Village de la Justice www.village-justice.com

Les relations sexuelles au travail : entre le plaisir et son emploi, il faut parfois choisir. Par Arthur Tourtet, Avocat.
Parution : lundi 12 juin 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/les-relations-sexuelles-travail-entre-plaisir-son-emploi-faut-parfois-choisir,46472.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Les relations sexuelles dans le cadre du travail ne seraient pas aussi anecdotiques qu’on voudrait le croire.
Il peut arriver à tout le monde de passer du fantasme à la réalité. Il suffit juste de tomber sur la bonne personne.
Mais dans certaines situations, s’adonner à ce genre de sport peut accoucher d’un licenciement.

1. En principe, les salariés font ce qu’ils veulent, tant que c’est en dehors du temps et du lieu de travail.

Toute personne a le droit au respect de sa vie privée, y compris au travail [1].

La vie sexuelle est peut-être ce qu’il y a de plus privé dans la vie d’un individu. L’employeur ne saurait se permettre d’interférer dans un domaine aussi intime.

Méconnaître le droit à la vie privée, c’est directement porter atteinte à la liberté individuelle [2].

Le droit à la vie privée implique la liberté de nouer des relations avec ses semblables [3].

En soi, le seul fait d’avoir des relations intimes avec des collègues, ne peut être interdit.

Inutile d’établir des chartes ou des instructions en ce sens, car ces dernières ne seraient ni respectueuses de l’article L1121-1 du Code du travail, ni de l’article 9 du Code civil, ou bien encore de l’article 8 de la CEDH.

Est donc nul, le licenciement d’un salarié ayant contrevenu à une interdiction d’avoir des relations intimes avec des collègues, sans aucune autre circonstance [4].

N’est pas justifié le licenciement pour faute d’un responsable ayant couché avec sa subordonnée (au domicile de cette dernière et en dehors d’heures de travail), sans aucune preuve d’un abus de fonction afin d’obtenir des faveurs sexuelles [5].

Est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le licenciement d’un salarié qui a eu des relation sexuelles avec un tiers, connu à l’occasion de ses fonctions, en l’absence de preuve que lesdites relations ont eu lieu durant les heures de travail [6].

N’est pas non plus fautif, le salarié a eu des ébats intimes avec une cliente, en dehors des heures de travail, dans une chambre privée, mise à disposition par l’employeur [7].

Il n’est pas non plus judicieux de licencier un salarié ayant eu des relations sexuels avec une ou un collègue, en lui reprochant du harcèlement sexuel, le harcèlement étant nécessaire subi.

Au contraire, une relation consentie peut être la démonstration de l’absence de harcèlement sexuel entre deux salariés [8].

En résumé, en dehors du service et des locaux de travail, le salarié fait ce qu’il veut.

Enfin, presque…

De temps en temps, des décisions de la Cour de cassation indiquent qu’il est possible de licencier un salarié pour des faits tirés de sa vie personnelle, lorsque lesdits faits se rattachent à la vie de l’entreprise ou à la vie professionnelle [9].

Le gros problème, est qu’il est très difficile de déterminer ce qui relève ou non de la sphère professionnelle, pour des faits se déroulant en dehors du temps et du lieu de travail.

Il est probable que la Cour de cassation soit un jour amenée à préciser cette jurisprudence, ou bien à y renoncer.

De plus, un fait tiré de la vie privée peut tout à fait fonder un licenciement pour le trouble objectif causé à l’entreprise [10].

Le salarié qui a des relations sexuelles avec des collègues ou des clients, en dehors du travail, peut donc tout à fait être licencié sur ce fondement.

Il s’agit d’un licenciement pour un motif personnel mais non disciplinaire, ce qui fait sa particularité.

Il faudra tout de même des circonstances particulières afin de caractériser ce trouble objectif, le simple fait d’avoir une liaison avec une ou un collègue, n’étant pas suffisant [11].

Par contre, est justifié le licenciement pour trouble objectif, d’un salarié ayant eu des relations sexuelles dans sa chambre privé, au sein de l’hôtel où il travaillait, durant un temps d’astreinte, avec une stagiaire mineure, de tels faits pouvant avoir des conséquences néfastes pour la réputation de l’employeur [12].

2. En revanche, faire l’amour sur le temps et le lieu de travail, n’est guère une bonne idée.

Première hypothèse : faire l’amour dans les locaux de l’entreprise, mais en dehors du temps de travail.

C’est un fantasme qu’il ne vaut mieux pas réaliser. Il n’appartient pas au salarié de faire un usage détourné des locaux de l’entreprise afin d’assouvir des besoins personnels. Qui plus est, cela peut porter atteinte à l’image de l’entreprise.

Par exemple, avoir des relations sexuelles dans son bureau, se faire photographier, puis stocker les photos sur un fichier accessible à des collègues, justifie un licenciement pour faute grave [13].

Est encore fautif, le fait d’introduire un tiers dans les locaux de l’entreprise, pendant les heures de fermeture, afin de forniquer en utilisant des biens de l’employeur (en l’occurrence, des matelas d’exposition dans un magasin de literie) [14].

Seconde hypothèse : faire l’amour durant ses heures de travail.

Il est logique qu’un tel comportement soit fautif.

Il résulte de la définition même du temps de travail, qu’un salarié doit se tenir à la disposition de son employeur et se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles [15].

Or, avoir des relations sexuelles sur les heures de travail est une occupation qui n’a rien de professionnelle, et pour laquelle le salarié n’a pas à être rémunéré (sauf concernant les acteurs d’un certain genre cinématographique).

Ce qui est sûr, c’est que les licenciements pour avoir eu des relations sexuelles pendant le service sont facilement justifiables, surtout si les ébats sexuels auraient pu avoir de mauvaises répercussions pour l’entreprise.

Par exemple, est justifié le licenciement d’un salarié d’un sauna échangiste, dont les égarements pendant le service auraient pu valoir à l’employeur des soupçons de proxénétisme, faits de nature à entraîner une fermeture de l’établissement [16].

Est également justifié le licenciement pour faute grave d’une salariée ayant eu des relations sexuelles au temps et au lieu de travail, sans compter qu’elle a été surprise par une autre salariée ayant été choquée par la scène [17].

En effet, il ne faut pas oublier que faire l’amour dans un lieu accessible au public, est constitutif du délit d’exhibitionnisme, y compris dans un lieu privé, à partir du moment où l’on peut être aperçu par des tiers et leur imposer un tel spectacle, faute de précautions suffisantes [18].

En ce qui concerne la preuve des relations sexuelles, le plus souvent, l’employeur ne pourra que se reposer sur les aveux d’un des deux partenaires, ou sur le témoignage de personnes ayant aperçu des actes intimes.

Si personne n’a rien vu ou entendu, et que les relations sexuelles ne sont pas reconnues, il sera périlleux pour l’employeur de se fonder sur des rumeurs afin de prononcer un licenciement.

Par contre, répandre des rumeurs de relations sexuelles sur le temps et le lieu de travail, y compris des rumeurs sur soi-même, peut justifier une sanction disciplinaire [19].

Arthur Tourtet Avocat au Barreau du Val d'Oise

[1Cass. soc.,. 2 oct. 2001, no 99-42.942.

[2Cons. Const. n° 94-352 DC, 18 janvier 1995.

[3CEDH, Affaire Bărbulescu c. Roumanie, 5 septembre 2017 Requête n° 61496/08.

[4CA Angers, 31 mars 2015, n°13/01949.

[5CA Rennes, 12 mars 2009, n° 08-01720.

[6CA Reims, 7 sept. 2016, n° 15-02069.

[7CA Paris, 10 septembre 2009, n°06/07659.

[8CA Nancy, 30 juin 2022, n° 20/02266, CA Chambéry, 30 mai 2023, n° 21/01464 et CA Paris, 21 mars 2013, n° 11/05290.

[9Cass. soc. 16 octobre 2013, n° 12-19.670, Cass. soc., 8 oct. 2014, n° 13-16.793 et Cass. soc., 16 janvier 2019, 17-15.002.

[10Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-44.918, et Cass. soc., 13 avril 2023, n° 22-10.476.

[11Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-41.140.

[12CA Dijon, 2 mars 2023, n° 21/00297

[13CA Rennes, 23 juin 2022, 19/04683.

[14CA Douai, 25 juin 2021, n° 19/00958.

[15C. trav., art. L3121-1.

[16CA Colmar, 13 mai 2022, n° 21/01570.

[17CA Lyon, 16 novembre 2018, n° 17/05620.

[18C. pén. art. 222-32 et Cass. crim., 14 décembre 1971, n° 71-91.890.

[19CA d’Aix-en-Provence, 20 février 2007, n°05/21578.