Village de la Justice www.village-justice.com

Expulsion de squatteurs après la loi ASAP : 10 questions pratiques. Par Valérie Moulines Denis
Parution : mercredi 19 janvier 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/expulser-des-squatteurs-apres-loi-asap-questions-pratiques,41368.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans le but de faciliter l’expulsion de squatteurs occupant le domicile d’autrui, la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 d’Accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, contient en son article 73, de nouvelles dispositions.

Le législateur, agissant sous la pression médiatique née de plusieurs affaires illustrant la détresse de propriétaires démunis face à des squatteurs occupant illégalement leur habitation, a ainsi prétendu durcir la loi anti-squat.

Le nouveau dispositif législatif a été précisé par une circulaire d’application du 22 janvier 2021.

Bien que constituant une avancée certaine pour lutter contre le squat, il n’a pas réellement convaincu à ce jour les praticiens.

Dans une perspective résolument pratique, il est proposé ici de répondre aux 10 questions récurrentes que se posent les propriétaires victimes de squat.

1) Qu’est-ce qu’un « squatteur » ?

Le terme de « squatteur » est davantage un mot issu de la pratique, en particulier journalistique, qu’une notion juridique véritable.

Au plan juridique, il convient de se référer à la notion « d’occupant sans droit ni titre du bien immobilier d’autrui ».

Elle recouvre plusieurs situations, par exemple :
- Un ex-locataire, dont le bail a expiré - à la suite d’un congé par exemple, qui se maintient dans les lieux ;
- Un ex-locataire dont le bail a été résilié judiciairement par une décision de justice, qui se maintient dans les lieux ;
- Une personne qui s’est introduite dans le « domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », sans jamais avoir conclu de bail ni disposer d’un titre légitime d’occupation.

Le terme de « squatteur » est généralement utilisé dans cette dernière situation.

2) Qu’apporte la loi ASAP en matière d’expulsion de squatteur ?

A l’origine le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) n’évoquait pas le sujet du squat.

C’est à la faveur d’un amendement déposé en commission devant l’Assemblée Nationale qu’un article 73 été voté pour modifier l’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, dite loi DALO.

Les apports de la loi ASAP sont multiples.

i. La notion de « domicile d’autrui » est élargie.

L’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 est réécrit en ce sens :

« En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, la personne dont le domicile est ainsi occupé ou toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire ».

La notion de « domicile d’autrui », qui visait auparavant, en pratique, uniquement les résidences principales, est ainsi désormais étendue aux résidences secondaires.

Auparavant, la législation permettait en effet l’intervention du préfet à condition pour le propriétaire de prouver que le squatteur était entré dans les lieux, par effraction, depuis moins de 48 h – ce qui excluait de fait, les résidences secondaires.

Désormais, l’introduction de « squatteurs » dans une résidence secondaire peut donner lieu à une évacuation administrative.

Le maintien dans la lettre du texte du terme « domicile » pouvait toutefois sembler problématique.

Aussi, la circulaire d’application renvoie-t-elle à la jurisprudence d’application de l’article 226-4 du code pénal définissant le « domicile » comme « Le lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux » [1].

La circulaire précise également que le logement doit comporter des éléments de mobilier nécessaires à l’habitation, ce qui pourrait là encore être source de difficultés.

ii. Le préfet peut être saisi par davantage de demandeurs.

Désormais, toute personne dont le domicile est occupé de manière illicite (qu’elle soit propriétaire, locataire ou titulaire d’un autre droit d’occupation) ainsi que tout personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci, peut formuler une demande d’évacuation forcée auprès du préfet.

iii. Le préfet est contraint d’agir lorsqu’il est saisi.

Lorsqu’une demande d’évacuation forcée est formulée auprès du préfet, celui-ci doit mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, ce dans les 48 heures. Il s’agit d’une compétence liée.

Le préfet ne peut en outre refuser d’adresser la mise en demeure, sauf à invoquer l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général, dont la définition n’est pas précisée par la loi ou la circulaire. Il reviendra donc à la jurisprudence de se prononcer.

Si la mise en demeure de quitter les lieux n’est pas été suivie d’effet dans le délai fixé (qui ne peut être inférieur à 24 heures), le préfet doit enfin procéder « sans délai » à l’évacuation forcée du logement.

3) Que risque-t-on à expulser soi-même un squatteur ?

La loi n°2014-366 du 24 mars 2014, dite loi ALUR, a créé le délit d’expulsion illégale.

L’article 226-4-2 du Code pénal prévoit depuis que :

« Le fait de forcer un tiers à quitter le lieu qu’il habite sans avoir obtenu le concours de l’Etat dans les conditions prévues à l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

Il est donc conseillé d’éviter de recourir à ses propres moyens pour procéder à l’expulsion et d’utiliser les voies légales, dont la première doit être, le dépôt d’une plainte pénale avant de saisir le préfet, voire d’enclencher une procédure judiciaire.

4) Que faire dans les premières 48 heures du squat ?

Il convient ici de rappeler que le « squat » constituant en délit, distinct de la simple violation de domicile, sa caractérisation permet aux autorités judiciaires d’agir dans le cadre de la flagrance.

L’article L 226-4-2 du Code pénal prévoit que :
« Le fait de forcer un tiers à quitter le lieu qu’il habite sans avoir obtenu le concours de l’Etat dans les conditions prévues à l’article L153-1 du Code des procédures civiles d’exécution, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

A cet égard, la circulaire d’application de la loi ASAP est venue préciser que l’infraction de maintien dans le domicile d’autrui est une infraction continue - c’est-à-dire qu’elle est constituée tant que la personne demeure dans les lieux - ce qui permet aux autorités d’agir dans le cadre d’une enquête de flagrance.

Si le flagrant délit est démontré, les services de police peuvent intervenir dans l’instant et déloger immédiatement les squatteurs.
En pratique, dans les premières 48 heures du squat, il convient ainsi de déposer une plainte pour violation de domicile auprès du Commissariat le plus proche (idéalement mais pas nécessairement) et de faire constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire (OPJ).

Une difficulté survient quand les occupants font disparaitre toute trace d’effraction, changent la serrure et se confectionnent un faux bail.

Il revient également au propriétaire d’apporter la preuve que le logement litigieux constitue son domicile.

Enfin les OPJ peuvent être réticents à intervenir au-delà d’un certain délai d’occupation - un délai d’usage de 48 h étant souvent invoqué.

5) Au-delà de 48 heures : comment saisir le préfet ?

La loi ASAP est venue apporter une solution lorsque le flagrant délit ne peut être aisément qualifié, c’est-à-dire en pratique lorsque le squat est constaté depuis plus de 2 jours.

Ainsi qu’on l’a déjà évoqué au titre des principaux apports de la loi ASAP, l’article 38 modifié de la loi DALO instaure une procédure administrative d’évacuation forcée afin de faire valoir rapidement les droits du propriétaire au regard de la gravité du préjudice causé.

Le propriétaire (ou tout autre titulaire du droit d’agir, tel un locataire) d’un « logement occupé » peut de demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux.

Il devra pour ce faire démontrer la violation de domicile, tel que définie comme on l’a vu à l’article 226-4 du Code pénal et avoir procédé préalablement au dépôt d’une plainte pénale de ce chef.

Le préfet dispose alors d’un délai de 48 heures à compter de la réception de la demande pour adresser une mise en demeure à l’occupant.

En cas de refus, les motifs de la décision sont, le cas échéant, communiqués sans délai au demandeur.

Seule la méconnaissance des conditions de mise en demeure ou l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général peuvent amener le préfet à ne pas engager cette procédure.

La mise en demeure, assortie d’un délai d’exécution, qui ne peut être inférieur à 24 heures, est notifiée aux occupants et publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée à l’auteur de la demande.

Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder « sans délai » à l’évacuation forcée du logement.

Cette procédure administrative permet d’obtenir, en urgence, l’évacuation forcée des occupants illégaux, sans décision de justice préalable.

6) Quel recours si l’évacuation forcée par le préfet ne peut aboutir ?

En cas de refus d’évacuation forcée par le préfet ou de manque de preuve permettant de saisir le préfet, la voie judiciaire traditionnelle demeure la seule issue pour le propriétaire afin de faire expulser les occupants illégaux.

L’article L 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en effet que :

« Sauf disposition spéciale, l’expulsion ou l’évacuation d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux. »

Il convient donc de saisir le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire territorialement compétent (ex-tribunal d’instance) aux fins d’obtenir une décision d’expulsion des occupants sans titre et de condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation des lieux.

Cette décision de justice permet de recourir à la force publique pour procéder à l’expulsion forcée des squatteurs. Cette solution est hautement préférable à l’expulsion illégalement réalisée par ses propres moyens, laquelle risque d’engager la responsabilité civile voire pénale de ceux qui y participeraient, comme évoqué précédemment.

Afin de mettre en œuvre une procédure d’expulsion traditionnelle, le propriétaire doit, là encore, prouver l’occupation irrégulière de son logement et justifier de son titre de propriété.

En outre, l’assignation en justice doit comporter obligatoirement l’identité des occupants, ce qui n’est pas sans poser des problèmes pratiques.

Dans cette hypothèse, un propriétaire peut mandater un avocat pour engager une procédure judiciaire exceptionnelle non contradictoire, dite sur requête, afin d’autoriser un huissier à dresser un constat permettant enfin à l’avocat de saisir valablement le Tribunal d’une demande d’expulsion.

7) La procédure judiciaire d’expulsion est-elle accélérée en cas de squat ?

Afin de tenir compte de l’atteinte grave causé au droit de propriété, la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN, avait facilité les expulsions ordonnées judiciairement en raccourcissant leur délai de mise en œuvre.

L’article 412-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit depuis que :

« Si l’expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l’article L. 442-4-1 du code de la construction et de l’habitation n’a pas été suivie d’effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai.
Le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait. »

Le délai de 2 mois suivant la délivrance du commandement de quitter les lieux pour procéder à cette expulsion pour les personnes entrées dans les lieux par voie de fait, a donc été supprimé. La loi ASAP n’apporte pas de modification sur ce point.

8) Un squatteur est-il protégé par la trêve hivernale ?

La loi ELAN avait supprimé le bénéfice de la trêve hivernale pour le squatteur entré par voie de fait dans le domicile d’une personne [2].

Là encore, la loi ASAP, dont la volonté affichée est celle de la célérité procédurale, n’est pas revenue sur ce principe protecteur des intérêts du propriétaire.

9) Un squatteur peut-il opposer au propriétaire le droit au logement ?

Le droit au logement opposable (DALO) a été érigé - bien après, mais au même titre que le droit de propriété - au rang des normes supérieures du droit positif français, ce qui pose le problème de la conciliation d’intérêts contradictoires protégés par des droits également fondamentaux.

Pour autant, en jurisprudence, le droit au logement de l’occupant sans titre ne permet pas de légitimer l’atteinte à la propriété d’autrui.

La Cour de cassation rappelle en effet avec constance que l’expulsion est la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement [3].

Par application de ces principes et de l’article 809 du Code de procédure civile, les juges doivent mettre fin au trouble manifestement illicite en ordonnant l’expulsion des occupants sans droit ni titre, sans que puisse être pris en compte « l’état de nécessité de se loger ».

10) Que faire si la décision judiciaire d’expulsion n’est pas exécutée ?

Nonobstant l’obtention d’une décision judiciaire d’expulsion, celle-ci peut ne pas être suivie d’effet, les squatteurs ne quittant pas spontanément des lieux.

Un huissier de justice pourra alors solliciter le concours de la force publique pour exécuter la décision d’expulsion [4].

Pour autant, en pratique, le préfet peut refuser d’accorder le concours de la force publique pour des motifs tirés par exemple de l’âge, ou de la situation financière et familiale de l’occupant.

Dans cette hypothèse, le droit de propriété reste protégé par la voie indemnitaire.

En effet, le refus, tacite ou exprès, d’octroi du concours de la force publique par le préfet engage la responsabilité de l’Etat, qui pourra être condamné par les juridictions administratives à indemniser le propriétaire privé de la jouissance de son bien, de la faculté de le vendre, ou de ses loyers.

En conclusion, la loi ASAP constitue une avancée indéniable dans la protection des droits des propriétaires en instaurant une procédure administrative accélérée favorisant l’expulsion des squatteurs.

Toutefois, des obstacles pratiques demeurent, qui contraindront dans certaines situations les propriétaires à continuer de recourir à la procédure judiciaire classique.

Valérie Moulines Denis, Avocat www.vmd-avocat.com Avocat au Barreau de Paris

[1Cf. Cass. crim. 22 janvier 1997, n°95-81.186.

[2Cf. article L 412-6 du Code des procédure civiles d’exécution.

[3Cass.3e civ., 4 juill.2019, n°18-17.119 : Jurisdata n°2019-011697 ; CA Paris, 26 nov. 1997 : Jurisdata n°1997-730081 ; Cass. 3e civ., 20 janv.2010, n°08-16.088 : Jurisdata n°2010-051180.

[4Cf. article L 153-1 du Code des procédure civiles d’exécution.

Comentaires: