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Les pouvoirs du président de chambre dans les procédures de renvoi de cassation. Par Vincent Mosquet, Avocat.
Parution : lundi 21 février 2022
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Selon la Cour de cassation, les pouvoirs du président de la chambre de la cour d’appel saisie sur renvoi de cassation sont limitativement énumérés dans l’article 1037-1 du code de procédure civile. L’appréciation de la recevabilité de la déclaration de saisine n’entre pas dans ces pouvoirs et une décision du président de chambre déclarant irrecevable une déclaration de saisine n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée.

Par un arrêt du 9 septembre 2021 (n° de pourvoi 19-14.020) publié au bulletin, la cour de cassation a jugé au visa de l’article 1037-1 du code de procédure civile que le président de chambre ou le magistrat désigné par le premier président n’a pas le pouvoir de déclarer irrecevable les conclusions déposées hors délai par les parties à l’instance ayant donné conduit à l’arrêt cassé. Sa motivation est la suivante :

- Selon ce texte, les parties à l’instance ayant donné lieu à la cassation, qui ne respectent pas les délais qui leur sont impartis pour conclure, sont réputées s’en tenir aux moyens et prétentions qu’elles avaient soumis à la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé. Il en résulte qu’en ce cas, les conclusions que ces parties prennent, hors délai, devant la cour d’appel de renvoi sont irrecevables.

- Par ailleurs, ce texte confère au président de la chambre ou au magistrat désigné par le premier président, le pouvoir de statuer sur la caducité de la déclaration de saisine sur renvoi de cassation, en cas de dépassement du délai dans lequel doit être notifiée cette déclaration aux parties adverses, et sur l’irrecevabilité des conclusions tardives de l’intervenant, volontaire ou forcé. En revanche, la disposition de ce texte prévoyant que l’affaire est fixée à bref délai, dans les conditions de l’article 905 du code de procédure civile, ne concerne que l’application de cet article, à l’exclusion de celles des dispositions des articles 905-1 et 905-2 conférant à ce magistrat des attributions destinées à sanctionner le respect par les parties des diligences prescrites par ces deux derniers textes. Or la liste des attributions conférées à ce magistrat, qui font exception à la compétence de principe de la formation collégiale de la cour d’appel, est, pour ce motif, limitative.

- Par conséquent, seule la cour d’appel, à l’exclusion du président de la chambre ou du magistrat désigné par le premier président, peut prononcer l’irrecevabilité des conclusions des parties à l’instance ayant donné lieu à la cassation.

Les pouvoirs du président de chambre seraient donc limités strictement à ce qui est prévu par l’article 1037-1 à savoir :
- La caducité de la déclaration de saisine qui n’a pas été signifiée par son auteur aux autres parties dans les dix jours de la notification par le greffe de l’avis de fixation ;
- L’irrecevabilité des conclusions de l’intervenant forcé qui remet et notifie ses conclusions plus de deux mois à compter de la demande d’intervention.

Ainsi le président de chambre n’aurait pas le pouvoir de prononcer l’irrecevabilité des conclusions des parties signifiées plus deux mois après la déclaration de saisine pour le demandeur sur renvoi de cassation ou plus de deux mois après la notification des conclusions du demandeur pour les autres parties.

Il n’aurait pas non plus le pouvoir de déclarer irrecevable une déclaration de saisine

Cette solution ne s’imposait pas puisque l’article 1037-1 dit expressément que la notification des conclusions entre les parties est faite dans les conditions de l’article 911 qui renvoie expressément aux sanctions des articles 905-2 et 908 à 910, de sorte qu’il aurait pu être naturellement imaginé que le président de chambre ou le magistrat délégué par le premier président aurait eu le pouvoir de prononcer l’irrecevabilité des conclusions tardives

Il n’en est rien et il convient d’en prendre acte afin de ne pas soulever inutilement un incident d’irrecevabilité de conclusions.

Est-ce dans la logique de l’idée que les pouvoirs du président de chambre ou du magistrat délégué par le premier président sont limitativement et expressément énuméré par l’article 1037-1, que la cour de cassation a jugé dans un arrêt du 16 décembre 2021 que la décision du président de chambre qui statue sur l’irrecevabilité d’une déclaration de saisine n’a pas autorité de chose jugée ?

Dans cette espèce, le demandeur sur renvoi de cassation avait saisi la cour de renvoi par une déclaration adressée au greffe le 14 octobre 2015 par lettre recommandée. Le président de chambre avait été saisi d’un indicent de procédure tendant à lui faire dire que cette déclaration de saisine devait être faite par voie électronique. Trois ans plus tard, le 12 septembre 2018 une seconde déclaration de saisine a été faite par voie électronique. Mais le 26 septembre 2018, le président de chambre a déclaré la première déclaration de saisine irrecevable. Puis par arrêt du 29 novembre 2019, la cour d’appel a déclaré irrecevable la déclaration de saisine du 12 septembre 2018

Ce dernier arrêt a été cassé pour les motifs suivants :
Vu les articles 126, alinéa 1, 775, 907, 914 et 916 du code de procédure civile :
- Selon le premier de ces textes, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
- Il résulte des trois derniers de ces textes que l’ordonnance du président de chambre, statuant sur la recevabilité de la déclaration de saisine après renvoi de cassation, n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée.
- Pour déclarer irrecevable la déclaration de saisine du 12 septembre 2018, l’arrêt retient que par une ordonnance du 26 septembre 2018, qui n’a pas été déférée à la cour d’appel, le président de chambre a déclaré irrecevable la déclaration de saisine du 14 octobre 2015, sans que le syndicat des copropriétaires ne se prévale de sa régularisation, de sorte qu’il a été conféré force de chose jugée au jugement du 3 avril 2012.
- En statuant ainsi, alors que l’ordonnance du président de chambre du 12 septembre 2018 n’ayant pas autorité de la chose jugée, l’irrégularité de la première déclaration de saisine, constituant une fin de non-recevoir, pouvait être régularisée par une nouvelle déclaration de saisine régulièrement formée, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Comment comprendre une telle décision ? Certes l’arrêt du 9 septembre 2021 limite les pouvoirs du président de chambre. Mais néanmoins lorsqu’il rend une décision, celle-ci trouve sa place dans l’ordre juridique. La Cour de cassation vise les articles
- 126 CPC, relatif aux fins de non-recevoir,
- 775 CPC selon lequel la procédure est écrite sauf disposition contraire,
- 907 CPC qui dispose que à moins qu’il ne soit fait application de l’article 905, l’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 780 à 807 et sous réserve des dispositions qui suivent, 914 relatif aux pouvoir du conseiller de la mis en état et
- 916 qui détermine les recours ouverts contre les ordonnances de ce magistrat.

Elle ne se place donc pas sur le terrain des article 480 du code de procédure civile et 1355 du code civil relatifs à l’autorité de chose jugée tout en en affirmant que la décision du président est privée d’une telle autorité.
Mais en ce cas, quelle est la nature de décision du président ? Il ne peut s’agit d’une simple mesure d’administration judiciaire puisque l’ordonnance qui déclare une déclaration de saisine irrecevable a pour effet de mettre fin à l’instance.

L’autorité de chose jugée n’est pas d’abord une notion de procédure, il s’agit d’une notion de droit civil. Elle est définie par le code civil et spécialement par l’article 1355 du code civil selon lequel l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. Ce texte est placé dans le titre IV bis du code civil intitulé « De la preuve des obligations ». l’autorité de chose jugée est avant tout un mode de preuve d’une obligation et non moyen de procédure.

Certes l’article 480 CPC envisage également la chose jugée mais au regard de sa date d’effet : le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche.

C’est d’ailleurs au visa de ces deux textes, l’article 1355 étant alors l’article 1351 que la cour de cassation dans un arrêt du 3 septembre 2015 avait cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui avait déclaré irrecevable un appel précédemment déclaré recevable par une décision du conseiller de la mise en état qui n’avait pas été déférée à la Cour. La cour d’appel avait estimé que l’autorité de la chose jugée attachée à certaines décisions du conseiller de la mise en état ne prive pas de l’exercice d’une voie de recours, laquelle est d’ailleurs expressément prévue par l’article 916 du code de procédure civile et la cour de cassation avait reproché à la cour d’appel d’avoir méconnu l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du conseiller de la mise en état qui ne lui avait pas été déférée dans les quinze jours de son prononcé.

Faut-il comprendre que relativement à un décision judiciaire rendue en matière de procédure, l’autorité de chose jugée d’une décision dépendrait de l’existence d’un recours ? Puisque le président de chambre n’a pas de pouvoir de déclarer irrecevable une déclaration de saisine, aucun recours n’est prévu contre l’ordonnance du président de chambre qui juge irrecevable la déclaration de saisine et cette ordonnance n’aurait donc aucune autorité. Une telle interprétation serait contraire à la définition donnée par le code civil. L’autorité de chose jugée s’attache à l’existence d’un jugement contentieux et il a été jugé (Civ 2ème 8 juin 1967) que l’incompétence dont peut être entachée une décision judiciaire ne saurait faire obstacle à ce que cette décision acquière l’autorité de la chose jugée si elle n’a point été attaquée par les voies de recours.

La rédaction du dernier alinéa de l’article 1037-1 peut semer la confusion lorsqu’il dit que les ordonnances du président de la chambre ou du magistrat désigné par le premier président statuant sur la caducité de la déclaration de saisine de la cour de renvoi ou sur l’irrecevabilité des conclusions de l’intervenant forcé ou volontaire ont autorité de la chose jugée et qu’elles peuvent être déférées dans les conditions des alinéas 2 et 4 de l’article 916.

Mais d’une part si ce texte confère autorité de chose jugée à certaines décisions, il ne peut avoir pour effet de la retirer à d’autres puisque l’existence de la chose jugée dépend de la volonté du pouvoir législatif et non de celle du pouvoir réglementaire.

Et d’autre part puisque un recours est ouvert par l’article 1037-1 contre les ordonnance du président de chambre statuant dans les limites de ses attributions, on conçoit mal que le recours puisse être fermé lorsque l’ordonnance est rendue dans le cadre d’un excès de pouvoir : la cour de cassation a jugé qu’en cas d’excès de pouvoir, il est dérogé à toute règle interdisant limitant ou différant un recours (Civ 1ère 28 novembre 2018 n° de pourvoi 17-17.536 publié au bulletin). Par conséquent même si l’on admet que la voie du déféré est fermée, celle du recours nullité pour excès de pouvoir resterait ouvert.

Mais il n’est sans doute même pas nécessaire de se rattacher à la procédure prétorienne du recours nullité puisque l’article 1037-1 fait expressément référence à l’article 916 alinéa 2 selon lequel les ordonnance du conseiller de la mise ne état peuvent être déférées par requête à la cour dans les quinze jours de leur date lorsqu’elles ont pour effet de mettre fin à l’instance, lorsqu’elles constatent son extinction ou lorsqu’elles ont trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps. Une décision qui constate l’irrecevabilité d’une déclaration de saisine met fin à l’instance et devrait donc pouvoir être déférée.

Enfin, la décision du président de chambre aussi irrégulière qu’elle ait pu être existait. Certes la cour d’appel aurait peut-être du préciser que la décision déclarant irrecevable une première déclaration de saisine n’avait pas autorité de chose jugée relativement à la question recevabilité de la seconde déclaration de saisine mais cette imprécision ne pouvait avoir pour effet de rendre inexistante la décision du président de chambre.

A défaut, si cette première décision est considérée comme inexistante, la première procédure résultant de la déclaration de saisine irrégulière en la forme ne serait pas terminée et dès lors la seconde déclaration de saisine pourrait être considérée comme irrecevable puisque la cour de cassation juge qu’il résulte de l’article 546 du code de procédure civile que lorsque la cour d’appel est régulièrement saisie par une première déclaration d’appel dont la caducité n’a pas été constatée, est irrecevable le second appel, faute d’intérêt pour son auteur à interjeter un appel dirigé contre le même jugement entre les mêmes partie (Civ 2ème 30 septembre 2021 n° de pourvoi 19-23.423), elle peut juger de la même façon que la seconde déclaration de saisine faite alors que la première existe encore est irrecevable.

La cour de cassation statue au cas par cas et faute de fil directeur, il est bien difficile de s’y retrouver. Celui qui saisit le président de chambre pend le risque d’une condamnation à une indemnité au titre de l’article 700 CPC. Celui qui ne le saisit pas prend le risque de voir la cour d’appel lui dire que la question relevait de la compétence exclusive du président de chambre…Le second risque est probablement plus grave que le premier de sorte que dans le doute il peut être préférable de le saisir.

Vincent Mosquet Avocat LEXAVOUE NORMANDIE www.lexavoue.com