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Les conditions du retour au travail dans l’entreprise. Par Aude Lhomme-Guinard, Avocat.
Parution : mardi 25 mai 2021
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Les préconisations gouvernementales recommandaient jusqu’au 30 juin 2021 de systématiser le télétravail partout où il est possible [1].
A compter du 9 juin 2021, les entreprises auront la possibilité d’assouplir les conditions du recours au télétravail nécessitant d’envisager les conditions de retour au travail dans l’entreprise.

1) Le télétravail et la fin de la gestion distancielle.

L’article L1222-11 du Code du travail dispose :

« En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».

Sur le fondement de cet article, l’employeur a donc pu mettre en place et imposer le télétravail à ses salariés.

La mise en place du télétravail devait se faire en priorité par un accord collectif, à défaut pas une charte sur le télétravail rédigée par l’employeur après avis du CSE.

Sans accord collectif ou de charte de télétravail, l’employeur peut également conclure un simple accord avec son salarié.

Les préconisations gouvernementales quant au recours au télétravail ont laissé une assez grande marge de manœuvre aux employeurs puisqu’il ne s’agissait pas d’une obligation [2].

Dès lors, entre l’assouplissement à compter du 9 juin et la fin de la recommandation gouvernementale au 1er juillet 2021, nombre d’employeurs pourraient décider de faire cesser l’organisation du travail en distanciel, et incidemment enjoindre à leurs salariés de revenir au bureau. Ces derniers devront alors se soumettre à leurs directives dans le cadre de leur lien de subordination [3]. A défaut, le salarié pourrait encourir une éventuelle sanction.

A partir du 1er juillet, les recommandations gouvernementales quant au télétravail seront échues en sorte que tous les salariés devraient en principe regagner leur lieu de travail. S’il pourrait être tentant de distinguer parmi les salariés, ceux vaccinés et ceux ne l’étant pas, pour leur appliquer une organisation de travail différente, une telle différenciation pourrait être assimilée à une pratique discriminante [4].

2) Le cadre de l’entreprise et la vaccination.

Au titre de l’article L4121-1 du Code travail, l’employeur doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés ».

Ainsi, en vertu de cette obligation, l’employeur peut recommander, sur proposition du médecin du travail, « aux travailleurs non immunisés contre des agents biologiques pathogènes auxquels ils sont ou peuvent être exposés de réaliser, à sa charge, les vaccinations appropriées » [5].

Les articles L3111-4 et L3112-1 du Code de la santé publique listent les vaccins rendus obligatoires pour certaines catégories professionnelles :
- Hépatite B, diphtérie, tétanos, poliomyélite et grippe, pour les professionnels de santé exerçant dans un établissement de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées ;
- Fièvre typhoïde pour les personnes travaillant dans un laboratoire de biologie médicale.

Le vaccin contre la Covid-19 ne figurant pas au rang des vaccins rendus obligatoires par le Code de la santé publique, l’employeur ne peut que recommander, et sur proposition du médecin du travail, à ses salariés de se faire vacciner contre ce coronavirus.

En conséquence, il n’est pas permis à l’employeur d’imposer cette vaccination à ses salariés, ni de conditionner leur retour en entreprise à la vaccination [6].

Les salariés de 55 ans et plus, ainsi que ceux en situation d’affection de longue durée, bénéficient de droit d’une autorisation de s’absenter pour être vaccinés contre la Covid-19 par la médecine du travail [7]. L’employeur doit faire droit à leur demande sans précision du motif autre que l’absence pour visite médicale. Pour les autres salariés, il n’existe aucun droit d’autorisation d’absence aux fins de vaccination. Dans ce dernier cas, il reviendra à l’employeur de faire droit ou non à la demande présentée par le salarié.

Par ailleurs, une ordonnance du 2 décembre 2020 autorise le médecin du travail de l’entreprise à vacciner contre le Coronavirus les salariés de l’entreprise qui le souhaitent [8].

Pour autant cette faculté sera conditionnée à l’approvisionnement en doses de vaccin des services de santé et de médecine au travail. Aussi, en l’absence de doses de vaccins suffisantes, ce dispositif de vaccination dans ces services de santé et de médecine ne sera bien souvent pas opérationnel.

Il convient toutefois de rappeler que le professionnel de santé reste soumis au secret médical et ne peut donc informer l’employeur des salariés vaccinés [9].

3) La nécessité absolue de respecter les recommandations sanitaires.

En toute hypothèse, que les salariés aient déjà contracté la Covid-19, qu’ils disposent d’un test négatif ou qu’ils soient vaccinés, l’employeur doit veiller à faire respecter les recommandations établies par le protocole sanitaire [10] en entreprise telles que la distanciation sociale entre les salariés, le respect d’un sens de circulation, la mise à disposition de masques ou de gel hydroalcoolique…

4) Le possible droit de retrait.

Le droit de retrait est prévu à l’article L4131-1 du Code du travail et dispose :

« Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.
Il peut se retirer d’une telle situation.
L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection
 ».

Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, le droit d’alerte peut en théorie être exercé dès lors qu’il existe un risque avéré et non simplement hypothétique. A cet égard, il convient pour les salariés d’être prudents quant à l’exercice de ce droit lorsque l’employeur suit consciencieusement les recommandations du protocole sanitaire, car l’employeur aurait alors tout mis en œuvre pour éviter un quelconque risque de contamination en interne à l’entreprise.

Certains salariés pourraient ainsi être tentés d’exercer leur droit de retrait pour ne pas retourner sur les lieux de leur travail, au motif qu’ils ne sont pas vaccinés, ne le peuvent ou ne le souhaitent pas. Ces multiples situations devront être appréhendées au cas par cas par l’employeur, en fonction du risque encouru selon les situations individuelles.

Nul doute que de nombreuses questions se poseront avec le retour des salariés sur le lieu du travail avec la fin du recours systématisé au télétravail.

Le refus de revenir sur le lieu de travail opposé par un salarié, en raison de leur non-vaccination, des difficultés d’organisation familiale, ou pour quelle qu’autre justification exigera une appréciation au cas par cas de l’employeur, en fonction de son degré de tolérance mais aussi de ses capacités et contraintes techniques.

Avocat au Barreau de Paris

[2Jusqu’au 30 juin 2021, le gouvernement avait appelé à ce que le télétravail soit systématisé partout où il est possible 4 jours minimum par semaine (https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/qr-teletravail-deconfinement.pdf)

[3Article L1222-1 du Code du travail ; Cass. Soc., 13 novembre 1996, n°94-13.187.

[4Article L1132-1 du Code du travail.

[5Article R4426-6 du Code du travail.

[6Il serait contraire en effet à l’article 16-3 du Code civil disposant du principe d’intégrité du corps humain d’imposer un test PCR ou un vaccin, sauf à ce que la loi en décide expressément autrement.

[8Article 1 de l’ordonnance n°2020-1502.

[9L1110-4, R4127-4 et R4127-95 du Code de la santé publique.