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[Mali] Le pluralisme juridique en matière successorale : la posture peu fructueuse du législateur. Par Tiemamba Baba Coulibaly, Étudiant.
Parution : mercredi 31 août 2022
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Regard croisé sur la posture passive du législateur malien face à l’impossible unification juridique de la matière successorale, soldée par un échec qu’il tente de dissoudre pour cause de consolidation, truffée de fractures en termes de protection des droits et d’égalité par reconnaissance du droit traditionnel bien perforé à travers les lignes de l’article 751 de la loi n° 2011-087 du 30 décembre 2011 portant Code des Personnes et de la Famille.

Il est de coutume d’entendre que la vie en société est régie de normes de conduite dont la violation provoque des sanctions. Une bonne organisation dans la sphère sociale dont les règles de fonctionnement demeurent assignées à une puissance neutre. Or, les chants de l’indépendance riment bien avec ceux des coutumes et religions ancestrales, une panoplie de règles propres à chaque couche sociale, une dénotation de coexistence, des deux normes, projetée par le législateur malien au sens des dispositions de l’alinéa premier de l’article 751 du Code des Personnes et de la Famille du 30 décembre 2011 en ces termes : « L’héritage est dévolu selon les règles du droit religieux, coutumier ou selon les dispositions du présent livre » d’où un choix bien affiché laissé aux ayants droit du de cujus concrétisé par un pluralisme juridique.

Ainsi, il convient de définir le pluralisme comme une constatation selon laquelle « la diversité a envahi le milieu juridique » au regard du sens donné par le doyen Jean Carbonnier dans son œuvre « Flexible droit » [1] et la succession comme « la transmission légale ou testamentaire à une ou plusieurs personnes vivantes, le patrimoine laissé par une personne décédée » [2]. Et selon le Professeur Mamadou Bakaye Dembele dans son œuvre « L’échec d’une construction légale du droit des successions au Mali », l’Harmattan [3], « la succession est un mécanisme juridique qui opère le transfert du patrimoine d’une personne décédée à une autre personne qui lui survit ».

Cependant, le droit d’option admis par le législateur pour la dévolution successorale ne s’applique que dans la mesure où le du cujus n’aurait pas antérieurement matérialisé sa volonté de partage et qu’il suit suivant les constatations courant son vivant, de ses croyance ou coutume ou comportement, tombant sous la coupe de la succession ab intestat sur laquelle portera cette étude.

Le bénéfice de cette étude s’apprécie dans son intérêt tant théorique que pratique. Sous les feux des piques contre toute unification normative de la matière successorale par un code unique régissant une panoplie de couches sociales diverses dans les coutumes, il ressort que le législateur semble jouer à l’arbitre par sa passivité tant dans la consécration d’un arsenal juridique général. Ainsi, il a échoué au regard de certains critiques en occurrence, l’œuvre du Professeur Mamadou Bakaye Dembele « L’échec d’une construction légale du droit des successions au Mali » par laquelle il expose, de prime abord, une prudence de celui-ci caractéristique d’un syncrétisme dans l’optique d’éviter des tensions sociales et d’autre part, de laisser entièrement une situation sensible.

Comparativement à son homologue sénégalais, soucieux de consolider la nation et d’assurer le développement du pays, il élabora un Code de la famille moderne applicable à tous les citoyens, la filigrane de ménager les sensibilités et croyances de chacun en raison des diversités sociales incompatibles avec l’unification par l’organisation de différents régimes juridiques, au travers des analyses du Dr Amsatou Sowsidibe dans sa thèse de doctorat « Le pluralisme juridique en droit sénégalais des successions ab intestat » [4]. Le pluralisme juridique s’affiche par la mise en parallèle de deux ou plusieurs régimes juridiques différents pour résoudre un même problème. Ainsi, le problème commun demeure une existence ancestrale de règles régissant la dévolution sur fondement des coutumes propres auxquelles les sujets sont fortement attachés malgré l’esprit de modernité adopté.

Sous le seuil de la laïcité, le législateur s’afficha comme conciliateur que régulateur en proposant plutôt qu’en imposant, un ordre jugeable ordonné de régimes, afin d’éviter toute marginalisation ne serait-ce qu’au travers de l’alinéa premier de l’article 751 du Code des Personnes et de la Famille du 30 décembre 2011 en ces termes : « L’héritage est dévolu selon les règles du droit religieux, coutumier ou selon les dispositions du présent livre ».

De ce fait, il est loisible de savoir :
- Quels sont les différents statuts successoraux prévus par le législateur ?
- Existe-t-il une hiérarchie entre les différents régimes successoraux consacrée ?

Suivant cet ordre d’idées, la lecture de l’alinéa premier dudit article implique de s’intéresser aux modes de dévolution successorale (I), en premier lieu et suivant l’ordre textuel, l’état pyramidal des modes retenus (II), en second lieu.

I. Les modes de dévolution successorales retenus par le législateur.

L’idée de neutralité exige de la consécration des régimes successoraux en tenant compte des pratiques ancestrales de chaque couche sociale. Ainsi, il ressort de l’alinéa premier de l’article 751 du Code des Personnes et de la Famille du 30 décembre 2011 une ligne de régimes, d’une part, afférents aux droits traditionnel et moderne, d’autre part. De ce fait, les règles du droit religieux régissent la dévolution du de cujus dont l’appartenance est avérée, ipso facto, ou qui, par manifestation expresse, l’aurait voulu, s’apprécie en premier lieu.

Ainsi, affirme un attendu de principe de la Cour suprême du Mali dans son arrêt de cassation du 19 septembre 2016 selon lequel il ne saurait être fait application de deux régimes successoraux cumulatifs à une même succession et que toute règle contraire à celle voulue du cujus est réputée non applicable. Si dans législations voisines les règles coutumières demeurent non reconnues par le droit positif, le législateur malien légalise toutes les pratiques coutumières dans le domaine successoral peu importe leur conformité avec la constitution.

Ce qui ne reste sans conséquences, qu’il semble non bien apprécier, dans la mesure où certaines règles coutumières en matière de transmission des biens du de cujus semblent plus discriminatoires, contrevenant à l’esprit d’égalité, de droits de tous incarnés par la Loi fondamentale. Fondées sur les conditions d’existence de la coutume, les règles reconnues par le législateur pourraient être raisonnables tant du coté d’attachement ancestral à leur pratique, que certains incarnent et élément d’association profonde des sujets, leur méconnaissance ne serait qu’infructueuse dans la conquête de la paix sociale, dans un milieu majoritairement dominé de coutumes ancrées et de différence de croyances pour ne guère prioriser une religion sur une coutume.

En étude continue, il convient de s’intéresser à l’aspect de la volonté manifeste autrement du de cujus de sujette d’interprétations peut être comprise comme la disposition par celui-ci, au préalable, que la dévolution s’effectue hormis les règles de présomption de croyance, un élément de détermination souple de la volonté du de cujus sans pour autant adopter les faces du testament. Des possibles interprétations, il se pourrait qu’il s’agisse d’une possibilité tacite pour celui-ci appartenant à une couleur religieuse ou coutumière et qui ne voudrait guère voir sa dévolution successorale régie de ses règles.

Et enfin, une dévolution successorale sous la coupe des règles du droit moderne dominatrices des dispositions normatives applicables en l’absence de volonté expressément ou appartenance religieuse ou coutumière constatée, au sens de l’alinéa deux de l’article 751 du Code des Personnes et de la Famille du 30 décembre 2011. Le dernier recours, est-ce la touche de marque de la présence du législateur ?

Il découle, en tout état de cause, le dernier ressort auquel sont finalement jugés les cas d’espèce empruntant la voie du modernisme juridique. Au regard des modes de dévolution successorale étayés, l’instinct suscite des analyses sur leur ordre d’arrivée caractéristique d’une hiérarchisation en termes d’option, qu’il implique d’étudier.

II. La conception pyramidale des régimes successoraux au regard des dispositions législatives et positions judiciaires.

Lire une disposition commence de la première à la dernière lettre, pour sa compréhension, celle de répression s’entame par les principales peines en ordre décroissant pour situer au fond, celle mineure. Suivant ce raisonnement qui demeure un modèle-type du législateur, il convient de s’intéresser, suivant cette logique, à la disposition texturale de l’alinéa premier de l’article 751 du Code des Personnes et de la Famille du 30 décembre 2011 disposant en termes : « L’héritage est dévolu selon les règles du droit religieux, coutumier ou selon les dispositions du présent livre ».

Un ordre ligné de régimes, les uns issus du droit traditionnel et un seul autre déterminant la voix du législateur, ne serait-ce possible d’offrir aux sujets, sans débats sur le fond pour dévolution successorale sur régime imposable, une issue bien échappatoire pour celui-ci en raison des feux ayant animé ancestralement courant la gestation du Code, pourtant débutée de l’idée d’unification globale de la matière. Or, la majorité des couches sociales vivant, suivant des croyances diverses, cette politique ne saurait que semer une instabilité séparatrice, non moins vocation de disposition de l’occupant de l’hémicycle.

Ce qui ne reste pas sans conséquences, au regard de la position virulente du juge de cassation dans son arrêt de cassation du 19 septembre 2016, dans une affaire de partage de masse successorale entamée par les dispositions religieuses dont les demandeurs souhaiteraient cumulativement l’intervention de celles du présent code, qu’il inculqua qu’il ne saurait être appliqué une autre règle de dévolution consécutivement à une règle déjà en cours, une sorte d’impuissance du droit commun face à celui traditionnel selon les interprétations sur la hiérarchie des norme de Kelsen laisse planer un doute sur une décroissance de supériorité.

En somme, le pari, en vue d’une stabilité et consolidation nationales, semble à la faveur du législateur par un droit d’option proposé. Cependant, ne serait-ce qu’une mainmise sur certaines incompatibilités puisque toutes les coutumes ne répondent forcément pas aux exigences de protection des droits et d’égalité, certes, une admission condamnable.

Ce qui mène à réfléchir si la législation malienne offre un exemple de pluralisme juridique car ayant institué « un syncrétisme juridique » en matière familiale, elle se fonde sur des règles à la fois du droit traditionnel et du système romano-germanique selon les analyses du Dr Amsatou Sow-Sidibe dans sa thèse de doctorat « Le pluralisme juridique en droit sénégalais des successions ab intestat » [5].

Tiemamba Baba Coulibaly Juriste en Droit privé et Consultant en Management environnemental.

[1L.G.D.J, Paris, 3è édition, 1983, page 16.

[2Dictionnaire juridique de Gerard Cornu, Quadrige, Paris, 12 -ème édition, 2018, page 2102.

[3Paris, 2021, page 18.

[4Pages 4, 8 et 9.

[5Page 16.