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Rupture de période d’essai - rappels des principes. Par Grégory Chatynski, Juriste.
Parution : vendredi 10 décembre 2021
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Un arrêt du 2 juin 2021 de la 5ème chambre prud’homale de la Cour d’Appel d’Amiens (RG n°19/08276) vient opportunément rappeler les principes essentiels présidant à la rupture d’une période d’essai.
Le salarié tentait de convaincre de règles contraires.
Cet arrêt est bienvenu, et consacre l’orthodoxie de la position de l’employeur.

I - Les faits : un salarié soumis à une période d’essai a contesté la rupture du contrat de travail au bout de 6 jours d’essai.

2 arguments essentiels :
- La rupture d’essai avait une origine économique (poste non budgété) ;
- L’employeur n’a pas eu le temps, en seulement 6 jours, de s’assurer des aptitudes et des compétences du salarié (légèreté blâmable de l’employeur).

Selon lui, il appartenait à l’employeur de démontrer que sa décision de rompre était en lien avec ses aptitudes et ses compétences, et n’avait pas de cause économique.

II - Rappel des principes relatifs à la rupture de la période d’essai.

L’article L 1221-20 du Code du travail dispose que :

« la période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ».

Lorsque les parties ont stipulé une période d’essai, sous réserve du délai de prévenance, elles ont toute liberté pour rompre le contrat de travail pendant la période d’essai.

Les règles du licenciement n’étant pas applicables, l’employeur n’a pas l’obligation de justifier sa décision.

La responsabilité de l’employeur peut toutefois en effet être engagée lorsque la rupture de la période d’essai procède d’un détournement de la finalité de la période d’essai, ou d’une intention de nuire et/ou d’une légèreté blâmable, notamment :
- si elle a été décidée pour des raisons étrangères à la finalité de l’essai (appréciation de l’aptitude professionnelle et personnelle du salarié à assumer ses fonctions) : par ex, rupture pour des raisons économiques, ou en raison de l’état de santé du salarié, de son inaptitude médicale … ;
- lorsqu’elle résulte de la légèreté blâmable de l’employeur qui a donné de faux espoirs au salarié ou ne lui a pas laissé le temps de faire ses preuves : par ex, lorsque l’employeur ne s’est pas accordé un temps suffisant pour apprécier la plénitude des aptitudes et compétences du salarié, et qu’il s’est précipité pour interrompre la période d’essai.

S’agissant de la question de la brièveté de la période d’essai (indice éventuel d’un abus du droit de rompre), il importe donc de rappeler que, de jurisprudence constante, n’est pas nécessairement abusive une rupture par l’employeur au seul motif qu’elle intervient dans un court laps de temps après le début de l’essai par rapport à la durée prévue de la période d’essai.

Dans ce cadre, l’employeur ne saurait être tenu de poursuivre l’essai dès le moment où il a jugé le salarié inadapté à l’emploi [1].

Le constat d’un « court » délai, notion très subjective, n’est toutefois pas la preuve nécessaire d’un abus du droit de rompre.

En effet, un employeur rapidement convaincu de l’inadaptation du salarié au fonctionnement de la société, ou de son inaptitude professionnelle à exercer les taches pour lesquelles il a été embauché, n’a pas à attendre un délai important, qui serait alors nécessairement artificiel et qui aurait pour effet le paiement d’un salaire sans les contreparties professionnelles attendues, avant de prendre sa décision. L’employeur peut en effet, à tout moment, user de sa liberté de rompre, sans devoir en rendre compte, et ce même dès le premier jour d’essai.

La Cour de Cassation, dans un arrêt de rejet du 15 janvier 2014 [2] ne s’y est pas trompée en rappelant les principes susvisés (liberté de rompre ; absence d’abus même en cas de rupture le 1er jour d’essai) :
- la cour d’appel, qui a constaté que le contrat de travail avait été rompu à la date du 1er juillet 2009 et que la lettre notifiant la rupture n’était pas motivée, en a exactement déduit que l’employeur avait usé de la faculté légale de rompre le contrat de travail de façon unilatérale et discrétionnaire ;
- la cour d’appel, ayant apprécié souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a, sans se contredire, retenu que la rupture était motivée par des considérations professionnelles portant sur l’aptitude professionnelle du salarié à assumer les fonctions (…) et qu’elle n’avait pas été mise en œuvre de manière abusive.

Le droit de l’employeur de rompre le contrat en cours de période d’essai s’exerce en effet de façon «  unilatérale et discrétionnaire  », de sorte qu’il n’a pas à rendre compte au salarié des motifs de la rupture.

L’arrêt d’appel non censuré ci-dessus, est celui rendu le 17 janvier 2012 par la Cour d’appel d’Angers [3], qui a également énoncé que :

- Est abusive la rupture motivée par des considérations non inhérentes à la personne du salarié et, compte tenu de la finalité de la période d’essai qui doit permettre à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, la rupture doit reposer sur des motifs en lien avec l’aptitude professionnelle ou personnelle du salarié à assumer ses fonctions, laquelle s’entend de façon plus large que la stricte capacité professionnelle  ;
- L’évaluation, par l’employeur, de l’aptitude professionnelle du salarié et de ses compétences peut procéder d’autres éléments et circonstances que ceux nés de l’observation directe de l’intéressé dans l’exercice de ses fonctions.

L’employeur peut ainsi évaluer non seulement le savoir-faire, mais aussi le savoir-être du salarié, surtout si une partie de la période d’essai se déroule pendant une formation initiale : identification d’une faculté suffisante, ou non, d’écoute, de compréhension (de process, d’outils, d’informations …) ; attitude / comportement ; implication …

Faisant application des mêmes principes, le Conseil de Prud’hommes de Belfort (RG 15/01629) a jugé le 23 août 2016, dans un litige de même nature (période d’essai interrompue au bout de 22 jours), et alors même qu’il n’avait pas été mis en situation professionnelle d’exécution (le salarié était en effet en formation interne), que : « la rupture des relations contractuelles est en l’espèce intervenue 22 jours après le commencement de la période d’essai durant lesquels (l’employeur) a pu vérifier si M. C présentait les aptitudes à poursuivre son parcours professionnel et de formation au sein de la société ».

Et que : « quand bien même M. C n’aurait pas été mis en situation professionnelle d’exécution, l’ensemble de ces éléments a permis à (l’employeur) de déterminer que M. C ne disposait pas des capacités à s’inscrire dans le fonctionnement général de la société  ».

Dès lors, indépendamment de la durée de la période d’essai (même de quelques jours ou quelques semaines), et même de toute mise en situation réelle ou pas, il suffit que l’employeur s’assure des aptitudes et des capacités du collaborateur à s’inscrire dans le fonctionnement général de la société, et décide discrétionnairement de poursuivre ou non la collaboration.

Dans ce cadre, il est très important que l’employeur dispose d’un document d’évaluation de la période d’essai, susceptible d’être produit en justice si nécessaire, avant toute décision de rompre la période d’essai, ou d’en proposer le renouvellement.

Ce document permettra de justifier, auprès des juges, que l’employeur a évalué les aptitudes et les compétences, et qu’il a ensuite décidé au vu de ce critère protéiforme.

III - La preuve de l’abus, et du préjudice.

La situation juridique du demandeur qui sollicite la condamnation de son employeur sur le fondement de l’abus de droit (en l’espèce, droit de rompre sans motif dans le cadre d’une période d’essai) n’est pas identique à celle d’un autre plaideur qui s’estime victime d’un licenciement.

En effet, les règles du licenciement n’étant pas applicables à la rupture de période d’essai, la preuve de la licéité de la rupture n’est pas « partagée » (au sens de la cause réelle et sérieuse d’un licenciement) et ne repose pas non plus sur les seules épaules de l’employeur (comme le serait la preuve de la gravité des fautes d’un licenciement disciplinaire).

Le droit commun de la preuve d’une faute s’applique à la situation de la rupture prétendument abusive de la période d’essai : la preuve de cet abus, qu’il s’agisse de motifs illicites ou de légèreté blâmable, repose uniquement sur le demandeur, seul débiteur de cette preuve.

La preuve s’entend de faits démontrés, c’est-à-dire réels et documentés, et pas seulement de simples affirmations sans consistance. Pas de preuve de l’abus, pas d’abus, pas de condamnation.

Il en est strictement de même s’agissant du préjudice : il appartient au salarié seul de démontrer non seulement le principe, mais aussi le quantum du préjudice dont il s’estime victime. Pas de preuve du préjudice, et de son quantum, pas de condamnation.

L’employeur n’a pas à prouver l’absence de compétences du salarié, ni même son l’inadéquation de ses compétences au poste de travail, qui seraient des preuves négatives.

C’est au contraire au salarié de démontrer l’abus qu’aurait commis l’employeur en exerçant un droit discrétionnaire, celui de rompre sans motif.

En effet, en droit, la bonne foi est présumée, et l’abus de droit incombe à celui qui s’en prévaut, en l’espèce l salarié.

Décider du contraire reviendrait en effet, contre les règles en vigueur :
- A ce que l’employeur soit présumé de mauvaise foi, la bonne foi devant alors être démontrée ;
- A méconnaître la portée de l’article L1221-20 du Code du travail quant à la liberté de rompre le contrat sans motif ;
- A ce que l’employeur soit contraint de justifier ses choix auprès du juge, ce qui serait contraire au principe de non-immixtion du juge dans la gestion d’une entreprise, et contraire au pouvoir de direction de l’employeur (qui reste seul maître de ses choix, sans immixtion du juge, même s’il ne choisit pas l’option la plus favorable au maintien de l’emploi).

De nombreuses juridictions rappellent régulièrement ces règles, par exemples (tous arrêts visibles sur Legifrance) :

Aux termes de l’article L1231-1 al. 2 du Code du travail, les règles relatives à la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée ne sont pas applicables pendant la période d’essai, de sorte que l’employeur a le droit de rompre l’essai sans donner de motif. Le salarié qui soutient que la rupture est abusive doit apporter la preuve de l’abus (…) [4].

Attendu que si chaque partie est libre de rompre, sans en donner le motif, le contrat de travail au cours de la période d’essai, cette rupture ne doit pas pour autant être abusive ;
Qu’est abusive la rupture motivée par des considérations non inhérentes à la personne du salarié, ou résultant d’une légèreté blâmable ou d’une intention de nuire de l’employeur ;
Que la charge de la preuve de l’abus incombe à la partie qui s’en prévaut
 [5].

Aux termes de l’article L1131-1 du Code du travail, les règles qui régissent la rupture unilatérale du contrat travail ne sont pas applicables pendant la période d’essai, sous réserve d’abus de droit. La preuve de l’abus de droit incombe au salarié  [6].

Attendu que Mme X... ne rapportant pas la preuve - qu’elle n’allègue pas même - d’un abus de l’employeur dans l’usage de son droit de rompre la période d’essai, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme X... de toutes ses demandes  [7].

Il incombe à M. X.., qui soutient que l’association Raymond Roinard aurait commis un abus de droit, d’en rapporter la preuve  [8].

Chacune des parties dispose d’un droit de résiliation discrétionnaire de la période d’essai sans avoir à en alléguer les motifs. Toutefois il y a abus du droit de rompre si les véritables motifs sont sans relation avec l’aptitude professionnelle du salarié ou si la rupture est mise en œuvre dans des conditions qui révèlent une intention de nuire ou une légèreté blâmable. La suppression de l’emploi pendant la période d’essai constitue une cause non inhérente à la personne du salarié. La preuve de l’abus de droit incombe au salarié  [9].

Considérant que l’employeur peut mettre fin au contrat de travail pendant la période d’essai sans avoir à alléguer de motifs, lorsqu’il estime que le salarié n’a pas les aptitudes souhaitées pour remplir son emploi, une motivation étrangère à ce critère constituant un abus de droit dont la preuve incombe au salarié  [10].

L’arrêt du 2 juin 2021 de la 5ème chambre prud’homale de la Cour d’Appel d’Amiens [11] s’inscrit d’évidence dans ce courant jurisprudentiel.

IV - L’office du juge.

Le juge saisit d’un tel litige ne peut substituer son appréciation des compétences professionnelles du salarié à celle de l’employeur, et se mettre à sa place quant à l’opportunité de rompre la période d’essai (principe de non-immixtion du juge dans la gestion d’une entreprise).

Les tribunaux ne sont ainsi pas juges des choix de l’employeur, sauf à outrepasser leur office, et ne peuvent dire si les capacités ou les compétences du salarié auraient dû conduire l’employeur à ne pas rompre la période d’essai.

Ils doivent seulement s’assurer que le salarié apporte la preuve d’un abus (ci-avant) et que l’employeur a évalué les aptitudes et les compétences du salarié.

C’est notamment en ce sens que s’est prononcée la chambre sociale de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence [12] dans un litige de même nature :
- « M. L. qui invoque l’abus du droit de mettre fin à la période d’essai ne rapporte pas la preuve du véritable motif de la rupture (…) » ;
- « l’employeur, qui reste seul juge du niveau des qualités et compétences recherchées, justifie que la rupture de la relation contractuelle pendant la période d’essai, qui est bien en lien avec la valeur professionnelle de M. L, n’est pas abusive ».

V - Application par la Cour d’Appel d’Amiens (RG n°19/08276) de ses principes.

Cet arrêt est particulièrement limpide.

Sur le pouvoir discrétionnaire de l’employeur : « la rupture de la période d’essai par l’employeur relève de son pouvoir discrétionnaire ».

Sur la preuve de l’abus : « le salarié qui soutient que la rupture est abusive doit apporter la preuve de l’abus ».

Constat de l’absence de preuve : « le salarié ne verse aux débats aucun élément tendant à établir la réalité du caractère abusif de la rupture de la relation contractuelle (…) il ne justifie pas du caractère abusif de la rupture de la période d’essai ».

Conséquence : « il y a lieu de débouter le salarié de toutes ses demandes ».

Sur le rôle de l’employeur : Même si l’employeur n’a rien à démontrer, il lui est conseillé de participer pleinement aux débats judiciaires à tout le moins en produisant le document d’évaluation de période d’essai, afin de montrer qu’il a respecté la finalité de la période d’essai.

« l’employeur, de son côté, produit les résultats du contrôle de connaissances passé par le salarié (…) faisant état de réelles lacunes » « il produit également un document intitulé « évaluation de fin de période d’essai » (…) qui fait état au titre des premières impressions d’une personnalité réservée du salarié et d’une absence de communication avec l’équipe et qui évalue les compétences et comportement du salarié aux niveaux moyen et faible ».

Et, comme l’indiquait déjà l’arrêt du 17 janvier 2012 de la Cour d’appel d’Angers (RG n°10/02302), « si la rupture d’essai doit reposer sur des motifs en lien avec l’aptitude professionnelle ou personnelle du salarié à assumer ses fonctions, celle-ci s’entend de façon plus large que la stricte capacité professionnelle du salarié  ».

La participation de l’employeur est donc importante : « nonobstant la brièveté de la relation contractuelle, au vu des éléments produits par l’employeur, il y a lieu de constater que le salarié ne justifie pas du caractère abusif de la rupture de la période d’essai ».

Attention donc aux ruptures d’essai qui peuvent être abusives.

Pour les employeurs : Se prémunir de contestations éventuelles en se ménageant en amont la preuve, même si elle ne leur incombe pas juridiquement, de ce que la décision de rompre a été prise après évaluation des aptitudes et des compétences.

Pour les salariés : contester une rupture d’essai sans les preuves requises est la certitude d’un échec ; le dossier doit donc être solidement constitué.

Grégory Chatynski Responsable juridique droit social Ancien Conseiller prud\'homal Employeur, Industrie Conseiller prud\'homal Employeur, Encadrement (2023-2025)

[1Cass. soc 4 octobre 1979, n° 78-40.621.

[2Pourvoi n° 12-14650 arrêt visible sur Legifrance.

[3RG n°10/02302 - arrêt visible sur Legifrance.

[4Cour d’appel de Douai - 28 février 2019 (n° de RG : 16/016018).

[5Cour d’appel de Bastia - 16 janvier 2019 (n° de RG : 18/000114).

[6Cour d’appel de Versailles - 14 novembre 2017 (n° de RG : 16/00248).

[7Cour d’appel de Dijon - 24 novembre 2016 (n° de RG : 15/00076).

[8Cour d’appel d’Angers - 17 janvier 2012 n° de RG : 10/02302.

[9Cour d’appel de Versailles - 19 octobre 2011 (n° de RG : 10/02833.

[10Cour d’appel de Versailles - 19 octobre 2011 N° de RG : 10/05090.

[11RG n°19/08276.

[128 septembre 2017 - RG 15/11821.