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La signification des actes judiciaires au sein de l’union : prudence face à la compétence territoriale de l’huissier ! Par Cédric Küchler, avocat
Parution : mercredi 9 juillet 2008
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Actuellement, le Règlement (CE) n°1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000, en vigueur depuis le 31 mai 2001, demeure le texte de référence en matière de signification d’actes judiciaires en matière civile et commerciale au sein de l’Union. Il sera remplacé à compter du 13 novembre 2008 par le Règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement Européen et du Conseil qui tend à l’améliorer sensiblement, notamment avec l’établissement d’un nouveau formulaire type et l’introduction de conditions uniformes concernant les services postaux (lettres recommandées avec accusé de réception ou envois équivalents).

Incontestablement, ces Règlements sont le signe d’une remarquable avancée dans le domaine de la coopération judiciaire au sein de l’Union et nous ne pouvons que nous en féliciter.

En effet, la procédure à suivre est désormais fortement simplifiée et pourrait être résumée de la manière suivante : l’autorité française, entité d’origine, transmet l’acte judiciaire directement et dans les meilleurs délais à son homologue étranger, entité requise qui procèdera à sa signification auprès du destinataire final (article 4.1 du Règlement (CE) n°1348/2000).

Dans cette optique, chaque Etat membre était dans l’obligation de communiquer à la Commission, les officiers ministériels, autorités ou autres personnes compétentes pour transmettre les actes judiciaires aux fins de signification et ceux qui étaient compétents pour les recevoir (article 2 du Règlement (CE) n°1348/2000).

S’agissant de l’entité requise (celle qui reçoit l’acte aux fins de le faire signifier), la France a désigné, sans grande surprise, « les huissiers de justice ayant leur résidence dans le ressort du tribunal de grande instance où l’acte a été délivré » (circulaire du 01.02.2006 de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau relative aux notifications internationales des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale. Lien : http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/101-DACS-d.pdf).

Néanmoins, s’agissant de l’entité d’origine (celle qui transmet l’acte à son homologue étranger), la France est restée beaucoup plus floue en désignant de manière générale : « les huissiers de justice et les services (greffes, secrétariats-greffes ou secrétariats) des juridictions compétentes en matière de notification d’actes » (article 2, JOCE Communication 2001/C 151/04).

Force est de constater que l’Etat français n’a apporté aucune précision quant à la compétence territoriale des huissiers de justice, entités d’origine.

La problématique et les termes du débat peuvent ainsi être condensés à travers cette question : un justiciable qui introduit une instance devant les juridictions françaises, à l’encontre d’un adversaire demeurant dans un autre Etat membre, peut-il saisir tout huissier français (entité d’origine) pour procéder à la signification de l’acte, ou bien, doit-il nécessairement saisir un huissier ayant résidence dans le ressort du tribunal de grande instance où sa demande a été introduite ?

Bien que la Communication 2001/C 151/04 précitée, reste floue face à cette question, les tribunaux français ont apportés une réponse (I) qui reste, selon nous, contestable (II).

I. Le silence des textes et l’interprétation des tribunaux français

1. Un flou préjudiciable pour le demandeur à l’action. Cette imprécision du législateur français a manifestement une incidence pratique : face au silence des textes, rien ne s’oppose à ce que la partie adverse invoque le bénéfice des dispositions de l’article 117 du Code de procédure civile, c’est-à-dire l’exception de nullité de l’acte pour irrégularité de fond dans le cas où le demandeur n’aurait pas saisi l’huissier territorialement compétent afin de procéder à la signification.

En effet, par une décision en date du 20 mai 1976, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation prévoit qu’est « entachée d’une nullité d’ordre public, pour violation d’une règle d’organisation judiciaire » et constitue « une irrégularité de fond, la signification d’un acte par huissier instrumentant hors de son ressort sans habilitation spéciale ».

Enfin, nous le savons, conformément à l’article 119 du Code de procédure civile, cette nullité pourra être invoquée sans que le défendeur ait à justifier d’un quelconque grief.

2. La réponse apportée par les tribunaux. A notre connaissance, deux décisions, rendues en matière de droit des transports, ont actuellement opté pour cette exception de nullité. Elles méritent une attention toute particulière quant à leur raisonnement (affaire n°1 : tribunal de commerce d’Evry, 3ème chambre, 17.01.2007, IBM France ./. DHL INTERNATIONAL UK LTD (DHL EXPRESS LIMITED) ; affaire n°2 : Cour d’appel de Lyon, 6ème chambre civile, arrêt du 15.11.2007, COMPAGNIE NAVIGATORS & GENERAL INSURANCE COMPANY LTD [appelant] ./. Michel MIKLANEK [intimé]).

Dans la première affaire, La société IBM France assigna devant le tribunal de commerce d’Evry la société DHL INTERNATIONAL UK LTD (DHL), ayant son siège social au Royaume-Uni. L’assignation fut transmise sur le territoire anglais par une étude d’huissiers du ressort du tribunal de grande instance de Versailles.

Dans ce contexte, la demanderesse opta pour une étude qui instrumentait hors de sa compétence territoriale. La société DHL invoqua l’exception de nullité de l’acte « pour avoir été délivré par un huissier de justice incompétent pour instrumenter en qualité d’entité d’origine, en violation des articles 3 de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 et des articles 5 et suivants du décret n° 56-222 du 29 février 1956 (ndlr. : articles relatifs à la compétence territoriale des huissiers) , et en application des articles 117 et 119 du Nouveau code de procédure civile ».

De manière plus claire, selon la société DHL, seul un huissier domicilié dans le ressort territorial du tribunal de grande instance d’Evry (et non de Versailles) était compétent pour transmettre l’assignation à son homologue anglais.
Le tribunal de commerce d’Evry approuva ce raisonnement en précisant que selon l’article 2 du Règlement (CE) n°1348/2000, la France était en charge de désigner ce qu’elle entendait par entité d’origine et entité requise (voir supra).

Ainsi, selon les juges consulaires, si l’Etat français impose à l’huissier, entité requise, de ne pouvoir instrumenter que dans le ressort de son tribunal, le parallélisme des formes conduit à ce que cette même règle s’applique à l’huissier, entité d’origine (point 3.2 de la décision).

Dans la seconde affaire, un particulier mandata une étude d’huissiers parisienne afin de procéder à la signification d’un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lyon à l’encontre de la société COMPAGNIE NAVIGATORS & GENERAL INSURANCE COMPANY LTD, ayant son siège social également au Royaume-Uni. La compagnie interjeta appel et demanda à la Cour de prononcer la nullité de la signification.

En effet, selon la compagnie, dans la communication 2001/C 151/04 (voir article 2, supra), la France avait prévu que ces règles devaient s’appliquer pour l’huissier, entité requise si bien qu’il devait en être de même pour l’entité d’origine.

L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon retint cette argumentation.

Au sein de son dispositif, les juges relevèrent qui si le Règlement CE n°1348/200 avait, certes, pour objectif d’améliorer et d’accélérer la transmission des actes entre les Etats, une différence en matière de compétence territoriale des huissiers ne trouvait aucune justification dans ce Règlement et même dans la législation française.

Dans cette perspective, précisa la Cour, le principe de compétence territoriale des huissiers de justice - entités requises - a été maintenu expressément par la France ; aussi, ces mêmes règles de compétence devaient elles se déduire implicitement aux entités d’origine.

3. Le raisonnement analogique des deux décisions précitées. Ces deux décisions se basent sur la notion de parallélisme des formes afin de reconnaître à l’huissier - entité d’origine - l’obligation de respecter les règles de compétences internes. Ainsi, Les tribunaux constatent une ressemblance connue entre deux éléments (l’entité requise doit respecter le principe de territorialité…) pour en déduire une ressemblance encore inconnue (…alors l’entité d’origine doit aussi respecter le principe de territorialité).

En d’autres termes, ces deux décisions ne nous forcent elles pas à en déduire que si Caroline dit expressément aimer Michel, alors Clémentine l’aime nécessairement aussi ? Nous voici, certes, en présence d’une charmante analogie mais qui, fort heureusement, reste contestable…

II. Des décisions contestables :

1. L’interprétation téléologique du Règlement. Si le législateur français avait voulu user d’un tel parallélisme, rien ne s’opposait à ce qu’il le prévoit expressément dans la communication 2001/C 151/04 auprès de la Commission européenne.

Selon nous, le législateur a procédé à une interprétation téléologique du Règlement CE 1348/2000.

En effet, la volonté première des autorités communautaires était celle de faciliter la rapidité de transmission des actes en vue de leur signification dans l’espace communautaire.

Ainsi, le préambule du Règlement dispose notamment que : « 2. Le bon fonctionnement du marché intérieur exige d’améliorer et d’accélérer la transmission entre les Etats membres des actes judiciaires (…) en matière civile ou commerciale aux fins de signification (…) ; 6. L’efficacité et la rapidité des procédures judiciaires impliquent que la transmission des actes judiciaires (…) soit effectuée directement et par des moyens rapides entre les entités locales désignées par les Etats membres (…) ; 7. La rapidité de la transmission justifie l’utilisation de tous moyens appropriés (…) ».

De même, l’article 4.1 du Règlement prévoit que les actes judiciaires sont transmis directement « et dans les meilleurs délais » entre les entités.

Dans ce contexte, le strict respect de la compétence territoriale pour les huissiers de justice en tant qu’entités d’origine, constitue, en pratique, un frein à cette volonté première de rapidité et d’efficacité de transmission des actes civils et commerciaux dans le domaine de la coopération judiciaire intracommunautaire.

En effet, au regard des deux décisions commentées, le praticien face à un dossier dont la rapidité est souvent de mise (procédures d’urgence, délais de prescriptions latents…), n’aurait aucune liberté afin de choisir son étude d’huissier pour procéder à une signification vers un autre Etat membre.

Ainsi, à titre d’exemple, pour une assignation introduite devant un tribunal de Montpellier contre une société ayant son siège social en Allemagne, ne serait-il pas plus judicieux de saisir un huissier strasbourgeois ? Afin de répondre à cette question, encore faut-il s’interroger sur le rôle que joue l’huissier de justice, entité d’origine, dans la procédure.

2. Le rôle de l’entité d’origine dans la procédure de signification. Dans l’exemple précité, l’huissier de justice ne fera que transmettre l’acte à son homologue allemand, entité requise, tout en veillant au préalable à ce que les formalités exigées par le Règlement soient respectées par le demandeur (notamment la traduction de l’acte, article 5 du Règlement).

Dans cette optique, l’huissier de justice français ne sera que simple autorité émettrice et ne devrait pas avoir à se soucier des règles de compétences territoriales françaises, l’important étant que le destinataire final de l’acte soit correctement visé par son homologue étranger qui procèdera à la signification effective.

3. Les dispositions du Code de procédure civile. Il semblerait que l’article 684 alinéa 1 du Code de procédure civile apporte un élément de réponse venant contester les deux décisions commentées.

En effet, cet article dispose que l’ « acte destiné à être notifié à une personne ayant sa résidence habituelle à l’étranger est remis au parquet, sauf dans les cas ou un règlement communautaire (…) autorise l’huissier de justice à transmettre directement cet acte (…) à une autorité compétente de l’Etat de destination ».

Cet article pourrait être interprété en ce sens que la règle de compétence territoriale des huissiers de justice ne s’applique qu’aux significations faites par voie du parquet diplomatique (c’est-à-dire pour des actes destinés à être signifiés hors Union Européenne) et non en matière de transmission d’actes prévue par un règlement communautaire.

4. La circulaire n°4141 du 07.02.2008. du Président de la Chambre des Huissiers de Justice de Paris. Le Président de la Chambre des Huissiers de Justice de Paris interrogea Madame la Directrice des Affaires Civiles et du Sceaux aux fins de savoir quel huissier était territorialement compétent en France afin de procéder à une signification d’actes vers un autre pays de l’Union.

Par courrier en réponse du 28.01.2008, le Ministère de la Justice apporta l’éclaircissement suivant : « (…) tout huissier a compétence en qualité d’entité d’origine pour transmettre l’acte dans le pays où il doit être notifié. Les règles internes qui régissent la compétence territoriale des huissiers de justice s’appliquent seulement lorsqu’ils sont saisis en qualité d’entités requises ».

Contrairement au raisonnement analogique opéré par les deux décisions commentées, la réponse de Madame la Directrice des Affaires Civiles et du Sceaux respecte strictement les termes de l’article 2 de la communication 2001/C 151/04 (voir supra).

Néanmoins, nous le savons, la portée d’une circulaire n’est que relative.

En effet, le Ministère de la Justice répondit par simple courrier à la Chambre des Huissiers de Paris.

Cette dernière y apposa alors la dénomination de : « circulaire n°4141 ».

Il s’agit là d’une lettre interprétative qui ne saurait être opposable.

Epilogue. Le palliatif et le danger :

1. Le palliatif : le recours à l’article 121 du Code de procédure civile. Nous l’avons vu à travers les deux décisions présentement commentées : le défendeur est en mesure d’opposer au demandeur l’exception de nullité de l’acte pour irrégularité de fond lorsque l’huissier émettant n’est pas territorialement compétent (article 117 du Code de procédure civile).

Sous réserve qu’aucun délai de prescription ne soit acquis, le bénéfice des dispositions de l’article 121 du Code de procédure civile pourrait être opposés à la partie adverse.

En effet, dans les cas où la nullité pour vice de fond est susceptible d’être couverte, cette dernière ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

En pratique, il conviendrait, face à un tel cas de figure, de procéder à une nouvelle assignation en mandatant, cette fois-ci, un huissier de justice territorialement compétent.

2. Le danger : la responsabilité professionnelle de l’huissier. Face au flou actuel des textes et d’une jurisprudence contraignante en matière de respect du principe de territorialité pour l’huissier de justice, mieux vaut jouer la carte de la prudence.

Il est fortement conseillé à l’huissier de vérifier ab initio, pour ce type de procédure, s’il instrumente bien au sein de son ressort de compétence.

En effet, l’huissier de justice qui ne respecte pas les limites de sa compétence territoriale commet une faute professionnelle lorsque l’acte qu’il rédige est nul pour vice de fond (en ce sens : Cour de cassation, chambre sociale, 01.12.1951 : Dalloz 1952, page 71 ; Cour de cassation, 2ème chambre civile 20.05.1976, Bull. civ. II, n°168 ; Cour d’appel de Nancy, 12.07.1985, Dalloz 1986, page 226).

Cédric Küchler

Avocat en droit privé franco-allemand

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