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La prévention des responsabilités dans la chaîne transport, par Maître Thierry Hiblot, avocat
Parution : samedi 6 décembre 2008
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Droit des transports.

PLAN
de l’exposé sur la prévention des responsabilités dans la chaîne transport :

I Les limites à la responsabilité contractuelle

I- 1 les dispositions de la Convention sur le transport national de marchandises par route du 19 mai 1956 dite CMR

I – 2 les dispositions du droit national français article 133 -I et suivant du code de Commerce, les contrats types

I- 3 les contraintes liées aux conventions internationales (Convention de Rome et le règlement modificatif n° 44/ 2001 dit Bruxelles I, la Convention européenne sur la notification des actes judiciaires à travers l’Europe modifiée par le règlement n° 1393 2007 du 13 novembre 2007)

I- 4 l’effet des droits nationaux des autres états. (Exemple de la cession de droits, du statut du commissionnaire)

I- 5 l’influence du droit français des contrats (articles 1690 du Code civil et suivant, articles 1250 et suivants du Code civil, articles 1289 et suivants du Code civil)

II les limites aux limites : le pouvoir de requalification du juge

II- 1 l’extension de la Convention de Genève par dispositions contractuelles

II -2 la requalification du statut du commissionnaire

II- 3 la liberté d’adaptation des dispositions qui ne sont pas d’ordre publiques

II- 4 les contraintes qui ne sont pas précisément prévues par les textes : le devoir d’information étendu

II- 5 le principe d’interprétation stricte du droit pénal et son application dans les délits liés au transport

Conclusion : les projets en cours

Maître Thierry HIBLOT
Avocat au Barreau de PARIS
www.hiblotavocat.com

EXTRAITS :

Pour l’organisateur le transport, il est d’abord important de définir la qualification juridique des différents intervenants auxquels il fait appel car cette qualification détermine le régime de responsabilité auxquels ils sont soumis.

La solution la plus commode est de prévoir préalablement par contrat cette qualification ce qui permet au besoin de modifier le régime de responsabilité.

Cette liberté contractuelle n’est pas entière. Elle se heurte à certaines dispositions d’ordre public comme par exemple l’interdiction pour un transporteur de s’exonérer de toute responsabilité ou de limiter tellement sa responsabilité qu’elle reviendrait à une exonération ou bien par exemple l’interdiction de clauses contraires à la Convention de Genève sur le transport international de marchandises par route en application de l’article 41 qui dispose

Article 41

1. - Sous réserve des dispositions de l’article 40, est nulle et de nul effet toute stipulation qui, directement ou indirectement, dérogerait aux dispositions de la présente Convention. La nullité de telles stipulations n’entraîne pas la nullité des autres dispositions du contrat.

2. - En particulier, seraient nulles toute clause par laquelle le transporteur se ferait céder le bénéfice de l’assurance de la marchandise ou toute autre clause analogue, ainsi que toute clause déplaçant le fardeau de la preuve.

Il conviendra également de mesurer le cas échéant les dispositions des autres droits nationaux qui peuvent comporter des règles de responsabilité différentes du droit français. Les conventions internationales telles que la Convention de Rome et le règlement modificatif n° 44/ 2001 dit Bruxelles I venu récemment en application, qui définit des règles de compétence en matière contractuelle ainsi que la Convention européenne sur la notification des actes judiciaires à travers l’Europe modifiée récemment par un règlement n° 1393 2007 du 13 novembre 2007 pour ne citer que les plus importantes, ont certes harmonisé les régimes juridiques nationaux mais n’ont pas éliminé les disparités beaucoup s’en faut.

Il existe dans le domaine du transport routier des intervenants qui sont prévus et définis légalement et d’autres intervenants qui ne répondent pas à une qualification juridique préétablie.

Ces qualifications mêmes lorsqu’elles sont reconnues de la même façon dans différents états ne sont pas pour autant toujours soumises au même régime de responsabilité.

C’est ainsi que le commissionnaire de transport français répond des actes du transporteur qu’il a missionné en droit français, alors que l’expéditeur allemand ou le forwarder britannique pour ne citer qu’eux ne répondent que de leur propre faute et il en est ainsi dans d’autres régimes de responsabilité.

Il existe d’autres qualifications qui sont survenues récemment dans le transport mais qui n’ont pas de définition légale. C’est ainsi qu’il est devenu courant aujourd’hui de parler de logisticien pour désigner l’organisateur de transport alors que cette qualification ne correspond à aucune définition légale ou réglementaire.

Indépendamment de ces régimes de responsabilité spécifiques au droit des transports, il faut également prendre en considération le droit commun des obligations contractuelles et délictuelles qui peut avoir une incidence déterminante sur la solution du litige.

Une opération de transport faisant souvent intervenir plusieurs professionnels, une solution satisfaisante du litige exigera que soient réalisées des cessions de droits et d’indemnités dans les plus brefs délais.

Là encore l’organisateur se trouve confronté à des disparités de droits nationaux qui sont parfois dramatiquement ignorées. C’est ainsi que de nombreux régimes juridiques européens prévoient qu’une cession de droits se fait sans forme particulière (exemple § 398 BGB allemand alors que le droit français exige le respect d’un formalisme contraignant tel que la signification par huissier de l’article 1690 du Code civil, sans même évoquer les conditions très difficiles exigées par les dispositions des articles 1250 et suivants du Code civil et la jurisprudence rendue en application pour qu’une subrogation soit effective en droit français.)

C’est ainsi également que le transporteur peut assigner l’expéditeur ou l’organisateur dans de nombreux états voisins pour qu’un juge dise que sa responsabilité n’est pas engagée ce qui permet de saisir son juge national alors que le droit français rejettera une telle action pour défaut d’intérêt à agir ce qui rend parfois la situation de l’expéditeur ou de l’organisateur difficile car il n’a pas toujours la possibilité d’exercer un recours dans les brefs délais légaux applicables dans le domaine de transport.

L’organisateur de transport doit absolument avoir présent ces contraintes lorsqu’il rédige son cahier des charges.

Trop souvent malheureusement et sans doute de plus en plus souvent en raison des possibilités nouvelles qu’offre la mondialisation et plus précisément l’élargissement de l’union européenne aux pays de l’Est, les organisateurs de transport ne voient que le montant de la facture du prestataire et la souplesse de ce dernier pour accepter des horaires de travail qui ne sont pas aussi facilement acceptés à l’ouest de l’Europe quand ils ne sont pas carrément interdits.

Ce qui est malheureusement trop souvent insuffisamment considéré, ce sont les conséquences financières de tels choix, sans même évoquer les exigences de sécurité publique et l’intérêt du client destinataire de la marchandise en termes de qualité de la prestation par des chauffeurs qui ne sont pas astreints à des obligations de formation continue voire même de formation tout court, et en termes de responsabilité pénale pour l’organisateur de transport et également en termes de responsabilité civile sur le fondement de la faute lourde et encore en termes d’indemnisation des sinistres, l’assureur de l’expéditeur ne trouvant plus la même possibilité d’exercer un recours contre l’assureur du sous-traitant bulgare ou polonais ou lituanien sans même évoquer la lourdeur accrue des procédures judiciaires pour obtenir leur condamnation.

J’attire votre attention sur les conséquences du recours à un commissionnaire de transport ou bien à un transporteur qui sous-traite, ou bien un transporteur qui ne sous-traite pas, ou bien un loueur de véhicules avec mise à disposition de chauffeurs.

Je voudrais également évoquer les exigences d’information et de précaution qui doivent être les vôtres dans vos relations avec les prestataires.

Il s’agit non seulement des responsabilités pour avaries mais également des frais supplémentaires auxquels vous êtes exposés soit parce que vos instructions étaient insuffisantes, soit parce que sont survenues des augmentations de charges (carburant, salaires…voir arrêt Arrêt de la cour d’appel de Paris (13e ch.) du 20 juin 2000) soit parce que votre transporteur a fait appel à un sous-traitant lequel exerce à votre encontre ou à l’encontre de votre client l’action directe dite loi Gayssot de l’article L. 133- 8 du code de Commerce.

Il conviendra également que vous preniez certaines précautions lors de la souscription de vos polices d’assurance.

Il conviendra également qu’en interne vous ayez adapté les conditions de la vente des marchandises aux nécessités du transport (problème de l’intérêt à agir).

Souvenez-vous également que dans la conduite des entreprises rien n’est jamais gravé dans le marbre et que vous aurez à mettre en place des signaux d’alerte pour que les dispositions contractuelles convenues puissent être révisées en fonction des impératifs changeants (contraintes réglementaires, changement de politique commerciale, modification des intervenants….)

S’agissant du recours à un commissionnaire de transport, il sera prudent de préciser le droit applicable et d’examiner s’il entend bénéficier de la possibilité pour lui de s’exonérer de toute responsabilité (je vous rappelle que ce n’est pas le cas du transporteur) et auquel cas qui aura la charge d’engager le recours contre le transporteur et les sous-traitants, sachant qu’ en droit international des transports par route, ce choix ne peut être en principe exercé que…

Article 36 CMR

A moins qu’il ne s’agisse d’une demande reconventionnelle ou d’une exception formulée dans une instance relative à une demande fondée sur le même contrat de transport, l’action en responsabilité pour perte, avarie ou retard ne peut être dirigée que contre le premier transporteur, le dernier transporteur, ou le transporteur qui exécutait la partie du transport au cours de laquelle s’est produit le fait ayant causé la perte, l’avarie ou le retard ; l’action peut être dirigée à la fois contre plusieurs de ces transporteurs.

En pratique cependant le débat est un peu faussé dans la mesure où bien souvent il est fait recours à un loueur de véhicules qui n’est pas lié par un engagement contractuel de transport mais apparaît sur les documents de transport ce qui contraint à devoir délivrer des assignations à plusieurs intervenants avant que le délai d’un an prévu tant en droit national français qu’en application de la Convention CMR article 32 soit expiré.

Il est donc essentiel à ce stade que vous ayez lors des négociations avec votre commissionnaire ou même votre transporteur, négocié et défini avec ces derniers si vous acceptez qu’il soit fait recours à la sous-traitance et à quelle sous-traitance. J’y reviendrai quand aux autres incidences de cette décision.

En application de la dernière jurisprudence de la Cour de Cassation (Arrêt n° 708 du 10 mai 2005), il ne suffit pas pour être considéré comme commissionnaire de transport de sous-traiter l’opération à un tiers encore faut-il être intervenu en tant qu’organisateur avec le libre choix des voies et des moyens.

La limite de 15 % du chiffre d’affaires annuel pouvant être sous-traitée en application de l’article 38 du décret du 14 mars 1986 sans être contraint à être inscrit au registre des commissionnaires de transport n’est qu’une disposition réglementaire fixant le statut professionnel mais ne suffit pas à définir la qualification du commissionnaire dans la recherche du régime de responsabilité devant un tribunal.

Vous noterez qu’il y a indépendance du statut réglementaire et du régime de responsabilité. C’est pourquoi il est important que dans votre cahier des charges vous ne vous contentiez pas de mentionner le statut du professionnel avec lequel vous traitez, encore faut-il que vous précisiez le régime de responsabilité applicable étant entendu que le juge et la doctrine admettent tant en France qu’à l’étranger que les parties peuvent modifier le régime de responsabilité qui découle d’une qualification par voie de convention hormis pour les dispositions dites d’ordre public.

C’est ainsi que par exemple les parties à un contrat de transport national peuvent décider d’appliquer entre elles les dispositions de la Convention de Genève sur le transport international de marchandises mais qu’à l’inverse les dispositions de cette dernière étant d’ordre public, les parties à un contrat de transport international ne peuvent décider d’écarter purement et simplement la CMR. Il en est de même de certaines dispositions en droit national français qui sont d’ordre public comme par exemple les dispositions de l’article 132-8 que je viens d’évoquer. (je ne rentre pas ici dans le débat assez compliqué de l’application de l’action directe au plan international. Je dirais pour ma part qu’elle peut être applicable au plan international dans un autre état lorsque le droit français y est applicable ce qui peut survenir en application des nouvelles dispositions du règlement Bruxelles I et que cela ne heurte pas les dispositions d’ordre public de l’autre état considéré.

Trop souvent, dans les conventions entre les organisateurs de transport et les transporteurs le choix se limite à accepter où à ne pas accepter la sous-traitance. Rien ne vous interdit et même tout vous incite à définir préalablement avec votre transporteur quelle sous-traitance est autorisée et selon quel régime. Vous faciliterez grandement la tâche de votre conseil en cas de contentieux ultérieur si ce point défini.

Autres conséquences de la qualification des parties au contrat de transport :

Vous n’ignorez pas que l’article 132 -8 du code de Commerce a été modifié par une loi n° 98-69 du 6 février 1998, dite loi Gayssot afin de permettre au transporteur sous-traitant impayé d’agir en paiement contre l’expéditeur et le destinataire en cas de défaillance du commissionnaire ou du transporteur principal. Facilitant la tâche de ce sous-traitant qui n’a plus en principe à se faire agréer par le donneur d’ordre comme c’est le cas dans le cadre de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance pour pouvoir engager une action en paiement de ses factures à son encontre, le législateur lui permet de réclamer le paiement de ses factures aussi bien à l’expéditeur qu’au destinataire bien que ceux-ci ignoraient jusqu’à son existence et aient de plus déjà réglé le transporteur qu’ils avaient affrétés (autre avantage je le rappelle que ne confère pas la loi sur la sous-traitance).

On sait les débats que cette situation a suscité devant les tribunaux et les fluctuations de la jurisprudence pour limiter le champs de cette action qui après avoir été carrément écartée en cas d’interdiction de la sous-traitance par le donneur d’ordre, s’est vu dans la dernière étape de la jurisprudence de la Cour de Cassation, rétablie dans l’hypothèse où le sous-traitant ne pouvait pas avoir connaissance de l’interdiction de la sous-traitance.
(Cour de Cassation Chambre commerciale du 13 juin 2006 numéro 781 )

De vifs débats ont encore lieu aujourd’hui pour cette raison devant les tribunaux, les expéditeurs et les destinataires tentent d’échapper aux conséquences de cette action directe en déniant leur qualité de destinataire du transport ou d’expéditeur. Avec une formulation qui paraît bien être de principe la Cour de Cassation a indiqué par un arrêt du 15 avril 2008 arrêt numéro 07-11398 recueil Dalloz 2008 numéro 20 page 1343 : « même s’il ne figure pas en qualité de destinataire sur la lettre de voiture, celui qui reçoit la marchandise et l’accepte sans indiquer agir pour le compte d’un mandant est garant du paiement du prix du transport par le voiturier.... ».

Il ne suffit donc pas de figurer sur la lettre de voiture en qualité de destinataire. En l’occurence l’absence de cette qualification sur la lettre de voiture n’a pas empêché la société qui avait reçu la marchandise d’être tenue au paiement des factures le transport, la Cour de Cassation précise : « en se déterminant ainsi, sans rechercher si la société A, en recevant et en acceptant la marchandise, avait indiqué agir comme mandataire de la société D, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 132 —8 du code de Commerce. »

Par cette formulation la Cour de Cassation semble fermer la porte à tous les stratagèmes tendant à permettre aux réceptionnaire de la marchandise de se soustraire aux rigueurs de l’article L. 132 -8 du code de Commerce. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! La réception matérielle de la marchandise emporte qualification de destinataire à moins qu’une autre personne accepte et revendique cette qualité. À mon sens, il ne suffira pas de désigner un tiers comme étant le véritable destinataire. Encore faudra-t-il à celui qui réceptionne la marchandise d’établir que se tiers est effectivement le destinataire tâche qui ne sera pas facile si ce dernier refuse cette qualification.

On peut considérer à mon sens que mutatis mutandis, le raisonnement sera le même pour qualifier l’expéditeur qui ne voudrait pas apparaître sur les documents de transport.

Il reste qu il est de l’intérêt de l’organisateur de transport de prévoir une clause dans le cahier des charges encadrant le recours à la sous-traitance afin de permettre de limiter le risque de voir apparaître un nombre plus ou moins important de sous-traitants impayés.

Je mets en garde contre la solution facile qui consiste à retenir le paiement des factures du transporteur principal dans l’attente de la justification qu’il a payé ses propres sous-traitants. Une telle exception d’inexécution se heurterait aux dispositions de l’article L. 441 – 6 du code de Commerce modifié par la loi du 5 janvier 2006 numéro 2006-10 relative à la sécurité et au développement des transports qui impose le paiement des factures dans un délai de 30 jours. (l’article L 441-6 a ensuite été modifié par une loi n° 2008-776 du 4 août 2008).

Il convient à mon sens d’exiger contractuellement la communication du compte fournisseurs d’entreprises de transport à périodes régulières. Cela permettra en outre de vous assurer que le transporteur bénéficie toujours d’une couverture d’assurance, que ses charges d’exploitation et notamment de gazole ne contiennent pas des augmentations qui n’auraient pas été prises en compte lors de la négociation des prix et qu’il pourrait être amené à vous demander de lui rembourser sur le fondement des dispositions de la loi du 5 janvier 2006 déjà cité en son article 23. D’une façon générale je vous rappelle qu’à défaut d’établir un contrat avec votre transporteur vous vous exposez à voir appliquer automatiquement les contrats types afférents au mode de transport concerné et qui ont été établis pour protéger le transporteur.

Pour la même raison je vous mets en garde contre la pratique qui consiste à déduire purement et simplement le montant des avaries et manquants des factures de transports.

En cas de sinistre et particulièrement en cas de sinistres vol vous devez avoir présent à l’esprit 2 termes : « rapidité » et « prudence » : rapidité pour adresser une déclaration à vos assureurs le plus rapidement possible soit au plus tard dans un délai de 48 heures en cas de vol et « prudence » dans la réponse que vous adressez à votre client victime du vol afin d’éviter une reconnaissance intempestive de responsabilité tout en le rassurant sur le fait que vous entreprenez toutes démarches utiles.

Il convient d’être prudent dans la formulation des courriers que vous adressez à vos clients. Je rappelle qu’une reconnaissance de responsabilité contenant engagement d’indemniser le client emporte interversion de la prescription qui n’est plus alors d’un an mais devient de cinq ans en application de la nouvelle loi 2008-561 du 17 juin 2008 qui modifie notamment l’article L. 110 -4 du code de Commerce. Là encore vous aurez veillé dans votre cahier des charges à contraindre le transporteur à vous communiquer sa propre police d’assurance et à veiller que votre assureur puisse effectuer utilement un recours contre ce transporteur. Cela signifie notamment que vous aurez exigé contractuellement que votre transporteur ait équipé ses véhicules d’un système antivol qui réponde à l’exigeante clause vol des compagnies d’assurances.

La justification du cahier des charges n’est pas à mon avis dans la nécessité de fixer des limitations de responsabilités différentes de celles qui sont prévues dans les contrats types. D’une part celle-ci me paraissent raisonnables et le coût en est maîtrisable par une bonne police d’assurance et par ailleurs je rappelle que la jurisprudence refuse qu’elles soient dérisoires et répute nulles les clauses limitatives de responsabilité ou du moins en écarte l’application lorsque le transporteur a commis une faute lourde voire même seulement au regard de la dernière jurisprudence de la Cour de Cassation (Cassation Commerciale 30 mai 2006 numéro 04 -974 lorsqu’elle constitue un manquement du transporteur à une « obligation essentielle du contrat. »

Par contre il conviendra de prévoir dans le cahier des charges qui est responsable de l’emballage, du calage et du mode de transmission des instructions au transporteur avant le départ du véhicule et en cours de transport.

À défaut de votre part d’avoir prévu des dispositions contractuelles particulières avec les transporteurs, les dispositions du contrat type s’appliqueront automatiquement pour les points que vous n’avez pas prévus. Je suggère pour ma part qui soit prévue contractuellement la possibilité pour l’organisateur de transport de mandater un contrôleur afin de pouvoir apprécier de temps à autre l’état des équipements et la qualité des prestations accomplies. De la même façon il serait opportun que dans un esprit commun les deux parties conviennent d’organiser des réunions de concertation afin de rechercher à améliorer l’efficacité du rôle du prestataire. L’antagonisme chargeur transporteur est bien connu.

Il convient cependant que les deux parties se souviennent qu’elles ont toutes deux un intérêt commun supérieur à savoir la satisfaction du client. L’activité de transport a connu et connaît de plus en plus des évolutions techniques substantielles. Il est donc de l’intérêt bien compris de l’organisateur de transport de maintenir une concertation continue avec le transporteur afin de rechercher avec lui les voies de l’amélioration de ses prestations.

Concertation ne signifie pas pouvoir de direction. Vous devrez veiller à ce que votre transporteur ne puisse vous reprocher de l’avoir privé de sa liberté d’action et de son pouvoir de direction de son entreprise. Cela vous expose à un risque de condamnation pénale s’il apparaît que les instructions au chauffeur émanent de vous et sont incompatibles avec les limitations de vitesse, la surcharge de véhicules et les temps de conduite sans même évoquer le cas du transport de marchandises dangereuses.

Plus généralement vous devrez vous abstenir de donner des instructions qui exposeraient le chauffeur ou des tiers à des dommages corporels.

L’article 223 -1 du code pénal dispose :

Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende.

Voir jugement tribunal de Grande Instance d’Albi du 8 février 1996
Vous êtes également concernés par la co-responsabilité pénale. Le décret n°92-699 dit de co-responsabilité dispose que la co-responsabilité du donneur d’ordre est engagée par « le fait pour tout expéditeur, commissionnaire, affréteur, mandataire, destinataire ou tout autre donneur d’ordre, en connaissance de cause, de donner à tout transporteur routier de marchandises, ou à tout préposé de celui-ci, des instructions incompatibles avec le respect des dispositions… » relatives aux durées maximales de conduite journalière, à la durée du travail, aux vitesses maximales autorisées, aux limites de poids des véhicules… L’engagement de la responsabilité du donneur d’ordre implique donc de prouver que celui-ci a donné de telles instructions et qu’il savait qu’elles étaient incompatibles avec le respect de la réglementation.
Voir Cass.Crim. 17 janvier 2006 ; Chauvet et a.

Vous êtes également concernés par les dispositions en matière de prévention de risques du travail. Pour cette raison, votre entreprise doit s’assurer que le transporteur respecte toutes les exigences requises par la réglementation en matière de prévention des risques du travail. Il
est donc nécessaire d’inclure dans le contrat des clauses rappelant à votre transporteur ses obligations sur la législation du travail et lui faisant obligation de vous en justifier notamment pour ce qui est de la formation continue des chauffeurs, du renouvellement des licences etc…

Comme il est très vraisemblable, qu’une large partie des marchandises que vous aurez à livrer proviendra d’un autre continent, je voudrais également attirer votre attention sur la responsabilité qui peut être la vôtre en cas de transport maritime. La loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement a modifié le livre Ier du code de l’environnement qui est complété par un titre VI ainsi rédigé :
« Art.L. 160-1.-Le présent titre définit les conditions dans lesquelles sont prévenus ou réparés, en application du principe pollueur-payeur et à un coût raisonnable pour la société, les dommages causés à l’environnement par l’activité d’un exploitant.

« L’exploitant s’entend de toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui exerce ou contrôle effectivement, à titre professionnel, une activité économique lucrative ou non lucrative.

Art.L. 218-18.-Les peines prévues à la présente sous-section sont applicables soit au propriétaire, soit à l’exploitant ou à leur représentant légal ou dirigeant de fait s’il s’agit d’une personne morale, soit à toute autre personne que le capitaine ou responsable à bord exerçant, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire ou de la plate-forme, lorsque ce propriétaire, cet exploitant ou cette personne a été à l’origine d’un rejet effectué en infraction aux articles L. 218-11 à L. 218-17 et L. 218-19 ou n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’éviter.

IV. ― Nonobstant les dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ».

Il est assez significatif de retrouver ici la formulation utilisée pour la co-responsabilité pénale.

Projets en cours pour finir :

Au moment où vous vous préparez à établir un nouveau cahier des charges qui doit fixer de façon durable vos relations avec vos transporteurs routiers, sachez que des réflexions sont actuellement menées qui devraient prochainement aboutir à des textes alourdissant les sujétions des transports routiers. Mission « Transport routier de marchandises » avril 2008 mise en place par le premier ministre.

La mission recommande de :

- sensibiliser les services de contrôle et les parquets à l’existence du dispositif mis en place par le décret de 1992 et à sa légitimité, afin d’aboutir au renforcement de son application, d’inviter les tribunaux à adopter une appréciation plus souple de l’élément intentionnel afin que les donneurs d’ordres peu scrupuleux ne puissent profiter de cet élément pour échapper à la sanction, d’améliorer la communication et la concertation entre les services de contrôles et les Parquets afin de cibler les entreprises à sanctionner et de s’accorder sur les critères qui
permettent d’engager la responsabilité du donneur d’ordre ;

- de modifier la rédaction du décret de sorte que la responsabilité du donneur d’ordre soit engagée dès lors qu’il a incité (et non plus seulement donné des instructions incompatibles) à la commission des infractions ;

- de prévoir la co-responsabilité pénale du donneur d’ordre dans l’énoncé même de certaines
infractions ;

- de prévoir une présomption de responsabilité pour certaines infractions (surcharge ou temps de conduite par exemple) ;

- de mettre à la charge du donneur d’ordre une obligation générale de contrôle de la conformité de l’opération de transport avec les normes énoncées par certaines réglementations (obligation prévue - pour ce qui concerne les temps de conduite et de repos - par le nouveau règlement communautaire n° 561/2006).

Dans la perspective d’une baisse très significative d’ici à 2050 des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, l’objectif de plus court terme retenu récemment pour encadrer le secteur du transport est issu du Grenelle de l’environnement : il consiste à réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports d’ici à 2020 (pour les ramener au niveau de 1990).

Dans sa communication de janvier 2008, la Commission européenne envisage pour sa part une réduction des émissions françaises (hors secteur soumis au marché de permis d’émissions) de 14 % par rapport à l’année 2005.

Deux orientations particulières ont été annoncées pour atteindre cet objectif :
− la création d’une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau routier non
concédé ;
− le ministère en charge de l’écologie du développement et de l’aménagement durables se fixe
comme objectif d’augmenter la part du fret ferroviaire de 25 % d’ici 2012 et celle du fret non
routier de 14 % aujourd’hui à 25 % en 15 ans.

A l’échelle européenne...

La France devrait :

− proposer l’élaboration d’un projet de règlement technique relatif à la limitation des émissions de gaz à effet de serre des poids lourds ;

− favoriser l’adoption du projet de règlement relatif à la limitation des émissions des véhicules utilitaires légers, dont une part significative est utilisée pour le transport des marchandises en ville, et qui correspondent à un important potentiel de réduction ;

− proposer d’intégrer le coût des émissions de CO2 dans le prix du transport routier (tarification routière, établissement d’un marché des permis d’émission, taxe carbone ou augmentation de la TIPP…) afin notamment de favoriser un report modal significatif sur les longues distances. Il doit être clair, cependant, que l’instauration éventuelle d’une taxe carbone ne peut se faire indépendamment du prix, exprimé en euros, du baril de pétrole.
Il doit également être clair que l’on ne peut, simultanément, intégrer le coût des émissions de G.E.S. dans les coûts externes,dans le cadre d’une révision de la Directive « Eurovignette » et instaurer une « écotaxe » sur le prix des carburants. A ce titre, la réflexion sur la possibilité d’augmenter la TIPP sur le gazole professionnel ou d’inclure les transports routiers de marchandises dans le marché d’échange des quotas d’émissions de CO

La France envisage par ailleurs d’intensifier les contrôles sur la route (respect par les poids lourds du code de la route, des charges maximales autorisées et de la prise du repos journalier) et de mettre en place des indicateurs de suivi et d’efficacité communiqués par les forces de l’ordre afin de suivre régulièrement l’évolution et les progrès réalisés ;

− de revoir rapidement la grille des vitesses maximales autorisées, aujourd’hui très complexe, afin de la simplifier, de la rendre plus compréhensible par les usagers et plus facilement contrôlable par les forces de l’ordre et donc mieux appliquée, afin également de favoriser l’émergence de solutions automatisées de contrôle ;

− d’étudier l’impact d’un alignement de la vitesse maximale des véhicules transportant des
marchandises dangereuses sur celle des autres véhicules de transport de marchandises. Très
peu d’accidents sur les marchandises dangereuses sont constatés, en raison notamment de la
formation spécifique destinée aux conducteurs et d’une plus grande sensibilisation de leur part
aux questions de sécurité. Les mesures prises pour le transport de marchandises dangereuses
pourraient être raisonnablement préconisées pour le transport de marchandises non
dangereuses

− de poursuivre les travaux sur le contrôle automatique des vitesses pour l’adapter aux poids
lourds, puis de le mettre en œuvre à titre expérimental ;

− de veiller à ce que l’historique des vitesses sur une période de temps de plusieurs semaines soit accessible sur le chronotachygraphe électronique ;

− de changer la réglementation des sanctions applicables au titre du respect du code de la route aux poids lourds et aux véhicules légers, si cela est juridiquement possible, en aggravant celles des poids lourds ;

− de coopérer avec les administrations étrangères pour rechercher une meilleure harmonisation des contrôles ;

Les ministres de l’État de l’union européenne doivent se réunir prochainement au sujet de la
révision de la directive "Eurovignette", qui s’inscrit dans la logique du principe "pollueur- payeur", l’objectif étant de prendre en compte dans la tarification des transports routiers leur impact sur l’environnement. Mais l’application devra nécessairement tenir compte de la situation économique des transporteurs routiers européens.

T. HIBLOT
25.08.2008

Avocat au Barreau de PARIS
www.hiblotavocat.com