Village de la Justice www.village-justice.com

Obligation d’avance de fonds par l’AGS en cas de redressement ou de liquidation judiciaire. Par Mélissa Louba, Juriste.
Parution : mercredi 16 août 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/garantie-des-salaires-situation-redressement-liquidation-judiciaire-une,46794.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Ne dit-on pas de la créance salariale qu’elle est « super privilégiée » ? En effet, les salaires ont toujours bénéficié d’un régime particulier et la jurisprudence se fait protectrice de cette créance particulière.

La chambre commerciale de la Cour de cassation retient, dans un arrêt du 7 juillet 2023 (pourvoi n° 22-17.902), que : « … sur la présentation d’un relevé de créances salariales établi sous sa responsabilité par le mandataire judiciaire, et afin de répondre à l’objectif d’une prise en charge rapide de ces créances, l’institution de garantie est tenue de verser les avances demandées ».

Alors que l’UNEDIC ès qualités de gestionnaire de l’Agence de Garantie des Salaires (ci-après AGS), estime que cette dernière ne devrait consentir à des avances de fonds pour régler les salaires impayés qu’à la seule condition qu’un contrôle a priori de l’insuffisance des fonds disponibles soit effectué, la Cour de cassation lui rappelle que ladite condition ne concerne que la procédure de sauvegarde et ne s’applique ni en redressement judiciaire, ni en liquidation judiciaire.
Par conséquent, l’AGS est tenue, en l’espèce, « de verser les avances demandées » sur simple présentation de relevés de créances salariales puisque s’agissant d’une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire.

I. La justification de l’insuffisance de fonds par le Mandataire judiciaire réservée à la sauvegarde.

1. La procédure sauvegarde : une procédure collective particulière.

La procédure de sauvegarde est une procédure collective volontaire. En effet, la loi qui l’a instituée l’a réservée au débiteur qui n’est pas encore en cessation des paiements mais qui éprouve des difficultés qu’il est en mesure de surmonter. Ainsi, le débiteur a la capacité de payer ses charges courantes mais anticipe de futures difficultés qui pourraient surgir à court ou moyen terme.
Comme le précise l’article L620-1 du Code de commerce :

« Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ».

Elle semble avoir le même but que la procédure de redressement judiciaire [1] mais s’en distingue par le fait qu’en redressement judiciaire, le débiteur est déjà en cessation des paiements et la situation économique et financière de ce dernier est compromise.

2. L’intervention « limitée » de l’AGS en procédure de sauvegarde.

La procédure de sauvegarde n’a pas d’incidence sur la situation des salariés et l’entreprise devrait continuer à payer les salaires normalement puisqu’elle n’est pas en état de cessation des paiements [2].
La ressource humaine étant l’un des piliers d’une entreprise, son salaire doit toujours être garanti (raison pour laquelle fut créer le fond de garantie géré par l’AGS) et l’employeur se doit, hors cas de cessation des paiements, de verser les salaires. C’est en ce sens que l’AGS n’intervient en cas de sauvegarde que pour couvrir les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenue pendant la période d’observation [3] et si et seulement si, le débiteur ne dispose pas de fonds suffisants aux règlements de ces indemnités [4].

En l’espèce, l’UNEDIC fait grief à l’arrêt de la condamner à verser ces avances de fonds, sans rechercher si le débiteur ne disposerait pas de fonds suffisants, nécessaires au paiement des créances salariales. Or, il s’agissait, au demeurant, d’une procédure de redressement judiciaire qui fut convertie en liquidation judiciaire à la suite de la cession des actifs intervenue. Il y a eu donc de la part de l’UNEDIC et de ses conseils, une confusion dans l’interprétation de cette condition qui ne concerne que la procédure de sauvegarde.
Erreur d’inattention ou « coup de bluff » ? La question reste en suspens !

3. L’implication de l’AGS en procédure de redressement et de liquidation judiciaire.

La cessation des paiements du débiteur est l’élément déclencheur de l’intervention de l’AGS dans les procédures collectives. Dans la sauvegarde, le débiteur n’étant pas en cessation des paiements, l’organisme n’intervient alors que très peu car celui-ci devrait avoir la capacité de payer ses salariés.
En revanche, dans les procédures de redressement et liquidation judiciaires, le débiteur est en cessation des paiements et ne dispose plus de trésorerie pour payer les salaires ; l’action de l’AGS est cruciale à ce stade au regard de la nature de la créance. Ainsi, le législateur a tenu à ce, qu’en cas d’impossibilité de règlement des salaires par le débiteur, le mandataire judiciaire demande l’avance des fonds nécessaires [5].

II. L’obligation d’établissement des relevés de créances salariales par le mandataire judiciaire pour le versement des avances.

1. L’urgence de l’action du mandataire judiciaire en raison de la nature de la créance.

Le salaire est la contrepartie d’un travail fourni par un salarié. Tout comme la créance alimentaire, la créance salariale est exemptée de déclaration lors de l’ouverture d’une procédure collective. Même si ces deux créances semblent être de même nature (car un salaire permet au salarié, entre autre, de se nourrir), la jurisprudence affirme que ces deux créances ne sont pas assimilables dans la mesure où l’employeur n’est pas soumis à une obligation alimentaire envers ses salariés [6]. Néanmoins, même si elle n’est pas considérée comme une dette alimentaire, la créance salariale permet au salarié de se procurer des moyens de subsistance ; ce qui lui confère un régime particulier [7] au sein des procédures collectives.
Par conséquent, le mandataire judiciaire ou liquidateur doit établir dans les 10 jours [8] du jugement le relevé de créances concernées par le super-privilège et, sur ordonnance du juge-commissaire, doit les payer s’il a les fonds nécessaires ou dès les premières rentrées de fonds ; à défaut, ces créances sont prises en charges par l’AGS [9].

Pour les autres créances salariales et accessoires, les relevés de créances doivent être établis dans un délai maximum de trois mois [10].

2. L’obligation d’établissement des relevés.

Tant que ces relevés ne sont pas régulièrement établis, l’AGS peut opposer un refus de prise en charge des créances des salariés : sans relevé de créances salariales, point de paiement [11].
En effet, le relevé de créances salariales est le « sésame » pour débloquer les fonds de l’AGS. De plus, dans la mesure où les salariés ne sont pas concernés par la déclaration de créances, le relevé de créances permet de tracer et comptabiliser les créances salariales. C’est à partir des relevés établis que l’AGS peut en retour déclarer sa créance pour les fonds avancés car si les associés sont exemptés de déclaration, la subrogation opérée n’exonère pas celle-ci de déclaration pour les sommes avancées et celles qui lui ont été remboursées [12].

3. L’automaticité du versement des avances par l’AGS.

Dès lors que le mandataire judiciaire établit les relevés de créances salariales et les transmet à l’AGS, cette dernière a l’obligation de débloquer les fonds correspondants à chaque relevés établis, et les mettre à disposition du mandataire pour que celui-ci effectue les paiements des salaires et accessoires y afférents.
Dans la mesure où le mandataire a établi ces relevés après vérification de l’effectivité de la créance et que ceux-ci sont visés par le juge-commissaire, ils sont comme dotés de « force exécutoire ».

La Cour de cassation, en l’espèce, a fait l’exacte application des textes en décidant que : « l’institution de garantie est tenue de verser les avances demandées ».

Mélissa Louba, Juriste - Doctorante en Droit

[1Cf. article L631-1 du Code de commerce.

[2F. Pérochon, M. Laroche, F. Reille, T. Favario, A. Donnette, Entreprises en difficulté, 11ème éd., LGDJ, p. 958.

[3Article L.3253-8, 2° du code du travail.

[4Article L.3253-20 alinéa 1 du code du travail.

[5Article L.3253-20 alinéa 1.

[6Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-24855 : Act. proc. coll. 2016, n° 121.

[7À l’instar de l’exemption de la déclaration, la créance salariale n’est par exemple pas soumise à la règle de l’interdiction des paiements.

[8Article L3253-19, 1° et 3° du code du travail.

[9F. Pérochon, M. Laroche, F. Reille, T. Favario, A. Donnette, op. cit. p. 1167.

[10Article L.3253-19, 2° et 4° du code du travail.

[11B. Amizet et L. Fin-Langer, « Le particularisme des créances salariales », BJE janv. 2017, n° 114d9, p. 51.

[12Cf. article L622-24 du code de commerce.