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Femmes battues, quels sont vos droits (Partie 1) ? Par Victor Akansel, Professeur.
Parution : mardi 27 décembre 2022
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A l’heure actuelle où une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son mari, il est nécessaire d’avoir un vade-mecum répertoriant les possibilités d’actions, non seulement pour réparer, mais surtout pour prévenir les violences conjugales. A cet égard, l’arsenal législatif, aussi bien d’un point de vue civil que pénal, offre un florilège de mécanismes destinés à garantir la sécurité des femmes face à leur bourreau.

Première partie consacrée au volet pénal.

Avant toute chose, il est utile de rappeler que, quelle que soit la nationalité ou la qualité de la victime, le droit n’opère aucune distinction et offre le même niveau de protection à toutes les femmes victimes de violences conjugales, lesquelles violences peuvent se ramifier en 3 catégories majeures :
- Les violences physiques : coups, blessures, tentative de meurtres, etc. ;
- Les violences morales ou psychologiques : harcèlement, menaces, injures, dénigrement, etc. ;
- Les violences sexuelles : attouchements, agressions sexuelles, viols, etc.

Le statut du couple importe peu ; qu’il s’agisse d’un mariage, d’un PACS, ou encore d’un concubinage, le droit appréhende ces comportements sous le prisme des violences conjugales. Les mêmes garanties s’appliquent d’ailleurs quand le couple est divorcé, séparé ou si le PACS est rompu.

La première chose à faire si vous subissez l’un quelconque des actes susvisés est d’alerter les services de secours, police ou pompiers. Si jamais il ne vous est pas loisible de joindre la police par téléphone, un numéro spécifique existe permettant de communiquer avec eux directement par sms : le 114.

Ainsi, par suite de faits de violences, les policiers pourront intervenir à domicile et procéder à l’interpellation du conjoint violent en vertu de l’article 73 du Code de procédure pénale. Il sera placé ipso facto en garde à vue.

L’enquête policière démarre. Il faudra aller déposer plainte le plus rapidement possible au commissariat du ressort de votre lieu de résidence pour permettre aux enquêteurs d’avoir le plus d’informations possible dans le cadre de leurs investigations. Par ailleurs, il faudra également faire constater vos blessures par un médecin. Les services de police requerront à cet effet le service d’Unité Médico-Judiciaire (UMJ) qui établira un certificat médical recensant les blessures, fixant, s’il y échet, la durée d’incapacité totale de travail (ITT) - déterminante pour la qualification pénale - et dont vous pourrez, par ailleurs, obtenir copie en vertu de l’article D.1-12 du Code de procédure pénale.

Il est à souligner que les services de police et de gendarmerie sont dans l’obligation de prendre votre plainte, et ce, en vertu de l’article 15-3 du Code de procédure pénale aux termes duquel :

« Les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents. Dans ce cas, la plainte est, s’il y a lieu, transmise au service ou à l’unité territorialement compétents ».

Par ailleurs, les forces de l’ordre sont tenues de vous informer de vos droits, lesquels sont listés à l’article 10-3 du Code de procédure pénale, et s’entendent, pêle-mêle, du droit d’être assisté d’un avocat en cas de constitution de partie civile, d’être aidé par un service d’aide aux victimes, d’être informé sur les mesures de protection dont vous pouvez bénéficier - ordonnance de protection du Code civil, que l’on abordera dans la deuxième partie de cet article -, de bénéficier d’un interprète. Une avancée majeure fut d’ailleurs enregistrée pour les victimes avec l’entrée en vigueur de la loi 22 décembre 2021 qui introduit à l’article susvisé un 8° permettant aux victimes

« d’être accompagnées chacune, à leur demande, à tous les stades de la procédure, par leur représentant légal et par la personne majeure de leur choix, y compris par un avocat ».

Plus récemment, lors des débats sur l’adoption de la Loi d’Orientation et de Programmation du Ministère de l’Intérieure (LOPMI), les députés de l’Assemblée nationale adoptèrent, à la majorité, deux amendements à l’article 6, reconnaissant ainsi un droit effectif à l’assistance d’un avocat dès le dépôt de plainte et à tous les stades de la procédure.

En cours d’adoption, cette mesure fort bienvenue est réjouissante pour les droits accordés aux victimes de violences conjugales, souvent mésestimées, déconsidérées, dont la souffrance est déprisée, et ne correspond, somme toute, qu’à l’exercice ordinaire et rasséréné de la vie judiciaire.

En parallèle du dépôt de plainte, se déroule, comme susdit, et en principe, la garde à vue dont la durée n’excède pas 24 heures. Toutefois, le procureur de la République peut décider de la prolonger pour un nouveau délai de 24 heures, soit un total de 48 heures [1].

Durant ce laps de temps, outre le dépôt de plainte et le rendez-vous à l’UMJ, il faudra réunir le plus de preuves possibles des agissements délictueux du partenaire violent.

Même si, en tout état de cause, les limiers de la police judiciaire s’attèlerons à une recherche inextinguible, intarissable de cette vérité - à charge et à décharge nous apprend l’article 39-3 du Code de procédure pénale -, il faudra, en tant que victime, s’évertuer à réunir le plus grand nombre de pièces à charge aux fins d’établir la réalité des violences.

Si ces dernières furent commises à l’extérieur du domicile, les enquêteurs effectueront des repérages sur les lieux pour vérifier la présence de caméras, de témoins, de passants ; si elles eurent lieu au domicile même, la police judiciaire effectuera ce qu’il est convenu d’appeler une « enquête de voisinage » pour connaître les habitudes de vie du couple, savoir si des antécédents de violences existent, si du bruit se fait généralement jour depuis votre domicile, etc.

Comme le dit le proverbe latin issu du droit romain, idem est non esse aut non probari ; autrement dit encore, « il est similaire de ne pas prouver que de ne pas être ».

Aussi bien pour les violences physiques, que pour les violences morales ou sexuelles, l’enjeu réside dans la preuve de la commission de l’infraction et son imputabilité. A cette fin, les femmes victimes de violences disposent de plusieurs outils :
- Les photos, démontrant la réalité des violences (hématomes, bleus, bosses, etc.) ;
- Les témoignages de voisins, d’amis, de membres de la famille, de témoins oculaires, etc. ;
- Les échanges par message texte de votre partenaire violent, menaçant, qui avoue les faits qu’il a commis et, parfois, s’en excuse (sms, messagerie en ligne, réseaux sociaux, courriel, lettre, etc.) ;
- Les attestations et certificats de professionnels de santé ;
- Les enregistrements vocaux et vidéo que vous avez pu effectuer ;
- Les mains courantes ou les plaintes préalablement déposées ;
- La copie, s’il y échet, des décisions de justice antérieures condamnant déjà votre partenaire pour des faits similaires.

A l’issue de la garde à vue, mult possibilités s’offrent au procureur de la République.

Ainsi, quand les faits qui furent portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale, il a le choix :
- D’engager des poursuites ;
- De mettre en œuvre une procédure alternativement aux poursuites - et non pas une procédure alternative aux poursuites,
- De classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient [2].

Si le procureur décide de poursuivre, cela veut dire qu’une audience aura lieu. Devant le tribunal correctionnel, la victime, qui acquiert le statut officiel de partie civile, devient une partie au procès, et, dès lors, a accès au dossier en sus d’être informée du déroulement de la procédure. La victime sera également entendue en cas de Comparution préalable sur reconnaissance de la culpabilité (CRPC) à l’audience d’homologation.

Pour y pourvoir, il vous est loisible d’être assisté par un avocat, et, dans le cas où vous ne disposeriez pas de ressources suffisantes, vous pourrez bénéficier de l’aide juridictionnelle, qui peut être partielle ou totale.

Dans les cas d’urgence, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente devant laquelle vous serez représentée.

L’aide juridictionnelle provisoire devient définitive si le contrôle des ressources du demandeur réalisé a posteriori par le bureau d’aide juridictionnelle établit l’insuffisance des ressources [3].

La condition de ressource n’est en revanche pas exigée pour les victimes de viol. [4].

A l’audience, s’il y échet, vous aurez la parole en tant que partie civile pour exprimer votre ressenti et décrire les épisodes tragiques de violence que vous avez dû subir. La catharsis du procès pénal sera portée à son paroxysme, à sa quintessence. Non seulement le tribunal, mais également votre partenaire prévenu des chefs de violences, qui vous a agressé, qui vous a bafoué dans votre dignité, parfois pendant de très longues années, sera forcé de vous écouter. N’ayez point de honte, ainsi, vous faites œuvre de justice.

Votre avocat prendra la parole pour solliciter non seulement la reconnaissance de votre statut de victime, mais, au surplus, l’octroi subséquent de dommages-intérêts pour le préjudice subi, lequel peut s’entendre des souffrances endurées, d’un préjudice esthétique, d’un préjudice fonctionnel temporaire, mais également d’un préjudice matériel si jamais votre partenaire a causé des dégâts à vos biens. Si votre conseil n’est pas en état de plaider définitivement sur le montant que vous demandez, pour diverses raisons, telles que l’attente de résultats d’expertise, l’attente d’une désignation au titre de l’aide juridictionnelle, par exemple, il sollicitera un renvoi sur intérêt civil. C’est-à-dire que l’audience sera reportée à une date ultérieure pour ce qui concerne le volet indemnitaire du procès, soit la somme d’argent que votre partenaire devra vous verser pour réparer ses actes. Dans l’attente, votre conseil pourra solliciter une provision.

Pour le volet pénal, le délibéré aura lieu immédiatement. Votre partenaire violent pourra être condamné à une peine d’emprisonnement et à une amende. En outre, le Tribunal pourra lui enjoindre, durant un certain délai, d’exercer par exemple une activité professionnelle ou suivre un enseignement, de se soumettre à des examens médicaux - en pratique, suivre un traitement psychologique ou psychiatrique -, de s’abstenir d’entrer en relation avec vous ou encore de s’abstenir de paraître à votre domicile [5].

Pour le volet civil, une fois la décision rendue, celle-ci sera, en principe, assortie de l’exécution provisoire, c’est-à-dire qu’avant même d’attendre qu’elle soit définitive, et nonobstant appel, vous pourrez bénéficier de ses effets. En d’autres termes, votre partenaire violent devra vous payer quoi qu’il en soit.

Deux cas de figure :

- Soit votre partenaire paie, et, dans ce cas, il n’y a pas de difficultés.

- Soit, il ne paie pas ; alors, il faudra engager des voies de droit afin de l’y contraindre.

Vous pourrez saisir un huissier de justice qui lui signifiera, le cas échéant, la décision du Tribunal, mais surtout un commandement de payer. Si votre partenaire condamné n’y défère pas, l’huissier de justice procédera à la saisie de ses comptes bancaires, laquelle, si elle était infructueuse, donnerait lieu subséquemment à une saisie sur salaire. Enfin, l’Officier Ministériel pourra également procéder à une saisie-vente des biens meubles qu’il détient.

Enfin, si votre partenaire est impécunieux, il existe des mécanismes d’aide aux victimes d’infraction pénale pour recouvrer les dommages intérêts qui vous sont dus.

La Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) est une juridiction civile, qui, si elle vous reçoit dans votre demande - déposée obligatoirement dans un délai d’un an à partir de la décision définitive d’une juridiction pénale -, la transmettra au Fonds de garantie des victimes, organisme qui procédera à l’indemnisation au nom de la solidarité nationale avant de se retourner contre le responsable [6].

Si toutefois vous n’êtes pas éligible au mécanisme de la CIVI, vous pourrez, dans un nouveau délai d’un an à compter de la décision de refus, saisir le SARVI, Service d’aide au recouvrement des victimes d’infraction [7].

Victor AKANSEL Professeur de Droit & d’Economie Chargé d’enseignement en droit à l’Université Panthéon-Assas et Paris-Saclay Philanthrope & Mécène

[1Art. 63 du Code de procédure pénale.

[2Article 40-1 du Code de procédure pénale.

[3Article 20 de la Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

[4Article 9-2 ibid.

[5Article 132-45 du Code pénal.

[6Articles 706-3 à 706-15 du Code de procédure pénale.

[7Articles 706-15-1 et 706-15-2 du Code de procédure pénale.

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