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Comment donner l’envie d’avoir envie de l’amiable ? Par Claude Bompoint Laski, Avocat honoraire.
Parution : mardi 6 juin 2023
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Comment donner l’envie d’avoir envie de l’amiable ? Posée par l’un des participants, fan de Jean-Jacques Goldman [1], lors du lancement de la politique de l’amiable par Monsieur le garde des Sceaux le 13 janvier 2023, cette question résume la problématique de la médiation judiciaire.
« Donner l’envie » de l’amiable, c’est une démarche de marketing, au sens d’un état d’esprit fondé sur l’écoute et l’observation des besoins de nos concitoyens dans la perspective de leur proposer un service qui réponde à ces besoins [2].

Chaque médiateur, chaque magistrat qui oriente vers la médiation, chaque avocat qui conseille un préalable amiable, s’assure que le processus répond aux réels besoins et intérêts de la personne en conflit mieux que les autres solutions, et fait ainsi œuvre de marketing.

Le besoin de médiation s’impose chaque jour davantage dans notre société.

Grâce à l’information et à l’offre proposée par les principaux organismes de médiation depuis une vingtaine d’année, des milliers de nos concitoyens ont de plus en plus recours à la médiation dite « conventionnelle ».
Ils prennent l’initiative de saisir directement un médiateur.
Selon un sondage de CSA Research, commandé en 2021 par la commission des lois du Sénat, les français plébiscitent la médiation à 90% [3].
La médiation est entrée dans les mœurs, de nombreux textes l’encadrent, mais elle peine à entrer dans les palais de justice (moins de 1% des affaires) [4].

La question est donc plus précisément : « Comment donner l’envie aux acteurs judiciaires d’intégrer l’amiable dans leur pratique ? »

Utilisons les outils du marketing pour comprendre leurs « résistances » :
- Quels sont leurs réels besoins et l’amiable peut-il être la réponse adéquate ?
- De quels outils disposent-ils pour mettre en œuvre l’amiable ?

Les besoins des magistrats et les moyens d’intégrer l’amiable.

En novembre 2021, près de 3 000 magistrats et une centaine de greffiers dénonçaient «  une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout  ».

Le rapport du Comité des Etats généraux de la justice, déposé en juillet 2022 par Monsieur Jean Marc Sauvé, Vice-Président honoraire du Conseil d’Etat, dresse le constat de la crise que traverse la justice, dans l’incapacité de « répondre à la demande des justiciables dans des conditions de délai et de qualité acceptables » et, notamment, « pour ceux qui travaillent à l’œuvre de justice, avocats, fonctionnaires et, au premier chef, magistrats, la justice rendue est loin de correspondre à la haute idée qu’ils s’en font. C’est un sentiment de désespoir, voire de honte qui domine… face à l’impossibilité de bien remplir sa mission ».

Des cinq besoins essentiels identifiés par Maslow [5] (physiologique, de sécurité, d’appartenance, d’estime, d’accomplissement de soi), le malaise des acteurs judiciaires, et principalement les magistrats, relève d’un manque d’estime de soi et d’accomplissement personnel dans l’exercice de leur fonction.
« Interpréter la loi dont la prédominance est remise en cause », « banalisée telle une norme parmi d’autres », « dont chaque juge doit en outre contrôler la constitutionnalité », ne correspond plus au cœur de leur métier.

C’est une crise de valeurs, « nationale et universelle », qui nécessite une « refondation profonde » que Monsieur le garde des Sceaux qualifie de « véritable changement de logiciel pour la justice civile » [6].
Les réformes successives de la justice prônent son rapprochement du Citoyen pour « restaurer la confiance dans l’institution », mais, dans la pratique, la médiation reste l’alibi humaniste et non la clé de voûte de ce nouveau paradigme.

La médiation, concept philosophique universel, fondé sur l’altérité, redonne du sens à l’action en ce qu’elle restaure ou qu’elle crée du lien entre nos concitoyens.

Certes, la médiation n’est pas le seul remède au malaise évoqué, mais décider de l’intégrer dans sa mission de justice démontre l’intérêt porté aux réels besoins du justiciable et restaure entre celui-ci et le juge une confiance indispensable à l’estime de soi et de sa mission.

Saisi d’un litige de voisinage, le juge des référés, qui motive dans les termes suivants une injonction de rencontrer un médiateur et de tenter une médiation avant expertise, valorise sa fonction et, de facto, la justice :
« Il importe, par contre, que les parties qui sont voisins et amenées à cohabiter durant de longues années, voire des générations, réussissent à retrouver une communication et une cohabitation apaisée que seule une mesure de médiation sera à même d’amener ».

La politique de l’amiable « consiste à favoriser une justice participative, donc plus rapide, donc plus proche, parce que le justiciable qui a participé à la décision qui le concerne aura le sentiment d’avoir été mieux entendu, et mieux jugé » [7].
La médiation judiciaire, c’est un temps rendu aux parties dans le temps du procès, qui suspend la prescription (art.2238 du Code civil) et l’interrompt en appel (art.910-2 du Code de procédure civile), ce qui exige un suivi rigoureux des dates de début et de fin du processus.

Plusieurs dispositifs permettent au juge d’intégrer à tout moment l’amiable dans la procédure, sans être dessaisi (article 131-2 du C.P.C.) :

Les besoins des avocats et les moyens d’intégrer l’amiable.

La campagne pour l’élection emblématique du prochain Bâtonnier du Barreau de Paris met en évidence une « crise des vocations » et « une aura pâlie » de la profession [8].
Les avocats, estiment que la prolifération des lois complexifie la recherche de la solution juridique. Ils se spécialisent, mais les contraintes matérielles chronophages ne leur permettent pas d’accorder assez d’attention à chaque client, si bien que, malgré leurs compétences, le résultat obtenu déçoit souvent ce dernier.
Il en résulte pour l’avocat une frustration et un besoin d’estime de soi et d’accomplissement personnel qui co-existe avec un besoin de sécurité.

Assurant la fonction sociale de défenseur des droits, il est parfois reproché à l’avocat de multiplier les procédures sans tenir compte des priorités du client.
De la fusion avec les anciens conseils juridiques en 1992 est né « l’avocat-conseil » qui privilégie la voie contractuelle, rédacteur d’actes et des formalités administratives, conseil en gestion, négociateur et que l’on retrouve dans le fameux « Barreau d’affaires ».

De son côté, la profession a modifié son image de marque en mettant en avant sa mission de conseil qui inclut la voie amiable.
L’article 6.1 du Règlement Intérieur National des avocats a intégré dans la mission générale de l’avocat celle « d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux modes amiables préalablement à toute introduction d’une action en justice ou en introduisant une clause à cet effet lors de la rédaction d’un acte juridique ».
Mission qui nécessite de s’assurer des besoins réels de son client, souvent noyés dans le récit de son conflit.
Le cursus universitaire de l’avocat ne le prépare pas à recevoir les émotions de ses clients, à les identifier et à utiliser la dynamique qui en résulte pour résoudre le différend.
Un certain nombre d’avocats se forment aux méthodes de médiation et reconnaissent qu’ils exercent ensuite différemment leur devoir de conseil et leur rôle de négociateur [9].

L’avocat est aussi le gestionnaire d’une entité économique et, à ce titre, il a également un besoin légitime de sécurité financière.
Le processus de médiation permet à l’avocat prescripteur/accompagnateur d’avoir la maîtrise du conseil sans l’aléa judiciaire, et la maîtrise de la négociation dans un cadre structuré (art 21 de la loi du 8 février 1995).
Associer son client dans le choix de l’amiable nécessite une évaluation comparative préalable de l’aléa judiciaire, éventuellement à l’aide de Data plus ou moins adaptées à la situation, et l’analyse des besoins et intérêts des parties, au-delà des griefs.
La méthode Harvard [10] permet ensuite de définir les marges de négociation pour co-construire avec la partie adverse, dans le cadre sécurisé de la médiation, la solution la plus adaptée non seulement à la résolution du différend, mais également au maintien de la relation entre les participants.

Cette prestation de spécialiste, d’application transversale quelle que soit la matière, fidélise la clientèle et justifie une du rémunération à la hauteur du service rendu, qui s’inscrit logiquement dans le « contrat de mission et de rémunération avec honoraire complémentaire de résultat » [11], comme dans la pratique anglosaxonne.

L’honoraire complémentaire de résultat est calculé soit « sur l’économie réalisée par le client par rapport aux sommes maximales réclamées par l’adversaire à son encontre » soit « sur le gain obtenu par le client par rapport au résultat prévu par les parties » à la convention.

A tout moment, l’avocat peut intégrer la médiation dans sa pratique sans être dessaisi s’il entretient des relations de confiance avec son client et avec le médiateur, assurés de son contrôle de la légalité des accords :

Le médiateur cessera d’être considéré par les avocats comme un concurrent, pour être reconnu comme un partenaire de ce dispositif systémique, lorsque le C.N.B., persuadé de la plus-value de l’amiable pour la profession, fera œuvre de marketing (besoins/moyens) en incitant les avocats à mettre en œuvre des conventions de rémunération avec honoraire complémentaire de résultat par des formations à l’évaluation de l’économie réalisée ou du gain obtenu par le client.

En résumé, l’amiable revalorise la fonction de justice, non qu’il soit applicable à toutes les causes, mais en ce qu’il donne aux professionnels du droit l’opportunité de moderniser leurs pratiques, de redonner du sens à leur mission et donc à leurs institutions, et, à nos concitoyens, un outil de démocratie participative.
La Chancellerie a doté les médiateurs d’un Conseil National de la Médiation, avec la lourde mission, notamment, de clarifier le droit de la médiation pour simplifier son application.
L’implication notoire de ses membres est un gage de son efficacité [12].

Claude Bompoint Laski Avocat honoraire Médiateur Vice présidente honoraire de la Fédération Française des Centres de Médiation Présidente de Bayonne Médiation

[1La chanson « L’envie » a été écrite par Jean-Jacques Goldman et chantée par Johnny Hallyday en 1986.

[2Le Mercator Jacques Lendrevie et Julien Lévy.

[4C. Arens et N. Fricero, Médiation et conciliation : modes premiers de règlement des litiges, Gaz. Pal. 24 et 25 avr. 2015.

[8Chronique justice de Paule Gonzalès - Le Figaro des 3 et 4 juin 2023.