de la notification du jugement par le greffe, laquelle notification doit être faire par LRAR et devrait normalement comporter les mentions prévues à l’article 680 CPC et notamment le délai d’appel et les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé.

2) La forclusion encourue : le choix de la victime.

Dans un arrêt du 28 février 2018 (16-19718 et 16-21337) la Cour de cassation avait jugé que lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent pour statuer sur la contestation d’une créance déclarée au passif d’un débiteur en procédure collective, il est dessaisi relativement à cette contestation, y compris lorsque les parties, invitées à saisir le juge compétent, ne l’ont pas fait dans le délai imparti par l’article R624-5 du Code de commerce.
Elle en déduisait que le créancier était irrecevable à redemander au juge commissaire de fixer sa créance.

Compte tenu des termes de cet arrêt, la jurisprudence semblait être fixée assez clairement : le juge commissaire dès lors qu’il s’était déclaré incompétent était dessaisi de la question de la fixation de la créance et il revenait à la juridiction compétente de statuer. A défaut il ne pouvait plus être procédé à la fixation de la créance de sorte que le créancier ne pouvait plus participer aux répartitions.

Cependant cette solution simple a été renversée par la Cour de cassation elle-même qui dans un arrêt ultérieur du 11 mars 2020 (18-23586) publié au bulletin a jugé au visa de ce même article R624-5 du Code de commerce que le juge-commissaire qui, en application de ce texte, constate l’existence d’une contestation sérieuse, renvoie les parties à mieux se pourvoir et invite l’une d’elles à saisir le juge compétent pour trancher cette contestation, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise, pour statuer sur la créance déclarée, en l’admettant ou en la rejetant.
En d’autres termes le juge commissaire n’est pas dessaisi par sa décision renvoyant les parties à saisir une autre juridiction tout au moins s’il ne désigne pas expressément la partie qui doit saisir la juridiction compétente.

Par un autre arrêt du 23 septembre 2020 (19-13748), la Cour de cassation complète sa doctrine nouvelle en ajoutant que. lorsque le juge-commissaire ne désigne pas, contrairement à l’obligation qui lui est faite par le premier de ces textes, la partie devant saisir la juridiction compétente pour trancher la contestation sérieuse dont une créance déclarée est l’objet, et que cette juridiction n’est pas saisie dans le délai imparti, il appartient au juge de la vérification du passif, pour apprécier les conséquences de la forclusion qui en résulte, de déterminer, en fonction de la contestation en cause, la partie qui avait intérêt à en saisir le juge compétent.
Elle a repris ce même motif de principe dans un arrêt du 12 novembre 2020 (19-17895).
Ainsi la forclusion n’affecterait pas nécessairement les droits du créancier. Ces deux arrêts ont eu pour effet de sauver les créanciers de la forclusion.
Il y a tout lieu de penser que la Cour de cassation en déduira que le débiteur est quant à lui forclos ce qui reviendra à modifier le texte et à finalement considérer que le débiteur, même s’il n’a pas été expressément désigné, doit saisir la juridiction compétente à peine de forclusion.

Dans l’arrêt ci-dessus cité du 11 mars 2020, la Cour de cassation avait également jugé que :

« l’arrêt retient exactement que si l’article R624-5 du Code de commerce impose au juge-commissaire de désigner la partie qui devra saisir le juge compétent pour trancher la contestation qui a été déclarée sérieuse, une ordonnance qui, en désignant toutes les parties, ne respecte pas cette règle, est entachée d’une erreur de droit qui ne peut être réparée en application de l’article 462 du Code de procédure civile et, faute d’avoir fait l’objet d’une voie de recours, est irrévocable ».

En d’autres termes, la Cour de cassation considère qu’en renvoyant les parties à saisir la juridiction compétente sans désigner la partie à qui il incombe de procéder à cette saisie, le juge commissaire commet une erreur de droit, mais que cette erreur de droit doit être sanctionnée par le même juge commissaire qui en tirera les conséquences au détriment du créancier ou du débiteur à son choix en fonction de son opinion sur celui qui avait le plus intérêt à agir. Et les deux arrêts suivants du 23 septembre 2020 et du 12 novembre 2020 montrent que la Cour de cassation estime que celui qui a le plus intérêt à agir est le débiteur puisque les cassations intervenues ont pour effet de sauver les créanciers de la forclusion.
Dès lors le débiteur a tout intérêt à prendre l’initiative de saisir le juge compétent si le juge commissaire n’a pas désigné le créancier pour le faire.
La solution n’est pas évidente puisque le débiteur n’a pas intérêt à voir fixer une créance à son passif et qu’il aurait naturellement tendance à laisser au créancier l’initiative de la saine du juge compétent : il n’est d’ailleurs pas d’usage de saisir un juge pour lui demander de ne pas faire droit à une demande dont il n’est pas encore saisi !

3) Sur l’appel de l’ordonnance du juge commissaire non pas sur la déclaration d’incompétence mais sur la réparation de l’erreur de droit consistant à ne pas désigner la partie qui doit saisir la juridiction compétente.

Les parties peuvent aussi envisager de saisir la cour d’appel contre la décision d’incompétence. Et si elles ne remettent pas en cause la déclaration d’incompétence, pourra se poser la question de la recevabilité de l’appel puisqu’en application de l’article 544 CPC les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d’appel comme les jugements qui tranchent tout le principal. Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l’instance.

Or la décision du juge commissaire qui se déclare incompétent et renvoie les parties à saisir le juge compétent ne tranche aucune partie du principal et l’article R624-5 qui renvoyait au contredit de compétence implique bien qu’il s’agit d’une décision exclusivement sur la compétence.
Cette erreur de droit, qui peut être lourde de conséquence pour les parties, pourrait ne pas être réparable immédiatement puisqu’il ne s’agit pas d’une décision sur le fond. Par contre un appel pourrait être envisagé en même temps que l’éventuelle décision ultérieure du juge commissaire fixant la créance en dépit de sa précédente déclaration d’incompétence. L’article 545 du Code de procédure civile précise en effet que les autres jugements ne peuvent être frappés d’appel indépendamment des jugements sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi.

En faisant peser sur les parties les conséquences d’une erreur de droit commise par le juge et en les avertissant qu’elles ne peuvent savoir d’avance qui sera la victime de cette erreur, la Cour de cassation n’a probablement pas rendu une décision de nature à améliorer la confiance dans l’institution judiciaire. De même que plus on parle de simplification et plus la législation est complexifiée, on peut craindre que plus on parlera de confiance dans l’institution judiciaire, plus la méfiance grandira.

Vincent Mosquet LEXAVOUE NORMANDIE www.lexavoue.com

[1Article R621-21 du code de commerce.