Village de la Justice www.village-justice.com

Géolocalisation du salarié : rappels de la Cour de cassation. Par Maxime Macé, Avocat.
Parution : jeudi 13 avril 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/geolocalisation-salarie-rappels-cour-cassation,45854.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans deux arrêts rendus le même jour, la Cour de cassation a rappelé que, si l’employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l’activité du personnel pendant le temps de travail par le biais de la géolocalisation, cela ne peut pas se faire en dehors des horaires de travail ni en méconnaissance des dispositions applicables aux outils technologiques de contrôle des salariés.

Pour rappel, les outils techniques de contrôle des salariés (vidéosurveillance, géolocalisation, etc.) sont soumis par le Code du travail aux deux formalités suivantes :

Si une de ces formalités n’est pas respectée, alors l’employeur ne peut pas se servir de la preuve obtenue [5].

Le RGPD prévoit également que les salariés sont informés de la collecte des données les concernant [6], la CNIL préconisant à ce titre la rédaction d’une charte informatique [7] sans que cela soit, à notre connaissance, une obligation reprise par la jurisprudence. Attention toutefois, ces différents traitements doivent figurer dans le registre des activités de traitement tenu par l’employeur [8], et le cas échéant faire l’objet d’une analyse d’impact des données. De même, selon l’administration, le dispositif de contrôle doit figurer dans le règlement intérieur [9].

De manière plus générale, l’art. L1121-1 du Code du travail qui prévoit que les restrictions « aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives » doivent être « justifiées par la nature de la tâche à accomplir » et « proportionnées au but recherché » s’applique aux outils de surveillance des salariés.

Dès lors, la vie privée des salariés doit, en tout état de cause, être respectée.

Toutes ces règles sont applicables à la géolocalisation des véhicules par l’employeur.

Si la CNIL s’est exprimée à ce sujet [10], il convient surtout de relever que la jurisprudence n’admet la surveillance des salariés par un moyen de géolocalisation du véhicule qu’à titre accessoire, lorsque cela n’est possible par aucun autre moyen, et que les salariés ne sont pas libres de l’organisation de leur travail [11].

L’ensemble de ces règles, appliquées à la question de la géolocalisation, viennent d’être rappelées par la Cour de cassation dans deux arrêts du même jour.

Dans un premier arrêt [12], un employeur a reproché à son salarié d’avoir utilisé le véhicule professionnel hors de son temps de travail, à raison de plus de 250 km par jour. Cela impactait, selon l’employeur, l’état général du camion et son usure, mais également l’état de santé du salarié, en raison de la fatigue occasionnée, dont est garant l’employeur [13].

La preuve dont se prévalait l’employeur était issue de la géolocalisation du véhicule.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens qui avait donné raison à l’employeur.

La chambre sociale rappelle tout d’abord, et notamment sur le fondement de l’art. 6 CESDH ce qui est à relever, que la géolocalisation avait été mise en place pour lutter contre le vol et vérifier le kilométrage du véhicule. Dès lors, en collectant des données en dehors du travail, l’employeur a porté atteinte à la vie privée du salarié.

Dans le second arrêt [14], un employeur reprochait à son salarié une utilisation abusive du véhicule de la société à des fins personnelles.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a donné raison au salarié, relevant que le salarié n’avait pas été personnellement informé de la mise en place de la géolocalisation, que cet outil technologique n’était pas le seul possible pour mesurer le temps de travail des salariés, et qu’au surplus

« la mise en place du traitement de géolocalisation des véhicules de la société avait permis un contrôle permanent du salarié, en collectant des données relatives à la localisation de son véhicule en dehors de ses horaires et de ses jours de travail, de sorte que cette atteinte importante à son droit à une vie personnelle était disproportionnée par rapport au but poursuivi ».

La Cour de cassation valide ce raisonnement, sur le fondement de l’article L1121-1 du Code du travail cette fois (l’arrêt est cassé sur un autre sujet).

Il ressort de ces arrêts que l’employeur a, certes, le pouvoir de contrôler et de surveiller l’activité du personnel pendant le temps de travail, mais pas en dehors des horaires de travail, ni en méconnaissance des dispositions précitées relatives aux outils technologiques de contrôle des salariés.

Si ces deux arrêts n’ont, sauf erreur de notre part, pas été publiés aux bulletins. Toutefois, leur portée ne doit pas être mésestimée dans la mesure où ils ont été rendus le même jour dans une volonté manifeste de publicité importante.

Maxime Macé Avocat

[1Art. L2312-38 C.Trav.

[2Cass. soc. 19 mars 2008, n° 06-42284.

[3Cass. soc. 11 décembre 2019, n° 18-11792.

[4Art. L. 1222-4 C.Trav.

[5Cass. soc. 11 décembre 2019, n° 18-11792 FSPB.

[6Règlement UE 2016/679 du 27 avril 2016.

[7« Les outils informatiques au travail », éd. 2018, www.cnil.fr

[8RGPD précité.

[9Circ. DGT 2008-22 du 19 novembre 2008, BO trav. 2008/12.

[10« La géolocalisation des véhicules des salariés », éd. 2018, www.cnil.fr

[11En ce sens : Cass. soc. 18 janvier 2018, n° 16-20618 D ; CE 15 décembre 2017, n° 403776.

[12Cass. soc. 22 mars 2023, n°21-24.729.

[13Sur ce sujet, voir l’arrêt de la CA de Versailles du 10 mars 2022 n° 20/02208.

[14Cass. soc. 22 mars 2023, n°21-22.852.