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Focus sur le statut de maître d’ouvrage délégué de marché privé. Par Charles Paumier, Avocat.
Parution : lundi 22 mai 2023
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Dans le cadre de chantiers de construction ou rénovation importants, les maîtres d’ouvrage font de plus en plus appel à une personne qui pourra les assister et conseiller. Communément, cette personne est appelée « Assistant à maîtrise d’ouvrage » ou AMO. La mission confiée peut aussi être qualifiée de « maîtrise d’ouvrage déléguée », qui doit être distinguée de la précédente.
Avant d’accepter une telle mission, il est primordial de se renseigner sur les obligations et responsabilités découlant de ce statut, afin de contractualiser au mieux la relation sur le point de se créer avec le maître d’ouvrage.

La qualification du contrat et la rédaction de son contenu sont des points essentiels. Outre le formalisme juridique, le rôle de maître d’ouvrage délégué se distingue d’autres rôles dont il est nécessaire de connaître les différences.

I) Quelles normes encadrent le statut de maître d’ouvrage délégué ?

Le maître d’ouvrage délégué doit être différencié de l’assistant à maîtrise d’ouvrage.

En effet, ce dernier a, comme son nom l’indique, un rôle d’assistance, de conseil du maître d’œuvre, mais pas de représentation. L’AMO doit s’en tenir à un rôle d’assistant, exclusif de toute représentation. L’assistance peut porter tant sur l’aspect administratif, financière et technique.
Le maître d’ouvrage délégué en revanche, a le pouvoir de représenter le maître d’ouvrage, et d’agir en son nom et pour son compte.

En plus de cette distinction, tous les maîtres d’ouvrage délégués ne sont pas régis par les mêmes normes : une distinction de régime s’opère selon que le chantier relève du domaine public ou privé.
Dans le cadre des marchés publics, les règles applicables à la maîtrise d’ouvrage déléguée sont codifiées par le Code de la commande publique, aux articles L. 2410-1 à L. 2432-2.

Les maîtres d’ouvrage délégués relevant de marchés privés, quant à eux, ne sont régis par aucun texte particulier, et relèvent donc du droit commun du mandat, prévu aux articles 1984 à 2010 du Code civil.
Ici, il ne sera question que de cette seconde partie de maître d’ouvrage délégué, également appelé « mandataire du maître d’ouvrage ».

Les règles du Code civil, en matière de mandat, n’imposent pas d’écrit afin que le contrat existe et soit valable. L’article 1985 du Code civil prévoit expressément la possibilité de recourir à une cristallisation de l’engagement des parties par acte authentique ou sous seing privé, mais indique également que le mandat « peut aussi être donné verbalement ».
Néanmoins, en pratique et à titre de preuve, un acte authentique ou sous seing privé est essentiel afin d’identifier les parties et leurs obligations respectives.

La législation applicable n’imposant pas de contrat ou de clause type, la rédaction de l’acte liant au maître d’ouvrage doit donc être soignée afin que le contenu soit suffisamment détaillé et non équivoque.
Le risque de requalification par le juge, en cas de conflit avec le cocontractant, n’est effectivement pas à négliger. En cas de contrat mal identifié, ou si les obligations sont peu claires, le mandat peut être requalifié en contrat de vente, de louage d’ouvrage, de promotion immobilière, ou encore d’assistance à maîtrise d’ouvrage.
Les obligations et responsabilités du maître d’ouvrage délégué ne seraient alors plus les mêmes, et pourraient devenir bien plus contraignantes.

II) Quelles sont les obligations découlant du contrat de mandat de maîtrise d’ouvrage ?

Le contrat de mandat peut être général, ou ne concerner que certaines missions clairement listées. En tant que maître d’ouvrage délégué, il revient d’accomplir le mandat conformément à ce qui a été décidé entre les parties.
Pour tous les actes conclus dans le cadre de l’application du mandat, c’est le maître d’ouvrage qui est tenu de respecter les engagements pris en son nom et pour son compte, conformément à l’article 1998 du Code civil.
En revanche, si le mandataire dépasse les pouvoirs qui lui ont été confiés, le maître d’ouvrage n’est pas tenu par ce qu’il a fait, et peut invoquer la nullité de l’acte, sans crainte du délai de prescription quinquennale, comme a pu le préciser la Cour de cassation à plusieurs reprises (Cass civ 3e, 15-04-1980, n°78-15.836 ; Cass civ 1re, 09-06-1976, n°73-10.157).

Conformément à l’article 1993 du Code civil, en tant que mandataire du maître d’ouvrage, il est nécessaire de lui rendre des comptes quant à la gestion du mandat.
Outre ce qui est imposé par le droit commun du mandat, c’est le contrat qui va déterminer ce à quoi le mandataire est obligé : le contrat donnera peut-être qualité pour agir en responsabilité au nom du maître d’ouvrage, donnera la charge éventuellement de la réception du chantier, …
En fonction des missions qui sont attribuées au maître d’ouvrage délégué, il pourra être amené à souscrire à divers contrats d’assurances, tels qu’une assurance de responsabilité civile professionnelle, une assurance dommage-ouvrage au nom du maître d’ouvrage, voire une police tous risques chantier.

Côté maître d’ouvrage, il lui revient de rembourser à son mandataire toutes les dépenses faites dans le cadre du contrat de mandat.
Bien que le droit commun du mandat précise que ce type de contrat est par principe gratuit sauf convention contraire, les mandats de maîtrise d’ouvrage entraînent la plupart du temps rémunération. Si cela est prévu dans le contrat, alors le maître d’ouvrage a pour obligation de rémunérer le maitre d’ouvrage délégué conformément à ce qui a été prévu.

En définitive, comme pour tout contrat, il revient d’exécuter correctement les obligations établies par le mandat. Ainsi, il est donc primordial que le contrat détaille avec précisions chacune des missions.

III) Quelles responsabilités pèsent sur le maître d’ouvrage délégué ?

En tant que mandataire, il doit répondre de ses fautes devant le maître d’ouvrage, qui dispose d’une action en responsabilité contractuelle à son égard.
Ce faisant, en cas d’inexécution du contrat, une présomption de faute s’applique. En revanche, en cas de mauvaise exécution du mandat, la Cour de cassation prévoit que le maître d’ouvrage doit prouver la faute de son mandataire (Cass civ 1re, 18-01-1989, n°87-16.530).
Ce régime de responsabilité pour faute est donc assez protecteur, le manquement pouvant être difficile à prouver par le maître d’ouvrage. Il est en effet constant que le maître d’ouvrage délégué a une obligation de moyen, et non de résultat, dans l’exécution de son mandat. Ce faisant, pour engager sa responsabilité, démontrer qu’il n’est pas parvenu au résultat escompté ne suffit pas, le maître d’ouvrage doit prouver que son mandataire n’a pas tout mis en œuvre pour y parvenir.
A l’égard des tiers, le maitre de l’ouvrage délégué engage sa responsabilité extra-contractuelle s’il commet une faute dans l’exercice de son mandat, qui leur cause un préjudice.

Aux responsabilités décrites peuvent cependant s’en ajouter d’autres, selon les missions qui ont été confiées.
Par exemple, si le contrat prévoit une « mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage » comme mentionné à l’article 1792-1 du Code civil, le maître d’ouvrage délégué aura juridiquement la qualité de constructeur et partant, le maître d’ouvrage peut rechercher sa responsabilité décennale ou faire application de la garantie de bon fonctionnement. En sus, en pareil cas, il sera tenu d’une obligation de résultat, permettant d’engager sa responsabilité contractuelle plus aisément.

En conclusion, une correcte rédaction du contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée est donc primordiale, car des approximations peuvent conduire à une requalification du contrat, ou à des missions larges entraînant une responsabilité accrue.

Charles PAUMIER, Avocat https://avocat-paumier.fr