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[Côte d’Ivoire] Créanciers récalcitrants et pouvoirs juridictionnels prévus par l’article 15 de l’AUPC. Par Boubacar Seyni Sidikou, Docteur en Droit.
Parution : lundi 4 juillet 2022
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Selon la Cour d’appel de commerce d’Abidjan, le concordat préventif homologué ne peut être opposé aux créanciers récalcitrants par la juridiction compétente que s’il comporte seulement un délai de paiement n’excédant pas deux ans. En dehors de ce cas, le concordat ne peut être opposé à un créancier récalcitrant dont la créance n’est pas prise en compte dans la décision d’homologation ce, même s’il n’a pas manifesté son opposition à ladite homologation [1].

Une juridiction peut-elle rendre opposable des délais de paiement excédant plus de deux ans à un créancier récalcitrant dont la créance n’a pas été prise en compte dans la décision homologuant le concordat préventif et qui ne s’est pas opposé à ladite homologation ? La Cour d’appel de commerce d’Abidjan a, dans un arrêt du 21 octobre 2021, répondu par la négative.

En l’espèce, un créancier a refusé d’accorder à son débiteur porteur d’un projet de concordat, tout délai de paiement et toute remise de dette. Cependant, ce refus n’a pas empêché le débiteur de solliciter l’homologation de son projet puisqu’il bénéficie du soutien des autres créanciers. Le Tribunal de commerce d’Abidjan, qui est la juridiction compétente, a par jugement n° 0633/2021 du 18 mars 2021, fait droit à la demande du débiteur puis a rendu le concordat homologué opposable à tous les créanciers au motif qu’aucun créancier ne s’est opposé à ladite homologation [2].

Le créancier récalcitrant a interjeté appel contre ce jugement en sollicitant son infirmation auprès de la Cour d’appel de commerce d’Abidjan pour violation de l’article 15 de l’AUPC.

Selon l’alinéa 5 de ce texte,

« Si malgré les bons offices du président, les parties ne parviennent pas à trouver un accord et dans le cas où le concordant préventif comporte seulement une demande de délai n’excédant pas deux (02) ans, la juridiction compétente peut rendre ce délai opposable aux créanciers qui ont refusé tout délai et toute remise sauf si ce délai met en péril l’entreprise de ces créanciers ».

Dans le cas d’espèce, le concordat homologué prévoit un délai de trois ans ; d’où selon le créancier récalcitrant, la violation du corps du texte susmentionné.

Il prétend également devant la cour d’appel que sa créance n’a pas été répertoriée dans la décision homologuant le concordat alors qu’il a adressé au syndic, par écrit, son refus d’accorder tout délai de paiement et toute remise.

La cour d’appel de commerce a fait droit à la demande de l’appelant et infirme ainsi le jugement du 1er degré au motif qu’il viole les dispositions de l’article 15 de l’AUPC. Elle ajoute également que l’absence de prise en compte d’une créance dans la décision homologuant le concordat préventif fait en sorte que son titulaire ne soit pas concerné par ladite décision. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet arrêt.

1. Tout d’abord, une juridiction compétente ne peut user de ses pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 15 de l’AUPC-2015 pour imposer des délais de paiements aux créanciers récalcitrants que si, le concordat préventif comporte seulement une demande de délai de paiement n’excédant pas deux ans et que cela ne mette pas en péril leur entreprise [3].

Certes, la solution existait déjà sous l’empire de l’AUPC originel du 10 avril 1998 [4], mais il convient de souligner qu’elle rappelle aux débiteurs, l’intérêt de présenter, dans leur projet de concordat, une demande de délai uniforme n’excédant pas deux ans afin que la juridiction compétente puisse, lorsque cela est nécessaire, l’imposer à tous les créanciers antérieurs fussent-ils des récalcitrants.

Ce délai uniforme de deux ans apparaît simple à proposer d’autant plus que l’écart entre les délais qui peuvent être consentis - art. 15 al 2, AUPC - et ceux susceptibles d’être imposés, est d’un an. Le débiteur qui ne propose pas un tel délai, pourrait être soupçonné de complicité ayant pour but de permettre aux créanciers récalcitrants de procéder au recouvrement de leurs créances puisqu’ils échappent ainsi aux effets produits par le concordat homologué.

À titre comparatif, en droit français, le tribunal compétent peut également imposer des délais aux créanciers récalcitrants, conformément à l’article L626-18, al 5 du Code de commerce. En outre, contrairement à l’article 15 de l’AUPC, l’article L 626-18, al 6 du Code de commerce prévoit que ces délais ne peuvent dépasser la durée du plan ; laquelle durée est, selon l’article L 626-12 du même code, de dix ans ou quinze ans si le débiteur exerce une activité agricole [5].

Il faut en déduire que, en droit français, la juridiction compétente peut imposer aux créanciers récalcitrants des délais de paiement dont la durée peut être égale à celle légalement prévue pour l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement, ce qui n’est pas le cas en droit OHADA où la juridiction ne peut imposer que des délais inférieurs - maximum deux ans - à la durée légale - trois ans - du concordat préventif.

2. Le deuxième enseignement est que, si une créance régulièrement produite au passif d’un débiteur ne figure pas sur la décision homologuant le concordat préventif, son titulaire n’est pas tenu par le contenu de celui-ci. La solution n’est pas nouvelle puisqu’il a déjà été jugé que les délais et remises consentis ou imposés par la juridiction compétente ne sont pas opposables à un créancier dont la créance ne figure ni dans la requête, ni dans le concordat [6].

Cependant, le maintien de cette solution pourrait contraster avec l’esprit de l’article 18 de l’AUPC-2015 qui, tend à rendre le concordat opposable à tous les créanciers antérieurs à la décision d’ouverture du règlement préventif. Pourtant, dans le cas d’espèce, la cour d’appel a bien constaté dans son arrêt que le créancier récalcitrant à produit sa créance au passif.

Cette solution conduit à un clivage consistant à distinguer créanciers antérieurs récalcitrants dont les créances ne sont pas prises en compte dans la décision homologuant le concordat et créanciers antérieurs qui ont consentis des délais et dont les créances y sont prises en compte - ils sont donc parties au concordat -.

Les premiers peuvent poursuivre le recouvrement de leurs créances tandis que les seconds sont tenus par les effets du concordat. Il y a par conséquent, une rupture du principe d’égalité entre créanciers antérieurs. Au demeurant, on peut se poser la question de savoir si ces créanciers antérieurs victimes de cette inégalité pourraient agir contre l’expert au règlement préventif. Dans l’affirmatif, cela élargirait le périmètre de sa responsabilité.

3. Enfin, cet arrêt révèle la position tendancieuse et automatique de certaines cours d’appel [7] par rapport au sort réservé aux créances non évoquées dans le concordat.

Laquelle position se caractérise par l’inopposabilité du concordat à un créancier dont la créance n’a pas été prise en compte dans la décision d’homologation.

Cette inopposabilité est-elle conditionnée uniquement par la simple absence constatée de la créance sur la décision ? Ou il faut ajouter à cela le refus par un créancier d’accorder tout délai de paiement et que le projet de concordat qui lui est proposé prévoit un délai de paiement excédant plus de deux ans, ce qui ferait obstacle à ce que la juridiction compétente puisse le lui imposer ?

Les arrêts précités ne permettent pas de répondre directement à ces questions. Cependant, on pourrait soutenir que la simple absence d’une créance sur la décision homologuant le concordat ne devrait pas constituer l’unique condition de son inopposabilité au titulaire de ladite créance. En effet, l’article 21 de l’AUPC permet à tout débiteur avec le concours du syndic, de solliciter la modification du concordat afin de favoriser son exécution. Ce dispositif devrait pouvoir être utilisé pour aboutir à la prise en compte de la créance absente. A défaut d’une telle possibilité, cette inopposabilité apparaîtrait comme une forme de sanction infligée aux débiteurs par les juridictions du second degré, pour omission ; ce que ne prévoit pas expressément AUPC révisé 2015.

L’absence d’une créance sur la décision homologuant un concordat pouvant en principe être rectifiée, il s’ensuit qu’elle n’est pas l’unique condition pour le déclarer inopposable à un créancier récalcitrant. Il faut de surcroît, à notre avis, que ce dernier ait refusé l’octroi de tout délai de paiement et que la juridiction compétente soit incapable de le lui imposer.

Cette incapacité est, en application de l’article 15 de l’AUPC, manifeste dès lors que le concordat préventif comporte une demande de délai de paiement excédant deux ans.

Boubacar Seyni Sidikou, Docteur en droit privé

[1CA com Abidjan, 1re ch., 21 octobre 2021, RG n° 418/2021, Sté Tropicale Transit Internationale c/ Omenem Holding LTD ; Docteur Komoin François, Premier Président de la Cour d’Appel de Commerce d’Abidjan.

[2Pourtant, sous l’empire de l’AUPC originel du 10 avril 1998, il a été jugé que le concordat préventif, pour être opposable à un créancier récalcitrant, doit, hormis le fait de n’être constitué que par des délais de paiement n’excédant pas deux ans, être également déclaré opposable à tous les créanciers par la décision d’homologation. En ce sens, CA Abidjan, 1er décembre 2000, arrêt n° 1054 du 1er décembre. Ohadata J-03-76.

[3E. Serge Kokou, Le concordat préventif en droit ohada, thèse universités de Lomé et de Paris-Est Val-de-Marne, 2012, p. 64 ; R. Akono Adam, « Côte d’ivoire : l’inopposabilité du concordat préventif au créancier non partie », LEDAF 1er juin 2022, n° DAA200X1.

[4AUPC originel adopté le 10 avril 1998 à Libreville (Gabon).

[5C. Leguevaques, « L’égalité des créanciers dans les procédures collectives : flux et reflux », Gaz. Pal. 27-29 janvier 2002. Doctr. 18 ; P-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 10e éd., Dalloz, 2019-2020, p.28. p. 1339.

[6CA Dakar, ch. civ. ert com., 18 février 2011, arrêt n° 154 cité dans Ohada Traité et actes uniformes annotés, Juriscope, 2016, p. 1182.

[7Ibid - CA com Abidjan, 1re ch., 21 octobre 2021, RG n° 418/202, www. courd’appelabidjan. org