Village de la Justice www.village-justice.com

Le nouvel article 175 du Code de procédure pénale : de la fausse vertu. Par Clément Bossis, Avocat.
Parution : vendredi 1er avril 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/nouvel-article-175-code-procedure-penale-fausse-vertu,42188.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Derrière la volonté affichée par le législateur de parer - en partie - aux lenteurs de l’instruction préparatoire, l’analyse du texte éclaire surtout la mise en place d’un mécanisme inutilement complexe, dont le seul effet certain est de priver les parties de discussion à la fin de l’information.

Dès son entrée en vigueur, la nouvelle mouture de l’article 175 du Code de procédure pénale issue de la loi de programmation et de réforme pour la justice promulguée le 23 mars 2019 a suscité de vives réactions. Il est surtout reproché au législateur d’avoir conditionné l’exercice des droits des parties en fin d’instruction [1] à l’accomplissement d’une formalité, le dépôt d’une déclaration préalable auprès du greffe de l’instruction [2] par laquelle elles indiquent leur volonté d’exercer ces droits. A défaut, les parties sont forcloses, par exemple, à présenter des demandes d’actes ou à faire valoir leurs arguments dans le cadre du règlement contradictoire de l’affaire. Alors, un droit n’en est plus un si la volonté de l’exercer n’est pas exprimée. C’est la regrettable innovation du texte.

I. Une ambition trahie par la lettre du texte.

A l’initiative du projet, le Gouvernement poursuivait pourtant l’objectif vertueux du raccourcissement de la durée des instructions préparatoires. Lors des débats parlementaires, Madame la Garde des sceaux Nicole Belloubet expliquait en ce sens que :

« le projet vise simplement à ce que le mécanisme du règlement contradictoire ne soit mis en œuvre que dans les procédures pour lesquelles les parties elles-mêmes considèrent qu’il présente un intérêt ».

La position du Gouvernement, telle qu’elle résulte des débats ayant précédé l’examen du projet de loi par le Conseil Constitutionnel est plus explicite :

« dans un souci de simplification et de rationalisation de délais que, fréquemment, les parties n’utilisent en pratique pas mais qui n’en retardent pas moins la clôture, les I et II de l’article 56 modifient les articles 84-1 et 175 du Code de procédure pénale pour prévoir que le règlement ne sera contradictoire que pour autant que les parties auront fait connaître, dans les quinze jours suivant tout interrogatoire ou audition réalisés au cours de l’instruction, ou dans les quinze jours de l’envoi de l’avis de fin d’information, qu’elles entendent présenter des observations écrites, formuler des demandes d’actes ou présenter des requêtes en annulation ».

Les parties se voient donc offrir différentes fenêtres de tirs pour faire connaître leur intention au magistrat instructeur. A défaut, leur déclaration n’est plus recevable, ce qui pose la question de l’intelligibilité de la sanction quand le choix du législateur de créer une seule période pour se déclarer comprise entre la mise en examen et 15 jours après l’avis de fin d’information aurait clarifié la lettre du texte sans pour autant restreindre le bénéfice attendu du nouveau dispositif. Au contraire, la création de plusieurs périodes qui naissent soit des interrogatoires ou auditions des parties, soit de l’avis de fin d’information, est source de confusion chez de nombreux praticiens (magistrats et avocats confondus) auxquels ces délais se présentent maladroitement comme des points d’étapes obligatoires pour faire valoir les droits ouverts aux parties en cours d’instruction, et non uniquement en fin d’instruction.

A ce titre, le Président d’une chambre de l’instruction a récemment rendu une ordonnance d’irrecevabilité d’une requête en nullité d’actes antérieurs à la mise en examen au motif que, « contrairement aux prescriptions de l’article 175 », l’avocat n’avait pas déclaré son intention de les remettre en cause dans les quinze jours de la mise en examen. Interprétation erronée du texte d’autant plus dommageable que l’ordonnance en question est insusceptible de recours en application de l’article 173, alinéa 5, du Code de procédure pénale (exception faite du recours en excès de pouvoir dont la mise en œuvre dépend, comme tout pourvoi, de l’état des finances du justiciable et de sa confiance vacillante dans l’institution).

Le décret d’application à la rescousse.

La décision précédemment évoquée était encore contestable en ce qu’elle méconnaissait l’article D. 40-1-1 du Code de procédure pénale, issu du décret n°2019-508 du 24 mai 2019 aux termes duquel il est prévu que « si une partie a demandé d’exercer l’un ou plusieurs des droits prévus aux IV et VI de l’article 175, les dispositions concernées des IV et VI de cet article sont applicables à l’ensemble des parties ». Autrement dit, si une partie, sans distinction entre les personnes mises en examen et les victimes, déclare son intention de faire valoir les droits prévus à l’article 175 IV et VI du Code de procédure pénale, cette déclaration a un effet positif pour l’ensemble des autres parties, alors exemptées de procéder à une telle déclaration. C’était le cas en l’espèce.

Cette disposition règlementaire illustre l’esprit du nouvel article 175 du Code de procédure pénale, qui permet seulement au juge d’instruction, à défaut de déclaration d’intention, de rendre son ordonnance de règlement dans des délais plus courts. Au contraire, dès lors qu’une partie déclare sa volonté d’exercer ses droits, la clôture de l’information se trouve mécaniquement allongée des délais laissés à cette partie pour les faire valoir et l’objectif assigné au nouvel article 175 - le raccourcissement des délais de l’instruction en cas d’inaction des parties - ne peut plus être atteint. Cela explique que toutes les parties se retrouvent alors en capacité d’exercer les droits qu’elles possédaient déjà avant la réforme de 2019 et dont cette dernière n’a jamais entendu les priver.

La rédaction peu amène de ce texte rend incertaine son application, au regard notamment du mécanisme des purges intermédiaires des nullités de l’article 173-1 du Code de procédure pénale. Ainsi, pour éviter de se voir retirer le droit acquis au fil de l’instruction de contester les actes de l’enquête dans les 6 mois qui suivent l’interrogatoire de première comparution ou tout autre interrogatoire et audition, il sera prudent de déclarer son intention dans les 15 jours de la notification de l’avis en question.

II. Une tempête dans un verre d’eau.

Par-delà ces vicissitudes, le mécanisme du nouvel article 175 se révèle surtout inepte, pour au moins deux raisons. D’une part, il oblige les parties à déclarer leur intention de faire valoir des droits dont elles ne savent pas encore s’ils leur seront nécessaires à faire entendre leur vérité, l’instruction n’étant pas terminée, faisant ici appel aux capacités prédictives des parties qui, tout en étant régulièrement maintenues dans l’ignorance des actes à diligenter, doivent déclarer au magistrat instructeur qu’elles en contesteront sûrement la validité.

Elles ont donc pris l’habitude de se déclarer dans toutes les procédures, quitte à ne pas exercer les droits sollicités. D’autre part, le dispositif créé une charge de travail supplémentaire pour les greffes (cotation des déclarations) et les magistrats (contrôle de leur recevabilité) là où la réforme critiquée était censée la réduire.

Par suite, l’imposition de cette contrainte inutile aux parties questionne sur l’intention véritable du Gouvernement, qui, sous couvert de s’attaquer aux lenteurs de l’instruction, sanctionnées par la CEDH et déplorées par 95% des justiciables, restreint les possibilités d’intervention des parties lors d’une étape procédurale dont la confrontation des arguments à charge et à décharge est pourtant la raison d’être.

Cette interrogation est aussi renforcée par le faible gain de temps obtenu à défaut de déclaration d’intention, soit un raccourcissement de 15 jours à 1 mois sur la durée totale de l’instruction selon qu’au moins un des mis en examen a été ou non placé en détention provisoire. Maigre résultat. A plus forte raison dans un pays où la durée moyenne des instructions préparatoires est de 31 mois et où le ministère public continue de pouvoir, même après cette réforme, prendre des réquisitoires définitifs hors-délai sans risque d’irrecevabilité et sans avoir, quant à lui, à déclarer son intention de le faire.

C’est le tour de force d’un texte qui, tout en échouant à atteindre le but annoncé, nourrit le débat de l’application contrariée du principe d’égalité des armes dans notre système judiciaire et donne ainsi un écho aux récentes déclarations de l’ancien magistrat Renaud Van Ruymbeke rappelant qu’au « cours des dernières années, les moyens des parquets ont beaucoup plus progressé que les droits de la défense ». Il est difficile de le contredire.

Clément Bossis Droit pénal et Contentieux Fiscal Avocat au Barreau de Paris 16, quai des Célestins, 75004 Paris [->bossis.clement@gmail.com]

[1Codifiés à l’article 175 IV et VI du Code de procédure pénale.

[2Selon les modalités prévues par l’article 81.