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L’avocat et le conciliateur de justice.
Parution : jeudi 15 juin 2023
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Ou comment sensibiliser les avocats au mode amiable de règlement des différends particulièrement utile que constitue la conciliation de justice ?

Le Conseil National des Barreaux (CNB) a souhaité mettre en avant son attachement et sa volonté de développement des modes amiables et alternatifs de règlement des différends (MARDs).
Sur la base d’un rapport de son groupe de travail « R.I.N et MARD », l’assemblée générale du CNB a approuvé les modifications du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (R.I.N) visant à « faire des MARD un axe majeur dans l’avenir de l’avocat ».
Les avocats, ainsi encouragés « à recourir aux MARD et à mieux les intégrer dans leurs réflexes », ont exprimé leur « volonté d’adapter leur pratique au déploiement des processus amiables » et sollicité un accompagnement.
Pour ce faire, le CNB a initié le développement de pratiques professionnelles innovantes dans ce domaine et publié notamment un « Guide de l’avocat, acteur des modes amiables ».
L’objet du présent article, en droite ligne de la démarche initiée par le CNB, est de sensibiliser les avocats à l’alternative particulièrement utile que constitue la conciliation de justice, fort des expériences déjà réussies en ce domaine entre des acteurs qui se situent au cœur des MARDs.

I - Quand recourir à une conciliation de justice ?

C’est la 1ère question que se posera un avocat pour comprendre dans quelles circonstances cela peut être utile à son client. Dans l’exercice de son métier, un avocat peut en effet se trouver confronté à des situations particulières où la poursuite d’une procédure judiciaire jusqu’au procès peut s’avérer délicate voire indécise quant à son issue et/ou problématique sur le plan financier. Il peut s’agir de :

II – Pourquoi recourir a une conciliation de justice ?

Un avocat peut avoir un a priori, une mauvaise connaissance, voire pas de connaissance du tout du rôle du conciliateur de justice.

Selon les dispositions légales :

Comme l’avocat, le conciliateur de justice est un auxiliaire de justice assermenté.
Sa mission est d’aider une ou plusieurs parties à trouver, dans le respect d’une procédure contradictoire, la meilleure solution à leur litige, dans un esprit d’apaisement et de façon pragmatique, qu’elles aient ou non déjà saisi un juge.
Le conciliateur de justice peut être désigné par les parties ou par le juge.

Des qualités reconnues :

Le conciliateur fait preuve de disponibilité et de mobilité. Son sens du service public le conduit à exercer sa mission à titre gratuit et aucun avantage matériel n’y est associé.

Une déontologie qui engage sa responsabilité après le serment prononcé par le conciliateur de justice lors de sa prise de fonctions :
- La confidentialité : L’article 1531 du code de procédure civile (CPC) soumet la conciliation conventionnelle au principe de confidentialité selon les modalités prévues à l’article 21-3 de la loi du 8 février 1995.
De même, l’article 129-4 du CPC dispose pour la conciliation déléguée que « les constations du conciliateur et les déclarations qu’il recueille ne peuvent être ni produites, ni invoquées dans la suite de la procédure sans l’accord des parties ni, en tout état de cause, dans une autre instance. »
L’obligation de confidentialité permet donc de satisfaire au double objectif d’assurer le respect des intérêts particuliers et de permettre aux parties de faire des concessions nécessaires à leur rapprochement.
Elle est aussi opposable au juge qui a délégué son pouvoir de conciliation. En effet, l’obligation du conciliateur de justice se limite à tenir le juge informé des difficultés qu’il rencontre dans l’accomplissement de sa mission, ainsi que de la réussite ou de l’échec de la conciliation (article 129-5 du CPC).

- L’impartialité : Le conciliateur de justice s’abstient d’intervenir s’il a un intérêt personnel dans le différend ou lorsque des parents, des amis ou des proches sont impliqués dans la conciliation.
Il veille également à ne pas donner de consultation juridique ou à émettre avis et conseils sur des démarches ultérieures. Il peut cependant orienter vers des services dont la compétence est susceptible de répondre aux demandes.

- Le devoir de réserve : Il impose au conciliateur de justice de ne pas porter atteinte à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité.

Un vécu et une expérience éprouvés :
Le vécu et l’expérience du conciliateur de justice dans les « litiges du quotidien », son habileté à apaiser les esprits, mettre en relation positive les parties jusqu’à l’échange final, dans le respect d’une procédure contradictoire, en font un allié précieux dans des situations conflictuelles.

III – Quels avantages pour l’ avocat ?

Ils sont multiples.

Un gain de temps considérable :

Un gain d’énergie appréciable :

Une avancée relationnelle avec son client :

Un avantage financier indéniable :

IV – La certitude d’une collaboration utile et efficace.

Régie par le CPC, l’intervention de l’avocat en conciliation fait aussi l’objet d’une double préconisation, celle du CNB, d’une part, celle du juge, d’autre part.
L’intervention de l’avocat en conciliation de justice est prévu par l’article 1537 du CPC.
Les articles 411 à 420 de ce même code disposent des règles selon lesquelles l’avocat peut représenter son client en justice (mandat ad litem) mais ne peut le représenter en conciliation de justice ni saisir directement le conciliateur en lieu et place de son client s’il s’agit d’une personne physique.

Le choix de l’avocat pour la conciliation :
La première question que l’avocat se pose avant d’orienter son client vers la voie amiable est de savoir si ce choix ne dépend pas du différend au fond, mais si les intérêts de procédure de son client peuvent être respectés au travers d’une procédure de conciliation.
Pour ce faire, il écoute les demandes de son client, examine les pièces, les délais, le risque de la prescription, l’état du droit et de la jurisprudence. Il interroge ensuite son client pour essayer de déterminer si l’affaire est éligible à la conciliation en analysant les intérêts de celui-ci, ceux de la partie opposée et en essayant de déterminer le nœud du problème (relation, réputation, reconnaissance, argent, ...). Il l’aide ainsi à identifier ce qui est important pour lui.

La saisine :
La requête qui saisit le conciliateur peut être adressée par l’avocat qui n’a pas à justifier d’un mandat à cette fin. Elle doit comprendre le nom des parties et leur adresse personnelle.
L’adresse courriel ne peut être communiquée et utilisée qu’avec l’accord de son propriétaire.
Un avocat doit identifier le conciliateur compétent en fonction du domicile des parties et non en fonction de l’éventuelle domiciliation à son cabinet sollicitée par son client.
Le conciliateur invitera le défendeur en précisant un délai déterminé de réponse au-delà duquel, en l’absence, il établira un constat de carence. Copie de ce courrier sera adressé à l’avocat du demandeur par courriel. Il ne sera pas utile alors de l’adresser au demandeur.

L’avocat accompagnateur de son client :
Conformément aux dispositions de l’article 1537 du CPC, l’avocat assiste son client mais ne le représente pas.
La présence physique des parties est privilégiée. Toutefois en cas d’éloignement géographique ou d’impossibilité de se déplacer (à justifier), le recours à la visioconférence est possible.
Dans ces situations exceptionnelles, un mandat écrit pour représenter la personne physique sera produit par l’avocat. Ce dernier pourra également être amené à adresser le projet d’accord à son client qui le retournera signé.
Au cas où un avocat comparaît seul et oppose le refus de concilier, c’est un constat de carence et non un constat d’échec de la tentative de conciliation qui sera établi.

Voici le mode d’emploi publié par le CNB transposé sans difficulté de la médiation à la conciliation :

L’Avocat accompagnateur, mode d’emploi
« Lorsqu’il intervient dans une conciliation, l’avocat accompagne son client durant tout le processus : Il conseille sur l’opportunité d’avoir recours à une conciliation de justice
Il conseille sur le choix du conciliateur
Il informe sur le droit applicable
Il prépare son client à la réunion de conciliation qui aura lieu en présence du conciliateur et de la partie adverse Il peut demander à suspendre la réunion de conciliation afin de pouvoir s’entretenir en aparté avec son client
Il aide son client, si un accord est trouvé, à en vérifier le contenu et les termes utilisés avant signature
 »

Le juge a émis également ses recommandations :
Lors de la réunion de conciliation, l’avocat est bienveillant, attentif, constructif, imaginatif, tout en tenant compte des besoins de son client.
Il participe à l’élaboration des pistes possibles en lien avec le conciliateur.
Des apartés peuvent intervenir entre lui-même et son client tout comme entre ce dernier et le conciliateur.
Loin d’attiser le conflit opposant son client à un tiers, l’avocat s’efforce au contraire de l’apaiser en l’analysant dans toutes ses dimensions, non seulement juridiques, mais aussi humaines et psychologiques.
Il aide son client à sortir du conflit dans un cadre pacifié et à trouver une solution durable.
Lors de la conciliation, il essaie de comprendre avec le conciliateur également les intérêts de l’autre conciliable pour pouvoir imaginer une solution réaliste.
En effet, le conciliateur, tiers facilitateur, ne donne pas son avis mais reformule, en identifiant les points de blocage, en retraitant les émotions, pour mieux déterminer les besoins de parties et les amener à trouver par elles-mêmes la meilleure solution à leur litige.
De même, l’avocat accompagne son client dans ce processus.
Il ne plaide pas mais écoute, comme le conciliateur, afin de comprendre quels sont les intérêts et les besoins des conciliables. Il veille aussi à l’équilibre de l’accord trouvé avec la partie adverse ainsi qu’à la préservation des intérêts de son client.
Le juge qui est le garant de la liberté individuelle et de l’ordre public, peut homologuer l’accord ainsi finalisé.
La signature d’un constat d’accord par les parties peut se faire en présence de leur avocat si elles le souhaitent. Si chaque partie a son conseil, ceux-ci peuvent contresigner l’accord pour être soumis à l’apposition de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction (décret n° 2022-245 du 25 février 2022).
En tout état de cause, si l’avocat souhaite signer aux lieu et place de son client, il présentera au conciliateur un pouvoir signé de ce dernier à cette fin expresse.

C’est la raison pour laquelle plusieurs associations de conciliateurs de Cour d’Appel ont pris l’initiative d’élaborer conjointement et de co-signer avec les chefs de cour et les barreaux des chartes de bonnes pratique. Nul doute que les autres associations suivront cet exemple garant à la fois des bonnes relations et d’un modus operandi idéal entre des acteurs qui se situent définitivement au cœur des MARDs.

Christian Badé, Conciliateur de justice, Cour d’Appel de Versailles
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