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L’avertissement sur les conséquences de fausses déclarations est conforme à la CEDH. Par Blandine Durieu, Juriste.
Parution : mercredi 1er mars 2023
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La chambre criminelle de la Cour de cassation vient d’affirmer son opposition au droit de mentir, par un arrêt rendu le 15 février 2023.

Au cours d’une procédure douanière, les dirigeants ou représentants de sociétés avaient été auditionnés. Sur les procès-verbaux litigieux de ces auditions figurait la mention suivante :

« Avertissement a été donné à l’intéressé que bien que n’ayant pas été invité à témoigner sous foi du serment, toute déclaration fausse ou inexacte donnée sciemment aux agents enquêteurs pour couvrir ses agissements ou ceux d’un tiers est susceptible d’engager sa responsabilité pénale » [1].

L’une des sociétés dont les dirigeants avaient reçu cet avertissement au cours de leur audition a soulevé l’irrégularité des procès-verbaux, soutenant qu’

« un tel avertissement constitue pour la personne interrogée une menace de sanctions pénales, en réalité non légalement prévues, si elle donnait des renseignements faux, inexacts ou incomplets sur les faits qui pouvaient lui être reprochés ou reprochés à un tiers, menace constitutive d’une pression contraire aux droits précités » [2].

En d’autres termes, pour la société, le fait d’avertir la personne interrogée qu’en divulguant de fausses ou inexactes informations - ce qui revient à mentir - elle risquerait d’engager sa responsabilité pénale, est contraire au droit de ne pas s’auto-incriminer. En effet, elle oppose cet avertissement au fait « que les droits de la défense, la présomption d’innocence et le droit au procès équitable impliquent le droit de se taire ainsi que le droit de mentir » [3].

La Cour de cassation a statué dans le sens de la cour d’appel, ayant considéré les procès-verbaux réguliers, en retenant que l’avertissement donné par les agents était une simple mise en garde, que les déclarations faites ne comportaient pas d’incrimination puisque les faits sont contestés, et que la défense ne démontrait aucun grief. Elle avait précisé que l’avertissement n’était qu’une mise en garde de la portée des propos, dépourvue de toute sanction et n’avait valeur que d’avertissement, ce qui n’imposait en rien à la personne interrogée de faire des déclarations [4].

Selon la cour, l’article 6 de la CEDH n’a pas été violé par la cour d’appel. En somme, la chambre criminelle considère que l’avertissement selon lequel un mensonge ou une inexactitude prononcée par une personne auditionnée engagerait sa responsabilité pénale est dépourvu de toute sanction. Toutefois, il semble pourtant qu’avertir une personne que sa responsabilité pénale pourrait être engagée signifie qu’une sanction pénale pourrait lui être infligée.

En effet, rappelons que la responsabilité pénale est définie comme l’obligation de répondre ou de rendre compte de ses actes délictueux en subissant une sanction pénale dans les conditions et selon les formes prescrites par la loi [5]. Il semble donc curieux que la chambre criminelle élude la sanction pénale pouvant être infligée alors même qu’elle considère l’avertissement donné comme une mise en garde sur les « conséquences » d’un propos inexact ou faux.

De plus, la cour estime que l’avertissement n’impose pas à la personne auditionnée de faire des déclarations. Autrement dit, la cour estime que le fait de prévenir le mis en cause des conséquences de propos faux ou inexacts ne l’oblige en rien à s’exprimer. Cet avertissement respecte donc le droit de se taire de la personne auditionnée et ne constitue en rien une « pression » à s’exprimer.

Toutefois, il convient de rappeler qu’en 2016, le Conseil constitutionnel avait affirmé que « faire prêter serment à une personne entendue en garde à vue de « dire toute la vérité, rien que la vérité » peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l’information qu’elle a reçue concernant ce droit » [6]. Certes, le Conseil avait statué sur l’inconstitutionnalité de la prestation de serment en début d’audition. Il n’en demeure pas moins qu’il avait souligné le risque de faire croire à la personne interrogée qu’elle ne disposerait pas du droit de se taire.

Il semble difficile de ne pas faire de parallèle entre le serment de « dire toute la vérité, rien que la vérité » et l’avertissement du cas d’espèce sur les conséquences que pourraient engendrer des propos faux ou inexacts.

La jurisprudence a évolué quant à la prestation de serment de « dire la vérité, rien que la vérité ». En 1997, la Cour européenne des droits de l’homme avait estimé que ce serment ne violait pas l’article 6 § 1 de la CEDH :

« Si l’obligation mise à la charge du témoin de prêter serment et les sanctions prononcées en cas de non-respect relèvent d’une certaine coercition, celle-ci vise ainsi à garantir la sincérité des déclarations faites, le cas échéant, au juge, et non à obliger l’intéressé à déposer » [7].

C’est par un argumentaire similaire que la chambre criminelle a statué en l’espèce, en soulignant l’absence d’obligation de la personne auditionnée à s’exprimer.

Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme a par la suite estimé qu’un tel serment était contraire au droit de ne pas s’auto-incriminer : « le fait d’avoir dû prêter serment avant de déposer a constitué pour le requérant - qui faisait déjà depuis la veille l’objet d’une mesure coercitive, la garde à vue - une forme de pression, et que le risque de poursuites pénales en cas de témoignage mensonger a assurément rendu la prestation de serment plus contraignante » [8]. Ici, la cour a analysé les conséquences du serment sur la personne auditionnée.

Les juges ont en effet mis en avant le fait que prêter serment de dire la vérité constituait une forme de pression, et que le risque de poursuites pénales en cas de témoignage mensonger avait « assurément » rendu la prestation de serment plus contraignante. En somme, le fait de jurer de dire la vérité opérait nécessairement une pression sur la personne auditionnée, qui pensait au risque pénal engendré en cas de fausses déclarations. L’exercice d’une telle pression était ainsi considéré contraire au droit de la personne à ne pas s’auto-incriminer. C’est précisément cet argument qui était opposé par les sociétés en l’espèce et qui a été rejeté par la chambre criminelle le 15 février dernier.

Ainsi, la chambre criminelle a été à l’encontre de cette jurisprudence européenne quant aux conséquences d’un tel avertissement. Notons que l’absence de prestation de serment est soulignée, ainsi que la nature de l’avertissement en question, puisqu’il n’aurait « que valeur d’avertissement » [9]. La chambre criminelle semble donc distinguer l’impact de l’avertissement donné sur la personne auditionnée de l’impact d’une prestation de serment. Si cette prise de position s’entend, elle peut tout de même sembler peu réaliste en pratique, dans la mesure où une personne auditionnée à qui l’on « met en garde » que sa responsabilité pénale peut être engagée si elle tient des propos faux ou inexacts ressent nécessairement une certaine pression quant aux déclarations qu’elle peut faire.

L’on peut raisonnablement se demander si un tel « avertissement » pourrait être utilisé afin de contourner l’interdiction d’auditionner une personne sous serment de dire la vérité.

Par ailleurs, si la cour ne s’exprime pas de façon explicite sur le « droit de mentir » opposé par les demanderesses, elle semble tout de même in fine s’y opposer en considérant régulière une mise en garde sur « la portée » d’une déclaration fausse ou inexacte. La chambre criminelle statue en effet favorablement quant à l’avertissement selon lequel un témoignage mensonger ou inexact est susceptible d’engager la responsabilité pénale de la personne auditionnée.

En affirmant qu’un tel avertissement ne contrevient pas à l’article 6 de la CEDH - dont découle le droit de ne pas s’auto-incriminer - la chambre criminelle semble exclure le droit de mentir au droit de ne pas s’auto-incriminer.

Blandine Durieu Juriste, Doctorante au CDPC

[1Cass. Crim., 15 février 2023, n°21-84.427, §9.

[2Cass. Crim., 15 février 2023, n°21-84.427, §9.

[3Cass. Crim., 15 février 2023, n°21-84.427, §9.

[4Cass. Crim., 15 février 2023, n°21-84.427, §11. et §12.

[5Th. Debard et s. Guinchard, Lexique de termes juridiques, 2016-2017, Dalloz, Vo Responsabilité.

[6Cons. Const., 4 novembre 2016, décision n°2016-594 QPC, §8.

[7CEDH, Serves c/ France, 20 octobre 1997, n°20225/92, §47.

[8CEDH, Brusco c/ France, 14 octobre 2010, n°1466/07, §52.

[9Cass. Crim., 15 février 2023, n°21-84.427, §11.