Village de la Justice www.village-justice.com

Le Conseil d’Etat valide la légalité du dispositif de l’ARENH +. Par Pierre-Adrien Dubroca et Gilles Le Chatelier, Avocats.
Parution : vendredi 24 février 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/situation-exceptionnelle-mesures-exceptionnelles-conseil-etat-valide-legalite,45307.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par un arrêt du 3 février 2023 (CE, Sté EDF et A., req. n°462840), le Conseil d’Etat a validé la légalité du dispositif d’ARENH +, attribuant un volume supplémentaire d’ARENH de 20 TWh au bénéfice des fournisseurs alternatifs d’électricité.

Instauré par la loi NOME [1], le mécanisme de l’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (ARENH) permet aux fournisseurs d’électricité concurrents d’EDF de s’approvisionner en électricité produite par le parc électronucléaire français à des conditions financières avantageuses [2].

Ce dispositif, transitoire jusqu’au 31 décembre 2025 [3], a pour objet de lever les barrières à l’entrée sur le marché de l’électricité liées à l’exploitation monopolistique du parc électronucléaire par l’opérateur historique et de diminuer l’avantage concurrentiel dont ce dernier bénéficie. Limité [4], le volume maximum d’ARENH attribuable est plafonné et doit être strictement proportionné aux objectifs poursuivis, conformément aux dispositions de l’article L336-2 du Code de l’énergie.

Les volumes attribuables annuellement sont quant à eux définis par arrêté ministériel.

Les marchés de l’électricité ont connu au cours des deux dernières années de nombreux chamboulements, marqués par une hausse et une volatilité sans précédent des prix de l’électricité.

Certains fournisseurs, comme Hydroption, pris en étau entre des prix de fourniture contractuellement définis et des coûts d’approvisionnement excessifs sur les marchés, n’y ont pas survécu [5] et ont conduit leurs clients à basculer sous le régime de la fourniture de secours à titre transitoire [6].

Le dispositif de l’ARENH n’a pas échappé à ce contexte.

A l’occasion du guichet de novembre 2021, les demandes formulées par les fournisseurs alternatifs ont atteint 160,33 TWh, excédant ainsi le plafond de 100 TWh d’ARENH mis à disposition pour l’année 2022 et aboutissant à un taux d’attribution de seulement 62,37%.

De nombreux fournisseurs, déjà fragilisés par le contexte économique, n’ont donc pas pu bénéficier de la quantité d’ARENH souhaitée.

Face à cette situation exceptionnelle, le Gouvernement a augmenté de façon temporaire le volume maximal d’ARENH à hauteur de 20 TWh supplémentaires, portant la quantité maximum d’ARENH attribuable pour l’année 2022 à 120 TWh. Ce mécanisme est dénommé « ARENH + ».

Ce dispositif d’ARENH + résulte de l’adoption des cinq textes suivants :
- Un arrêté du 11 mars 2022, fixant le volume attribuable d’ARENH + à 20 TWh ;
- Un arrêté du 11 mars 2022, fixant le prix du MWh de l’ARENH + à 46,2 euros (contre 42 euros pour l’ARENH) ;
- Un décret n°2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités d’attribution de ce volume d’ARENH + ;
- Un arrêté du 12 mars 2022 relatif aux modalités de cession des garanties de capacité additionnelles liées à ces volumes supplémentaires ; et
- Un arrêté du 25 mars 2022 adaptant le modèle d’accord-cadre pour l’ARENH.

Déjà saisi en urgence en référé contre ces textes, le Conseil d’Etat avait, par une ordonnance du 5 mai 2022 [7], rejeté les requêtes au motif que l’urgence à maintenir l’exécution du dispositif d’ARENH + prévalait sur celle à faire cesser les éventuels inconvénients qu’il causait aux requérants.

Ces textes, instaurant le principe et les modalités d’application de l’ARENH +, ont fait l’objet d’un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat par six requérants, parmi lesquels la société EDF.

Ces recours ont soulevé de nombreux moyens, dont les deux principaux tiennent :

- D’une part, à la méconnaissance des règles encadrant l’ARENH et, notamment, à la stricte nécessité des volumes supplémentaires accordés pour répondre aux objectifs poursuivis par le législateur ; et

- D’autre part, à la violation du droit européen relatif aux aides d’Etat.

Par un arrêt en date du 3 février 2023, le Conseil d’Etat a rejeté ces recours et consacré la légalité du mécanisme de l’ARENH +.

Nous nous attarderons sur les deux moyens principaux de la requête.

1. Sur la stricte proportionnalité du volume maximal d’ARENH au regard des objectifs poursuivis.

Comme rappelé précédemment, l’article L336-2 du Code de l’énergie précise que le plafond d’ARENH, et donc celui réhaussé par l’ARENH +, doit être « strictement proportionné aux objectifs poursuivis ».

A ce titre, l’article L336-2 du Code de l’énergie rappelle que l’ARENH poursuit un double objectif tenant :

- D’une part, à permettre le développement de la concurrence sur les marchés de la production d’électricité et de la fourniture de celle-ci à des consommateurs finals. Cet objectif se rattache au principe de liberté de choix du fournisseur d’électricité consacré à l’article L331-1 du Code de l’énergie.

- D’autre part, à garantir la stabilité des prix.

Ainsi, l’appréciation de la stricte proportionnalité des volumes maximums d’ARENH s’effectue par une mise en balance de leurs conséquences au regard des deux objectifs tenant au développement de la concurrence entre fournisseurs et à la stabilité des prix.

A l’appui de sa requête, EDF produisait des moyens sérieux de contestation de cette stricte proportionnalité, tenant principalement aux conséquences qu’emportait le dispositif d’ARENH + pour la société et conduisant à porter une atteinte disproportionnée à sa liberté d’entreprendre.

A ce titre, EDF faisait état :

- Des conséquences financières considérables de ce dispositif pour le producteur national, estimées par ce dernier à 8 milliards d’euros (4 milliards de préjudice direct et 4 autres milliards de préjudice indirect), et ce dans un contexte économique hautement défavorable.

- De l’atrophie historique de la production d’électricité du parc électronucléaire pour l’année 2022, augmentant proportionnellement l’importance du volume d’ARENH + autorisé au regard de la production réelle. A ce titre, la production d’électricité d’origine nucléaire représentait 279 TWh en 2022, contre 390 TWh en moyenne sur la période 2015-2019 [8].

- Des engagements contractuels conclus en vue de la cession sur les marchés à terme de ces 20 TWh, préalablement à l’adoption des textes instaurant l’ARENH +.

En défense, le ministre de l’Économie produisait également des arguments sérieux à l’appui de la légalité du dispositif, principalement fondés sur la protection de l’intérêt général et sa nécessité au regard du contexte économique, en soutenant que :

- En premier lieu, le volume d’ARENH réhaussé par l’ARENH + était de 120 TWh, un chiffre inférieur au plafond légal de 150 TWh alors applicable.

- En deuxième lieu, le mécanisme d’ARENH + a permis de maintenir la concurrence sur le marché, en préservant l’activité des fournisseurs alternatifs, et donc la fourniture de leurs clients, malgré un contexte inédit illustré par la faillite de plusieurs acteurs.

- En troisième lieu, le dispositif d’ARENH + a contribué à garantir l’objectif de stabilité des prix. En effet, l’absence d’adoption du dispositif d’ARENH + contesté aurait conduit à une hausse moyenne des dépenses d’électricité de 18% pour les consommateurs résidentiels, 23% pour les petits professionnels, 40% pour les entreprises et les collectivités territoriales et jusqu’à 130% pour les électro-intensifs, alors que l’adoption de ce mécanisme a permis de limiter ces augmentations respectivement à 11%, 16%, 20% et 100% pour ces catégories de consommateurs.

Ces arguments trouvent d’autant plus de résonnance lorsqu’on connaît le rôle de la consommation des ménages et de l’activité des entreprises dans la croissance du PIB national, ainsi que leur sensibilité face à l’envolée des coûts de l’énergie.

En l’espèce, la Haute juridiction a fait droit aux arguments invoqués en défense par le ministre de l’Économie en retenant que le dispositif d’ARENH + était strictement proportionné aux objectifs de libre concurrence et de stabilité des prix poursuivis, jugeant que ce mécanisme « n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre, dans un contexte exceptionnel, ces objectifs  ».

Le Conseil d’Etat a donc considéré que le dispositif d’ARENH +, malgré ses conséquences considérables pour la société EDF, était justifié au regard de ses effets positifs pour les consommateurs et les fournisseurs alternatifs, eu égard au contexte singulier frappant le secteur de l’énergie sur les années 2021 et 2022.

On relèvera que la puissance électrique d’origine nucléaire finalement produite en 2022 était de 279 TWh, alors que les estimations d’EDF à la date des actes attaqués prévoyaient une fourchette de 295 à 315 TWh, soit un volume inférieur de 11% aux estimations hautes. Autrement dit, le volume d’ARENH + attribué (20 TWh) a été in fine supérieur au déficit de production réelle par rapport aux projections hautes (36 TWh). Ainsi, il est permis de penser que l’optimisme d’EDF en début d’année 2022 a joué en sa défaveur dans l’appréciation par le Gouvernement des volumes d’ARENH + attribuables, ainsi que dans l’appréciation par le juge administratif de leur « stricte proportionnalité ».

2. Sur l’absence de violation du droit européen des aides d’Etat.

Une aide d’Etat est définie par l’article 107 du TFUE et la jurisprudence européenne [9] à partir des quatre critères cumulatifs suivants : (i) une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources étatiques (ii) susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres, (iii) accordant un avantage sélectif à son bénéficiaire et (iv) menaçant de fausser la concurrence.

Faute d’être notifiées préalablement à leur mise en place à la Commission européenne, les aides d’Etat sont considérées comme illégales par principe.

Dans sa requête, EDF faisait valoir que le dispositif d’ARENH + constituait une aide d’Etat versée aux fournisseurs alternatifs, illégale faute d’avoir été notifiée à la Commission européenne.

La décision commentée, éclairée par les conclusions de son rapporteur public, révèle que si les deux premiers critères sont aisément identifiés (ressource étatique susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres), l’analyse des deux derniers critères se révèle plus délicate.

L’analyse des effets concurrentiels par le dispositif de l’ARENH + est à première vue contre-intuitive.

En effet, ce mécanisme ayant pour effet de pénaliser l’opérateur historique en le contraignant à subventionner l’activité de ses concurrents, on pourrait penser qu’il méconnait les objectifs de libre concurrence poursuivis par le droit européen.

Toutefois, la jurisprudence européenne a pu préciser que l’interprétation du critère de l’altération de la concurrence et de la sélectivité de l’aide était variable selon le contexte juridico-économique dans lequel se trouvent les acteurs du secteur considéré, refusant la qualification d’aide d’Etat lorsque le contexte le justifie.

A titre d’illustration, la taxation majorée et temporaire de l’accès au réseau de transport d’électricité pour son utilisation par certains producteurs, pendant la période transitoire de libéralisation du marché de l’électricité, n’est pas constitutive d’une aide d’Etat dans la mesure où l’altération apportée à la concurrence est justifiée par « la nature et l’économie du système de charges en cause » [10].

De même, ne constituent pas un avantage sélectif les mesures

« introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent […] dans une situation factuelle et juridique comparable […] lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée [par] la nature ou […] l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent » [11].

En l’espèce, il est peu douteux que le mécanisme de l’ARENH, et a fortiori celui de l’ARENH + en ces temps tumultueux, est tout simplement indispensable au maintien d’une concurrence sur le marché de la fourniture d’électricité en France.

La nécessité de l’ARENH pour faciliter « la concurrence au niveau des prix de détail » [12] avait d’ailleurs été relevée par la Commission européenne dans un avis du 27 août 2021.

Par ailleurs, le dispositif de l’ARENH, transitoire, a pour objet de procéder à la neutralisation de l’avantage concurrentiel dont bénéficie EDF à l’égard de ses concurrents, tenant à la spécificité de la nature et de l’économie du système de charges propre à l’exploitation monopolistique du parc électronucléaire français.

C’est sur ces fondements que le Conseil d’Etat a écarté les critères d’altération de la concurrence et de sélectivité de l’avantage consenti par les textes contestés, et donc la qualification du dispositif ARENH + en tant qu’aide d’Etat, en considérant que :

- D’une part, « l’ARENH doit être regardé comme un mécanisme opérant un rééquilibrage des charges entre opérateurs sur le marché de l’électricité français » permettant, in fine, « de favoriser la concurrence » ; et

- D’autre part, « eu égard aux autres dispositifs mis en place […] aux fins de limiter, dans un contexte de tensions exceptionnelles […] les hausses massives des prix au détail […] la circonstance que les fournisseurs alternatifs répercuteraient en tout ou partie sur leurs clients le prix préférentiel de l’électricité acquise […] ne saurait être regardée comme conférant à l’avantage ainsi consenti un caractère sélectif ».

En synthèse, le Conseil d’Etat estime que la distorsion de concurrence opérée par l’ARENH étant indispensable au maintien d’une concurrence sur le marché de la fourniture d’électricité, elle ne fausse pas la concurrence, ni n’accorde d’avantage sélectif aux fournisseurs alternatifs, au sens de l’article 107 paragraphe 1 du TFUE, et ne constitue donc pas une aide d’Etat.

Bien que la légalité du dispositif ARENH + ait été consacrée par le Conseil d’Etat, l’indemnisation du préjudice subi reste possible pour la société EDF. A ce titre, EDF a introduit le 27 octobre 2022 un recours indemnitaire, actuellement en cours d’instruction par le Tribunal administratif de Paris [13].

Si la piste de la responsabilité pour faute de l’Etat s’éloigne en raison de la consécration de la légalité du dispositif contesté par la décision commentée, l’opérateur demeure, a priori, fondé à solliciter l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat, en vertu notamment de la responsabilité du fait des lois et de celle tenant à la rupture d’égalité devant les charges publiques [14].

L’opportunité des discussions relatives à l’indemnisation du préjudice subi, entre l’opérateur et son actionnaire majoritaire, s’impose avec d’autant plus d’acuité que l’arrêt commenté a été rendu quelques jours avant la publication des comptes annuels 2022 d’EDF, historiquement déficitaires à hauteur de 17,9 milliards d’euros [15].

Pierre-Adrien Dubroca, Avocat au barreau de Paris et Gilles Le Chatelier, Avocat au barreau de Lyon Cabinet Adaltys

[1La loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité du 7 décembre 2010.

[2Initialement fixé à 40 euros/MWh au 1er juillet 2011, le prix de l’ARENH a été réhaussé depuis le 1er janvier 2012 à 42 euros/MWh.

[3Article L336-8 du Code de l’énergie.

[4La quantité maximale d’ARENH était plafonnée par l’article L336-2 du Code de l’énergie à 100 TWh par an jusqu’au 31 décembre 2019, 150 TWh par an à compter du 1er janvier 2020 et a été abaissée à 120 TWh par an par la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022.

[5La société Hydroption a été placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Toulon du 2 décembre 2021.

[6EDF a été désigné comme fournisseur de secours en électricité à titre transitoire par les arrêtés des 3 et 5 novembre 2021.

[7CE, 5 mai 2022, Société EDF et A., req. n°462841.

[8Délibération n°2022-45 du 10 février 2022 de la Commission de régulation de l’énergie, §2.3.

[9Voir notamment CJUE, 16 juillet 2015, BVVG, aff. C-39/14 ou CJUE, 21 décembre 2016, Commission c/ World Duty Free, aff. C20/15 P et C-21/15P.

[10CJCE, 14 avril 2005, AEM SPA, aff. C-128/03 et aff. C-129/03, §39.

[11CJUE, 21 décembre 2016, Commission c/ World Duty Free, aff. C20/15 P et C-21/15P, §58.

[12Avis de la Commission européenne du 27 août 2021 C(2021) 6182 final.

[13Communiqué de presse d’EDF du 27 octobre : https://www.edf.fr/sites/groupe/files/epresspack/3789/CP-Recours-261022.pdf

[14CE, 14 janvier 1938, Société des produits laitiers La Fleurette, req. n°51704.