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La communication au ministère public des affaires relatives aux procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises en droit marocain, par Mustapha El baaj
Parution : mercredi 2 juillet 2008
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Les magistrats du parquet ne peuvent intervenir convenablement en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises que s’ils disposent d’informations exactes sur la situation économique, juridique et financière de l’entreprise. En l’absence de textes juridiques édictant clairement les mécanismes de communication mis à la disposition du parquet près le tribunal de commerce, il est indispensable de recourir aux règles générales prévues par le Code de procédure civile, d’autant plus que l’article 19 de la loi instituant les juridictions de commerce en prévoit expressément l’application devant les tribunaux de commerce et les Cours d’appel de commerce. La communication d’informations au parquet est importante car elle évite que la procédure de redressement se déroule en vase clos. Pour mieux cerner les modalités de la communication, nous serons obligé, dans un premier lieu, de mettre la lumière sur la communication reconnue par la loi, et de souligner, dans un second lieu, l’insuffisance de la communication.

Chapitre I : la communication reconnue par la loi

Nous allons examiner successivement la communication obligatoire (S1), la communication judiciaire (S2) et la communication facultative (S3).

Section 1 : la communication obligatoire

L’article 9 du Code de procédure civile dispose que les causes, qui concernent l’ordre public, doivent être obligatoirement communiquées au ministère public. Par conséquent, pour déterminer les causes qui sont communicables au ministère public, dans le cadre des procédures de redressement et de liquidation judiciaire, nous seront obligé, au préalable, de préciser si lesdites causes touchent à l’ordre public. Pour se faire, il est nécessaire de déterminer, en premier lieu, ce que le législateur marocain entend dire par la notion d’ordre public (P1), pour pouvoir, en second lieu, examiner la relation entre l’ordre public et les entreprises en difficulté (P2), en vue de dégager enfin les causes qui sont communicables au ministère public (P3).

Paragraphe 1 : la notion d’ordre public

Il nous paraît inéluctable de passer par la définition de la notion de l’ordre public afin de parvenir à délimiter les causes relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté qui sont communicables au ministère public. La raison en est très simple : l’article 9 du Code de procédure civile susmentionné qui justifie une telle communication impose une condition sine qua non afin d’opérer une telle communication. Celle-ci exige que les causes en question concernent l’ordre public. Se pose alors la question : qu’est ce que l’ordre public ?

Tout d’abord, étymologiquement parlant, l’ordre public est composé de deux mots : l’ordre et la publicité. Premièrement, l’ordre est la disposition régulière des choses les unes par rapport aux autres, l’équilibre des rapports, l’ensemble des valeurs juridiques que l’Etat viendra ensuite expliquer et garantir dans son droit positif.

On conçoit l’ordre ici comme étant une disposition régulière des choses qui s’opère au niveau de la société, c’est-à-dire une communauté de personnes qui sont liées entre elles par l’ensemble des normes dictées par des valeurs qu’elles entendent respecter et faire respecter. Ainsi, l’ordre peut apparaître comme l’expression d’un désir de stabilité fondamentale sur la base de ces valeurs. De ce point de vue, l’ordre s’oppose logiquement au désordre, celui-ci peut revêtir deux acceptions différentes :

Il existe ce qu’on appelle le désordre destructeur qui se manifeste à travers la remise en question des valeurs sur lesquelles la société repose, sans que cette remise en question ne soit l’expression d’une volonté d’amélioration, résultant plutôt du jeu des rapports de force et d’une recherche exclusive de satisfaction d’intérêts particuliers. Il faut noter que l’ordre public lutte contre ce désordre négatif.

Il existe ensuite le désordre qu’on peut qualifier de positif, dans la mesure où celui-ci né de l’évolution même de la vie sociale et de la nécessité de prendre en considération les situations nouvelles auxquelles les valeurs sociales, reprécisées, doivent être appliquées. L’ordre s’exprime par rapport aux principes fondamentaux de la société qui ne sont que relatifs, car il doit prendre en compte un mouvement dynamique et évolutif auquel il est sans cesse tenu de s’adapter. Ce mouvement s’illustre, dans le cadre de notre recherche, par l’émergence du concept de l’ordre public économique, un concept consacrant une évolution des principes fondamentaux en matières économique et commerciale.

Ensuite, la publicité signifie que l’on parle d’un ordre public qui concerne la société toute entière, par opposition à l’ordre privé, celui des consciences qui reste tout à fait extérieur à l’ordre public. Cet ordre public à propos duquel on parle est par essence juridique, il comprend un ensemble de règles fondamentales, assorties de sanctions, qui gouvernent la vie dans une société donnée. Si l’explication étymologique de la notion de l’ordre public ne pose pas en principe de problème, il n’en est pas de même quant à l’explication de son contenu juridique. Quel est donc le sens juridique de la notion d’ordre public ?

Un célèbre juriste qui s’est aventuré à expliquer, depuis presque 52 ans, le sens juridique de cette notion complexe, avait formulé la conclusion suivante : « chercher à définir l’ordre public, c’est s’aventurer sur les sables mouvants, déclarait le conseiller Pilon, dans un célèbre rapport, c’est un vrai supplice pour l’intelligence, s’écriait le Marquis de Vareille-Sommières, c’est enfourcher un cheval fougueux dont on ne sait jamais où il nous transporte, disait le juge Burrough dans un aphorisme que les juristes anglais se plaisent à citer, c’est parler d’un paragraphe caoutchouc, dans l’imagination allemande, c’est cheminer dans un chantier bordé d’épines selon le mot d’Alglave. Toutes ces comparaisons révèlent combien une étude sur l’ordre public est un sujet téméraire. Nul n’a jamais pu en définir le sens, chacun en vante l’obscurité et tout le monde s’en sert (…) ».

Cette approche de l’ordre public démontre parfaitement la complexité de cette notion fluctuante qui résiste à toute tentative de délimitation. Cependant, nous allons essayer, malgré les difficultés, d’élucider cette notion générale (D). La première tâche qui nous incombe consiste à distinguer cette notion de l’ordre public de certaines notions voisines qui peuvent prêter à confusion. Ainsi l’ordre public ne doit pas être confondu avec la morale (A), les bonnes mœurs (B) et les règles impératives (C).

A- l’ordre public et la morale

L’ordre public et la morale n’ont pas le même but, alors que le premier vise au maintien d’un certain ordre social, la seconde a pour objet la perfection de l’individu. Les exigences de l’ordre public seront donc moins rigoureuses que celles de la morale. La vie en société ne requiert pas la perfection chez ses membres et pareille perfection ne peut d’ailleurs s’imposer par la contrainte. Les travaux préparatoires du Code civil attestent de cette dissemblance. Les lois, dit Portalis : « s’occupent plus du bien politique de la société que de la perfection morale de l’homme ». Et ajoute : « la vertu est l’objet de la morale, la loi a plus pour objet la paix que la vertu (…) »

B- l’ordre public et les bonnes moeurs

De même l’ordre public ne doit pas être confondu avec les bonnes mœurs, celles-ci ne sont définies par aucun texte, elles sont souvent liées à l’ordre public. La Cour d’appel de Liège en donne une brillante définition : « …la notion de bonnes mœurs correspond à une morale coutumière, faite d’habitudes et de traditions d’un peuple…en évolution constante avec l’état d’esprit d’une civilisation » . Cette jurisprudence reflète parfaitement le point de vue de De Page selon lequel : « …la loi n’ayant ni défini ni précisé ce qui est contraire aux bonnes mœurs, il en résulte que l’appréciation du juge est souveraine. La notion des bonnes mœurs est essentiellement réaliste et de bon sens. Certains auteurs assimilent les bonnes mœurs à la morale. Cette doctrine va fort loin car toutes les morales ne sont point toujours d’accord, et la consécration de certaines morales confessionnelles serait contraire à la liberté d’opinion. Mais il y a moyen d’asseoir la notion de bonnes mœurs sur un terrain beaucoup plus solide. Toute civilisation comporte un ensemble de règles d’ordre moral, faites d’habitudes et de traditions formant corps avec la moralité d’un peuple et suffisamment générales pour être indépendantes de toute confession déterminée. Il existe une morale coutumière sur laquelle tous les honnêtes gens s’entendent parfaitement. C’est la notion légale de bonnes mœurs. Elle a un sens très clair, et les tribunaux l’ont parfaitement comprise. C’est celle qui consacre les grands principes de loyauté, de correction, de désintéressement et de dignité humaine qu’on rencontre chez tous les peuples civilisés ».

De ce qui précède, nous constatons que le juge qui tente d’expliquer la notion de bonnes mœurs, ne doit pas se fier aveuglement aux normes de la morale car, en fait, les règles de la morale sont trop absolues pour être comprises juridiquement. À titre d’exemple, la norme qui incite à la charité ; on est dans l’impossibilité d’exiger de chacun qu’il mette gratuitement ses biens au service des autres ; On ne peut, dès lors, justifier la sanction, critère de toute norme juridique, qui frapperait celui qui n’aurait pas rempli une obligation dont il ne connaîtrait ni le bénéficiaire ni le montant. Cependant le fondement de la justice consiste en la conscience collective, dans la mesure où le besoin de la justice et plus urgent que le besoin de la charité. « Il faut être juste avant d’être généreux, dis Albert Camus, comme on a des chemises avant d’avoir des dentelles. ». L’idée de la justice est assurément l’idée d’un ordre supérieur qui doit régner dans une société et qui assurera le triomphe des intérêts les plus respectables, le juge est alors appelé à la tenir pour l’intégrer dans les bonnes mœurs.

Cependant, certains juristes pensent que les bonnes mœurs constituent simplement une composante de l’ordre public, Malaurie Ne réussissait-il pas à démontrer, avec brio, cette co-appartenance historique des deux notions, en se référant aux travaux préparatoires du Code civil français. En effet, la sous-commission de réforme du Code civil estimant que le fait de viser expressément les bonnes mœurs constitue une sorte de redondance.

C- l’ordre public et les règles impératives

Il est d’une très grande importance de pouvoir nuancer le concept de l’ordre public des règles impératives qui, reconnaissons le, risque de prêter à une confusion totale. Nous devons opérer une distinction entre les lois d’ordre public et les règles impératives. La Cour de Cassation Belge a définit la loi d’ordre public de la manière suivante : « …n’est d’ordre public proprement dit que la loi qui touche aux intérêts essentiels de l’état ou de la collectivité, ou qui fixe dans le droit privé, les bases juridiques sur lesquelles repose l’ordre économique ou moral de la société ».

Selon De Page, cette définition pragmatique des lois d’ordre public est à mettre en relation avec une certaine conception de l’utilité sociale des actes juridiques : tout acte juridique doit avoir une utilité subjective pour les parties en présence, il encourrait le risque de la nullité relative ; à défaut d’avoir une utilité sociale objective, en raison notamment d’une contrariété à la loi d’ordre public ou aux bonnes mœurs, il encourrait alors le risque de la nullité absolue.

Les lois qui touchent l’ordre public s’articulent autour d’un axe constitué par l’idée d’intérêt général, alors que les règles impératives tendent à protéger les intérêts particuliers. Il s’ensuit que la violation des premières est sanctionnée par la nullité absolue, alors que la violation des secondes est sanctionnée par la nullité relative.

Toutes les lois impératives ne sont pas d’ordre public, les lois de protection des incapables sont impératives. Ainsi, on ne peut pas déroger aux limitations de la capacité des mineurs. Cependant, ces lois poursuivent la protection de l’intérêt de l’incapable lui-même et non pas la protection de l’intérêt général. C’est dans l’intérêt du mineur qu’on lui interdira d’accomplir certains actes juridiques, et non pas dans l’intérêt de la société. De même les lois qui prescrivent certaines formalités, par exemple les formalités des donations sont impératives, mais elles ne protègent que l’intérêt du donataire, elles ne protègent que des intérêts privés.

Après cette brève délimitation juridique de la notion de l’ordre public dans son acception général, quel est alors le sens que le législateur marocain lui attribue selon l’article 9 du Code de procédure civile ? Les causes qui concernent l’ordre public seraient-elles autres que celles qui concernent l’état, les collectivités locales et les institutions publiques ?

D- délimitation du contenu juridique de l’ordre public

Selon l’éminent juriste marocain Driss Bouzayan, l’ordre public peut s’entendre de tout ce qui concerne la préservation de la structure de l’état et de celle de ses institutions principales. Il tend à la protection des intérêts généraux sur lesquels s’articule l’existence de l’état en elle-même. Il peut s’agir d’intérêt politique comme celui relatif à l’organisation de l’état et à l’exercice de ses pouvoirs de souveraineté, il peut s’agir aussi d’un intérêt social comme la protection de la famille et la réalisation de la paix sociale, il peut incarner également un intérêt économique qui se rapporte à l’organisation de la production, la réglementation de l’assurance ou à la circulation de la monnaie, il peut enfin revêtir la forme d’intérêt éthique tendant à la protection de la morale et des bonnes mœurs.

Cette définition de l’ordre public n’est qu’approximative, car la notion de l’ordre public est tellement vaste qu’elle échappe à tout effort de délimitation comme nous l’avons souligné plus haut. Il revient alors à l’intelligence du magistrat de déterminer, cas par cas, si une telle cause relève de l’ordre public ou non, en se fondant sur la protection de l’intérêt général de la société et sur les principes généraux conformes à la civilisation d’un pays.

S’il est vrai que toute définition est difficile, il est encore plus vrai de dire que la définition de l’ordre public est malaisée, peut être même impossible dans l’opinion de certains auteurs. Portalis avait employée une formule que les travaux préparatoire nous ont conservé : « la loi est d’ordre public, disait-il, quant elle intéresse plus directement la société que les particuliers ». Dans sa thèse de doctorat, M. Malaurie a relevé en appendis 21 définitions de l’ordre public qu’il a pu recueillir chez les auteurs ou dans les arrêts. La sienne, la 21ème est la suivante : « l’ordre public, c’est le bon fonctionnement des institutions indispensables à la collectivité ». Certain auteurs ont renoncé à définir directement l’ordre public, tel le doyen Julliot de la Morandière, pour qui « la notion d’ordre public est celle qui traduit la nécessité de l’ordre, de la paix au sein de l’état ».

Cette ambiguïté dans l’explication du sens de l’ordre public, due à une absence de définition par la loi ne facilite pas la tâche de déterminer explicitement les causes qui concernent l’ordre public et qui sont par conséquent communicables au ministère public. En fait l’article 9 spécifie un certain nombre de causes qui doivent obligatoirement être communiquées au ministère public, comme celles qui concernent l’état, les terres collectives, l’état des personnes et les tutelles et les personnes incapables, mais il mentionne également celles qui concerne l’ordre public tout court sans autre indication. Quelles sont alors ces causes qui concernent l’ordre public ?

Tout d’abord, toutes les causes qui relèvent du droit public entre dans la sphère de l’ordre public. En effet les règles de droit public s’intéressent à l’organisation des relations où l’état est toujours partie en tant que représentant de la puissance public et de la souveraineté, elles tendent à la protection des intérêts essentiels de l’état, on peut citer à titre d’exemple le droit constitutionnel, le droit administratif ou les finances publiques. Cependant ces causes ont été spécifiquement citées par l’article 9 du Code de procédure civile, elles sont celles qui concernent l’état, les collectivités locales et les institutions publiques. Elles ne peuvent en aucun cas être intégrées dans le sens de l’ordre public tel qu’il est mentionné dans la première phrase du premier alinéa de l’article 9 susvisé.

Ensuite, les causes qui concernent l’état des personnes et les tutelles, elles se préoccupent de la capacité des personnes pour exercer leurs droits, et des règles gouvernant les relations entre les personnes au sein de la famille. Ces règles touchent à un intérêt social de l’état, elles sont alors d’ordre public. Ces causes sont également communicables au ministère public en vertu de l’alinéa 2 de l’article 9 du Code de procédure civile, et ne peuvent être comprises dans le sens des causes relatives à l’ordre public en vertu de l’article 9 précité.

Nous observons que la formulation de l’article 9 du Code de procédure civile est équivoque, dans la mesure où elle évoque une certaine confusion quant au sens de l’ordre public. Il est difficile de tracer une frontière entre les causes qui concernent l’ordre public et celles qui concernent les institutions publiques telles que l’état et les collectivités publiques. L’article 9 du Code de procédure civile n’a pas indiqué à titre limitatif toutes les causes qui concernent l’ordre public, il a donc laissé aux magistrats le soin de déterminer selon chaque cas d’espèce l’étendu de cette notion.

Paragraphe 2 : l’ordre public et les procédures collectives

Après avoir tenté de déterminer le sens étymologique et le contenu juridique de la notion de l’ordre public, il est temps maintenant de déterminer la relation qui peut exister entre cette notion et les procédures de redressement et de liquidation judiciaires. Autrement dit, nous allons essayer de démontrer l’existence de l’ordre public dans le cadre de ces procédures, et partant dire si les causes y afférentes sont communicables au non au ministère public. Il faut reconnaître que cette œuvre n’est pas facile à entreprendre dans la mesure où on est entrain d’opérer sur le terrain du droit privé. Et mieux encore, dans un domaine qui appartient exclusivement aux commerçants, comment alors peut-on justifier la communication au parquet, représentant par excellence de l’intérêt général, des causes qui ne concernent, en principe, que des parties privées ?

L’idée de la communication des causes relatives aux procédures collectives au ministère public, est certainement saugrenue et difficilement assimilable. Cette idée trouve, cependant, son fondement dans l’évolution de la notion d’ordre public qui tend à intégrer l’intérêt général dans son acception économique et sociale, d’où l’émergence de la notion de l’ordre public économique.

A- l’ordre public économique

L’ordre public économique trouve sa logique dans l’intervention de l’état dans la vie économique. Cette dernière, pendant longtemps, était dominée par une liberté se traduisant juridiquement par le principe de l’autonomie de la volonté. Depuis le début du siècle dernier, la puissance publique a commencé à imposer son point de vue dans les domaines de la production, de l’échange et de la distribution des richesses. En 1912 Gounod a écrit : « l’ère de l’autonomie de la volonté et de la suprématie du contrat est déjà clos », c’est en 1934 que le doyen Ripert allait employer pour la première fois l’expression de l’ordre publique économique pour désigner l’ensemble du phénomène.

En général, les juristes se montrent réticents vis-à-vis de l’existence d’un tel ordre qui se manifeste très souvent par la mise en place d’un certain nombre d’entraves limitant substantiellement la liberté contractuelle. L’attention des juristes à été attiré sur cette notion dans un article écrit par le doyen Ripert, il y’a de là plus de 71 ans, qui s’intitulait : « l’ordre public et la liberté contractuelle ». Depuis lors, cet ordre n’a pas cessé de s’amplifier à tel point que selon, le professeur Raynaud, les économistes les plus libéraux s’ils en reste souhaiteraient aujourd’hui une intervention de l’état dans la vie économique.

L’intervention de la puissance publique dans le domaine économique se traduit par une volonté d’orientation. Cette dernière est inspirée parfois par un esprit dirigiste , et d’autre fois par un esprit néo-libéral. A titre d’exemple l’état serait amené parfois à limiter la liberté contractuelle pour garantir cette dite liberté ; il en est ainsi lorsque la puissance publique, dans l’objectif de maintenir la libre concurrence, poserait certaines restrictions à la liberté des ententes.

Le doyen Carbonnier, quant à lui, distingue dans l’ordre public économique, à côté d’un ordre public de direction économique, un ordre public de protection visant à protéger dans certains contrats la partie économiquement la plus faible comme le salarié, le preneur à bail rural, l’usager, le débiteur et le consommateur. Paul Durant a dressé en 1944 la brillante synthèses de deux phénomènes majeurs de l’ordre public économique : la contrainte légale dans la formation du rapport contractuel, et le rôle des agents de l’autorité publique dans la formation du contrat. En définitive, chacun s’accorde à reconnaître l’existence à côté de l’ordre public traditionnel, d’un ordre public économique en vertu duquel se sont les rapports économiques qui sont réglementés en soi.

La naissance de l’ordre public économique ne constitue pas une révocation juridique qui se serait manifestée, il n’y a pas répudiation avouée du passé, ni proclamation solennelle d’un ordre nouveau. Tout au contraire, le passé subsiste, les grands Codes demeurent, bien peu changés ; l’ordre public économique s’est construit en marge par couches successives dans les dispositions spéciales, il se prête mal à la codification. L’adjonction du terme d’ordre public du qualificatif économique est à priori loin de dissiper le mystère traditionnel de la notion, puisqu’il fait référence au donné de toute une science.

L’ordre public s’identifie comme l’ensemble des principes fondamentaux sur lesquels repose la société, M.Malaurie résume excellemment l’ensemble des définitions, lorsqu’il dit de l’ordre public qu’il est : « le petit faisceau des cadres fondamentaux sur lesquels repose la société, son bâti élémentaire », l’ordre public économique n’est pas un phénomène nouveau, parmi les principes fondamentaux sur lesquels repose la société figure, nécessairement, les principes de base de l’organisation économique de la société. Toute société a un cadre économique, à côté du cadre politique, familial, moral. L’ordre public économique serait d’abord l’expression juridique de l’ordre économique fondamental d’une société donnée.

L’ordre public apparaît parfois comme l’antithèse de la liberté contractuelle. L’ordre public économique peut être défini alors comme l’ensemble des règles obligatoires dans les rapports contractuels relatifs à l’organisation économique, aux rapports sociaux et à l’économie interne du contrat.

L’existence de l’ordre public économique n’est pas contestée au Maroc. Ainsi le procureur général du Roi prés la Cours d’appel de commerce de Fez affirmait qu’à côté de l’ordre public social, existait un ordre public économique ayant pour objet la protection de la prospérité économique et la préservation de la pérennité de l’entreprise. Il ajoutait que le ministère public près les juridictions commerciales jouait un rôle intégral dans la préservation de cet ordre public économique en propageant une certaine assurance entre les investisseurs, les entrepreneurs et les promoteurs économiques, et garantissait également la sécurité des transactions économiques dans l’objectif de permettre une prospérité durable dans le domaine socio-économique.

D’autres juristes marocains confirment à l’unanimité l’émergence de ce nouveau concept de l’ordre public économique en matière de droit des affaires, et plus particulièrement en matière de procédures collectives, ces juristes s’accordent à dire que le ministère public près le tribunal de commerce doit avoir pour mission principale la défense de l’ordre public économique.

Selon l’avis de A.Romija, Le rôle du ministère public consiste à défendre l’ordre public économique et l’intérêt général, le représentant du ministère public lorsqu’il intervient en matière de procédures collectives, ne prend pas seulement en compte le sort de l’entreprise, il s’intéresse également aux conséquences de la disparition de celle-ci du tissu économique, en tant que gardien de la légitimité et de l’opportunité en matière économique.

D’après A.Masstari, procureur général du Roi près la Cour d’appel de Marrakech, Le ministère public doit disposer de mécanismes juridiques nécessaires pour pouvoir s’acquitter de sa mission de protection de l’ordre public économique.

A.Oukrif estime que, Le changement dans la nature du rôle du ministère public a été commandé par les mutations opérées sur la notion de l’ordre public. Celui ci s’est étendu pour comprendre des aspects socio-économiques ayant été jusqu’à une date récente inconnus du concept de l’ordre public, l’encouragement de l’investissement, la prévention des difficultés d’entreprises et leur traitement constituent la cheville ouvrière de l’idée de l’ordre public économique.

M.Lmajboud, procureur général du Roi près la Cour Suprême estime que le ministère public se doit dorénavant développer son rôle traditionnel et classique pour s’adapter à la nouvelle conjoncture économique, son rôle doit tendre à la protection de l’ordre public économique et social. Le législateur marocain doit intervenir alors pour attribuer expressément au ministère public des mécanismes juridiques nécessaires afin qu’il puisse s’acquitter de sa mission de la défense de l’ordre public économique.

B- L’ordre public économique et les entreprises en difficulté

La crise économique En France, pressentie dans les années 1970 et prégnante à compter de 1950, a conduit naturellement le magistrat à intégrer la vie économique au nom d’un intérêt général supérieur voué à permettre la survie des entités économiques.

La notion de l’ordre public économique s’est conçue, en France, dans un contexte de crise économique caractérisée par le bouleversement des structures commerciales et industrielles, et par un dépôt massif des bilans. Ce qui a essentiellement justifié l’intervention de l’état dans le secteur privé. L’idée de l’ordre public économique s’est imposée alors pour faire face à cette situation désastreuse qui se traduisait par un cortège de fermeture d’usines, de licenciements, et de prolifération de repreneurs d’entreprises. Ces derniers se souciaient peu de la sauvegarde de l’entreprise et s’intéressait plutôt à se nourrir des dépouilles.

Le concept de l’ordre public économique a justifié ainsi l’intervention de la puissance publique dans le domaine des entreprises privées. Le dépôt de bilans de certaines grandes entreprises, comme Creusot-Loire et Boussac, allait conforter les pouvoirs publics dans cette position. Cette intervention s’est manifestée, au début, par la constitution d’un comité spécial chargé d’assister les entreprises en difficulté. Il s’agissait du comité interministériel d’assistance des structures industrielles (C.I.A.S.I), doté d’un secrétariat général chargé de proposer un plan de restructuration, financé par le fond de développement économique et social (F.D.E.S).

Cet interventionnisme de l’état dans les affaires privées des commerçants a été jugé inopportun par les juges consulaires, qui se plaignaient des appels téléphoniques des préfets et des cabinets ministériels, alors que les représentants de la puissance publique critiquaient avec véhémence l’indépendance de la justice commerciale dans certaines affaires. Comme en 1980, l’affaire du Papier peint Leroy dans laquelle les juges consulaires ont rendu un jugement anti- économique.

L’état était contraint alors de chercher un représentant, en robe judiciaire, pour faire entendre sa voix ; une première circulaire a été prise en 1979 par le premier ministre et contresigné par le ministre de l’économie et des finances et le garde des sceaux, allait poser le principe de la collaboration entre le C.I.A.S.I et les magistrats du parquet.

Ce prologue était nécessaire pou établir la relation entre la notion de l’ordre public et le droit des entreprises en difficulté. Nul ne peut contester le fait que la disparition d’entreprises affecte de près l’ordre économique national. En fait, la disparition d’une entreprise privée entraîne avec elle le licenciement d’un certain nombre de salariés, la ruine de plusieurs créanciers et l’éradication d’une cellule de production du tissu économique. La notion de l’ordre public ne peut donc demeurer indifférente via à vis du phénomène de la disparition d’entreprises. Une disparition qui touche essentiellement les bases sur lesquelles repose une économie nationale. Le licenciement des salariés augmente le taux de chômage, la ruine des créanciers détériore le crédit et affecte la sécurité des transactions commerciales, le non-paiement des taxes diminue les revenues du Trésor Public et enfin la liquidation d’une entreprise contribue à l’effondrement du produit intérieur brut. On ne peut nullement prétendre que les conséquences de la faillite d’une entreprise privée sont sans conséquences à l’égard de l’intérêt général et de l’état.

En réalité, le sort de l’entreprise touche de près aux intérêts essentiels de l’état. Celui-ci, en fait, est tenu de garantir l’emploi à tous les citoyens, de lutter contre le phénomène du chômage, d’assurer la sécurité des opérations commerciales et d’encourager l’évolution économique. Nous considérons, par conséquent, que le sort de l’entreprise échappe à la volonté privée des parties, pour se positionner dans le cadre de l’intérêt général. Un intérêt qui justifie une intervention de la puissance publique dans le domaine économique. On comprend alors pourquoi les entreprises en difficultés constituent un domaine privilégié de l’intervention de l’état au nom de la défense de l’ordre public économique.

Nous concluons ainsi que le doit des entreprises en difficulté touche aux intérêts essentiels de l’état et aux bases juridiques sur lesquelles repose l’ordre public économique. Par conséquent, la plupart des causes qui sont relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté doivent être communiquées au ministère public conformément à l’article 9 du Code de procédure civile. Il n’est pas sans intérêt, cependant, de tenter d’établir une liste indicative de ces actions.

Paragraphe 3 : les causes communicables au ministère public

En l’absence de texte prescrivant la communication au ministère public des causes relatives aux procédures collectives, il faut rechercher si la demande relevant de la compétence du tribunal de la procédure ne concerne que des intérêts privés, auxquels cas la communication ne s’impose pas, ou si, au contraire, elle met en jeu une règle d’ordre public relative à la procédure collective qui justifie que le ministère public soit informé pour donner son avis comme le prescrit l’article 9 du Code de procédure civile. Cette distinction n’est pas toujours aisée à mettre en œuvre. En se référant à la notion de l’ordre public telle que définie plus haut, le ministère public peut prétendre avoir le droit d’intervenir dans la quasi-totalité des causes relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté et de liquidation judiciaire. Toutefois, certaines causes relatives aux procédures collectives ne donnent pas lieu à communication car elles ne concernent que des intérêts privés des créanciers, on peut citer à tire d’exemple celles relatives aux déclarations de créances.

Nous allons essayer, dans le cadre de ce paragraphe, de dresser une liste indicative des causes pouvant être communicables au ministère public en application de l’article 9 du Code de procédure civile.

A- l’action tendant à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire

La procédure de redressement judiciaire est applicable à tout commerçant et à toute société commerciale qui se trouve en situation de cessation de paiement . Elle peut être initié par le débiteur qui est contraint d’y recourir au plus tard dans les quinze jours qui suivent la cassation des paiement. Dans ce cas, le débiteur est tenu de déposer sa demande au greffe du tribunal de commerce en spécifiant les causes de son incapacité à payer ses dettes exigées à l’échéance en y joignant les états de synthèses, l’évaluation des biens mobiliers et immobiliers de l’entreprise, la liste des créanciers et débiteurs et le tableau des charges. Cette procédure peut également être ouverte par l’assignation d’un créancier quelque soit la nature de sa créance ou par le ministère public.

L’ouverture d’une procédure de redressement tend essentiellement à renflouer l’entreprise en difficulté dans l’objectif de maintenir l’activité et de préserver l’emploi. L’intervention de l’autorité judiciaire dans la gestion et l’administration de l’entreprise repose sur l’idée de protection de l’intérêt général, D’où la nécessité de la communication de cette action au ministère public.

La communication peut être faite, soit trois jours avant l’audience, soit à l’audience à laquelle l’affaire est appelée. Dans ce dernier cas, le ministère public peut demander le renvoi de l’affaire à la plus prochaine audience pour présenter ses conclusions écrites ou orales. Le tribunal est tenu d’ordonner ce renvoi.

Il est à noter que la présence du ministère public à l’audience statuant sur l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire est obligatoire dans la mesure où cette action est impérativement communicable au ministère public. L’audience en question ici est celle tenue par le tribunal de commerce ; elle est présidée par une formation collégiale de magistrats, c’est-à-dire trois magistrats dont un président. Elle est tenue en chambre de conseil au cours de laquelle le tribunal doit procéder à l’audition du chef de l’entreprise et de toute personne qu’il en juge utile. Le jugement doit intervenir le plus tard dans les quinze jours de la saisine du tribunal.

Le ministère public doit se faire communiquer la cause avant l’audience aux termes de l’article 9 du Code de procédure civile précédemment cité. La communication, dans un délai raisonnable, du dossier relatif à l’ouverture de la procédure de redressement au ministère public, permet à ce dernier d’étudier parfaitement la situation de l’entreprise en difficulté, et de préparer ses conclusions.

L’action tendant à l’ouverture de la procédure, inaugure l’intervention du pouvoir judiciaire dans la gestion et l’administration de l’entreprise en difficulté au nom de la protection de l’intérêt général. En pratique, la communication de cette cause au ministère public ne soulève aucun problème, les tribunaux de commerce respectent généralement cette formalité.

Dés le dépôt de la requête introductive de l’instance par le débiteur ou, le cas échéant, par le créancier, le président du tribunal de commerce ordonne la communication du dossier au ministère public. Ce dernier est tenu d’être présent à l’audience en chambre de conseil en vertu de l’article 10 du Code de procédure civile. Il doit également préparer ses conclusions et les soumettre au tribunal de commerce.

Le tribunal de commerce de Meknes, comme les autres tribunaux du commerce du Maroc, veille en pratique au respect de l’obligation de communication en application de l’article 9 précité. On peut citer à titre d’exemple le cas de la société Ismaïlia de briques de Meknes. Celle-ci avait demandé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire suite aux difficultés financières et sociales qu’elle avait rencontré. Le tribunal de commerce, après la convocation du représentant de la société et son audition, avait décidé la transmission du dossier au ministère public pour qu’il fournisse ses conclusions. Dans un autre cas, la propriétaire d’une pharmacie a demandé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire en arguant qu’elle a passé par des circonstances difficiles suite à la crise du secteur pharmaceutique au Maroc. Là, aussi, le tribunal a décidé la transmission du dossier au ministère public pour présenter ses conclusions en la matière. En général, le tribunal de commerce de Meknes, dés l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire par le créancier ou le débiteur, procède automatiquement à la transmission du dossier au ministère public en vertu de l’article 9 du Code de procédure civile.

B- Le renouvellement de la période d’observation

La période d’observation constitue l’innovation la plus remarquable du nouveau Code de commerce. En effet, au cours d’une période de quatre mois suivant la date d’ouverture du jugement de redressement judicaire, le syndic, une fois désigné par le tribunal, doit, avec le concours du chef de l’entreprise et l’assistance éventuelle d’un ou de plusieurs experts, dresser dans un rapport le bilan financier, économique et social de l’entreprise, au vue duquel, il va proposer, un plan de continuation, un plan de cession ou la liquidation de l’entreprise en difficulté.

Cette période constitue, sans doute, la phase la plus importante des procédures de traitement des entreprises en difficulté. Elle marque le temps de l’analyse, du diagnostic et de la recherche des solutions. Elle est caractérisée par la suspension des poursuites individuelles et des voies d’exécution de la part des créanciers sur les biens meubles ou immeubles du débiteur . De ce fait, la demande de renouvellement de cette période d’observation revête, elle aussi, une importance cruciale. En effet, au cours de celle-ci, les intérêts des différents protagonistes à la procédure seront mis en jeu.

Le législateur marocain a confié le droit du renouvellement de la période d’observation au syndic qui peut, aux termes de l’article 579 du Code de commerce, en requérir la prolongation pour une durée de quatre mois. Cette action reconnue au syndic, touche de façon notoire aux intérêts de tous les participants à la procédure de redressement, et met en cause par là, la notion de l’ordre public économique.

Le tribunal de commerce, dès qu’il est saisi d’une demande de prolongation de la période d’observation, doit la communiquer au ministère public aux termes de l’article 9 précité. Ce dernier doit exprimer, dans ses conclusions écrites, son avis sur l’opportunité et l’efficacité d’une telle prorogation.

La prolongation de la période d’observation ne doit être décidée que lorsqu’il existe des motifs sérieux la justifiant. Le syndic peut recourir, parfois, à une telle action dans le seul but de permettre à l’entreprise, soumise à la procédure de redressement, de bénéficier d’un délai supplémentaire de suspension de poursuites. Il est logique donc que le ministère public, puisse intervenir à ce propos afin d’examiner la sincérité de cette demande et sa conformité avec l’intérêt général et l’ordre public. En fait, en dehors de tout contrôle, la prolongation de la période d’observation pourrait favoriser le débiteur au détriment des créanciers. Il est donc indispensable que cette action soit communiquée au ministère public au nom de l’ordre public.

Le ministère public aura pour mission de vérifier l’opportunité d’une telle prolongation, et essayera de mesurer son impact sur l’ensemble des protagonistes à la procédure de redressement. Ses conclusions éclaireront le tribunal de commerce sur l’objectivité de la prolongation de la période d’observation.

En pratique les tribunaux de commerce veillent à communiquer au ministère public la demande du syndic tendant à la prolongation de la période d’observation en application de l’article 9 du Code de procédure civile. Dans un cas d’espèce, le tribunal de commerce à communiquer au procureur du Roi la demande de prolongation de la période d’observation relative au redressement d’une fiduciaire. Dans cette demande, le syndic avait justifié la prolongation par son incapacité à pouvoir élaborer un plan définitif de redressement dans le délai imparti par le tribunal. Le ministère public avait estimé dans ses conclusions, que la période d’observation est susceptible de renouvellement par le syndic en vertu de l’article 579 du Code de commerce, et que le tribunal devrait ainsi acquiescer à la demande du syndic, afin de permettre à ce dernier de présenter ses propositions conformément à la loi. Dans d’autres cas d’espèce, le ministère public avait formulé les mêmes conclusions à propos des demandes de prolongations de la période d’observation, celles-ci tendaient toutes à donner une suite favorable à la requête du syndic.

S’il est évident que l’article 579 du Code de commerce n’impose aucune condition au syndic quant à la prolongation de la période d’observation, la communication du dossier au ministère public, toutefois, est ordonné par le tribunal, parce que cette demande touche notamment à l’ordre public. Le ministère public est tenu alors d’opérer un contrôle sur les effets de la demande de prolongation de la période d’observation sur les participants à la procédure de redressement, et le sort de l’entreprise en difficulté, pour établir la conformité d’une telle demande à l’intérêt général et à l’ordre public économique.

A travers l’étude des cas d’espèces susmentionnés, nous avons constaté que la plupart des conclusions du ministère public tendent à donner une suite favorable à la demande du syndic en évoquant les dispositions de l’article 579 précité. Or, la raison de l’intervention du ministère public en cette matière réside dans le concept de l’ordre public en vertu de l’article 9 du Code de procédure civile. Le ministère public doit alors procéder à un examen d’opportunité de la demande par rapport à l’ordre public, et ne doit pas se contenter dans ses conclusions à évoquer les dispositions de l’article 579 précité.

Signalant enfin que l’article 579 du Code de commerce n’a pas précisé la sanction du non-respect par le syndic de la durée de la période d’observation qui est de quatre mois. Nous pouvons s’interroger sur le sort du rapport élaboré hors délai. En pratique, souvent les syndics dépassent le délai de quatre mois, prescrit par la loi, sans demander la prorogation de celui-ci. Les tribunaux de commerce affirment que la violation du délai imposé par le législateur est de nature à vider les procédures de traitement des entreprises en difficulté de leur sens, mais ne précisent pas la sanction applicable à cette violation.

C- l’action au cours de laquelle le tribunal arrête le plan de continuation

La situation de l’entreprise en difficulté soumise à une procédure de redressement judiciaire est déterminée à l’issue de la période d’observation par une option offerte au tribunal. Cette option consiste à choisir entre le maintien de l’entreprise en adoptant un plan de continuation ou un plan de cession, ou sa disparition en décidant sa liquidation judiciaire. Le choix de cette dernière solution s’opère lorsque aucune mesure de sauvegarde n’est envisageable, notamment lorsque la situation de l’entreprise est irrémédiablement compromise.

Le syndic, avec le concours du chef de l’entreprise, et l’assistance éventuelle d’un ou de plusieurs experts, doit dresser dans un rapport le bilan financier, économique et social de l’entreprise, il est habilité également à proposer, dans ce rapport, un plan de continuation en précisant les modalité de règlement du passif et les garanties souscrites par toute personne pour en assurer l’exécution . Ce plan de continuation est arrêté par le tribunal de commerce, lorsqu’il existe des possibilités sérieuses de redressement et de règlement du passif. La cause relative à l’adoption du plan de continuation revêt une extrême importance et touche à l’ordre public, car elle influe sur les différents participants à la procédure de redressement.

Tout d’abord, les dirigeants de l’entreprise sont les premiers concernés. Le législateur marocain a prévu la possibilité de les remplacer ; la présence de dirigeants médiocres, maladroits ou malhonnêtes entrave le redressement de l’entreprise en difficulté. Cette mesure s’apparente en quelque sorte à une expropriation pour cause d’utilité sociale , elle ne serait jamais être légitimée en de hors de la notion de l’ordre public.

Le plan de continuation concerne également les associés de la société en difficulté ; ceux-ci seront, parfois, obligés de modifier les statuts de la société. Cette modification prend souvent la forme d’une augmentation du capital ; le syndic convoquera l’assemblée compétente qui va statuer sur l’arrivée de nouveau souscripteurs. L’augmentation du capital peut s’opérer par la souscription des créanciers de la société, les créances de ses derniers seront ainsi remplacées par des nouveaux droits sociaux.

Le débiteur, situé au épicentre de la procédure de redressement, ne peut être indifférent à l’égard du plan de continuation. Celui-ci, en fait, devrait respecter des mesures lourdes de conséquences sur son patrimoine. Une fois remis à la tête de ses affaires après l’arrêt du plan de continuation, une partie de ses biens serait frappé d’inaliénabilité. Cette mesure est considérée par certains auteurs comme l’équivalent de l’hypothèque légal de la masse, elle a pour objectif d’éviter que le débiteur ne profite du plan de continuation pour morceler, à son profit exclusif et au détriment de ses créanciers, l’entreprise qui vient d’être redressé. L’inaliénabilité touche les biens que le tribunal de commerce estime indispensables pour la continuité de l’entreprise.

Enfin, les créanciers sont concernés par le plan de continuation parce que, c’est en fait, eux qui vont permettre la continuation de l’entreprise en se décidant sur les délais de remise accordés au débiteur. Certain créanciers vont pouvoir accorder consensuellement au débiteur des remises de délais de paiements. Le tribunal de commerce se réserve, toutefois, la faculté d’imposer aux autres créanciers des délais uniformes de paiement.

Il va sans dire alors que la cause relative à l’arrêt du plan de continuation doit être communiquée au ministère public, dans la mesure où elle concerne l’ordre public en vertu de l’article 9 du Code de procédure civile. L’intervention du ministère public à cet égard se traduit par la volonté de protection de l’intérêt général, un intérêt qui dépasse celui des seuls participants à la procédure, pour atteindre celui de l’économie en général.

La communication doit se faire avant l’audience, et intervenir dans un délai convenable pour permettre au ministère public de préparer ses conclusions. Il est à noter, que le ministère public doit être présent à l’audience au cours de laquelle, le tribunal décidera la continuation de l’activité de l’entreprise. Après l’audition du chef de l’entreprise, des contrôleurs et des délégués du personnel, Le ministère public prend la parole le dernier, étant donné, qu’il intervient en tant que partie jointe. Il joue à cet égard le rôle d’un jurisconsulte, et doit présenter ses conclusions tendant, soit à approuver le projet de plan de continuation proposé par le syndic, lorsque celui-ci répond aux exigences de la loi, soit à le désapprouver en démontrant au tribunal qu’un tel projet ne présente pas de possibilités sérieuses de redressement de l’entreprise et ne procure aucune opportunité de règlement du passif.

Le jugement de continuation doit mentionner, à peine de nullité, le dépôt ou le prononcé des conclusions du ministère public.

Il est important de souligner qu’en pratique, les tribunaux de commerce procèdent, avant l’arrêt d’un plan de continuation, à la communication du dossier au ministère public en application de l’article 9 du Code de procédure civile. Le dossier contient en principe le rapport élaboré par le syndic, et le rapport du juge-commissaire. Le ministère public joue à cet égard un rôle très important en mettant l’accent sur la conformité du projet de continuation aux intérêts des différents protagonistes de la procédure, et à l’intérêt de l’entreprise en difficulté. Ainsi, le procureur du Roi près le tribunal de commerce de Meknes a conclu dans l’une de ses réquisitions que : « attendu que le projet du plan de continuation tend à apurer le passif de la société selon un calendrier précis, après la consultation des différents créanciers et l’acceptation du chef de l’entreprise ; attendu que le projet du plan présente une stratégie claire concernant la situation future de la société sur les plans, économique, financier et social ; attendu qu’il existe des possibilité sérieuses de redressement de l’entreprise , il en ressort que le tribunal peut approuver ce projet et décider la continuation de l’activité de l’entreprise en difficulté ».

Dans un autre dossier, le ministère public a adopté une position opposée à celle du syndic. Ce dernier avait élaboré un projet de plan de continuation de la société « Ismaïlia des briques » qui devait s’étaler sur 10 ans, le juge-commissaire avait sollicité, dans son rapport l’approbation du projet du plan et la continuation de l’activité de l’entreprise. Le procureur du Roi a soulevé que ledit projet ne déterminait pas, de manière expresse, le sort des salariés, celui-ci s’était contenté de proposer leur remplacement, sans pouvoir pour autant chercher une solution plausible, ce qui mettait en échec l’un des principaux objectif des procédures de redressement à savoir le maintien de l’emploi. Il a également constaté que le syndic n’avait pas présenté un agenda précis pour le paiement des dettes sociales ; le ministère public avait ainsi sollicité la transmission du projet de plan ou syndic pour rectification.

D- L’action tendant à la modification ou à la résolution du plan de continuation

Le plan de continuation, arrêté dans le cadre du redressement judiciaire de l’entreprise, peut faire l’objet, soit de modifications, soit de résolution. Le législateur marocain a adopté une certaine souplesse en permettant au chef de l’entreprise ou au syndic de demander au tribunal de commerce une modification dans les objectifs et les moyens du plan de continuation. Faut-il rappeler à ce propos que l’exécution d’un plan de continuation n’est pas une tache aisée. Souvent les intérêts des parties en présence sont divergents, et la pratique fait naître des contraintes nouvelles que le tribunal n’aurait pas prévu lors de l’adoption du plan de continuation. Ainsi, le fait de permettre la modification de ce dernier, constitue une solution pratique qui peut aider à l’exécution du plan de continuation et au redressement de l’entreprise.

La modification du plan, comme sa résolution, donne lieu à une nouvelle action devant le tribunal de commerce dont seuls le chef de l’entreprise et le syndic peuvent y recourir.

Dans la première hypothèse, le tribunal statuera sur la modification du plan de continuation après avoir entendu ou dûment appelé les parties et toute personne intéressée. Vu l’importance de cette action qui aura souvent pour objet la modification des objectifs et des moyens du plan de continuation . Sa communication au ministère public nous paraît obligatoire en vertu de l’article 9 du Code de procédure civile. Le parquet est le mieux placé pour éclairer le tribunal sur l’efficacité ou l’inutilité d’une telle modification.

Dans la seconde hypothèse, le tribunal de commerce peut tout simplement ordonner la résolution du plan de continuation. En effet, dans le cas d’inexécution, par le débiteur, des obligations fixées dans le plan, Le créancier a le droit de demander au tribunal la résolution du plan de continuation. Le tribunal peut se saisir d’office afin d’ordonner une telle résolution. Dans les deux cas, le tribunal après avoir entendu le syndic, prononce la résolution du plan et décide la liquidation judiciaire de l’entreprise.

Cette possibilité de résolution du plan de continuation ouvre le droit à une nouvelle cause ayant pour objectif la résolution du plan et le prononcé de la liquidation de l’entreprise. Il est compréhensible que le droit à cette action ne soit conféré qu’au créancier de l’entreprise en difficulté, car c’est lui le premier concerné par l’accomplissement des engagements, pris par le débiteur, dans le cadre du plan de continuation. Il est important de souligner aussi que tout défaut dans l’exécution du plan de continuation mettra en péril les droits du créancier, et rendra le remboursement de sa créance quasiment impossible.

La résolution du plan de continuation marque l’échec du redressement de l’entreprise en difficulté et dénote, soit l’impertinence du rapport élaboré par le syndic, soit le manque de diligence du chef de l’entreprise n’ayant pas su honorer ses engagements. Toutefois, les conséquences d’une telle résolution sont néfastes, voire, désastreuses sur l’ensemble des protagonistes de l’entreprise en difficulté.

Au premier rang de ceux-ci, se trouvent les salariés qui vont perdre leurs emplois, ensuite les créanciers dont les chances de remboursement seront minimisées, et enfin la société toute entière qui perdra une cellule de production. La présence du ministère public, dans le cadre de cette action, peut être bénéfique. En fait, le tribunal est tenu de lui communiquer toute action tendant à la résolution du plan de continuation afin de lui permettre la préparation de ses conclusions.

En matière de cette action, le ministère public sera amené à chercher les causes de l’inexécution du plan de continuation, et d’identifier, le cas échant, les personnes qui en sont responsables. Cette action est d’une très grande importance car il va permettre au ministère public de requérir des poursuites civiles ou pénales à l’encontre de toute personne ayant contribué par sa négligent ou par son inobservation des lois à l’échec du redressement de l’entreprise en difficulté.

E- l’action au cours de la quelle le tribunal arrête le plan de cession de l’entreprise

La cession de l’entreprise, reconnaissons le, constitue une institution spécifique du droit des entreprises en difficulté. Certes, elle puise ses origines dans centaines pratiques de cession à forfait, mais, dans son ensemble, elle demeure une création propre des procédures de traitement des entreprises en difficulté. L’innovation de ce concept de cession de l’entreprise se manifeste par le fait qu’elle n’implique nullement d’aléas en comparaison avec la cession à forfait qui a été réglementée par l’article 319 de l’ancien Code de commerce.

La cession consiste dans le transfert d’une entreprise. Malheureusement la loi ne donne aucune définition de l’entreprise, elle ne vise que son but : « une activité susceptible d’exploitation autonome » . Le législateur marocain, à l’instar, de son homologue français a refusé de consacrer la notion d’entreprise. Il semble lui préférer une approche globale à savoir une activité économique autonome organisée par les moyens nécessaires à l’exercice de cette activité. La cession doit porter alors sur les éléments nécessaires et suffisants à l’exercice de cette activité.

Ainsi, on peut pertinemment dire que la cession de l’entreprise a pour objet la transmission à un tiers, qui en paie le prix et prend des engagements en vue de son redressement, d’une cellule économique vivante au sein de laquelle sont réunis le travail et les moyens au service de l’activité.

La cession de l’entreprise peut être totale ou partielle. Dans le premier cas, elle porte sur l’entreprise toute entière, elle comprend donc tous les biens affectés à l’activité du commerçant, ainsi que tous ceux qui servent à la réalisation de l’objet social. Dans le second cas, la cession partielle porte sur un ensemble d’exploitation formant une ou plusieurs branches complètes et autonomes d’activité.

La cession de l’entreprise constitue certainement une opération importante en vue de laquelle l’ensemble des biens de l’entreprise sera cédé à une tierce personne. La pratique démontre que, souvent, les entreprises sont vendues à des prix dérisoires, et dans certains cas, le repreneur n’honore pas ses engagements, ou bien revend les actifs de l’entreprise, ce qui conduit à son dépeçage. Pour éviter un tel comportement, le tribunal doit contrôler la conformité de la cession aux règles juridiques, et respecter la volonté du législateur marocain ayant voulu faire de cette cession une solution des procédures de redressement. Un tel contrôle ne peut s’effectuer sans le concours du ministère public, défenseur traditionnel de l’intérêt général.

Il est incontestable de dire que l’action relative à la cession d’une entreprise en difficulté touche à l’ordre public, et de ce fait, elle est obligatoirement communicable au ministère public en application de l’article 9 du Code de procédure civile. Cette communication prend la même forme que nous avons expliqué à l’occasion de l’étude des actions précédentes, elle permettra au ministère public de vérifier si le projet de plan de cession présenté par le syndic répond aux conditions imposées par la loi. Les conclusions du ministère public aborderont d’abord, le but de la cession qui doit tendre à assurer le maintien de l’activité susceptible d’exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d’apurer le passif ; elles doivent, ensuite, s’assurer du respect de l’ambition du législateur ayant voulu que la cession de l’entreprise permette la survie d’une entreprise viable ; elles doivent également moraliser les opérations de reprise et leur donner une finalité de redressement en mettant en échec les offres qui servent des projets spéculatifs et doivent enfin s’assurer de la conformité de la procédure d’élaboration du plan de cession aux dispositions de l’article 604 du Code de commerce.

F- L’action tendant à la résolution du plan de cession

Une fois le plan de cession arrêté, le cessionnaire doit respecter un certain nombre d’obligations imposées par le tribunal de commerce, obligations ayant pour but d’assurer la cession de l’entreprise en tant qu’entité indépendante de production, de permettre la sauvegarde de l’emploi et d’éviter le morcellement de l’entreprise. C’est dans un esprit de transparence, que le législateur marocain a imposé au cessionnaire de rendre compte au syndic de l’exécution des dispositions prévues par le plan de cession à l’issue de chaque exercice suivant la cession.

De façon général, le cessionnaire doit honorer les engagements qu’il avait formulé dans l’offre de cession, tel que le maintien d’un certain nombre d’emplois, la reprise du matériel, la préservation de l’entreprise, mais surtout le paiement du prix de cession et le respect de l’inaliénabilité de certains biens .

Le non respect de ces engagements par le cessionnaire entraînera la prononciation de la résolution du plan de cession par le tribunal de commerce, soit d’office, soit sur demande du créancier, ou du syndic . On constate à cet égard que la résolution du plan de cession s’opère à travers une action spéciale, et que les personne habilitées à en intenter sont restrictivement limitées par la loi, il s’agit du créancier et du syndic qui doivent adresser une demande tendant à la résolution du plan de cession au tribunal de commerce lorsque le cessionnaire déshonore ses engagements. On le sait, le tribunal peut également se saisir d’office pour prononcer une telle résolution.

La cession de l’entreprise, comme on l’a vu plus haut, peut constituer l’occasion pour certains spéculateurs de réaliser des bénéfices énormes au détriment des objectifs tracés par le législateur marocain. Des repreneurs, peu soucieux du redressement de l’entreprise ou de sa sauvegarde, peuvent, immédiatement après son rachat, revendre tous ses éléments et entraîner ainsi sa disparition. C’est justement pour cette raison que l’opération de cession de l’entreprise doit être soumise à un contrôle accentué de la part du tribunal de commerce, avant l’adoption du plan de cession, et au cours de l’exécution de celui-ci.

Le rôle du ministère public à cet égard peut être remarquable. En fait, le tribunal est tenu de communiquer cette action au ministère public aux termes de l’article 9 du Code de procédure civile afin de lui permettre de présenter ses conclusions sur la résolution du plan de cession. Le ministère public, dans le cadre de sa mission de protection de l’intérêt général, doit s’assurer que le cessionnaire ait respecté ses engagements, et vérifier si la demande du créancier ou du syndic est fondée sur des arguments solides.

G-l’action tendant au remplacement du syndic et celle

relative à la modification de sa mission

Le syndic est désigné par le tribunal de commerce dans le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Le tribunal à le pouvoir d’attribuer la fonction de syndic à un greffier du tribunal, ou bien la confier à un tiers. La première observation qui nous vient à l’esprit, est que le législateur marocain a principalement confié la mission du syndic au greffier, ce qui suscite un étonnement ! Le greffier, n’ayant pas la formation financière et comptable requise, serait incapable de gérer une entreprise sociétaire comprenant plusieurs services, et employant un certain nombre de salariés. De même, il lui serait très difficile d’élaborer le bilan économique, financier et social de l’entreprise. Un bilan, qui nécessite, on le sait, un certain savoir en matière financière et économique.

La deuxième observation consiste dans le fait que l’article 568 du Code de commerce permet, le cas échéant, au tribunal de désigner un tiers comme syndic. Mais, ce texte ne précise pas de quel tiers s’agit-il, et n’impose aucune condition de qualification. Ce qui donne un pouvoir discrétionnaire au tribunal de commerce de choisir le syndic qu’il estime apte à gérer l’entreprise en difficulté.

La mission du syndic est cruciale. Cet organe de la procédure est chargé de mener les opérations du redressement et de liquidation judiciaires à partir du jugement d’ouverture jusqu’à la clôture de la procédure. Il dispose de pouvoirs énormes : il prépare la solution des procédures de redressement, assure la gestion de l’entreprise, surveille l’exécution du plan de continuation ou de cession, vérifie les créances sous le contrôle du juge-commissaire, agit au nom et dans l’intérêt des créanciers et assure la liquidation de l’entreprise et la réalisation de son actif.

Le législateur marocain, soucieux de l’importance de la mission du syndic, a prévu deux actions : l’une consiste à modifier sa mission sur sa demande ou d’office par le tribunal. L’autre tend à permettre aux protagonistes des procédures de traitement des entreprises en difficulté d’exercer un certain contrôle sur ses attributions en demandant son remplacement. En fait, le tribunal de commerce à le pouvoir de remplacer le syndic d’office, à la demande du juge-commissaire, ou sur réclamation du débiteur ou du créancier. Il est fort regrettable que le législateur marocain n’ait pas accordé la même faculté au ministère public. Néanmoins, ces deux actions doivent lui être communiquées. Les conclusions du ministère public peuvent jouer un rôle très important au niveau de ces deux actions.

D’abord en ce qui concerne la première, le ministère public doit vérifier si la nouvelle mission du syndic n’est pas incompatible avec l’ordre public. Il peut ainsi s’opposer à la demande faite par le syndic tendant à modifier sa mission, ou expliquer au tribunal qu’une telle modification aurait un impact néfaste sur le déroulement de la procédure de redressement quand la dite modification est décidée par le tribunal de commerce à la demande du juge-commissaire d’office.

Ensuite pour ce qui est de l’action ayant pour objet le remplacement du syndic, le ministère public aura pour mission de démontrer au tribunal la sincérité d’une telle demande en invoquant les arguments que les parties ont omis de soulever.

H-l’action tendant au report de la date de cessation

La date de la cessation de paiement est en principe fixée par le jugement qui ouvre la procédure de redressement judiciaire. Cette date ne peut être antérieure de plus de dix huit mois à celle de l’ouverture de la dite procédure. La détermination de cette date revêt une importance particulière dans la mesure où c’est à partir d’elle qu’on peut situer dans le temps la période suspecte. En effet, celle-ci s’étend de la date de cessation des paiements jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure. Si le tribunal omettait de déterminer la date de cessation de paiements, celle-ci serait fixée à la date où le jugement de redressement de l’entreprise est intervenu.

La détermination de la cessation des paiements, et chemin faisant, celle de la période suspecte, produit des effets considérables sur un certain nombres d’opérations juridiques. Ceux ci peuvent être frappées notamment de nullité. C’est pourquoi toute modification de cette date est de nature à influer sur le sort de plusieurs contrats conclus entre l’entreprise et ses partenaires. Par conséquent toute action tendant au report de cette date concerne la collectivité des créanciers de l’entreprise et touche à l’intérêt général.

La personne habilitée à intenter cette action est le syndic. Il a la possibilité de demander le report de la date de cessation une ou plusieurs fois. Pour se faire, il suffit qu’il présente une demande au tribunal de commerce avant l’expiration du délai de 15 jours suivant le jugement qui arrête le plan de continuation ou de cession, ou la liquidation judiciaire lorsqu’elle a été prononcée suivant le dépôt de l’état de créance.

On constate alors que le législateur a attribué un pouvoir spécifique au syndic en lui reconnaissant la faculté exclusive de demander la modification de la date de cessation des paiements. Cette modification touche d’abord aux intérêts du débiteur ; elle peut entraîner l’annulation de touts les actes accomplis par lui à titre onéreux ou à titre gratuit après la cessation des paiements, et même avant celle-ci. En fait, le tribunal peut ordonner l’annulation des actes à titre gratuit faits dans les six mois précédents la date de cessation des paiements .

Ensuite, les intérêts des créanciers sans mis en jeu par la modification de la cessation des paiements. Le tribunal, sur demande du syndic, peut annuler tout acte à titre onéreux, tout paiement d’une somme d’argent, toute constitution de garanties ou de sûretés, lorsqu’ils auront été faits par le débiteur après la date de la cessation des paiements. La survenance d’une telle modification est susceptible de porter atteinte à des droits déjà acquits, et elle est, de ce fait, de nature a renverser rétroactivement des positions juridiques, ce qui est périlleux pour la sécurité des transactions juridiques.

La nécessité de la communication de cette action au ministère public est notoire, car la notion de l’ordre public est mise en jeu. Au-delà des intérêts privés des parties, surgisse un intérêt général qui consiste à assurer la sécurité des opérations juridiques préétablies. Les conclusions du ministère public auront pour objectif de vérifier les causes qui ont poussé le syndic à demander une telle modification de la date de la cessation des paiements. Elles auront aussi pour objectif de s’assurer de l’efficacité d’une telle mesure. Le ministère public doit également chercher à démontrer la date correcte de la cessation des paiements pour protéger les intérêts des tiers.

I- L’action tendant à la révocation des contrôleurs

C’est le juge-commissaire qui est compétent pour désigner les contrôleurs. Leur nombre varie d’un à trois. Ils sont choisis parmi les créanciers, personnes physiques ou personnes morales de l’entreprise en difficulté sur leur demande. Il est nécessaire que l’un d’entre eux soit choisi parmi les créanciers titulaires de sûretés, et qu’un autre soit choisi parmi les créanciers chirographaires. Leur rôle consiste à assister le syndic dans ses fonctions de gestion de l’entreprise, et à aider le juge-commissaire dans sa mission de surveillance de l’administration de l’entreprise. Les contrôleurs sont autorisés à prendre connaissance de tous les documents transmis au syndic .

Dans la plupart des législations, il existe un organe de contrôle émanant directement des créanciers. Introduit sous le nom de « contrôleur » dans la procédure française par la loi du 4 mars 1889. L’institution qui fut alors créée répondait à la volonté de donner à des créanciers un pouvoir général de contrôle et de surveillance sur le déroulement des opérations afin qu’ils ne soient pas écartés de la procédure concernant leur débiteurs.

La désignation d’un contrôleur ne résulte pas d’une décision rendue d’office. La mission conférée par la loi est confiée à un « volontaire » qui en fait la demande et accepte de l’exécuter gratuitement. Nul ne peut être désigné en cette qualité s’il n’en a pas fait préalablement la demande .

Les contrôleurs sont révocables sur décision du tribunal de commerce, à la demande du juge-commissaire ou du syndic. Etant l’importance du rôle des contrôleurs, qui consiste en premier lieu à défendre les intérêts des créanciers qu’ils représentent, leur révocation peut entraîner des conséquences néfastes sur le cours normal des procédures de traitement des entreprises en difficulté. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette action doit être également communicable au ministère public aux termes de l’article 9 du Code de procédure civile. Là aussi le ministère public aura pour mission d’éclairer le tribunal de commerce sur la convenance de cette révocation, et tentera de dévoiler les arguments occultés par le syndic.

J- L’action tendant à la liquidation judiciaire

La liquidation judiciaire constitue l’étape ultime des procédures de traitement des entreprises en difficulté. Le recours à cette procédure ne peut intervenir qu’après l’échec des soins préventifs au cours de la prévention interne et externe, et l’échec des soins curatifs à travers la procédure de redressement judiciaire. Le tribunal de commerce doit, s’assurer, avant le prononcé d’une procédure de liquidation, que la situation de l’entreprise est irrémédiablement compromise .

Le jugement prononçant la liquidation judiciaire entraîne comme conséquence le dessaisissement du débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens . Les droits de ce dernier seront exercés pendant la période de liquidation judicaire par le syndic.

Nous allons à cet égard mettre l’accent sur l’action tendant à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à n’importe quel moment de la procédure de redressement judicaire. En fait, le tribunal, à la demande motivé du syndic, d’un contrôleur, du chef de l’entreprise, ou d’office, ou sur rapport du juge-commissaire, peut ordonner la cessation totale ou partielle de l’activité et prononcer la liquidation judicaire .

Cette action doit être communiquée au ministère public car elle touche à l’ordre public conformément à l’article 9 du Code de procédure civile. Une telle action peut, en fait, être fatale pour l’entreprise en difficulté. C’est pourquoi le ministère public est tenu d’examiner la fiabilité de toute demande tendant à la liquidation judiciaire, et d’éclairer le tribunal, au cours de l’audience, sur les vraies causes qui se cachent derrière la demande de liquidation.

K- L’action en comblement du passif

L’action en comblement du passif tend à appliquer une sanction patrimoniale aux dirigeants de l’entreprise en difficulté lorsqu’il est établi que ces derniers ont commis une faute de gestion ayant contribué à la cessation des paiements. En fait, le tribunal de commerce peut décider que l’insuffisance de l’actif soit supportée en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants, ou seulement certain d’entre eux . Le tribunal est saisi d’office ou sur demande du syndic . Cette action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui arrête le plan de redressement, ou à défaut, de la date du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.

Cette action constitue le seul moyen de moraliser la vie des affaires à l’encontre de certains dirigeants qui font du dépôt du bilan une méthode de gestion . Elle est mise en œuvre chaque fois qu’il apparaît que des fautes ont été commises par les dirigeants de l’entreprise en difficulté.

L’action en comblement du passif doit être communiquée au ministère public, car le comportement des dirigeants incompétents ou malhonnêtes cause un préjudice grave à l’ensemble de la collectivité des créanciers. Le rôle du ministère public à cet égard consiste à préparer des conclusions sur l’opportunité de l’application des sanctions patrimoniales à l’encontre des dirigeants de l’entreprise soumise à la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

L- L’action en extension de la procédure de redressement ou de liquidation

Lorsqu’une entreprise est soumise à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, le tribunal de commerce est tenu d’ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l’égard de tout dirigeant contre lequel peut être relevé l’un des faits énumérés à l’article 706 du Code de commerce.

La date de cessation des paiements qui est prise en compte, dans le cadre de cette action, est celle fixée par le jugement de l’ouverture de la procédure. Cette action se prescrit également par trois ans à partir du jugement arrêtant le plan de cession ou de continuation, ou à défaut, à partir du jugement qui prononce la liquidation judiciaire .

Il va sans dire que le tribunal de commerce doit communiquer cette action au ministère public. Ce dernier est tenu de vérifier si tous les éléments sont réunis pour que cette sanction soit applicable aux dirigeants de la société.

La saisine du tribunal s’opère, soit d’office, soit sur demande du syndic. Les dirigeants de la société sont dûment convoqués huit jours au moins avant l’audience par le secrétariat greffe. Le jugement n’est rendu qu’après l’audition du rapport du juge-commissaire .

On ne peut que regretter à cet égard, que le législateur marocain n’ait pas prévu la possibilité pour le ministère public de saisir le tribunal de commerce pour l’application d’une telle sanction. Elle est incontestable que l’institution du ministère public, vu sont objectivité et sa mission de défense de l’ordre public, soit la mieux placée pour apprécier l’opportunité de l’extension de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire aux dirigeants de l’entreprise en difficulté. Ceci étant, il reste que le ministère public peut intervenir dans cette action en tant que partie jointe et faire valoir son opinion.

M- l’action tendant au prononcé de la déchéance commerciale

Sont également communicables, les causes qui tendent au prononcé d’une déchéance commerciale ou d’une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale ou artisanale. A n’importe quelle étape de la procédure, le tribunal doit se saisir, soit d’office, soit sur demande du syndic ou du procureur du Roi , pour prononcer s’il y a lieu, la déchéance commerciale de toute personne physique commerçante contre laquelle a été relevé l’un des faits énumérés aux articles 712 à 714 du Code de commerce.

La déchéance commerciale au sens de l’article 711 du Code de commerce, consiste dans l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, et toute société commerciale ayant une activité économique. Le jugement qui la prononce comporte également l’incapacité d’exercer une fonction publique élective . Il est important de souligner aussi que la durée de la déchéance commerciale ne peut être inférieure à cinq ans.

Le législateur marocain ayant prévu la possibilité pour le ministre public de saisir le tribunal de commerce pour l’application de la déchéance commerciale. Il est certain alors que lorsqu’il use de cette faculté, il intervient en tant que partie principale au procès, et se voit alors octroyé les mêmes droits que ceux dont jouissent las parties à l’audience. Cependant, lorsque le ministère public n’utilise pas cette faculté, le tribunal est tenu de lui communiquer la cause en vertu, cette fois ci, de l’article 9 du Code de procédure civile, afin de lui permettre de formuler son avis à propos de l’application de la déchéance commerciale.

Il est à constater que le législateur marocain n’a pas utilisé le terme de « faillite personnelle » en tant que sanction personnelle, dans le cadre des procédures de traitement des entreprises en difficulté et de liquidation judiciaire, contrairement ou législateur français, qui a employé le vocable « faillite personnelle » en tant que synonyme de la déchéance commerciale. Paraît-il que le législateur marocain a voulu sciemment écarter ce vocable qui recouvre un sens de punition et de châtiment.

Section 2 : la communication judiciaire

En dehors de la communication obligatoire, le juge peut décider d’office la communication d’une affaire au ministère public. Cette forme de communication est qualifiée comme judiciaire car relevant du pouvoir de décision du juge. Il est important d’observer que cette forme de communication constitue la seule hypothèse dans la quelle le tribunal peut adresser une injonction au procureur de du Roi . Ainsi l’article 8 du Code de procédure civile offre au tribunal de commerce le choix d’agir à son gré quant à la réquisition ou non de l’intervention du magistrat du parquet.

Cette communication trouve son fondement dans le fait de permettre aux magistrats de siège de connaître l’opinion du ministère public sur un point particulier. Elle représente le pendant de la communication facultative. En fait, le juge va communiquer un dossier au ministère public car il souhaite que cette dernière se prononce sur une affaire bien déterminée. Si cette règle générale de procédure civile ne suscite pas de difficultés particulières quant à sont application en matière civile, la situation n’est pas similaires lorsqu’on la transpose au niveau du tribunal de commerce, et plus particulièrement en matière de procédures de traitement des entreprises en difficulté. Autrement dit, la question qui s’impose à cet égard : quelles sont les affaires que les magistrats commerciaux estimeraient –ils nécessaires à soumettre à l’avis des magistrats du parquets en matière de procédures collectives ? Il faut écarter dans ce cadre les affaires qui sont communicables en vertu de la loi, que nous avons exposées dans la section précèdente. Nous allons essayer, dans cette section, d’examiner certaines actions qui, vu leur importance, peuvent inciter le juge du tribunal de commerce à les communiquer au ministère public pour avis. Il s’agit de celles qui sont du ressort du juge-commissaire : telle l’action de vérification des créances, l’action de la levée de la forclusion et de certaines actions similaires qui ne peuvent pas être répertoriées parmi celles qui concernent directement l’ordre public.

Paragraphe1 : la vérification des créances

En règle générale, il n’est pas nécessaire que le ministère public puisse prendre connaissance des actions tendant à la fixation de l’existence, du montant et du caractère privilégié ou non des créances produites . En fait, ce genre d’actions n’intéresse que les parties au procès, et il serait difficile de les rattacher à la notion de l’ordre public que nous avons examiné plus haut. Cette action ne met essentiellement aux prises que des intérêts privés. Cependant, le juge-commissaire peut communiquer le dossier au ministère public lorsque la taille de l’entreprise en difficulté le justifie. Il en serait ainsi lorsqu’il s’agira d’une grande société dont le passif est constitué principalement de dettes en faveur du Trésor Public, de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale ou d’autres organismes publics. L’intervention du ministère public à cet égard peut éviter un rejet non justifié des créances publiques.

En fait, tous les créanciers de l’entreprise en difficulté doivent, dans un délai de deux mois de la publication du jugement d’ouverture de la procédure de redressement au Bulletin Officiel, adresser la déclaration de leurs créances au syndic sous peine de voir leurs créances éteintes à moins que le juge-commissaire les relève de leur forclusion . Le législateur marocain a exclu seulement les salariés de cette déclaration dans le souci de protéger leurs créances constituées par les salaires non payés par l’entreprise soumise au redressement judiciaire. Il est à noter que les créanciers qui bénéficient d’une sûreté ayant fait l’objet d’une publication ou d’un contrat de crédit bail publié, ne sont pas concernés par le délai de déclaration que s’ils sont personnellement avisés.

Le législateur marocain a confié la mission de la vérification des créances au syndic sous le contrôle du juge-commissaire, en présence du chef de l’entreprise et avec l’assistance des contrôleurs . Cependant la détermination de l’existence de la créance est du ressort du juge-commissaire qui, sur propositions du syndic, décide de l’admission ou du rejet de la créance ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence .

Cette faculté offerte au juge-commissaire de décider du sort de la créance en faisant recours aux propositions d’admission, de rejet ou d’envoi devant le tribunal, formulée par le syndic, peut présenter certains risques. En fait, le syndic, qui est souvent un expert financier, n’a pas la qualification requise pour vérifier le bien fondé d’une créance sur le plan juridique. En outre, le juge-commissaire ne procède pas, lui-même, à la vérification des créances, ce qui le contraint à s’appuyer sur les propositions faites par le syndic. Ce dernier apparaît donc comme le seul agent de la procédure habilitée à décider effectivement, par le biais de ses propositions d’admission, du rejet ou de renvoi devant le tribunal, du sort des créances . Il serait, cependant, invraisemblable de le laisser opérer individuellement en dehors de tout contrôle. Or, est-il vrai que c’est le juge-commissaire qui va, en fin de compte, se prononcer sur la recevabilité et l’existence des créances. Mais, Celui-ci sera certainement lié, directement ou indirectement, par les propositions du syndic.

L’intervention du ministère public à cet égard est d’une utilité intrinsèque. Pourquoi ? Car, il est, en raison de son indépendance, et en tant que défendeur de l’intérêt public, la seule partie qui peut éclairer le juge-commissaire sur l’existence et la légalité d’une créance, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une créance public dont le rejet peut entraîner une perte considérable pour le Trésor Public. Nous pensons, qu’il serait d’une grande sagesse, à chaque fois qu’une grande entreprise est soumise à une procédure de redressement, que le juge-commissaire, avant de se prononcer sur l’admission ou le rejet des créances, communique la liste des créances accompagnées des propositions du syndic au ministère public pour avis.

Paragraphe 2 : L’action en relevé de forclusion

Il va sans dire, que la vérification des créances constitue pour les créanciers une opération d’une très grande importance, qui entraînera soit la reconnaissance de leurs créances, soit leur rejet. Il revient donc au syndic, comme on l’a souligné plut haut, de vérifier, en présence des contrôleurs, la réalité des droits invoqués par chacun des créanciers. Le créancier n’ayant pas déclaré sa créance dans le délai légal est forclos, c’est-à-dire qu’il ne peut plus être admis dans les répartitions et les dividendes. Il est à souligner, toutefois, que la forclusion est inopposable aux créanciers titulaires d’une sûreté ou d’un contrat publiés s’ils n’ont pas été avisés personnellement de l’obligation de déclarer leurs créances.

Cependant le législateur marocain a prévu la faculté pour le créancier défaillant, n’ayant pas opéré la déclaration de sa créance dans le délai imparti par la loi , de demander au juge-commissaire le relevé de la forclusion. A cet égard, le créancier doit démontrer que la défaillance n’est pas due à son fait. Toutefois, le législateur marocain, n’a pas précisé les conditions de forme et de fond nécessaires pour déclarer la levée de la forclusion, l’appréciation de celle-ci sera délaissée au pouvoir discrétionnaire du juge-commissaire.

Au niveau de cette action, nous relevons également l’intérêt pour le juge-commissaire de communiquer l’affaire au ministère public à chaque fois que la demande de relevé de forclusion concerne une importante créance qui peut influer sur le sort de l’entreprise en difficulté, ou mettre en péril toute possibilité de règlement du passif. Là aussi l’intervention du ministère public est de nature à faciliter la tâche du juge-commissaire, et peut l’aider à prendre la décision appropriée.

Il est avéré que le juge-commissaire, dans ce genre d’action, prend des décisions par voie d’ordonnance. On peut estimer à première vue que l’intervention du ministère public n’est pas adéquate, voire étrange. Cependant rien n’interdit au juge-commissaire de solliciter l’avis du ministère public conformément à l’article 9 du Code de procédure civile . L’un des rares exemple est une décision du tribunal de grande instance de Paris, qui en présence du refus du syndic d’une société mise en liquidation de biens d’exécuter une ordonnance du référé prud’homal, bénéficiant de l’exécution provisoire de plein droit, en a ordonné la communication au procureur de la République en sa qualité de garant de l’exécution de la justice.

Nous achevons cette section en insistant sur la nécessité pour les magistrats du tribunal de commerce de communiquer les causes relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté et de liquidation judiciaire au ministère public à chaque fois où des intérêts particuliers sont mis en cause. Nous avons cité à titre d’exemple le cas des deux actions susmentionnées. Mais le tribunal de commerce peut toujours recourir à cette communication judiciaire lorsqu’il en juge l’utilité. Soulignant, enfin, que cette communication est de nature à renforcer la coopération entre les magistrats du siège et ceux du ministère public au sein du tribunal de commerce.

Section 3 : la communication à l’initiative du ministère public

Il s’agit là évidemment d’un droit général de communication, prévu par l’article 8 du Code de procédure civile qui est mis à la disposition du ministère public. Celui-ci peut donc demander, à n’importe quel stade de la procédure, à ce que le dossier lui soit communiqué. Ainsi, à l’exception de la prévention interne qui s’exerce en dehors du tribunal, le ministère public a apparemment la faculté de demander la communication des dossiers durant toutes les étapes de la procédure devant le tribunal de commerce. Il peut demander la communication des causes relatives à la prévention externe (P1), et au règlement amiable (P2).

Paragraphe 1 : La communication dans le cadre de la prévention externe

Aux termes de l’article 8 du CPC( Code de la procédure civile) , rien n’interdit au parquet d’intervenir au niveau de la prévention externe des difficultés de l’entreprise. Il peut parfaitement demander au président du tribunal de commerce de lui communiquer le dossier concernant la procédure de nomination d’un mandataire spécial telle qu’elle est réglementée par l’article 549 du Code de commerce . À cet égard on peut se poser une question pertinente : est-il possible pour le président du tribunal de commerce de refuser au ministère public ce droit en arguant que cette procédure revête un caractère spécial consistant dans la confidentialité qui doit régner à ce niveau afin de ne pas entacher la réputation de l’entreprise en question ?

Apparemment la réponse est négative, les dispositions de l’article 8 du Code de procédure civile susmentionnées sont claires en la matière, le ministère public peut intervenir dans toutes les affaires civiles quand bon lui semble. A cela, il faut ajouter le contenu du quatrième alinéa de l’article 9 du Code de procédure civile qui précise que le ministère public peut prendre connaissance de toutes les causes dans lesquelles il croit son intervention nécessaire. Alors, généralement parlant, le président du tribunal de commerce ne saurait refuser au ministère public le droit de se faire communiquer les documents dont il disposait au niveau de la procédure du mandataire spécial. Cependant, peut on considérer cette procédure comme étant une cause civile ordinaire ? Ne revêt- elle pas un caractère spécial provenant du fait qu’elle est destinée à être faite dans un cadre de discrétion ? Et, si oui, la communication du dossier au parquet ne serait-elle pas nuisible à la réputation de l’entreprise en question ?

Pour savoir si la procédure du mandataire spécial revêt un caractère spécial, il est nécessaire d’en rechercher l’origine et les motifs (A), afin de déterminer si la communication de cette procédure au parquet serait appropriée (B).

A- La spécificité de la procédure du mandataire spécial

Il s’agit d’une procédure qui était l’aboutissement d’une pratique juridique en France. En effet, les tribunaux de commerce étaient compétents pour désigner un administrateur provisoire, en cas de difficultés rencontrées par une entreprise, afin de gérer la personne morale ou le fonds de commerce de la personne physique. L’administrateur devait ensuite rendre compte au président de mesures de redressement envisageables. Cette pratique constituait un moyen efficace pour intervenir d’une manière précoce, mais il présentait un inconvénient dans la mesure où elle faisait l’objet d’une publicité légale, ce qui était de nature à compromettre le crédit de l’entreprise. Ce constat a poussé les magistrats des tribunaux de commerce à songer à une autre formule plus souple consistant à désigner un « mandataire ad hoc » qui aurait pour tâche d’évaluer la situation de l’entreprise et d’aider le débiteur à trouver une solution. Ce procédé a été légalisé par la loi du 10 juin 1994 en vertu de l’article 611-3 du Code de commerce français .

Le législateur marocain, à l’instar de son homologue français, a institué la procédure du mandataire spécial aux termes de l’article 549 du Code commerce marocain sus mentionné. Cette technique juridique, dont les mécanismes n’ont pas été spécifié ni par le législateur français, ni par le législateur marocain, est axée sur la confidentialité qui doit régner au cours du dialogue entre le président du tribunal de commerce et le chef de l’entreprise. Elle tend à désigner un mandataire ad hoc, qui doit être un spécialiste du traitement des difficultés d’entreprises, pour rechercher des solutions négociées et souvent obtenir des concessions auprès des créanciers .

Le président du tribunal détermine librement la mission du mandataire ad hoc dans une ordonnance qui ne fait pas l’objet d’une publication. En principe, nul ne peut être au courant, à l’exception des parties concernées, de la mission du mandataire puisqu’il s’agit d’une procédure totalement confidentielle . Dans ce contexte là, est- il possible pour le ministère public de se faire communiquer le dossier ?

B- La communication de la procédure du mandataire spécial au ministère public

Comme on l’a vu plus haut, le ministère public est dûment habilité à demander au président du tribunal de commerce de lui communiquer le dossier concernant la désignation d’un mandataire spécial sur la base de l’alinéa 11 de l’article 9 du Code de procédure civile. Celui-ci confirme le principe selon lequel le ministère public peut prendre connaissance de toutes les causes dans lesquelles il croit son intervention nécessaire. La confidentialité de cette procédure ne serait être opposable au ministère public en tant que défenseur de l’ordre public économique. Toutefois, il est important de déterminer dans quels cas la communication de la cause est nécessaire. Il s’agit là d’un pouvoir discrétionnaire dont dispose les magistrats du parquet qui doivent apprécier souverainement l’opportunité de la demande de communication.

Ainsi, lorsqu’une grande société est soumise à la procédure du mandataire spécial, le ministère public peut demander la communication du dossier étant donné que l’intérêt général est mis en cause. Si une implication renforcée du parquet au cours de la procédure du mandataire amiable n’est pas opportune, une information systématique du ministère public peut être envisagée, notamment lorsque la disparition de l’entreprise est de nature à causer un trouble grave à l’économie nationale ou régionale, ce qui justifierait une participation à la procédure. Par contre, dans d’autres cas où des petites et moyennes entreprises seraient concerné par cette procédure, la demande de la communication par le ministère public des causes y afférentes serait inappropriée, car toute communication intempestive au parquet peut gêner, non seulement la bonne administration de la justice par l’encombrement des parquets, mais aussi la vie des affaires .

Paragraphe 2 : la procédure du règlement amiable

Le ministère public est habilité également à demander au tribunal de commerce la communication du dossier concernant le règlement amiable en se fondant sur son droit général de communications prévues aux dispositions citées plus haut. A cette étape de la prévention externe, on peut se demander sur l’utilité d’une telle communication. De même, le président du tribunal de commerce peut rejeter la demande du ministère public en arguant, là aussi, que le règlement amiable doit se conclure dans un climat de discrétion afin de préserver la renommée de l’entreprise en question.

Pour démontrer l’intérêt de la communication de la cause au parquet, nous allons rechercher si les répercussions de l’accord amiable n’affectent-t-elles pas les intérêts des salariés, des créanciers et de l’économie nationale en général. Pour se faire, nous proposons d’examiner dans un premier paragraphe les enjeux soulevés par le règlement amiable pour apprécier dans un second paragraphe l’utilité de la communication durant cette phase.

A- Les enjeux soulevés par le règlement amiable

La procédure du règlement amiable est réglementée au Maroc par les articles 550 à 559 du Code de commerce. En effet, tout chef d’entreprise commerciale ou artisanale a la faculté de saisir le président du tribunal de commerce pour demander l’ouverture d’un règlement amiable. La seule condition exigée est que l’entreprise requérante doit éprouver une difficulté juridique, économique ou financière ou des besoins ne pouvant être couverts par un financement adapté à ses possibilités . Cependant ce qui est remarquable à propos de cette procédure, se concrétise d’abord au niveau de la possibilité offerte au président du tribunal de commerce d’ordonner la suspension provisoire des poursuites pour une durée qui peut aller jusqu’à quatre mois sur demande du conciliateur, et d’interdire, ensuite, au débiteur de payer les dette antérieures à la décision qui arrête ladite suspension .

Pour ce qui est de la suspension provisoire des poursuites, il est intéressant de constater qu’on rompt déjà avec les techniques juridiques du droit civil qui régisse les relations entre les particuliers, et où le contrat constitue souvent la seule loi susceptible d’être applicable, sinon, comment expliquer aux yeux du droit privé l’obligation imposée à un co-contractant d’être privé d’une prestation réciproque de l’autre partie au contrat au nom d’une suspension ordonnée par le président du tribunal ? Rien ne peut justifier cette ingérence dans les affaires privées à l’exception de l’intérêt général. Mais, le fait d’évoquer cette idée d’intérêt général n’implique-t- il pas d’ores et déjà la communication du dossier au ministère public en tant que représentant solennel de l’intérêt général.

S’agissant de l’interdiction faite au débiteur de payer ses dettes nées antérieurement à l’ordonnance arrêtant la suspension des poursuites, et celle de consentir une hypothèque ou un nantissement. Là aussi, on est dans un domaine qui outrepasse celui du droit privé. Le débiteur serait alors privé de disposer de son propre patrimoine. Cette interdiction s’explique cependant par une volonté de protection des créanciers au cours de la période de la réalisation de l’accord amiable, afin d’éviter une diminution de la valeur du patrimoine de l’entreprise. Ceci étant, le droit privé est incapable de justifier une telle interdiction. Il est inévitable de recourir à la notion d’intérêt général pour fonder juridiquement une pareille interdiction.

En plus de ces deux arguments tendant à expliquer l’intérêt de la communication du dossier au parquet. L’ouverture de la procédure du règlement amiable est conditionnée par l’inexistence de l’état de cessation de paiement, or le parquet est en mesure de fournir des informations précieuses sur la situation financière et économique de l’entreprise, en vue d’éclairer le président sur ce point et lui permettre de vérifier pertinemment l’accomplissement de cette condition.

B- l’utilité de la communication de la procédure du règlement amiable

Comme on l’a remarqué plut haut, le règlement amiable peut avoir de graves conséquences sur le sort de l’entreprise. L’intervention du parquet au cours de cette phase nous parait pleinement justifiée. Elle tendra à éviter les inconvénients pouvant en découler. Le débiteur est souvent tenté de dissimuler une partie du passif dans le but d’amener les créanciers à conclure un accord amiable. Le ministère public, en tant que voix objective représentant l’intérêt général, est à même d’éclairer, et le président du tribunal de commerce, et les créanciers sur la situation exacte de l’entreprise.

Les précédents historiques du règlement amiable ne nous enseignent-ils pas sur les abus auxquels ils peuvent donner lieu. Thaller n’énonçait-il pas déjà au 19ème siècle : « On imagine pas toutes les fraudes et tous les abus de ces concordats amiables, le débiteur présente un faut bilan qu’on se dispense de vérifier. Les créanciers ne se rendent pas par eux-mêmes aux convocations. Puis ils s’y représentent par des courtiers…à tout instant. On déroge au principe de l’égalité non pas ostensiblement, sans doute, mais au moyen de contre-lettres. » C’est la raison pour laquelle, le ministère public doit user de son droit d’intervention général pour demander la communication du dossier dés la présentation de la requête de règlement amiable au président du tribunal de commerce.

La communication va permettre au parquet d’établir une liaison avec les administrations publiques qui sont souvent créancières de l’entreprise en difficulté. Il s’agira principalement de la direction des impôts et de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale. Elle va lui permettre également de défendre l’intérêt des salariés qui sont intéressé de prés par le sort de l’entreprise. On comprend alors pourquoi le législateur français à du imposer une obligation d’information et de consultation du comité de l’entreprise ou à défaut des délégués du personnel préalablement à l’ouverture de toute procédure de règlement amiable . Au Maroc, le procureur du Roi peut parfaitement collecter auprès des salariées les informations nécessaires à évaluer la véritable situation de l’entreprise pour s’assurant que la procédure de règlement amiable ne porte pas atteinte à leurs intérêts. Le procureur du Roi sera en mesure alors de faire entendre la voix des salariés devant le président du tribunal de commerce.

Il est à noter que l’intervention du ministère public à ce stade est de nature à lui permet d’agir davantage en amont de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. Le procureur du Roi peut disposer de larges pouvoirs d’investigation pour connaître parfaitement la situation économique, financière et sociale de l’entreprise. L’efficacité de son intervention dépendra de sa capacité à organiser son réseau d’information pour dépister les difficultés suffisamment en amont. La loi ne définit pas les mécanismes permettant de déceler las indices d’une situation préoccupante, de même elle ne détermine pas les moyens permettant au parquet de collecter et de transmettre l’information au président du tribunal.

Il revient au parquet d’organiser officieusement un système de veille. Il peut, par exemple, parfaitement exploiter les informations recueillies par le greffe du tribunal de commerce. On le sait, l’absence de dépôt des comptes sociaux au greffe constitue fréquemment un indicateur de la dégradation de l’entreprise. Nulle personne ne peut contester la valeur de ces documents comptables, ils constituent un précieux outil pour évaluer l’état de santé de l’entreprise. La régularité de leur dépôt permet d’appréhender l’évolution de la situation et, le cas échéant, d’apprécier l’opportunité d’une action préventive pour l’entreprise dans le cadre du règlement amiable.

Il est intéressant de signaler enfin que le parquet a la possibilité de demander la communication du dossier au cours de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Il est, toutefois, indispensable d’exclure à cet égard les cas ou la communication des dossiers relatifs aux procédures collectives est imposée par la loi, notamment lorsque l’ordre public est concerné. En fait, toutes les affaires, dans lesquelles une entreprise est soumise à une procédure de redressement ou de liquidation judicaire, ne sont pas liées directement ou indirectement à la notion d’ordre public. Ainsi, le ministère public à la faculté de demander, en dehors des cas communicables en vertu de l’article 9 du Code de procédure civile ou celles communicables à l’initiative du tribunal, la communication du dossier à n’importe quel stade de la procédure. Cette communication facultative constituera, à côté des autres modes de communication, un véritable instrument d’information, bien qu’il souffre de certaines imperfections que nous allons pouvoir examiner dans cette deuxième section.

Chapitre 2 : l’insuffisance de la communication reconnue

Le législateur marocain, en prévoyant la présence d’un parquet autonome près le tribunal de commerce, a omis de déterminer de façon explicite ses attributions, et encore moins les mécanismes d’information dont il peut disposer. En matière des procédures collectives, la première difficulté à la quelle on se heurte est liée au rôle du ministère public. Ce dernier, pour agir convenablement, il doit disposer d’une véritable communication soigneusement prévue par la loi. Or, le législateur marocain n’a rien réglementé à ce propos, et il a fallu se retourner vers le Code de procédure civile pour rechercher des solutions adéquates.

Comme on l’a vu dans la première section, la communication des affaires relatives aux procédures de redressement et de liquidation judicaire se fonde essentiellement sur la notion de l’ordre public. Le tribunal de commerce sera contraint d’examiner, à l’occasion de chaque cas d’espèce, l’existence d’un ou de certains éléments qui touchent à l’ordre public pour pourvoir, par la suite, décider la communication d’une affaire ou non au ministère public. Cette tâche n’est pas aisée à opérer, voire compliquée, surtout si on sait que les juristes les plus chevronnés ont échoué à déterminer les contours de la notion de l’ordre public. En outre, l’échec du magistrat dans l’appréciation de l’existence de cet ordre public sera sanctionné par la nullité de la décision.

Nous allons essayer, dans le cadre de ce chapitre, d’étudier successivement, l’ambiguïté des textes réglementant la communication (S1), les difficultés d’application (S2) et la nécessité de l’intervention d’une réforme (S3).

Section 1 : L’ambiguïté des textes juridiques

En se référant aux articles 8, 9, et 10 du Code de procédure civile, on constate qu’ils parlent tous du rôle du ministère public devant les juridictions civiles, mais de quel ministère public s’agit-il ? Du ministère public près le tribunal de première instance, ou bien celui siégeant auprès du tribunal de commerce ? Autrement dit est ce que le parquet du tribunal de première instance peut intervenir dans les affaires de traitement des difficultés de l’entreprise devant le tribunal de commerce ? Et inversement est ce que le parquet du tribunal de commerce peut intervenir dans les affaires civiles devant le tribunal de première instance en se fondant sur les dispositions du Code de procédure civile ?

Il s’agit là certainement d’une première ambiguïté qu’il faut, au premier lieu, éclaircir. Ensuite, lorsque l’article 9 du Code de procédure civile évoque la notion de l’ordre public à propos des causes communicables, il est pratiquement difficile de trancher que toutes les actions se reliant aux procédures de traitement des entreprises en difficulté et de liquidation judiciaire touchent à l’ordre public. Il s’agit là d’une deuxième ambiguïté qu’il est fondamental, en deuxième lieu, d’élucider.

Paragraphe 1 : le ministère public compétent en matière de communication

Devant l’absence d’un texte de loi qui détermine clairement les affaires communicables au ministère public en matière de droit des entreprises en difficulté, il a été nécessaire d’appliquer les règles générales de la procédure civile. Ainsi, au niveau de la communication, les articles réglementant le rôle du ministère public devant les juridictions civiles nous ont été d’un grand secours, d’autant plus que l’article 19 de la loi instituant les juridictions de commerce en prévoit expressément l’application devant les tribunaux de commerce et les Cours d’appel de commerce. Cependant l’application de ces articles suscitent une difficulté énorme dans la mesure où ils ne précisent pas de quel ministère public s’agit-il, est ce celui du tribunal de première instance, ou bien celui du tribunal de commerce. Cette interrogation est pertinente, car rien en fait n’interdit au ministère public près le tribunal de première instance d’intervenir devant les tribunaux de commerce en tant que partie jointe, ou en tant que partie principale conformément aux articles sus mentionnée plus haut. De même, le ministère public devant le tribunal de commerce peut parfaitement intervenir dans les affaires civiles autres que celles qui concernent le droit commercial.

Le législateur marocain n’a pas opéré une nette distinction entre le parquet ordinaire et le parquet de commerce en matière civile. Les mêmes textes généraux de procédure civile opèrent la réglementation de l’intervention des deux parquets en matière civile. Si la doctrine, comme la pratique sont quasiment d’accord sur la séparation entre le parquet pénal et le parquet civil, et si elles s’accordent à dire que le parquet de commerce n’est pas compétent pour connaître des affaires pénales, la question n’est pas facile à trancher, lorsqu’il s’agit de nuancer en matière civil, les attributions du parquet de commerce et celles du parquet ordinaire , et de déterminer par conséquent le parquet destinataire de la communication.

Cette ambiguïté des textes juridiques est due essentiellement à l’institution d’un parquet autonome auprès du tribunal de commerce en vertu des articles 2 et 3 de la loi 95-53 instituant les tribunaux de commerce au Maroc . Ce texte a donné lieu à l’apparition d’un nouveau ministère public, à côté de celui qui existait déjà près les tribunaux de droit commun. Depuis lors, on a assisté à la co-existence de deux organes judiciaires portant la même appellation « ministère public », bien qu’ils soient situés à des endroits différents : l’un est situé près les tribunaux de première instance et les Cours d’appel, l’autre est situé près les tribunaux de commerce et les Cours d’appel de commerce.

La séparation de localisations ne suffit pas à tracer les limites d’attribution entre ces deux ministères publics, et il est très difficile, du moins en théorie, de déterminer le ministère public compétent en se fondant simplement sur les textes de lois qui évoquent le vocable « ministère public » sans y joindre le qualificatif « de commerce » ou « d’ordinaire ». Le risque de confusion est omniprésent lorsqu’on essaie de déterminer le ministère public visé par le législateur, à l’occasion de l’application des textes relatifs à la procédure civile, au droit des sociétés, au Code de commerce, au droit de la propriété industrielle…etc. c’est la raison pour laquelle, il aurait été plus sage d’adopter les dispositions de l’article 4 du projet de loi de création des tribunaux de commerce. Ce dernier ayant été inspiré de l’article 412-5 du Code de l’organisation judiciaire français, stipulait que le ministère public près le tribunal de première instance du ressort du tribunal de commerce exercerait les attributions du ministère public auprès de cette dernière. L’adoption d’un tel texte aurait évité la survenance d’équivoques à propos du sens du ministère public.

Paragraphe2 : l’ordre public en tant que critère de la communication

Le fait de fonder le principe de la communication obligatoire des affaires relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté et de liquidation judiciaire sur la notion de l’ordre public suscite plusieurs questions : tout d’abord l’article 9 du Code de procédure civile est antérieur à la création des tribunaux de commerce, et à l’entrée en vigueur du Code de commerce. Comment alors est-il possible que le législateur marocain ait imaginé une situation qui n’existait pas à l’époque de la promulgation du Code de procédure civile ? Ensuite si le texte de loi marocain est inspiré de la loi française, pourquoi cette dernière à réformer l’ancien article 425 du Code de procédure civil qui correspondait à l’article 9 de notre Code de procédure civile ? Pourquoi la loi française a-t- elle spécifié clairement les affaires relatives aux procédures collectives qui sont communicables au ministère public ? Enfin, est ce que toutes les causes se référant aux procédures de redressement et de liquidation judiciaire sont–elles d’ordre public, et par conséquent sont communicables au ministère public ?

L’article 9 du Code de procédure civile indique que les causes qui sont obligatoirement communicables aux ministère public sont celles qui concerne l’ordre public, l’état, les collectivités locales, les établissements public, les dons et legs au profit d’institutions charitables, les biens habous et les terres collectives, celles concernant l’état des personnes et les tutelles, celles qui concernent les personnes incapables, et d’une façon générale, toutes celles ou l’une des parties est défendue ou assistée par un représentant légal, celles concernant et intéressant les personnes présumées absentes, les déclinatoires de compétence portant sur un conflit d’attribution, les règlements de juges, les récusations de magistrats et les renvois pour cause de parenté ou d’alliance et les procédures de faux . Ce texte de loi date du 30/09 /1974 , c’est-à-dire 22 ans avant l’entrée en vigueur du Code de commerce , et 23 ans avant la mise en place des tribunaux de commerce au Maroc . Il serait à première vue inconcevable, qu’un tel texte puisse réglementer la communication des affaires relatives a des procédures qui n’étaient même pas envisageables à cette époque. En plus lorsque l’article 9 énumère les cas de communication, il commence par les causes qui concernent l’ordre public, puis articule sur les autres causes, mais qui relèvent essentiellement du domaine de l’ordre public. Ainsi lorsque le législateur parle par exemple de l’état, des collectivités publiques, des établissement publics, ou des dons et legs au profit d’institutions charitables, ou des bien habous et des terres collectives, ou encore l’état des personnes, les tutelles, et le règlement de juges et la prise à partie, il évoque, par excellence, le domaine de l’ordre public.

A notre avis, l’article 9 ne met pas en opposition le domaine de l’ordre public et les autres domaines où la communication par le tribunal au ministère public est obligatoire. Le législateur marocain a voulu a titre indicatif délimiter le domaine de l’ordre public, il serait donc fastidieux de croire que l’ordre public constitue un domaine différent de ceux énumérés par l’article 9 sus cité. Ce n’est donc que par une interprétation extensive de ce texte, qu’on peut inclure certaines affaires relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté et de liquidation judiciaire dans l’obligation de communication incombant au tribunal, au titre de l’ordre public. Le législateur français, dans l’objectif d’éviter tout débat à propos des affaires communicables au ministère public, a procédé à une réforme des dispositions de l’article 425 du Code de procédure civile, afin de les mettre à jour avec les nouvelles dispositions du droit de l’entreprise en difficulté.

L’article 425 du nouveau Code de procédure civile français énumère, en effet, explicitement les affaires communicables au ministère public en matière de procédures de redressement et de liquidation judiciaire. On constate alors que le législateur français, à la différence du législateur marocain, n’a pas fondé l’obligation de la communication sur un concept aussi vague que celui de l’ordre public, car une telle conception de la communication des affaires relatives aux procédures collectives aurait été très difficile à mettre en œuvre.

Au Maroc, le fait de placer les magistrats du tribunal de commerce sur un terrain aussi glissant que celui de l’ordre public est de nature à entraver le bon déroulement des audiences ; dans ce sens ou les magistrats devraient à l’occasion de chaque affaire, examiner sa relation avec l’ordre public afin de déterminer sa communicabilité ou non au ministère public. Ils encourraient le risque, en cas d’échec de cet examen, de voir leurs décisions annulées par la Cour Suprême.

En droit français, le ministère public n’est pas supposé intervenir dans toutes les causes en relation avec une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. L’obligation de communication est déterminée par les dispositions de l’article 425-2 du nouveau Code de procédure civile. Ainsi, en dehors des cas de communication réglementés par la loi, le ministère public ne pourra pas réclamer la communication d’une affaire relative aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires sauf s’il sollicite l’application de l’article 426 du nouveau Code de procédure civile.

Pour ce qui est du droit marocain, nous ne pouvons prétendre que la notion de l’ordre public, déterminé par l’article 9 du Code de procédure civile, englobe toutes les causes relatives aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires. Certes, certaines d’entre elles concernent directement l’ordre public et doivent être communicables comme nous l’avons souligné plus haut, alors que d’autres ne mettent en œuvre que des intérêts particuliers et échappent à l’obligation de communication. Ainsi, il ne suffit pas qu’un syndic soit présent à l’instance, en demande ou en défense, pour que le dossier de la procédure doive être communiqué au ministère public. L’obligation de la communication suscite également certaines difficultés quant à sont application.

Section 2 : les difficultés pratiques relatives à l’application de la communication

Après avoir examiné l’étendue de l’obligation de communication des affaires relatives aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires, il est temps de s’interroger sur les difficultés auxquelles elle donne lieu en pratique. Nous allons alors étudier celles-ci à travers le moment (P1), le mode et la preuve de la communication (P2).

Paragraphe1 : le moment de la communication

La communication au ministère public doit s’opérer trois jours au moins avant l’audience, il est possible, cependant, devant le tribunal de première instance que la communication soit faite à la date de l’audience à la quelle l’affaire est appelée . Il existe alors deux moments pour procéder à la communication, soit trois jours avant l’audience, soit pendant la tenu de l’audience ou l’affaire est appelée.

Pour ce qui est de la première hypothèse, le délai de trois jours, prescrit par la loi nous paraît insuffisant pour permettre au ministère public d’intervenir convenablement en matière des procédures de traitement des entreprises en difficulté. Si ce même délai ne suscite pas de difficultés particulières pour les autres affaires civiles communicables au ministère public près le tribunal de première instance en raison de leur simplicité, la situation est diamétralement opposée en matière de droit des entreprises en difficulté. Si on prend par exemple le cas de la demande d’ouverture d’une procédure de redressement faite par une société anonyme employant plus de 200 salariés, et dont le chiffre d’affaire atteint ou dépasse les 5.000.000 DH. La communication de ce dossier par le tribunal de commerce au ministère public dans le délai de trois jours avant l’audience serait-elle raisonnable pour permettre à ce dernier de lire les états de synthèse du dernier exercice comptable, de vérifier la liste des créanciers et des débiteurs et de faire les recherches nécessaires pour s’assurer de l’authenticité des documents fournis ? La réponse serait assurément négative.

En pratique, le ministère public ne dispose pas du temps nécessaire pour instruire le dossier et présenter au tribunal un avis réfléchi sur l’opportunité de l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Le ministère public cherche, avant tout, à protéger l’intérêt général et à s’assurer que toutes les parties à la procédure respectent la loi. Or cette mission ne saurait être accomplie si le ministère public ne disposait pas du temps adéquat, d’où la nécessité d’accorder un délai raisonnable à ce dernier pour qu’il puisse remplir ses obligations convenablement.

Dans la deuxième hypothèse, le ministère public peut être avisé de l’affaire au cours de l’audience, et dans ce cas, il peut demander le renvoi de l’affaire à la plus prochaine audience pour présenter ses conclusions écrites ou orales, et le tribunal est tenu d’ordonner ce renvoi. Il est indispensable de souligner qu’en matière de redressement et de liquidation judiciaire, il est carrément impossible pour le ministère public de prendre communication du dossier au cours de l’audience ou l’affaire est appelée, ainsi, le représentant du ministère public à l’audience sera toujours contraint de demander le renvoi de l’affaire, et là aussi le tribunal est obligé de renvoyer la dite affaire à une prochaine audience tout en conférant au ministère public, selon les cas d’espèce, un délai raisonnable pour préparer ses conclusions.

En droit français, la même difficulté subsiste quant au moment de la communication, mais à un degré plus élevé étant donné que l’article 428 du nouveau Code de procédure civile n’a pas déterminé le moment exacte de la communication. Il s’est limité à préciser que cette dernière doit avoir lieu en temps voulu pour ne pas retarder le jugement. L’article 429 du même Code ajoutait que lorsqu’il y a communication, le ministère public est avisé de la date de l’audience. Ce qui veut dire que c’est le tribunal qui dispose d’un pouvoir d’appréciation pour décider le moment de la communication. Il en résulte qu’aucun pourvoi ne peut être exercé au motif que la communication n’aurait pas été effectuée suffisamment tôt, dés lors qu’il est constaté dans l’arrêt que la procédure a été communiquée et que cette mention fait présumer que cette communication a eu lieu avant l’ouverture des débats.

On constate à cet égard que le droit marocain, pareillement au droit français, en privant le ministère public d’un délai raisonnable de communication, ôte à cette dernière sa raison d’être et lui empêche de préparer d’une façon mûrie et réfléchie ses conclusions. Il est certain que le ministère public doit pouvoir intervenir pleinement sur l’ensemble des questions débattues, et que, par conséquent, une communication intervenant trop tôt , ou trop tard serait contraire à l’esprit actuel du droit des entreprises en difficulté.

La communication devrait porter sur la totalité du dossier et des moyens débattus, sans quoi il serait une simple formalité vide de contenu, ainsi pour que le parquet du tribunal de commerce s’acquitte efficacement de la tâche que la loi lui a assigne, il est logique de lui procurer suffisamment de temps afin de pouvoir analyser convenablement l’affaire, le ministère public doit pouvoir apporter au tribunal un avis utile .

Paragraphe2 : Le mode et la preuve de la communication

La communication des affaires relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté au ministère public s’opère à travers les services du greffe du tribunal. En pratique, la procédure de communication consiste à ce qu’un magistrat de siège transmette un dossier communicable au greffier, qui à son tour le transmet au secrétariat greffe du ministère public. Cette dernière, sur ordre du procureur du Roi, va le communiquer à un substitut du procureur pour verser ses conclusions écrites et le renvoyer au magistrat du siège selon le même procédé. Ce mode de communication peut changer lorsque la communication du dossier est faite à l’audience, dans ce cas là, le président de l’audience ordonnera au greffier la transmission du dossier au ministère public pour qu’il puisse verser ses conclusions, et renverra l’affaire à la plus prochaine audience.

Le ministère public n’est pas obligé d’assister à l’audience à l’exception des cas où il intervienne en tant que partie principale, ou lorsque sa présence est rendu obligatoire par la loi. Ainsi dans les autres cas où le ministère public intervient à la suite d’une communication judiciaire ou facultative, il a le choix d’assister ou de ne pas assister à l’audience . Cependant, au niveau du tribunal de commerce, le ministère public est souvent présent aux audiences relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté et de la liquidation judiciaire même quand il intervient en tant que partie jointe suite à une communication du dossier par le tribunal. Cette présence s’explique par sa présence permanente prés le tribunal de commerce. Les magistrats du ministère public s’efforcent d’accomplir leur nouveau rôle en assistant à toutes les audiences dans lesquelles des affaires, concernant les procédures de redressement et de liquidation judicaires, sont jugées.

Concernant la preuve de la communication, le législateur marocain a explicitement prévu que la mention du dépôt ou du prononcé des conclusions du ministère public doit figurer dans le jugement sous peine de nullité. Le législateur vise évidemment à cet égard les causes que le tribunal est obligé de communiquer au ministère public. Pour ce qui est de la communication facultative, nous observons qu’aucun texte juridique n’en a prévu, ni le mode ni la preuve.

Devant les tribunaux de première instance, la mise en œuvre de la communication facultative est quasiment absente, cela s’explique par l’encombrement des parquets par les affaires à caractère pénales et les causes civiles dont la communication est obligatoire. Les procureurs du Roi ne cherchent pas à alourdir d’avantage leurs tâches en recourant à la communication facultative. La quasi-inexistence de celle-ci en pratique a contribué à l’enterrement de tout débat autour des moyens de preuve, du mode et de la sanction du manquement à la communication facultative par le tribunal. En fait, l’article 9 du Code de procédure civile ne prévoit le mode de la communication que pour les affaires qui sont obligatoirement communicable . Ainsi, lorsque le ministère public demande à son initiative la communication d’un dossier civil, aucun délai n’est prescrit par la loi, et pareillement pour la preuve et le mode de communication. Lorsque le tribunal refuserait de procéder à la communication demandée par le ministère public, quelle serait alors la sanction ?

La formulation de l’article 9 sus cité est équivoque, le législateur marocain, après avoir énumérer les différents modes de communication, affirme dans la dernière phrase de ce texte que : « le défaut de la mention de la communication dans le jugement entraîne la nullité de ce dernier ». Ledit article ne précise pas donc le mode de communication concernée par cette sanction : est ce la communication obligatoire, judiciaire ou facultative, ou toutes à la fois ?

Devant les tribunaux de commerce, le ministère public près le tribunal de commerce sera désormais tenu, dans certaines affaires, de procéder à la communication facultative pour être informé de certaines actions relatives aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires, il sera contraint donc de développer en pratique une procédure spécifique pour demander la communication de ces affaires, et sera obligé de tisser des relations de confiance et de coopération avec les magistrats de siège afin de faciliter une telle communication.

Section 3 : la nécessité de l’intervention d’une réforme

Nous concluons ce chapitre par la nécessité de l’intervention du législateur marocain afin de modifier les dispositions de l’article 9 du Code de procédure civile dans l’objectif d’une harmonisation des dispositions de ce dernier avec celles relatives aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires. Il est nécessaire également que le texte prévoie de nouvelles règles tendant au renforcement de l’obligation de communication en faveur du ministère public. Nous proposons alors d’examiner successivement la révision des dispositions de l’article 9 du Code de procédure civile, et le renforcement de la communication.

Paragraphe1 : la révision des dispositions de l’article 9 du Code de procédure civile

Je pense que la révision des dispositions de l’article 9 doit porter d’abord sur la détermination des affaires relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté qui doivent être communicables au ministère public. Ensuit, elle doit préciser explicitement le ministère public concerné par cette communication. Enfin, elle doit établir d’une manière claire les règles réglementant le moment, le mode, la preuve et la sanction des différents modes de communication.

A-La détermination des affaires communicables

Comme nous l’avons vue plus haut, la rédaction actuelle de l’article 9 du Code de procédure civile est ambiguë quant aux affaires liées aux entreprises en difficulté qui doivent être communiquées au ministère public. Le concept de l’ordre plus en tan que seul régulateur de cette communication rend la tâche très difficile à accomplir aussi bien pour les magistrats de siège, que pour les magistrats du parquet. Ainsi dans l’état actuel des choses, une intervention du législateur marocain est inéluctable afin de déterminer de façon explicite la liste des affaires communicables. L’expérience française en la matière peut nous être utile. En effet, le législateur Français à du intervenir depuis le décret du 20 juillet 1970 pour réformer les dispositions de l’article 425 du Code de procédure civile français afin de les harmoniser avec la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement judicaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes, et avec l’ordonnance du 23 septembre 1963 tendant à faciliter le redressement économique et financier de certaines entreprises.

la rédaction de l’article 425 du nouveau Code de procédure civile édictait à l’époque que le ministère public devait avoir communication des procédures de suspensions provisoires des poursuites et d’apurement collectif de passif, de faillites personnelles et d’autres sanctions et, s’agissant des personnes morales, des procédures de règlement judiciaire ou de liquidations des biens, des procédures de redressement et de liquidation judiciaires ainsi que des causes relatives à la responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux. Le même article a subi au cours des années d’autres rectifications avant d’être doté de sa formulation finale. Actuellement, l’article 425 du nouveau Code de procédure civile précise que les magistrats du parquet doivent avoir communication des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire, des causes relatives à la responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux et des procédures de faillite personnelle ou relatives aux interdictions prévues par l’article L.653-8 du Code de commerce français.

Nous pensons que le législateur marocain doit s’inspiré de l’expérience de son homologue français afin d’opérer une révision convenable de l’article 9 du Code de procédure civil, et chemin faisant, énumérer clairement les causes communicables au ministère public. Il est regrettable de constater à cette égard que le législateur marocain n’a pas procédé à l’intégration des affaires relatives aux procédures collective à l’occasion de la modification des dispositions de l’article 9 précité en vertu du Dahir du 3 février 2004. Une telle révision permettrait certainement d’élucider dans un premier lieu les difficultés relatives à la détermination du domaine de la communication des affaires relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté, et opérerait en deuxième lieu, une mise à jour de l’article 9 du Code procédure par rapport à la nouvelle législation sur les entreprises en difficulté.

B- le ministère public concerné par la communication

Nous estimons aussi que la réforme de l’article 9 du Code de procédure civile doit préciser de façon expresse le ministère public concerné par la communication des affaires relatives au procédures de redressement et de liquidation judiciaires. Car, à la différence de la France, notre pays à opter pour l’institution d’un ministère public autonome auprès des juridictions commerciales. Ce qui fait que notre organisation judiciaire actuelle comprend deux ministères publics, l’un ordinaire que l’on trouve auprès des tribunaux de première instance et des Cours d’appel, l’autre commercial que l’on trouve auprès des tribunaux de commerce et des Cours d’appel de commerce. De ce fait, l’intervention d’une réforme précisant l’organe destinataire de la communication dans le domaine des entreprises en difficulté nous paraît essentielle, voire indispensable. L’article 9 devrait indiquer clairement que les affaires se rapportant aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires doivent être communiquées au ministère public près le tribunal de commerce et les Cours d’appel de commerce pour mettre un terme à toute confusion entre les attributions des deux ministères publics.

C-le moment, le mode, la preuve et la sanction de la communication

Le législateur marocain devrait préciser dans l’article 9 du Code de procédure civile, le délai qui doit séparer la date de la communication de celle de l’audience à laquelle l’affaire est appelée. Ce délai doit être raisonnable pour permettre aux magistrats du ministère public d’avoir le temps adéquat pour examiner leurs dossiers et préparer leurs conclusions. Ce délai ne peut, à notre avis, être inférieur à 10 jours quelque soit le type de communication, obligatoire, judiciaire ou facultative.

Pour ce qui est du mode de communication, nous pensons que le législateur marocain doit instituer une procédure uniforme pour la communication, qui doit s’opérer, d’une manière systématique, par le biais du secrétariat greffe du tribunal de commerce, c’est-à-dire à chaque fois qu’une affaire est communicable en vertu de la loi, ou bien lorsque le ministère public demande la communication, ou en fin lorsque celle est faite à l’initiative du tribunal. Le secrétariat greffe doit se charger de la procédure de communication sur instruction du président de la juridiction. Cette procédure sera d’autant plus facile à effectuer si la juridiction commerciale est informatisée, et c’est notamment le cas des juridictions commerciales au Maroc. Il suffit donc d’élaborer un petit programme informatique « logiciel » de communication pour mettre fin à tous les problèmes qui peuvent surgir en cas de manquement à cette obligation de communication. De même cette technique permettra aux magistrats du ministère public de superviser de façon efficace les affaires relatives aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires enregistrées au greffe du tribunal de commerce ou à la Cour d’appel de commerce. Cette nouvelle procédure qui serait soumise à des délais préalablement fixés par la loi aurait le mérite d’éviter le retard de la communication et permettrait au ministère public d’être au courant en tant réel des affaires en cours.

Quant à la preuve de la communication, nous pensons que le législateur marocain devrait d’abord instituer de façon précise la sanction au manquement à l’obligation de communication, non seulement pour les causes obligatoirement communicables, mais aussi pour les causes dont le ministère public demande à en prendre connaissance. Le texte actuel qu’est, en la matière, l’article 9 du Code de procédure civile, est ambigu quant à la sanction applicable lorsque le ministère public demande la communication du dossier, et le tribunal refuse ou omet d’en donner suite. Est-il possible de frapper le jugement omettant une telle communication de nullité ? La lecture de l’article 9 susvisé ne nous permet pas de répondre par l’affirmative, car le dernier alinéa de cette article énonce que le jugement sera frappé de nullité s’il ne fait pas mention du dépôt ou du prononcé des conclusion du ministère public, et il est aisée de déduire qu’il s’agit là de la communication obligatoire, et non pas de la communication facultative. La communication judicaire, quant à elle, ne pose pas de problème étant donné que c’est le tribunal lui-même qui demande l’intervention du ministère public pour présenter son avis sur une affaire bien déterminée, ainsi il n’est pas envisageable dans cette hypothèse d’évoquer le manquement à l’obligation de communication.

Ensuite, l’actuel article réglementant la preuve de la communication impose la règle selon laquelle le jugement doit mentionner le dépôt ou l’énoncé des conclusions du ministère public. Or cela ne veut en aucun cas dire que l’affaire a été bel et bien communiquée au ministère public. Le paysage judicaire marocain a substantiellement changé ces dernières années, et particulièrement à la suite de la création des juridictions commerciales et la mise en place d’une nouvelle législation de commerce. Cette évolution a influé sur certains principes de droit et a changé la conception de plusieurs pratiques judiciaires. Ainsi le ministère public, par exemple, se contentait dans la majorité des cas de communication de remplir un formulaire pour requérir l’application de la loi. Or une telle pratique ne peut plus être tolérée. La volonté du législateur de créer un ministère public autonome dénote, d’une façon ou d’une autre, le désir, certes timide, mais certain de renforcer le rôle du ministère public dans les affaires commerciales, et notamment en matière des entreprises en difficulté. De ce fait la communication doit, dorénavant, s’opérer en temps raisonnable, selon une procédure préétablie et selon des règles de preuves bien définies par la loi.

Nous pensons que la règle de preuve la plus simple peut consister dans la délivrance par le parquet d’un récépissé au secrétariat greffe attestant la communication du dossier. Ce récépissé doit être joint aux pièces de dossier pour servir comme moyen de preuve de la communication. Une telle méthode rendra plus efficace la procédure de communication, et peut être utilisée dans le sens inverse par le ministère public lorsqu’il demande au tribunal de commerce de prendre connaissance d’une affaire se rapportant à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ladite demande doit être enregistrée au secrétariat greffe du tribunal contre récépissé. Nous estimons également qu’une telle méthode de communication serait de nature à sensibiliser davantage les magistrats du parquet de leur nouveau rôle consistant à défendre l’ordre public économique, qui ne se résume plus à la rédaction d’un simple réquisitoire d’application de la loi, mais nécessite un véritable travail d’analyse, d’évaluation et de recherche pour apprécier l’opportunité d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Car, en fait, derrière chaque procédure se cachent des intérêts énormes qui peuvent aller du licenciement de centaines salariés, à la ruine de toute une économie.

Paragraphe2 : La nécessité de renforcer la communication

La communication prévue dans l’article 9 du Code de procédure civile est certainement incapable, à elle seule, de permettre une information efficace des magistrats du ministère public, d’où la nécessité de son renforcement par la mise en place d’autres instruments de communication.

A la lumière de l’expérience française dont notre droit des entreprises en difficulté a été largement inspiré, nous allons essayer de proposer certaines solutions pratiques et législatives. Celles-ci consistent à établir une communication entre les organismes de prévention et de résolution des difficultés de l’entreprise et le ministère public, à pouvoir communiquer au ministère public l’accord amiable et l’expertise judiciaire, et permettre enfin au comité de l’entreprise ou à défaut aux délégués de personnel de communiquer au ministère public tout fait révélant la cessation de paiement de l’entreprise.

A- la communication entre les organismes de prévention et le ministère public

Il est intéressent de s’apercevoir qu’en France, la première étape dans le renforcement de l’information du ministère public à été constituée par un rapprochement de celui-ci avec les organismes de prévention et de résolution des difficultés de l’entreprise. C’était la circulaire « Badinter » du 24 juin 1982 qui allait faire l’événement à l’époque. Celle-ci, qui fut relative au droit d’action du ministère public dans les procédures collectives d’apurement du passif d’entreprises, a institué une véritable information du ministère public au moyen de sa présence aux travaux des comités examinant les causes des difficultés d’entreprises et élaborant des mesures industrielles, sociales et financières tendant à assurer leur redressement .

Au niveau local, la mission de la prévention des difficultés d’entreprises a été assurée par le Comité Départemental d’examen de problèmes de financement d’entreprises (CODEFI) qui est un véritable organisme de financement. Celui ci est présidé par le préfet et regroupe un représentant de l’USSAF, un chargé de mission de la Banque de France, les directeurs départementaux des services économiques et fiscaux et le trésorier payeur général. Ce qui est surprenant à propos de ce comité, c’est que son président doit systématiquement communiquer aux magistrats du parquet les affaires inscrites à l’ordre du jour avec mention particulière de celles qui font ou risquent de faire l’objet d’une procédure collective.

Sur le plan régional, l’organisme de prévention des difficultés de l’entreprise est constitué par le comité régional de restructuration industrielle (CORRI) qui comprend, outre les fonctionnaires des différentes administrations représentés au CODEFI, un agent public nommé par le président du Conseil Régional ainsi que des représentants d’établissements financiers tels que la Société de développement Régional et le Crédit National. Le ministère public peut alors s’associer également aux travaux de ce comité. En outre ce dernier est tenu de lui communiquer de manière systématique les affaires inscrites à leur ordre du jour et lui informer des entreprises qui risquent de faire, ou qui font l’objet d’une procédure collective.

A l’échelle nationale, on retrouve le Comité Interministériel de Restructuration Industrielle, celui-ci a pour mission de traiter des dossiers en raison de leur importance et leur implication sur l’économie nationale, là aussi, le ministère public peut participer à ses travaux, un magistrat spécial est commis pour assister aux séances de ce comité pour le compte du Ministère de la Justice. Ce magistrat informe, le cas échéant, le parquet compétent pour lui permettre de suivre l’évolution du dossier .

En se référant à cette expérience, on peut concevoir facilement l’efficacité de la communication émanant des comités mentionnés plus haut. Vu leurs attributions consistant à aider les entreprises en difficulté sur les plans, local, régional, et national, ils sont souvent destinataire d’informations pertinentes sur la situation financière et économique des entreprises, qu’elles doivent communiquer au ministère public. Cette communication constitue sans doute une source importante d’information pour le ministère public.

Au Maroc, il serait souhaitable dans l’état actuel des choses, que le ministère de la justice travaille de prés avec le ministère du commerce et de l’industrie afin de développer une approche de coopération dans le sens d’aider à la circulation de l’information entre les deux ministères. Une information qui aurait pour objectif de renseigner les ministères publics sur la situation financière et économique de certaines entreprises en difficulté afin de pouvoir intervenir le moment opportun pour prévenir leur liquidation et permettre, le cas échéant, leur redressement.

B- la communication du règlement amiable

Le législateur marocain a institué une procédure de règlement amiable en faveur de toute entreprise commerciale qui, sans être en cessation de paiement, éprouve une difficulté juridique, économique ou financière ou des besoins ne pouvant être couverts par un financement adapté aux possibilités de l’entreprise. La procédure consiste, comme nous l’avons expliqué plus haut, à ce que le chef de l’entreprise présente une requête au président du tribunal de commerce, dans laquelle, il expose la situation financière, économique et sociale de son entreprise et détermine les besoins de financement en envisageant les moyens d’y faire face.

La question qui s’impose à cet égard est la suivante : le tribunal de commerce devrait il communiquer le rapport de l’expertise et l’accord amiable conclut entre le chef de l’entreprise et les créanciers au ministère public ?

Nous pensons que le ministère public doit se faire communiquer le rapport de l’expertise et l’accord amiable, et ce dans la mesure où l’article 559 du Code de commerce précise que seule l’autorité judiciaire peut être au courant de ces deux documents, et parce que le ministère public constitue, sans aucun doute, un organe de l’autorité judiciaire. Si on regarde au niveau de la pratique, on constate alors que le ministère public du tribunal de commerce de Meknes intervient, en quelque sorte, à cette étape de la procédure. Son intervention se matérialise par le fait que l’accord conclu entre le chef de l’entreprise et les créanciers ainsi que le rapport de l’expertise lui sont communicables.

Cette faculté offerte au ministère public d’être informé de la situation exacte de l’entreprise en question se justifie pleinement. D’abord, l’article 559 du Code de commerce dispose que « en dehors de l’autorité judiciaire à qui l’accord et le rapport peuvent être communiqués, l’accord ne peut être communiqué qu’aux parties signataires et le rapport d’entreprise qu’au chef de l’entreprise ». Il ressort de la lecture de ce texte que les personnes qui sont habilités à recevoir le rapport d’expertise sont : le président du tribunal de commerce, le chef de l’entreprise et le ministère public. On constate alors que même les parties au règlement amiable, autre que le chef de l’entreprise, ne peuvent savoir ce qui est contenu dans le rapport d’expertise. Le ministère public à la qualité de recevoir le rapport de l’expertise étant donné qu’il constitue une autorité judiciaire, et nulle partie ne peut lui déniée cette qualité. Ensuite, l’intervention du ministère public s’explique par le fait qu’il est investi par la loi de la mission de défendre l’intérêt public et de surveiller la bonne application de la loi. De ce fait, la procédure de prévention extérieure des difficultés de l’entreprise ne pouvait se dérouler à son insu.

Nous concluons qu’il serait souhaitable que le législateur marocain puisse prévoir expressément la communication du règlement amiable au ministère public près le tribunal de commerce, afin d’éviter toute confusion dans l’interprétation de l’article 559 du Code de commerce.

C-la communication entre le comité d’entreprise ou à défaut les délégués du personnel et le ministère public

A l’instar du législateur français, le législateur marocain devrait instaurer une nouvelle procédure de communication qui consisterait à ce que le comité de l’entreprise, ou à défaut les délégués du personnel puissent communiquer au procureur du Roi tout fait de nature à entraîner la cessation des paiements de l’entreprise . Cette communication est très précieuse aussi bien pour le parquet que pour les salariés.

Tout d’abord, le parquet peut ainsi disposer d’informations importantes antérieurement à l’aggravation totale de la situation financière de l’entreprise en question, ce qui va lui permettre d’intervenir pour demander le redressement de cette dernière. Ensuite les salariés, quant à eux, ont intérêt à reporter au ministère public la situation financière exacte afin d’éviter sa dégradation et, par conséquence, conserver leurs emplois.

En conclusion nous estimons qu’un renforcement de la communication des informations au ministère public peut contribuer efficacement à l’amélioration de son action. C’est pourquoi, nous proposons de permettre au ministère public de se faire communiquer également le solde des comptes bancaires ou postaux de l’entreprise, ainsi que celui des comptes ouverts à la Caisse de Dépôt et de Gestion , les différents rapports établis par le syndic en cas de vente d’unité de production dans la phase liquidative.

Dr Mustapha El baaj

baajmus chez yahoo.fr