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Accident de trajet des militaires : faites reconnaître le lien au service ! Par Tiffen Marcel, Avocate.
Parution : vendredi 21 juillet 2023
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Lorsqu’un militaire ou en gendarme est victime d’un accident qu’il estime être un accident de trajet, il doit veiller à ce que celui-ci soit reconnu comme tel.

En effet, la reconnaissance d’un accident de trajet ouvre un certain nombre de droits aux militaires concernés (PMI éventuelle, prise en charge des frais médicaux, placement en CLM à pleine rémunération pendant 3 ans, etc).

1. L’accident de trajet, qu’est-ce que c’est ?

L’accident de trajet est un accident subi par militaire ou un gendarme, qui est reconnu imputable au service en ce qu’il est survenu sur le trajet entre son lieu de résidence habituel, ou son lieu de permission, et son lieu de travail.

La reconnaissance de l’accident de trajet confère certains droits aux militaires concernés dont notamment, le versement éventuel d’une pension militaire d’invalidité (PMI), le placement en congé longue maladie (CLM) à pleine rémunération durant 3 ans, et la prise en charge des frais médicaux.

Cependant, pour bénéficier de la reconnaissance de l’accident de trajet, des critères stricts sont appliqués.

1.1. Un accident survenu en dehors du domicile ou de la propriété.

Pour être reconnu comme étant un accident de trajet lors du départ vers le lieu de travail, l’accident subi par un militaire ou un gendarme doit être intervenu alors que le trajet avait commencé.

Par sa jurisprudence de principe du 12 février 2021 [1], le Conseil d’Etat a précisé notamment que le militaire devait, pour cela, avoir effectivement quitté son domicile ou sa propriété :

« 3. Est réputé constituer un accident de trajet et, par suite, revêtir le caractère d’accident survenu dans l’exercice des fonctions de l’agent public qui en est victime, tout accident qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service. Toutefois, pour que soit reconnue l’existence d’un accident de trajet lors d’un départ vers le lieu de travail, il faut que le trajet du domicile au lieu de destination ait commencé. Tel n’est pas le cas lorsque l’intéressé se trouve encore, lors de l’accident, à l’intérieur de son domicile ou de sa propriété .

A titre d’exemple, un accident survenu alors qu’un militaire serait en train de fermer la porte de son garage, à l’intérieur de sa propriété, ne peut être regardé comme un accident de trajet [2] :

« 4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et n’est d’ailleurs pas contesté que l’accident du 23 juin 2011 dont M. A... a été victime est survenu à l’intérieur de sa propriété. Par suite, alors même que l’intéressé avait sorti son véhicule sur la voie publique en vue de son départ et ne se trouvait à nouveau dans sa propriété que pour fermer la porte de son garage, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’en jugeant que cet accident présentait le caractère d’un accident de service, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens se son pourvoi, le ministre de l’intérieur est fondé à demander l’annulation du jugement qu’il attaque ».

A cet égard, la cour administrative d’appel de Marseille a précisé qu’un militaire qui réside dans un immeuble collectif doit être regardé comme ayant quitté son domicile dès lors qu’il a effectivement quitté son appartement, quand bien même il se trouverait dans le hall d’entrée de l’immeuble [3] :

« 3. Est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service. Le trajet est le parcours qui commence après que l’agent est effectivement sorti de son domicile ou de la résidence où il est hébergé même provisoirement, que cette habitation soit individuelle ou collective.

4. Il ressort des pièces du dossier, que le 19 juillet 2018 à 10h25, Mme B a été victime d’une chute en descendant les marches de l’escalier situé dans les parties communes de la résidence " La Croix Verte " dans laquelle elle occupe un appartement, alors qu’elle se rendait à son travail. L’accident s’étant produit alors qu’elle avait quitté son domicile, nonobstant le fait qu’elle se trouvait à l’intérieur du hall d’entrée de l’immeuble dont Mme B a un usage privé avec les autres habitants de l’immeuble, copropriétaires ou locataires, elle doit être regardée comme ayant quitté son domicile pour emprunter le trajet séparant celui-ci de son lieu de travail, au moment de l’accident. Dès lors, la requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal, considérant qu’elle ne pouvait prétendre avoir été victime d’un accident de trajet, a rejeté sa demande. Par suite, doivent être annulés, outre le jugement en litige, la décision du 10 octobre 2018 par laquelle le recteur de l’académie d’Aix-Marseille a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de l’accident de trajet dont elle a été victime le 19 juillet 2018, ensemble la décision du 29 novembre 2018 portant rejet de son recours gracieux ».

Ainsi, un militaire ou un gendarme qui subi un accident à l’extérieur de son appartement (s’il réside dans un immeuble collectif) ou à l’extérieur de la parcelle cadastrale dont il est propriétaire ou locataire (s’il réside en habitation individuelle), en rejoignant son lieu de travail, devra être regardé comme ayant subi un accident de service.

1.2. Un lieu d’hébergement provisoire mis à disposition dans le cadre des missions.

Il est des circonstances où les militaires et les gendarmes résident habituellement et provisoirement dans un endroit différent que leur lieu de résidence fiscal ou déclaré.

Dans une telle hypothèse, le Conseil d’Etat a jugé, dans sa jurisprudence de principe dite « Mme Abadie », que l’accident pouvait être considéré comme un accident de trajet si le militaire concerné se trouvait entre le lieu où il est hébergé provisoirement afin d’être à même d’exercer les fonctions qui lui sont attribuées et son lieu de résidence [4] :

« Est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service. Est également réputé constituer un accident de trajet, dans les mêmes conditions, tout accident se produisant sur le parcours habituel entre la résidence de l’agent et le lieu où il est hébergé provisoirement afin d’être à même d’exercer les fonctions qui lui sont attribuées (…) »

Par son arrêt du 4 juillet 2022, la cour administrative d’appel de Marseille a étendu cette jurisprudence aux accidents intervenus sur le trajet entre le lieu de travail et la résidence où un militaire serait hébergé même provisoirement, en retirant la condition fixée par le Conseil d’Etat relative à la mise à disposition du logement dans le cadre d’une mission [5] :

« 3. Est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service. Le trajet est le parcours qui commence après que l’agent est effectivement sorti de son domicile ou de la résidence où il est hébergé même provisoirement, que cette habitation soit individuelle ou collective  ».

A notre avis, cette analyse de la cour administrative d’appel de Marseille est très extensive de celle du Conseil d’Etat.

En effet, dans ses conclusions sous l’arrêt précité du 30 novembre 2018, le rapporteur public a insisté sur la circonstance que l’accident était survenu sur le trajet entre le lieu de travail et la « résidence mise temporairement à disposition de l’agent dans le cadre d’une mission qui se déroulait en un lieu trop éloigné de son domicile  » [6].

Dans son arrêt du 30 novembre 2018, le Conseil d’Etat a lui-même jugé qu’un accident peut être considéré comme un accident de trajet s’il est survenu entre le lieu de travail et « le lieu où [le militaire] est hébergé provisoirement afin d’être à même d’exercer les fonctions qui lui sont attribuées  ».

A notre avis, à ce jour, à la lecture de la jurisprudence du Conseil d’Etat un accident ne devrait donc être reconnu comme un accident de trajet entre le lieu de travail et le lieu d’hébergement temporaire du militaire concerné que si cet hébergement a été mis à sa disposition en vue de l’exercice de ses missions.

1.3. Un trajet direct entre le lieu de résidence et le lieu de travail.

Par un arrêt ancien du 27 février 1974, le Conseil d’Etat a jugé que, s’agissant des permissions des militaires, l’accident de trajet devait s’entendre d’un accident survenu sur le trajet direct entre le domicile familial et le lieu de travail, à l’exclusion de tous autres trajets, quand bien même ces trajets auraient été autorisés par le titre de permission :

« Considérant que l’accident survenu à un militaire bénéficiant d’une permission régulière ne peut être regardé comme survenu par le fait ou à l’occasion du service - et encore à condition qu’aucune imprudence grave ne soit imputable à la victime - que si cet accident a eu lieu, soit pendant le trajet direct que le militaire a normalement suivi pour se rendre du lieu où son unité est stationnée à celui de son foyer familial, soit pendant le trajet inverse ;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier, et des énonciations de l’arrêt attaqué que le sieur Estelle, gendarme à Lourdes, a bénéficié d’une permission de 7 jours pour se rendre à Pointis Isnard, puis à Lourdes ; que le 5e jour de sa permission il a été victime d’un accident d’automobile alors qu’il se rendait de Pointis Isnard à Lourdes ; que l’arrêt attaqué porte que l’accident est arrivé au cours du trajet d’aller, eu égard au titre de permission, et peut être regardé également comme le trajet de retour dès lors que le sieur Estelle, dont la famille habitait Lourdes, n’entendait pas repartir de Lourdes avant de rejoindre son corps à l’expiration de sa permission ;

Considérant que la circonstance que le titre de permission, qui mentionnait Pointis Isnard comme lieu de destination du trajet d’aller, mentionnait ensuite Lourdes où l’intéressé avait son foyer comme lieu de seconde destination, ne permettait pas à la Cour de regarder l’accident survenu au cours de permission comme un accident de trajet de nature à ouvrir droit à pension, le trajet parcouru n’étant ni le trajet direct d’aller, de la caserne au domicile familial, ni le trajet de retour, lequel eût ramené l’intéressé non à son foyer, mais à l’unité à laquelle il appartenait ; que dès lors le ministre d’Etat chargé de la Défense nationale est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ».

Par la suite, le Conseil d’Etat a précisé que l’accident de trajet devait s’entendre d’un accident survenu, soit au début de la permission, sur le trajet direct entre le lieu de travail et le lieu de permission, soit à la fin de la permission, sur le trajet de retour [7] :

« Considérant qu’un accident de la circulation subi par un militaire en permission ne peut avoir le caractère d’un accident de nature à ouvrir droit à pension que s’il est survenu soit au début de la permission, sur le trajet direct reliant le lieu du service au domicile du militaire ou à sa résidence habituelle, soit en fin de permission sur le trajet direct reliant ce domicile ou cette résidence au lieu du service ;

Considérant que M. Bader effectuait son service à la base 106 de Mérignac (Gironde), et qu’il était domicilié à Saint Médard en Jalles (Gironde) ; que l’accident qu’il invoque s’est produit à Herbisse (Aube), que cette ville n’est pas située sur le trajet direct de Mérignac à Saint Médard en Jalles ; que, par suite et alors même que le titre de permission de M. Bader l’autorisait à se rendre à Charleville-Mézières, l’accident dont il a été victime ne peut être regardé comme survenu en service ; que le ministre de la défense est dès lors fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal départemental a reconnu un droit à pension à M. Bader ».

En principe, un militaire en permission ne devrait donc pouvoir voir son accident reconnu comme un accident de trajet que si cet accident est survenu entre le lieu mentionné dans son titre de permission et son lieu de travail, et ce, soit, au début de la permission sur le trajet aller, soit à la fin de la permission sur le trajet retour.

2. Les conséquence de la reconnaissance de l’accident de trajet.

La reconnaissance de l’accident de trajet implique que l’accident soit reconnu imputable au service.
De ce fait, le militaire bénéficie de certains droits non négligeables.

2.1. La prise en charge des frais médicaux.

Aux termes de l’article L822-24 du code général de la fonction publique :

« Le fonctionnaire qui bénéficie d’une reconnaissance d’imputabilité au service d’un accident ou d’une maladie a droit au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par sa maladie ou son accident ».

Le militaire ou le gendarme, victime d’un accident de trajet, peut donc solliciter son administration de rattachement en vue du remboursement des frais médicaux avancés par lui dans le cadre de sa guérison.

2.2. Le congé longue maladie imputable au service.

Aux termes de l’article L4138-13 du code de la défense :

« Le congé de longue maladie est attribué, après épuisement des droits de congé de maladie ou des droits du congé du blessé fixés aux articles L. 4138-3 et L. 4138-3-1, dans les cas autres que ceux prévus à l’article L. 4138-12, lorsque l’affection constatée met l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions et qu’elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée.

Lorsque l’affection survient du fait ou à l’occasion de l’exercice des fonctions ou à la suite de l’une des causes exceptionnelles prévues à l’article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ce congé est d’une durée maximale de trois ans. Le militaire conserve, dans les conditions définies par décret en Conseil d’Etat, sa rémunération.

Dans les autres cas, le militaire de carrière, ou le militaire servant en vertu d’un contrat réunissant au moins trois ans de services militaires, bénéficie de ce congé pendant une durée maximale de trois ans. L’intéressé perçoit, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, sa rémunération pendant un an, puis une rémunération réduite de moitié les deux années qui suivent. Le militaire servant en vertu d’un contrat réunissant moins de trois ans de services militaires bénéficie de ce congé, non rémunéré, pendant une durée maximale d’un an (…) »

Ainsi, un militaire dont l’accident sera reconnu comme un accident de trajet, c’est-à-dire, comme un accident de service, pourra être placé en congé longue maladie (CLM) durant 3 ans à pleine solde, qu’il soit de carrière ou non.

A l’inverse, si l’accident n’est pas reconnu comme un accident de trajet, la durée de son congé longue maladie (CLM) et sa solde dépendra des situations suivantes :

La reconnaissance de la qualité d’accident de trajet est donc fondamentale pour les militaires, qui doivent envisager un recours si leur accident est, à tort, reconnu comme ne présentant pas de lien avec le service.

2.3. La pension militaire d’invalidité.

Aux termes de l’article L121-1 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre :

« Ouvrent droit à pension :
1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d’événements de guerre ou d’accidents éprouvés par le fait ou à l’occasion du service ;
2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l’occasion du service ;
3° L’aggravation par le fait ou à l’occasion du service d’infirmités étrangères au service
4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d’accidents éprouvés entre le début et la fin d’une mission opérationnelle, y compris les opérations d’expertise ou d’essai, ou d’entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service.

Sous réserve de remplir les conditions de relatives aux taux d’invalidités fixés par l’article L121-5 notamment, la reconnaissance de l’accident de trajet subi par un militaire conduit donc à un possible octroi d’un titre d’invalidité et d’une pension militaire « d’invalidité ».

Ainsi, les accidents de service, dont font partie les accidents de trajet des militaires leur ouvrent, sous réserve de remplir toutes les conditions, à des droits à pension.

Les militaires doivent donc rester très vigilants concernant la reconnaissance du lien au service de leurs accidents et intenter les recours nécessaires, dans un délai de deux mois, contre toute décision qui refuserait, directement ou indirectement de reconnaître l’imputabilité au service de leurs accidents de trajet.

Tiffen Marcel Avocate au barreau de Paris [->tiffen.marcel@obsalis.fr] [->https://www.obsalis.fr/]

[6Concl. Sous l’arrêt CE, 30 novembre 2018.

[7CE, 16 février 1996, req. n°38374.