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Le courtage aux enchères à l’épreuve d’internet. Par Ahmed Benattou.
Parution : mardi 15 novembre 2022
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A raison de la dimension transfrontalière des enchères électroniques, « les juges français ont considéré que l’Internet, pour les besoins de l’organisation et de la réalisation de la vente aux enchères, est une vaste salle de vente modulable et extensible à l’infini ». Autrement dit, les enchères sur Internet peuvent avoir lieu non seulement dans une seule ville, mais également dans tout un pays voire dans le monde entier.

Aujourd’hui à l’époque où les ventes en ligne se multiplient, il est devenu impératif pour les internautes de connaitre leurs droits et obligations. Seulement, la prolifération de ce commerce attractif se fait dans la plus grande confusion, vu qu’il n’existe pas encore de réglementation adaptée.

Grâce à internet, l’internaute peut désormais acheter des biens et des services partout dans le monde, vu que cet espace virtuel n’est pas limité à un pays ou à une région. Toutefois, il est important de savoir si la vente de tel ou tel bien est légale, et s’il est légal de faire sortir tel ou tel objet du pays. La vente d’un bien suppose, à un moment donné de l’opération, le transfert de propriété d’une personne à l’autre. Ce transfert peut également être fait via des enchères publiques.

Il existe deux types d’enchères qui cohabitent en ligne et qu’il faut bien distinguer :

- D’une part, les enchères qui s’apparentent à des ventes se déroulant en ligne, donc caractérisées par l’absence d’une salle d’enchères, régies par la législation en vigueur en la matière.

- D’autre part, il y a les enchères qui ressemblent au courtage aux enchères ou bien celles qui se limitent simplement à un espace d’annonces, dans la mesure où le site ne joue aucun rôle dans la conclusion du contrat entre les parties. L’internaute se trouve donc impliqué dans un processus qui lui permet de conduire des négociations parallèles avec plusieurs vendeurs en compétition.

I- Le courtage aux enchères par voie électronique.

1- Définition du courtage en ligne.

L’opération de courtage est, selon le Code de commerce, un acte de commerce. Dans son article L131-1, il énumère les différentes catégories de courtiers, sans fournir une définition claire de ce qu’est le courtage. Ce dernier se distingue manifestement de la commission, étant donné que ce n’est pas une variété de mandat. En effet, le courtier ne conclut pas le contrat pour le compte d’un commettant. Sa mission consiste à rapprocher les deux parties, ici donneur d’ordre et cocontractant, en vue de la conclusion d’un contrat. Une fois le rapprochement fait, ce sont les parties elles-mêmes qui se chargent de la suite de l’opération. Quid du courtage en ligne ?

Le courtage en ligne est une opération commerciale qui permet à l’acheteur d’acheter un bien sans adjudications. Il est mis directement en relation avec le vendeur comme dans le cas d’un contrat de vente e-commerce. Dans ce cas, le vendeur reste libre de conclure la vente avec l’enchérisseur gagnant ou de chercher un autre enchérisseur, tandis que l’enchère traditionnelle nécessite l’intervention d’une tierce partie appelée commissaire-priseur. C’est ce qui ressort de l’article 5 de la loi du 21 juillet 2011 relative à la libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques qui dispose que :

« Les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique se caractérisant par l’absence d’adjudication au mieux-disant des enchérisseurs et d’intervention d’un tiers dans la description du bien et la conclusion de la vente ne constituent pas des ventes aux enchères publiques ».

La lourdeur logistique que nécessitent les enchères traditionnelles a joué en faveur de ces opérations commerciales, dites modernes, qui connaissent désormais une fluidité et un succès impressionnant grâce à Internet.

Le régime juridique du courtage aux enchères en ligne n’est pas fixé dans la loi du 10 juillet 2000. C’est pour cette raison que la chambre de commerce et d’industrie de région Paris (CCIP) prônait, dans son rapport du 6 juillet 2000, de prévoir cette nouvelle catégorie d’enchères dans le projet de loi sur la Société de l’Information, en y intégrant des dispositions relatives à la nature des sites de courtage aux enchères en ligne et à ses obligations.

2- Distinction entre courtage aux enchères par voie électronique et vente volontaire de biens mobiliers aux enchères publiques.

Conformément au Code de commerce tel que modifié et complété par la loi du 21 juillet 2011 susmentionnée, l’activité de vente volontaire de biens meubles aux enchères publiques par voie électronique diffère du courtage aux enchères. Dans la vente aux enchères, c’est la maison de vente, en sa qualité de mandataire, qui se charge de la transaction. Dans le courtage aux enchères, la personne qui vend est le vendeur qui apporte personnellement le lot, ce qui implique qu’il est l’unique responsable de celui-ci. Par contre, le courtier joue le rôle d’intermédiaire de vente, en étant dépourvu de mandat. La transaction s’opère en fin de compte, comme mentionné ci-dessus, entre le vendeur et l’acheteur.

Le Code de commerce, dans son article L320-2, définit la vente volontaire de biens meubles aux enchères publiques comme une vente

« [...] faisant intervenir un tiers, agissant comme mandataire du propriétaire ou de son représentant, pour proposer et adjuger un bien au mieux-disant des enchérisseurs à l’issue d’un procédé de mise en concurrence ouvert au public et transparent ».

Les ventes aux enchères publiques s’effectuent donc en présence d’un commissaire-priseur, soumis à une formation et à une déontologie. A la fin de l’opération, le vendeur cède son bien à l’enchérisseur le mieux-disant.

L’organisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques se fait par les opérateurs de ventes volontaires (OVV), seules personnes physiques ou morales habilitées par la loi à cet effet. Ces dernières doivent respecter certaines obligations déontologiques et professionnelles, notamment en faisant une déclaration préalable auprès du CVV et la souscription d’assurances destinée à garantir le compte.

Chez le consommateur, la distinction entre vente volontaire de biens mobiliers aux enchères publiques et courtage aux enchères par voie électronique n’est pas évidente. Ceci s’explique par le fait que certains opérateurs, notamment des sites de courtage aux enchères, optent pour une communication floue, en leur faisant croire qu’ils proposent des ventes volontaires aux enchères publiques. Cette confusion est d’autant plus dangereuse dans la mesure où le consommateur croit avoir réalisé une prestation grevée de garanties (enchère remportée par le mieux-disant, conclusion de la vente au prix de la dernière enchère, transfert de propriété spontané…), alors que ce n’est pas du tout le cas.

Par conséquent, le législateur a réagi, conformément aux dispositions de l’article L321-3 du Code de commerce, de façon à obliger les opérateurs de courtage aux enchères électroniques de ne pas entretenir de confusion entre la vente volontaire de meubles aux enchères publiques et le courtage aux enchères électroniques. En outre en cas de non-respect de cette obligation, il a grevé celle-ci de sanctions pécuniaires pouvant atteindre le double du prix des biens mis en vente et ce, dans la limite de 15 000 euros s’il s’agit d’une personne physique, et de 75 000 euros s’il s’agit d’une personne morale.

II- Les particularités du courtage aux enchères en ligne.

1- La nature et la responsabilité du site de courtage aux enchères.

N’intervenant que comme un intermédiaire, le site proposant des opérations de courtage aux enchères en ligne a un rôle très limité et ne pose aucune contrainte aux parties. Effectivement pendant les enchères, aucune obligation ne naît des opérations effectuées sur le site. Ce dernier ressemble beaucoup au site e-commerce C to C (consumer to consumer), dans la mesure où il n’est qu’une plateforme où se rencontrent le vendeur et l’enchérisseur.

Ce laxisme provient du fait que le courtage en ligne n’est pas prévu dans le Code de commerce et qu’il y est simplement évoqué.

D’une part, le vendeur s’inscrit sur le site et indique le prix du bien qu’il souhaite vendre tout en en proposant une description détaillée. D’autre part, l’enchérisseur s’inscrit et fait une proposition de prix pour le bien offert sur la plateforme. Acheteurs et vendeurs peuvent choisir de s’inscrire anonymement.

Le site de courtage aux enchères joue un rôle bien déterminé. En plus de mettre les deux parties en relation, il fixe le temps durant lequel le bien sera mis en enchère. Une fois le délai écoulé, le site relève les propositions d’achat jusque-là faites, et les communique au vendeur. A partir de cette étape, le rôle du site s’arrête, tandis que les parties peuvent choisir de contracter dans les conditions qu’elles souhaitent ou bien de renégocier le prix, sachant que les propositions faites initialement en aucun cas ne les engagent. Cependant, le transfert de propriété n’a pas lieu de façon systématique comme c’est le cas dans les enchères traditionnelles. En d’autres termes, le site de courtage ne garantit pas le bon déroulement de l’opération vu qu’il ne dispose d’aucune force contraignante à l’égard des parties.

Néanmoins, l’absence d’un régime juridique relatif au courtage aux enchères en ligne n’écarte pas le fait que le site proposant ce service puisse, dans certains cas, voir sa responsabilité engagée.

Permettant une diminution substantielle des frais de fonctionnement, rendue possible par une infrastructure souple nécessaire à la mise en place d’une opération de courtage aux enchères, le courtage en ligne pose quand même quelques problèmes d’ordre juridique.

Malgré les avantages qu’il présente, l’environnement dans lequel il se déroule donne la possibilité aux vendeurs de mauvaise foi de réaliser des gains d’argent importants, en profitant de la bonne foi des enchérisseurs. Ceux-ci peuvent également mettre en enchère des biens dont la vente est illicite ou contraire aux bonnes mœurs, vu qu’ils vendent, dans la plupart des cas, tout en demeurant anonymes.

Dans une affaire opposant deux associations françaises (Licra et UEJF), la société Yahoo a été condamnée par les juges français pour avoir proposé des objets nazis sur sa plateforme. La société a été condamnée

« à prendre des mesures de nature à dissuader et à rendre impossible toute consultation du service de vente aux enchères d’objets nazis et tout autre site ou service qui constitue une apologie du nazisme et une contestation des crimes nazis ».

En plus, la consultation de sites proposant des objets dont la vente est interdite en France, constitue une infraction pénale selon les juges français. La finalité de cette jurisprudence était d’éviter que des sites malintentionnés proposent la vente d’objets volés, illicites ou portant atteinte aux bonnes mœurs. Renvoyant l’affaire devant la justice américaine, Yahoo a vu sa demande d’invalider la décision française rejetée par la Cour d’appel californienne.

2- La vente aux enchères publiques en ligne, « le cas des biens culturels ».

La vente aux enchères publiques classique répond à des conditions strictes, commençant par l’interdiction de mettre en vente des marchandises neuves. Seules les objets d’occasion peuvent être vendus aux enchères. La mise en place du courtage en ligne a facilité cette procédure en supprimant toutes ces contraintes.

En France, le conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (CVV), doté de la personnalité morale et bénéficiant de l’autonomie financière, est l’autorité chargée de réguler ce type de commerce. Il est également compétent pour toute vente réalisée par un système de communication électronique, notamment Internet. Le courtage en ligne peut porter sur différents biens, notamment les biens culturels. En effet, ces biens peuvent, au même titre que les autres biens, être mis en vente sur les plates-formes virtuelles de courtage et ce, sans être soumis au régime légal de la vente aux enchères publiques.

Faute de définition par la loi de ce qu’est un « bien culturel », Le CVV a répertorié 9 catégories de biens pour le définir. Le conseil a grevé ces catégories de quelques conditions à respecter. Les biens appartenant aux catégories 1 à 8 dépassant 150 ans d’ancienneté ainsi que les biens appartenant à la catégorie 9 dont l’ancienneté dépasse 75 ans sont réputés des « biens culturels ». Ensuite, sont considérés « biens culturels » les biens appartenant aux catégories 1 à 8 ayant moins de 150 ans d’ancienneté ainsi que les biens appartenant à la catégorie 9 ayant moins de 75 ans et qui portent la signature d’un auteur, artiste ou fabricant ou pouvant être attribué à ces derniers avec certitude et ayant fait l’objet d’une vente aux enchères publiques en salle, avec catalogue.

Toute société de courtage bénéficiant de l’agrément du CVV doit informer l’État français des ventes de biens culturels afin d’éviter que des œuvres françaises migrent à l’étranger. Ces sociétés doivent fournir des informations se rapportant à la désignation des biens adjugés, leur prix d’adjudication, le jour et l’heure de la clôture de la vente. Par contre, c’est l’administration qui délivre le certificat d’exportation des biens pouvant quitter le territoire.

Cependant dans une affaire jugée à Paris le 25 mai 2010, le tribunal de grande instance a retenu que l’activité de la société eBay ressemble plus aux opérations de courtage en ligne et non à des opérations de vente aux enchères publiques, et que ladite société n’avait donc pas besoin d’obtenir l’agrément préalable du CVV puisqu’elle ne présente pas de biens culturels sur sa plateforme. Le 25 mai 2012, la Cour d’appel de Paris a rejeté la demande du CVV selon laquelle il a demandé des dommages et intérêts ainsi que la cessation de l’activité d’eBay, et a confirmé la décision du TGI.

De surcroit, la directive européenne du 8 juin 2000 dans son article 4 interdit aux pays membres de requérir d’une société d’information quelconque un agrément préalable pour l’exercice de son activité, afin d’éviter les éventuels abus. L’État français devait notifier le projet de réglementation touchant les sociétés de courtage à Bruxelles et aux États membres, chose qu’il s’est abstenu de faire.

Bibliographie.

- Code de commerce.
- Loi du 21 juillet 2011 relative à la libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques
- Décret n° 2001-894 du 26 septembre 2001 modifiant le décret n° 93-124 du 29 janvier 1993 relatif aux biens culturels soumis à certaines restrictions de circulation.
- TGI Paris, 5e ch., 1re Sect., 25 mai 2010.
- Avis du CVV du 19 septembre 2002 sur la définition des biens culturels pour l’application de l’article L321-3 du Code de commerce.
- Rapport de la 4ème session du Comité subsidiaire de la Réunion des États parties à la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels (UNESCO, Paris, 1970), Ventes en ligne de biens culturels, 26-28 septembre 2016.
- Feral-Schuhl Christiane, Cyberdroit : le droit à l’épreuve de l’Internet, édition Dalloz, 2012.
- Imène Brigui-Chtioui, « Les enchères dans le commerce électronique. Enjeux et défis pour les systèmes de demain », La Revue des Sciences de Gestion 2017/3-4 (N° 285-286).
- Lionel Bochurberg, Sylvie Lefort, « Les ventes aux enchères sur l’internet », Legicom 2000/1-2 (N° 21-22).

Webographie.

- www.conseildesventes.fr
- www.economie.gouv.fr, « Enchères sur internet : les vendeurs ne respectent pas toujours leurs obligations »
- www.labase-lextenso.fr, Chapitre 2, le courtage.
- www.lexpansion.lexpress.fr, « Yahoo condamné à se soumettre à la justice française »
- www.mascre-heguy.com, « Quel cadre juridique pour le courtage aux enchères électronique ? »

Ahmed Benattou Cadre administratif au Ministère Marocain de l'enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l'innovation [->ahmedbenattou166@gmail.com]