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Nullité du cautionnement donné à une enseigne. Par Magalie Provost, Avocat.
Parution : mercredi 29 mars 2023
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Une banque avait fait signer, à l’épouse d’un dirigeant, un acte de cautionnement aux termes duquel cette dernière s’engageait à se porter caution pour l’enseigne de l’établissement géré par son mari.
Dans son arrêt du 16 mars 2023 (n° 22/00336), la Cour d’appel de Bourges a annulé le cautionnement et a rappelé les principes de base en la matière.

Par acte du 12 juin 2012, Monsieur X a contracté un prêt personnel de 61 000 euros auprès de la Caisse d’Epargne, ce crédit étant destiné à financer l’acquisition d’un fonds de commerce de boucherie charcuterie.

Par acte du même jour, Madame X s’est portée caution dans la limite de la somme de 39 650 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 114 mois.

Quatre mois après la signature du prêt et du cautionnement, Monsieur X a créé et immatriculé son entreprise, la « Boucherie charcuterie X ».

Par jugement du 03 juillet 2013, la boucherie faisait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation judiciaire le 5 février 2014.

C’est dans ces conditions que Madame X a été assignée, en sa qualité de caution, par la Caisse d’Epargne en paiement de la somme de 35 327,47 euros.

Madame X a contesté l’action de la banque en se fondant sur l’irrégularité de la mention manuscrite de son cautionnement.

I. Sur le fond.

Le contrat de cautionnement ayant été conclu le 12 juin 2012, c’est à cette date qu’il convient de se placer pour l’application des textes relatifs au cautionnement. Celui-ci est donc régi par l’article L341-2 du Code de la consommation dans sa version antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016 qui dispose que :

« Toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n’y satisfait pas lui-même ».

Dans son arrêt du 16 mars 2023, la Cour d’appel de Bourges a rappelé que :

« les mentions figurant dans ladite mention manuscrite, imposée à peine de nullité de l’engagement de caution par ce texte, ont pour objet de permettre une parfaite information de la caution personne physique sur la nature et la portée de son engagement et sur les risques qui en découlent pour son patrimoine en cas de défaillance de l’emprunteur principal. A cet égard, il va de soi que l’identité du débiteur revêt une importance toute particulière, en ce sens qu’elle permet d’apprécier sa capacité de remboursement et d’évaluer, autant que faire se peut, les risques d’un recours du créancier principal à l’encontre de la caution ».

La Cour de cassation a jugé que « le débiteur doit être désigné dans la mention manuscrite apposée par la caution par son nom ou sa dénomination sociale, et ne peut l’être par une enseigne », sous peine de nullité de cautionnement [1]. Ainsi, le contrat de cautionnement doit indiquer clairement le nom du débiteur cautionné. En l’espèce, la mention manuscrite du contrat de cautionnement indiquait expressément que Madame X se « porte caution de la Boucherie X ». Le débiteur cautionné était donc mentionné comme étant la « Boucherie X », enseigne sous laquelle Monsieur X exercera son activité.

Rappelant la jurisprudence précitée, la Cour d’appel de Bourges a décidé que le cautionnement donné par Madame X était nul puisque la « Boucherie X » n’était qu’une enseigne qui, au demeurant, n’avait aucune existence juridique au jour de la signature de l’acte de cautionnement.

D’autres arguments pouvaient également prospérer en faveur de la caution :

- Le non-respect du formalisme : La mention manuscrite apposée par la caution n’était pas conforme aux dispositions de l’article L341-2 précité. En effet, au lieu d’écrire « n’y satisfait pas lui-même », la caution avait écrit « si Boucherie X n’y satisfait (satisfont) pas lui (elle) (eux-mêmes) ». Par la formule « n’y satisfait (satisfont) pas lui (elle) (eux-mêmes », il est manifeste que le débiteur ne pouvait pas être clairement identifié de sorte puisque la caution ne savait pas si elle s’engageait à garantir l’emprunteur seul (« lui »), si elle s’engageait à garantir la Boucherie X seule (« elle »), ou à les garantir les deux ensemble (« n’y satisfont eux-mêmes »). Le formalisme de l’article L341-2 précité étant requis à peine de nullité de l’engage de caution, l’engage de Madame X ne pouvait qu’être annulé.

- La divergence entre la mention manuscrite et l’acte de cautionnement : en l’espèce, il existait une divergence entre l’acte de cautionnement et la mention manuscrite, l’acte indiquant que « Madame X se portait caution personnelle et solidaire de Monsieur X », tandis que la mention manuscrite stipulait que Madame X se porte caution de la « Boucherie X ». Or une jurisprudence constante rappelle que la mention manuscrite l’emporte toujours sur une clause imprimée [2]. En cas de divergence entre l’acte et la mention manuscrite, il convient donc de prendre en compte la mention manuscrite en ce qu’elle traduit le consentement véritable de la caution.

- Nullité du cautionnement d’une société en formation : Au jour de la signature du prêt et de l’acte de caution, la « Boucherie X » était une société en formation. Or, tant qu’elle n’est pas immatriculée, la société en formation n’a pas d’existence juridique et ne peut, par conséquent, être cautionnée. Le dirigeant, qui contracte un prêt, peut seulement agir en son nom personnel et pour le compte de la société en formation. Si la société en formation a par la suite été régulièrement créée et immatriculée, encore faut-il, pour que le dirigeant emprunteur soit libéré, que la société reprenne expressément, dans ses statuts, les engagements préalablement conclus par le dirigeant. L’acte de cautionnement ne peut exister qu’en tant qu’accessoire d’un contrat principal de prêt. Si la caution garantit les défaillances d’une société, encore faut-il que la société ait conclu le contrat de prêt. En l’espèce, au jour de la signature du cautionnement, la « Boucherie X » était une société en formation dépourvue de personnalité juridique. Madame X ne pouvait pas se porter caution d’une personne morale qui n’existait pas, dont les statuts ne faisaient aucune référence au contrat de prêt.

II. Sur la procédure.

Puisque le cautionnement de Madame X est déclaré nul sur le fondement de l’article L341-2 du Code de la consommation, la Caisse d’Epargne n’était-elle pas dépourvue de tout intérêt à agir à son encontre ? C’est en ce sens que Madame X avait saisi, par voie de conclusions d’incident, le Juge de la mise en état afin de faire reconnaitre le défaut d’intérêt à agir de la banque envers la personne dont le cautionnement était irrégulier.

Cependant, par ordonnance, le Juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir au motif que « le moyen soulevé par Madame X à la présente instance concerne non l’intérêt à agir mais la validité du cautionnement et relève du juge du fond ». En effet, il convient d’abord au juge du fond de se prononcer sur la régularité du cautionnement pour ensuite écarter (ou non) l’action en paiement de la banque envers la caution. En d’autres termes, le cautionnement donné à une enseigne ne constitue pas une fin de non-recevoir mais une irrégularité de fond de l’acte de caution relevant de la compétence du juge du fond.

III. Portée.

L’arrêt de la Cour d’appel de Bourges est fondé sur l’article L341-2 du Code de la consommation qui a été abrogé par ordonnance du 14 mars 2016. Les textes relatifs au cautionnement relèvent du droit commun depuis l’ordonnance du 15 sept 2021 et sont désormais regroupés dans le Code civil. Le nouvel article 2297 alinéa 1er du Code civil entrée en vigueur le 1er janvier 2022 dispose que :

« A peine de nullité de son engagement, la caution personne physique appose elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, le cautionnement vaut pour la somme écrite en toutes lettres ».

Il convient de saluer la rédaction générale de ce texte qui n’a vocation que d’exposer la définition légale du cautionnement, ses modalités d’application pratiques, telles que ce qu’il faut entendre par « débiteur » étant confiées à l’interprétation des juridictions.

Nul doute que la jurisprudence habituelle perdure sur la nullité du cautionnement donné à une simple enseigne, qui ne permet pas de déterminer avec exactitude l’identité du débiteur.

Magalie Provost Docteur en Droit Privé Avocat au Barreau de Nevers [->magalie.provost@avocat-conseil.fr] Site internet: www.provost-avocat-nevers.fr

[1Cass. com. 9 juillet 2019 : n° 17-22.626.

[2Cour d’appel de Paris, 10 janvier 2012 : JurisData n° 2012-000680 ; Cour d’appel d’Aix en Provence, 27 Novembre 2002 - n° 99/05661 : JurisData : 2002-200776.