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Le délai raisonnable du procès dans le système européen des droits de l’Homme et les Décrets Magendie. Par Vanessa Gonçalves Alvarez, Avocate.
Parution : mercredi 23 août 2023
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Quelle réforme pour la procédure d’appel ? Les buts de célérité et d’efficacité de la procédure d’appel dans l’édition des décrets n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 et n°2017-891 du 6 mai 2017 n’ont pas été atteints ? Près de quatorze ans après la première réforme, il est possible de se demander si elle a réellement permis d’accélérer la procédure d’appel pour désengorger les juridictions. Quels sont les enjeux de la judiciarisation de la vie et de la réalisation de la Justice ? Selon les chiffres clés de la justice (Édition 2022), la célérité souhaitée n’a pas pu être observée. De plus, le Conseil National des Barreaux a dénoncé l’échec des décrets, notamment concernant le « délai raisonnable ».

1 - Les principes directeurs des décrets Magendie.

Monsieur Jean-Claude Magendie, Président du tribunal de grande instance de Paris, a présidé la Mission qui a eu comme résultat les décrets n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 et n°2017-891 du 6 mai 2017, des outils pour concrétiser la réalisation de la justice efficace, notamment, les principes concernant les suivants : i) délai raisonnable du procès ; ii) la réalisation de la justice ; iii) l’efficacité de la prestation juridictionnelle.
Magendie affirmait que le procès doit « être rapide sans être expéditif, compréhensible pour ceux qui demandent justice, loyal et correspondre à toutes les caractéristiques du procès équitable ».

Néanmoins, les risques de violation des droits des justiciables dans les procédures rapides sont connus. Leur utilisation nécessite en conséquence une particulière vigilance au regard du respect des garanties offertes aux plaideurs : respect des droits de la défense, de l’égalité des armes et des autres grands principes qui favorisent un procès équitable.

A) Célérité de la justice et nouveaux pouvoirs des juges.

Quel sont les facteurs de ralentissement du procès judiciaire ? Comment s’attaquer à tout ce qui est susceptible d’engendrer des lenteurs inutiles pour promouvoir des pratiques mieux adaptées ? Ce sont quelques questions qui ont été posées par le rapport Magendie pour la célérité et la qualité de la justice.

Les décrets Magendie ont concrétisé la redéfinition du champ d’intervention du juge, la pénalisation des comportements, la qualité de la formation des différents intervenants au débat judiciaire, l’augmentation des moyens accordés à la justice pour remplir sa mission.

Cependant les délais de traitement n’ont pas connu une baisse significative, selon « les chiffres stock d’affaires » dans les juridictions, publiés par le ministère de la Justice.

B) Les statistiques du ministère de la Justice sur la rapidité et l’efficacité des procédures.

Chaque année, le ministère de la Justice présente les "chiffres clés de la justice" et une brève analyse des rapports présentés au cours des trois dernières années montre une augmentation du nombre d’affaires, selon les données ci-dessous :

• En 2019 devant les cours d’appel : - 25 % des affaires se terminent au bout de 3,6 mois - 50 % des affaires se terminent au bout de 10,7 mois - 75 % des affaires se terminent au bout de 21,8 mois - 95 % des affaires se terminent au bout de 36,9 mois.

• En 2020 devant les cours d’appel : - 25 % des affaires se terminent au bout de 4,5 mois - 50 % des affaires se terminent au bout de 12,4 mois - 75 % des affaires se terminent au bout de 23,5 mois - 95 % des affaires se terminent au bout de 38,8 mois.

• En 2021, devant les cours d’appel : - 25 % des affaires se terminent au bout de 6,5 mois ; - 50 % des affaires se terminent au bout de 15,4 mois ; - 75 % des affaires se terminent au bout de 27,7 mois et - 95 % des affaires se terminent au bout de 42,4 mois.

Ainsi, on peut constater la croissance de la durée de traitement des affaires.

2 - Les pertinentes propositions du Conseil National des Barreaux - CNB.

Tout d’abord, il est important de souligner que les propositions formulées par le Conseil National des Barreaux doivent être considérées, car elles émanent du conseil professionnel des avocats, ce qui lui confère une légitimité pertinente pour la réalisation de la justice.

Le principe du droit à interjeter l’appel d’une décision est posée à l’article 546 du code de procédure civile : « Le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n’y a pas renoncé ».

De plus le droit d’interjeter un appel découle du droit subjectif d’intenter une action pour protéger un droit. Dans un rapport présenté par le Conseil National des Barreaux, un certain nombre de points sont soulevés qui pourraient être améliorés, ce qui serait bénéfique pour les droits des justiciables et de leurs avocats.

A) L’impératif du respect du délai raisonnable comme droit du justiciable.

La notion de « délai raisonnable », consacrée par la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, qui renvoie au concept de célérité, est devenue en France un critère de qualité de l’action judiciaire et du procès (due proces of law).

L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, prévoit que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

Il est important de souligner que cette disposition a servi de fondement à la reconnaissance, par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, d’un droit d’accès à la justice, du droit à un recours juridictionnel (arrêt du 21 février 1975, X. c/ Royaume/Uni, série A, n° 18 § 36 ; Berger Jurisprudence de la Cour européenne, Sirey, 1996, n° 38 § 315 et s.)

La jurisprudence européenne exige en effet que la justice civile soit repensée en termes d’efficacité, de crédibilité, de célérité et d’équité. Tous ces paramètres ont déjà conduit le législateur à conférer progressivement un statut juridique – encore insuffisant – au temps du procès, afin que les inévitables délais qui jalonnent la procédure soient finalement raisonnables, c’est-à-dire adaptés aux objectifs à atteindre. Non sans un brin d’anticipation, on a même pu parler du « droit au temps » comme d’un nouveau droit subjectif .

Le droit à un jugement dans un délai raisonnable est un élément du procès équitable De plus, la Cour européenne des droits de l’homme insiste sur le rôle du juge dans le respect du délai raisonnable. Les législateurs nationaux se doivent de doter les juridictions du pouvoir de fixer les délais et d’en assurer le respect par les parties .

B) La recherche d’une procédure équitable comme proposition du Conseil National des Barreaux.

Le 9 juin 2023, selon la publication de la Gazette du Palais le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a profité de son intervention devant l’assemblée générale du Conseil National des Barreaux (CNB) pour dire : « Je suis entre le marteau et l’enclume », a-t-il déclaré, expliquant que les avocats souhaitaient l’abrogation des décrets mais que les premiers présidents de cour d’appel y étaient opposés. « Pour qui bat mon cœur ? Ce n’est pas le problème. Il y a parfois des compromis à trouver ».

Dans un rapport présenté le 14 octobre 2022, le Conseil National des Barreaux dénonçait l’échec des décrets n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 et n°2017-891 du 6 mai 2017 dits Magendie pour atteindre l’objectif de célérité et d’efficacité de la procédure d’appel. Conformément au rapport signé par Madame Boisrame (membre du Barreau) et Madame AssI (membre de la Commission des textes), « Les délais impératifs et l’automaticité des sanctions imposés par ces décrets ont contribué à aggraver les délais de traitement des affaires en les augmentant ».

Par courriel du 6 juin 2023, Monsieur Rémi Decout-Paolini, Directeur des affaires civiles et du Sceau, adressait à la profession d’avocat un projet de décret portant réforme de la procédure d’appel, dans l’objectif de clarifier la procédure devant la cour d’appel, endossant le fait que cette procédure fasse « l’objet d’une contestation et d’une incompréhension maintes fois exposées ».

Le projet de décret propose une réécriture autonome des dispositions relatives aux mentions de la déclaration d’appel en procédure ordinaire et en procédure sans représentation obligatoire, ainsi que celles relatives aux mentions de la requête conjointe.

Le projet de l’article 901 ajoute une obligation formelle à la rédaction de la déclaration d’appel, exigeant désormais qu’elle contienne la mention « infirmation » en sus des chefs du jugement critiqué.

Cependant, selon le rapport du Conseil National des Barreaux, cette obligation est contraire à la jurisprudence récente de la 2ème chambre civile du 25 mai 2023 qui a jugé : « Qu’aucune disposition du code de procédure civile n’exige que la déclaration d’appel mentionne, s’agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu’il en est demandé l’infirmation ». (Civ.2, 25 mai 2023 – pourvoi n°21-15.842).

Ainsi, l’objet du litige est suffisamment défini par le visa des chefs du jugement critiqués mais également dans les conclusions, par l’énoncé des prétentions figurant dans le dispositif. Enfin, il est impératif de coordonner le changement avec l’article 4 de l’arrêté du 27.02.2023.

Selon le rapport du Conseil National des Barreaux, la limitation de l’effet dévolutif n’est pas envisageable, notamment, depuis le décret du 6 mai 2017. De plus la suppression de mentionner dans la déclaration d’appel les chefs de jugement peut garantir une meilleure sécurité juridique.

Le Conseil National des Barreaux a raison de faire valoir que la modification de l’article 954 du code de procédure civile n’est pas compatible avec l’esprit de rapidité et de démocratisation de la procédure en ce qui concerne l’exigence expresse que le justiciable demande expressément l’annulation ou l’infirmation. Il est important de respecter l’esprit de la loi à travers la vérification du texte de la demande des parties.

Les hypothèses de fin de non-recevoir sont des enjeux du fond du litige. Ainsi, il n’est pas envisageable de donner la décision concernant la fin de non-recevoir au conseilleur de la mise en état.

Il est important de souligner que le 3 juin 2021, la Cour de cassation a précisé que le conseiller de la mise en état ne pouvait connaître ni des fins de non-recevoir tranchées par le juge de la mise en état ou par le tribunal ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui avait été jugé au fond par le premier juge [1]. Le conseilleur de la mise en état ne doit pas remplacer la Cour d’Appel. La mission du CME consiste simplement à régler des problèmes préalables de procédure relatifs à la seule instance d’appel.

L’audience est un outil important pour le respect du principe contradictoire. Cependant, à la demande des avocats et avec l’accord du ministère public, le projet permet le jugement d’une affaire sans plaidoiries, conformément au texte proposé pour l’article 916-7. Selon le rapport du Conseil National des Barreaux, il est envisageable de remplacer « l’accord des avocats » pour l’accord de « tous les avocats ».

La justice étant un service public, l’intervention active du juge dans l’instruction de l’affaire n’en apparaît que plus justifiée et légitime. Il lui appartient de veiller à ce que la justice ne soit pas abusivement encombrée par le fait de justiciables procéduriers au détriment de tous ceux qui demandent à être restaurés dans leurs droits ou qui prétendent à une solution qu’ils estiment juste et équitable

Le Conseil National des Barreaux a proposé la demande d’augmentation du délai pour signifier la DA à un mois. Cependant, le Conseil n’est pas favorable à l’allongement des délais en procédure ordinaire. De plus, il défend l’uniformisation des délais pour assurer l’égalité des armes entre les parties.

Ensuite, il faut souligner qu’il est important pour le Conseil National des Barreaux de mettre fin à l’automatisme des délais afin de permettre à la Cour d’adapter le calendrier des parties selon la complexité des dossiers.

Le plus difficile à comprendre est le projet du changement de l’article 910 du code de Procédure Civil, notamment, l’augmentation du délai de l’intervenant forcé à l’instance d’appel de trois à quatre mois.

De plus selon le Conseil National des Barreaux, il important est remplacer la « force majeure » pour « motif légitime » comme une raison pour écarter les sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 911, en tenant compte que la « force majeure » est une circonstance difficile à prouver et plus restrictive.

L’automaticité concernant les sanctions des caducités et irrecevabilités peut signifier l’interdiction de l’accès à la justice, ce qui peut caractériser un déni de justice. La Loi n°2007-1787 du 20 décembre 2007 sur la simplification du Droit a caractérisé le déni de Justice par la circonstance que les juges ont refusé de répondre aux requêtes ou ont négligé de juger les affaires en état et en tour d’être jugées. Ce même texte précise que l’État est civilement responsable des condamnations en dommages et intérêts qui sont prononcées à raison des faits de déni de justice sauf son recours contre les juges qui s’en sont rendu coupables.

Si l’impossibilité pour une partie d’accéder au juge chargé de se prononcer sur sa prétention et d’exercer un droit qui relève de l’ordre public international constitue un déni de justice fondant la compétence de la juridiction française lorsqu’il existe un rattachement avec la France, la seule détention par une société française d’une partie du capital d’une société étrangère ne constitue pas un lien de rattachement au titre du déni de justice [2].

Un formalisme excessif dans l’application des sanctions des règles procédurales "peut s’avérer contraire à l’article 6, paragraphe 1˚, de la Convention lorsqu’il est opéré au détriment de l’une des parties [3].

Voilà pourquoi il est important de supprimer l’automaticité des sanctions, notamment la caducité et la remplacer pour la possibilité de régulariser toute omission ou information inexacte dans un délai de 15 jours.

Conclusion.

La célérité n’est pas, et n’a d’ailleurs pas à être, la préoccupation première de la justice. Ce qui importe avant tout, est la qualité des décisions rendues. Cette qualité ne peut être atteinte qu’en consacrant à chaque affaire le temps qu’elle requiert. La célérité n’est pas une valeur en soi. Cependant une justice tardive ne peut pas non plus être considérée comme la réalisation du droit subjectif du justiciable. C’est pourquoi l’idée de procédure équitable est plus large, car elle englobe non seulement la célérité, mais aussi le respect des garanties formelles de la procédure. Dans ce contexte, l’examen et l’adoption des propositions formulées par le Conseil National des Barreaux est tout à fait pertinent, car elles indiquent les améliorations nécessaires à l’exercice du droit de la défense et, par réverbération, à celui du droit d’ester en justice.

Vanessa Gonçalves Alvarez, avocate.

[1Civ. 2e, 3 juin 2021, n° 21-70.006, R. Laffly, Avis de la Cour de cassation sur les fins de non-recevoir : here it is, Dalloz actualité, 17 juin 2021 ; D. 2021. 1139 ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero

[2Chambre sociale14 septembre 2017, pourvoi n°15-26737 15-26738, BICC n°875 du 1er février 2018 et Légifrance

[3CEDH, 31 mai 2007 Milhopa c/ Lettonie, préc., n˚ 24

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