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Conflit israélo-palestinien : démonstration d’inefficacité du Conseil de sécurité de l’ONU. Par Junior Kitenge Kyungu, Juriste.
Parution : mercredi 30 juin 2021
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Dans sa quête pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’Organisation des Nations unies, via ses membres, a conféré au Conseil de sécurité, en 1945, le rôle crucial de « police internationale » avec notamment pour objectif de préserver les générations futures du fléau de la guerre et d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, dans l’exécution des buts et principes des Nations Unies [1].

Ce rôle se trouve être essentiellement détaillé au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, traitant des « actions en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ». Cependant, s’il est vrai que sur le plan textuel cette compétence conférée au Conseil de sécurité ne peut nullement lui être contestée, il n’en demeure pas moins que la pratique sur terrain laisse plus d’une personne dans un état de perplexité très avancé.

En témoigne l’accentuation récente du conflit israélo-palestinien où le Conseil de sécurité fait preuve d’une inefficacité totale, en constatant impuissamment les dégâts matériels et humains causés, et appelant désespérément les protagonistes à la cessation des hostilités, le tout dans une inactivité ahurissante, alors qu’il détient pourtant les pouvoirs d’activer des mesures coercitives, sur le fondement de la Charte des Nations Unies (ci-après la Charte). L’ampleur de ce conflit israélo-palestinien est un important cas illustratif qui vient, en réalité, mettre à nu l’ineffectivité sur terrain des actions du Conseil de sécurité dans sa quête, pourtant salutaire, pour la garantie de la sécurité collective au niveau international.

En effet, une chose est de constater cette inefficacité, une autre est celle de dénicher les causes pertinentes de cet échec patent des actions du Conseil de sécurité, dans la résolution de ce conflit historique israélo-palestinien dont la teneur ne peut laisser indifférent et dont les racines remontent à l’après Première Guerre mondiale. C’est dans cette optique que cette analyse se propose d’élucider, de manière non exhaustive, les principales raisons susceptibles de justifier cet aveu d’impuissance du Conseil de sécurité face à cette situation. Dans cette démarche autoptique, une question mérite alors d’être soulevée, celle de savoir si cette impuissance du Conseil de sécurité serait-elle justifiée par la puissance de certains autres Etats au niveau international ?

Dans tous les cas, il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’à première vue, le Conseil de sécurité, dans l’exécution de son mandat de garant de la sécurité collective sur le fondement de la Charte, fait face à une totale dépendance des « assauts d’humeurs » des membres dits permanents de cet Organe, avec notamment l’exercice de leur droit de véto (I). Une totale dépendance qui entraîne fort logiquement l’affaiblissement de certaines de ses actions (II), au détriment du maintien de la paix et de la sécurité internationales, surtout quand lesdites actions vont à l’encontre des intérêts de ces membres permanents car, ne dit-on pas qu’en droit, il n’y a pas d’action sans intérêt ?

I. Une inefficacité due à la dépendance du Conseil de sécurité à ses membres permanents.

L’inefficacité des actions du Conseil de sécurité est à constater à la fois par l’existence (A) et l’exercice du droit de véto (B) par ses membres permanents, l’obligeant ainsi à demeurer dépendant de ceux-ci.

A. La dépendance du Conseil de sécurité par l’existence du droit de véto des membres permanents.

S’il est vrai que le conflit israélo-palestinien a pris une tournure inquiétante vers la fin du premier semestre de l’année en cours, il est tout de même pertinent de rappeler qu’il n’est pas un conflit récent, de par sa genèse. En effet, il convient de noter que ce conflit remonte en réalité au 02/11/1917, avec la « Déclaration Balfour », faite par le Ministre britannique des Affaires Etrangères, Lord Balfour, annonçant que le Royaume-Uni considère favorablement la création d’un « foyer national juif » en Palestine et ce, même si la création de l’Etat d’Israël était intervenue plus tard, en 1948. La création de ce foyer a donc eu pour effet immédiat la révolte de la population locale, se sentant pour le coup en insécurité. Par ailleurs, toujours dans les grandes lignes de l’historique de la naissance de ce conflit, il n’est pas sans pertinence d’évoquer également la « guerre des Six-Jours » en 1967, ayant opposé l’Etat d’Israël à ses voisins arabes, à savoir l’Egypte, la Syrie et la Jordanie et au terme de laquelle Israël s’en sortira vainqueur, s’appropriant ainsi quelques territoires dont Jérusalem-Est. C’était donc là la naissance d’un conflit dont on ne saura malheureusement pas, à ce jour, deviner l’issue.

Ce bref rappel historique démontre à suffisance que le conflit israélo-palestinien n’est pas récent, puisque remontant maintenant à plus d’un siècle. Et puisqu’il n’est pas récent, il se pose alors la question de savoir pourquoi depuis tant d’années et après moultes tentatives, le Conseil de sécurité, dans sa mission principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales, n’est réellement jamais parvenu à l’enrayer définitivement ? En d’autres termes, cette incapacité de résoudre ce conflit datant est-elle une démonstration d’inefficacité du Conseil de sécurité dans la réalisation de ses actions sur terrain ? En tout état de cause, il y a véritablement lieu de se poser la question puisqu’il convient de rappeler que le Conseil de sécurité a adopté plus de 200 Résolutions portant sur ce conflit israélo-palestinien mais dont la plupart sont restées sans aucun effet escompté, quant à l’exécution effective. La raison est toute aussi simple. En effet, l’inexécution de certaines de ces Résolutions par l’Etat d’Israël se justifie entre autre par la protection américaine au Conseil de sécurité, avec l’activation de son droit de véto, empêchant ainsi systématiquement toute tentative de sanction contre ce dernier.

Le droit de véto, qu’en est-il donc ? Serait-ce une action arbitraire sous couverture textuelle, ou mieux un symbole par excellence d’impunité textuellement protégée ? Bon à savoir. En effet, Le droit de véto inscrit à l’article 27 de la Charte des Nations unies correspond à la possibilité pour chacun des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, Etats-Unis, France, Royaume Uni, Russie) de faire obstacle à toute décision du Conseil, et ce même contre l’avis majoritaire des autres membres de cet organe.

Cela implique concrètement que toute décision doit être prise à une majorité de 9 voix sur 15, intégrant celles des membres permanents. Il est à constater que le droit de véto constitue pour ces cinq Etats un moyen de blocage du Conseil de sécurité, obérant toute possibilité d’intervention de sa part lorsque cela est notamment contraire à leurs intérêts [2]. Ainsi donc à ce jour, il ne fait désormais l’ombre d’aucun doute que l’existence du droit de véto, lequel est exclusivement réservé à un groupe très restreint d’Etats, est la principale cause à la base de la paralysie totale des actions du Conseil de sécurité. Une paralysie pertinemment illustrée par son incapacité de faire taire les armes dans le nouveau rebondissement du conflit israélo-palestinien. Cependant, quoiqu’étant une prérogative accordée aux membres permanents du Conseil de sécurité comme héritage de la Seconde Guerre mondiale, au bénéfice des Etats considérés comme vainqueurs, l’existence du droit de véto semble à ce jour totalement désuète, notamment puisqu’il s’exprime dans la plupart des cas par un vote négatif.

Néanmoins, il est important de souligner ici que l’activation de ce droit véto ne trouve pas à jouer en l’absence ou l’abstention d’un membre permanent, au moment de l’adoption d’une Résolution [3]. Ceci dit, de l’existence à l’exercice même du droit véto, il n’y a qu’un pas. Il s’avère cependant que l’exercice du droit de véto se heurte frontalement avec l’existence, dans la Charte, du principe d’égalité souveraine des membres des Nations Unies (B).

B. L’exercice du droit de véto comme contrepoids au principe d’égalité souveraine des membres de l’Organisation des Nations Unies.

Alors que l’article 2 paragraphe 1 de la Charte des Nations Unies prône le principe d’égalité souveraine de tous les membres de l’Organisation, l’exercice du droit de véto par les membres permanents du Conseil de sécurité semble plutôt s’ériger en contrepoids à ce principe. En effet, le principe d’égalité souveraine signifie tout simplement que les Etats s’équivalent, quelles que soient leur puissance effective, leurs ressources ou leur démographie, et donc indépendamment des inégalités de fait. Les rapports entre Etats sont donc caractérisés par des relations purement horizontales et dépourvues de hiérarchie.

Au regard de ce qui précède, il nous paraît véritablement aberrant que la même Charte qui prône le principe d’égalité souveraine des membres, revienne à la charge en son article 27 paragraphe 3, pour « favoriser » un nombre bien déterminé d’Etats, connus sous l’appellation de « membres permanents ». A ce titre, il se pose alors l’épineuse question de savoir sur quoi se fonde très exactement le contenu de ce principe d’égalité souveraine des membres ? Quand on sait que seuls cinq sur la centaine d’Etats membres des Nations Unies peuvent décider du blocage de tout un Organe, et qui plus est sur les questions d’une très haute sensibilité, à savoir celles en lien avec la sécurité collective. Une chose est sûre voire certaine, il ressort de la pratique sur terrain que l’égalité dont il est ici question est beaucoup plus proche d’une fiction que d’une réalité.

Par ailleurs, s’il a été attesté à ce stade d’analyse que l’exercice du droit de véto s’oppose clairement au principe d’égalité souveraine, sa portée, quant à elle, pourrait avoir de graves conséquences, notamment aller jusqu’à empêcher l’intervention de la justice pénale internationale incarnée par la Cour pénale internationale, notamment en cas de violation des crimes graves relevant de sa compétence et ce, lorsque les actions du Conseil de sécurité seront amenées à s’étendre sur les territoires des Etats non signataires du Statut de Rome, le cas d’Israël. Nous l’avons désormais compris à ce stade, que la cause principale de l’inefficacité des actions du Conseil de sécurité est cette dépendance de l’Organe à ses membres permanents, avec ici l’existence et l’exercice du droit de véto reconnu par la Charte. Cette cause entraîne donc pour conséquence immédiate l’affaiblissement de ses actions sur terrain (II).

II. L’activité des membres permanents comme vecteur d’affaiblissement aux actions du Conseil de sécurité.

A ce stade d’analyse, il s’agira de constater que la manifestation d’affaiblissement des actions du Conseil de sécurité est traduite, d’une part, par la partialité des membres permanents, avec des prises de positions variées en fonction des intérêts en jeu (I).

Consciente de cette situation critique au sein du Conseil de sécurité, nous verrons d’autre part, que l’Assemblée générale aura courageusement tenté d’intervenir avec la revendication d’une compétence subsidiaire en matière du maintien de la paix et de la sécurité internationales, en cas de blocage (II).

A. Un affaiblissement manifesté par la partialité des membres permanents en fonction des intérêts en jeu.

Comme brièvement évoqué dans les précédentes lignes, la fin du premier semestre de l’année 2021 aura été marquée par un nouveau rebondissement du conflit israélo-palestinien, avec onze jours d’affrontement sanglant entre l’armée israélienne et le mouvement islamiste palestinien. En effet, conséquemment à ce rebondissement, la France et les Etats-Unis, tous deux membres permanents du Conseil de sécurité, ont donc engagé à un bras de fer musclé à l’ONU à ce sujet. En clair, les Etats-Unis, premiers alliés de l’Etat d’Israël, rechignaient à adopter une déclaration condamnant les violences au Proche-Orient, alors que la France quant à elle, avait dégainé un projet de Résolution appelant à une « cessation des hostilités » et à « un accès humanitaire » notamment à Gaza. En effet, sans qu’il soit besoin d’entrer en profondeur des dessous des cartes de ce bras de fer diplomatique franco-américain, celui-ci aura sans doute le « mérite » d’avoir malheureusement exposé, une fois de plus, cette forme de « prise d’otage » du Conseil de sécurité par les membres permanents, au profit de leurs intérêts purement personnels.

Qui plus est, ce qui retient davantage notre attention dans ce bras de fer c’est que les Etats-Unis qui, jadis, étaient à l’origine d’une initiative tendant à contourner le blocage au Conseil de sécurité, en persuadant l’Assemblée générale de revendiquer une responsabilité subsidiaire en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales (B), se retrouvent eux-mêmes aujourd’hui au centre du blocage. Une situation qui affiche très clairement la variabilité des prises de positions des membres permanents, mettant à nu le jeu des conflits d’intérêts qui caractérise les rapports entre ceux-ci et qui, fort malheureusement, déstabilise fortement les actions du Conseil de sécurité, aux risques et périls des populations civiles exposées assez souvent à des exactions inédites.

B. L’insignifiante compétence subsidiaire de l’Assemblée générale des Nations Unies comme solution palliative au blocage des actions du Conseil de sécurité.

Face au blocage des actions du Conseil de sécurité, l’Assemblée générale des Nations Unies (ci-après l’Assemblée générale) pourrait être amenée à intervenir pour contourner ledit blocage et ainsi statuer exceptionnellement sur les matières portant sur le maintien de la paix et de la sécurité internationales, compétence normalement dévolue au Conseil de sécurité. Cette intervention de l’Assemblée générale a été rendue possible par le biais de la Résolution 377 dite « Dean Acheson », adoptée le 03/11/1950.

Egalement connue sous l’intitulé de « L’union pour le maintien de la paix », cette Résolution de l’Assemblée générale avait pour principale mission de riposter à la stratégie de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) qui consistait à bloquer systématiquement toute décision du Conseil de sécurité ayant trait aux mesures à prendre en vue de protéger la République de Corée, victime d’une agression de la part des forces militaires de la Corée du Nord [4]. En effet, la section A de ladite Résolution rappelle que dans les cas où, du fait que l’unanimité n’a pas pu se réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’Assemblée générale se saisira de la question [5]. Cependant, la pratique sur terrain révèle que cette Résolution 377 n’est en réalité restée qu’une lettre morte, avec des propositions dépourvues de toute force obligatoire, c’est-à-dire des simples recommandations. C’est ce qui ressort d’ailleurs de son propre contenu, rappelant sans ambiguïté que l’Assemblée générale ne pourra jamais se substituer entièrement au Conseil de sécurité en matière du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Ainsi, il ressort de ce qui précède que dans certaines situations, l’activité des membres permanents du Conseil de sécurité peut constituer un véritable obstacle aux actions menées par celui-ci, au point de contrarier l’efficacité même de la mission originelle lui conférée sur le fondement du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, à savoir celle de garant de la sécurité collective. Par conséquent, et au regard des éléments pertinemment développés ci-haut, il nous semble raisonnable, pour solidifier davantage les actions du Conseil de sécurité dans l’avenir, de proposer la suppression pure et simple de l’exercice du droit de véto par les membres permanents, ou tout au plus procéder par la révision de l’article 27 de le Charte, en son paragraphe 3, qui dispose que les décisions de fond du Conseil requièrent un vote affirmatif de neuf de ses membres « dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents ».

Par ailleurs, le renforcement de la compétence subsidiaire dévolue à l’Assemblée générale, sur le fondement de la Résolution 377, pourrait également constituer une véritable voie alternative à l’efficacité des actions du Conseil de sécurité, notamment en revêtant ladite compétence d’un caractère contraignant dans l’hypothèse où le Blocage au Conseil de sécurité va s’avérer nuisible à la mission de maintien de la paix et la sécurité internationales.

KITENGE KYUNGU Junior Diplômé du Master 2 en Droit international à l'Université de Bordeaux Chercheur en Droit international pénal

[1Charte des Nations Unies, article 24, San Francisco, 1945.

[2Manon-Nour Tannous et Xavier Pacreau, « Les relations internationales », in La documentation Française, 22/09/2020.

[3C.I.J., Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16, par. 22.

[4Christian Tomuschat, L’Union pour le maintien de la paix, United Nations Audiovisual Library of International Law, 2008, page 1.

[5Ibid.