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Harcèlement et office du juge : précisions importantes de la Cour de Cassation. Par Maxime Macé, Avocat.
Parution : jeudi 27 avril 2023
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Le régime probatoire du harcèlement est exorbitant du droit commun puisqu’il n’appartient pas à la victime de prouver le harcèlement, mais uniquement de présenter des éléments qui « laissent supposer » l’existence d’un harcèlement.
Par deux arrêts rendus à un mois d’intervalle, la Cour de cassation précise l’office du juge en matière de harcèlement.
Cass. soc. 18 janvier 2023, n°21-23.796 et Cass. soc. 15 février 2023, n°21-20.572.

Dans un premier arrêt [1], la Cour de cassation demande aux juges du fond d’examiner les motifs retenus en première instance, même lorsque l’intimé est défaillant en appel ; dans un second arrêt [2], la cour demande aux juges du fonds de respecter scrupuleusement les dispositions de l’article L1154-1 du Code du travail, même lorsque la victime d’un harcèlement ne démontre pas de préjudice en découlant.

Le régime probatoire du harcèlement, moral comme sexuel, est exorbitant du droit commun, la preuve étant dite "allégée".

Plus précisément, l’article L1154-1 du Code du travail prévoit que le salarié doit présenter aux juges du fond des éléments de fait qui "laissent supposer" l’existence d’un harcèlement. Il appartient ensuite à l’employeur de démontrer que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs d’un harcèlement (et si le harcèlement est caractérisé, qu’il a pris toutes les mesures pour y mettre fin et en sanctionner l’auteur).

Il appartient aux juges d’examiner souverainement l’ensemble des faits présentés [3] [4], même s’ils sont anciens, voire prescrits [5].

A noter que cela ne vaut que lorsque le salarié est victime de harcèlement. A contrario, lorsqu’un employeur sanctionne un salarié pour des faits de harcèlement [6], il supporte une charge de la preuve "classique" et ne peut se contenter de verser aux débats des éléments qui laissent supposer la commission d’un harcèlement [7].

La Cour de cassation vient de rendre deux arrêts (publiés au bulletin) dans lesquels elle précise l’office du juge en matière de harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel.

Si le premier de ces arrêts [8] relève, à notre avis, davantage des arrêts intéressants procédure civile, il reste à citer en matière de preuve de harcèlement.

Dans cet arrêt, un salarié avait saisi le Conseil de Prud’hommes d’une demande consécutive à un harcèlement sexuel.

Plus précisément, il reprochait à l’employeur de ne pas avoir pris toutes les mesures pour prévenir le harcèlement sexuel. En tel cas, la charge de la preuve repose sur l’employeur (il lui appartient de démontrer qu’il a satisfait à son obligation).

En première instance, l’employeur s’était défendu avec efficacité puisque le salarié avait été débouté de ses demandes.

L’employeur avait donc vraisemblablement justifié des mesures de préventions mises en place.

Devant la cour d’appel, l’employeur était non-comparant. La cour en a donc déduit qu’il ne pouvait, par définition, justifier du respect de ses obligations.

A tort selon la Cour de cassation.

La Cour de cassation estime qu’au terme de l’article 472 du Code de procédure civile, le juge ne peut faire droit aux demandes d’un appelant que s’il estime que celles-ci sont régulières, recevables et bien fondées.

Par conséquent, même s’il appartient à l’employeur de justifier du respect de son obligation, la cour d’appel devait examiner les motifs retenus par les premiers juges pour débouter le salarié. Dans cet arrêt, l’arrêt de la cour d’appel est donc cassé, puisqu’il se contentait d’indiquer que l’employeur, non-comparant, ne justifiait pas avoir respecté ses obligations.

D’une certaine manière, la Cour de cassation demande donc aux cours d’appel d’examiner les justifications qui avaient été données par l’employeur en première instance, même s’il ne prend pas la peine de se défendre à nouveau en cour d’appel...

Si l’on comprend le raisonnement de la Cour de cassation, au regard de l’article 472 du Code de procédure civile, on ne peut s’empêcher de penser que l’intimé défaillant est manifestement avantagé par cet arrêt... son inaction, voire sa turpitude, ne lui sera pas opposée !

Dans le second arrêt [9], la cour d’appel n’a pas pris la peine d’étudier les documents versés aux débats par le salarié.

En effet, la cour a immédiatement relevé que le salarié, en tout état de cause, ne démontrait pas avoir subi un préjudice découlant du harcèlement moral dénoncé.

S’inspirant vraisemblablement de la jurisprudence rendue au sujet du "préjudice nécessaire" [10], la cour d’appel s’est saisie de cette absence de préjudice pour débouter le salarié.

A tort selon la Cour de cassation.

L’arrêt est effectivement cassé, la cour estimant que le régime probatoire du harcèlement étant spécifique, le juge est tenu de le suivre :

« En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas présumer l’existence d’un harcèlement moral et si, dans l’affirmative, l’employeur prouvait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Cet arrêt doit, à notre avis, être salué.

En effet, malgré le caractère "allégé" de la preuve en matière de harcèlement, celui-ci reste extrêmement dur à prouver en pratique.

Dès lors, tout arrêt qui va dans le sens d’une affirmation du caractère exorbitant de la preuve en matière de harcèlement va, à notre avis, dans le bon sens.

En outre, il est important de rappeler qu’il n’est pas nécessaire de caractériser l’atteinte aux conditions de travail, à la dignité, ou à la santé d’un salarié, pour retenir le harcèlement moral. En effet, le texte précise qu’il est suffisant que les faits commis soient "susceptibles" de porter cette atteinte pour que le harcèlement soit retenu [11].

Par conséquent, l’absence de démonstration d’un préjudice est indifférente de la caractérisation du harcèlement moral, celui-ci étant caractérisé dès lors que les faits sont susceptibles de cause un tel préjudice.

Maxime Macé, Avocat, Barreau de Rennes.

[1Cass. soc. 18 janvier 2023, n°21-23.796.

[2Cass. soc. 15 février 2023, n°21-20.572.

[3Au sujet d’un harcèlement moral : Cass. soc. 6 juin 2012, n°10-27.766.

[4Au sujet d’un harcèlement sexuel : Cass. soc. 8 juillet 2020, n°18-23.410

[5Cass. soc. 9 juin 2021, n°19-21.931.

[6Le harcèlement moral pouvant le cas échéant être reproché à un subordonné (Cass. crim., 6 décembre 2011, n° 10-82.266).

[7Cass. soc. 7 février 2012, n°10-17.393.

[8Cass. soc. 18 janvier 2023, n°21-23.796.

[9Cass. soc. 15 février 2023, n°21-20.572.

[10Pour rappel et en bref, depuis 2016 (Cass. soc. 13 avril 2016 n°14-28.293), le salarié qui souhaite être indemnisé au titre d’un manquement commis par l’employeur doit impérativement démontrer avoir subi un préjudice découlant dudit manquement.

[11Art.L1152-1, Cass. soc. 6 déc. 2011, n°10-82.266.