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Créanciers B2B, il est temps de solliciter votre indemnisation intégrale ! Par Tommaso Cigaina, Avocat.
Parution : mardi 22 août 2023
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En vertu de l’article L.441-10 du Code de commerce, tout créancier peut réclamer au débiteur professionnel une indemnité égale à l’intégralité des frais exposés pour le recouvrement de sa créance. Malgré le caractère d’ordre public et l’intérêt économique majeur de cette disposition, les créanciers B2B ne sollicitent que très rarement la condamnation du débiteur à les indemniser.

I.Introduction.

Depuis 2012, grâce à la transposition de la directive 2011/7/UE, l’article L.441-10 du Commerce (anciennement L.441-6) permet à tout créancier d’obtenir de son débiteur professionnel, en sus d’intérêts de retard majorés :
- une indemnité forfaitaire de 40 € par facture impayée ;
- une indemnité complémentaire, sur justification, lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de l’indemnité forfaitaire ;

Malgré son caractère révolutionnaire, cette dernière hypothèse est longtemps restée inappliquée et a rencontré une véritable résistance de la part des juridictions de première instance.

En effet, soit par manque de familiarité avec cette disposition ou préférant conserver un plus large pouvoir d’appréciation, celles-ci étaient initialement réticentes à accorder au créancier une indemnité couvrant l’intégralité des frais de recouvrement et préféraient continuer d’appliquer l’article 700 du Code de procédure civile, qui laisse au juge une grande liberté (ce qui s’avère souvent très peu satisfaisant pour la partie gagnante, qui ne reçoit le plus souvent qu’un faible montant par rapport aux coûts réels de la procédure).

Ainsi, il a fallu attendre 2014 pour que soit prononcée la première condamnation d’un débiteur au remboursement intégral des frais exposés par le créancier et, au cours de deux années successives, seulement une dizaine de décisions favorables à pu être obtenue.

A partir de 2016, les premiers arrêts de cour d’appel ont été rendus en la matière et ont consacré un certain nombre de principes encadrant l’application pratique de cette disposition.

Le plus important est sans doute que, à condition d’en fournir les justificatifs, l’indemnité complémentaire couvre l’intégralité des frais exposés par le créancier, ceci incluant les honoraires d’avocat (y compris d’éventuels honoraires de succès) et sans que le juge puisse moduler le montant dû par le débiteur (CA Paris 9 juin 2016 n°14/16967 ; CA Aix-en-Provence 26 sept 2019 n°16/19309 ; CA Paris 5 nov. 2019 n°18/00748).

Cette interprétation ne souffre d’aucune incertitude au vu du texte de la directive de 2011 (voir en particulier les considérants 19 et 20 et son article 6) dont l’article L.441-10 constitue la transposition. La même lecture est confirmée, au moins depuis 2013, par la DGCCRF.

Toutefois, et alors qu’en France chaque année environ 25% des dépôts de bilan sont dus aux impayés, force est de constater que – encore à ce jour – très peu de créanciers sollicitent la pleine application de l’article L.441-10.

En effet, la très vaste majorité des décisions rendues au visa de cette disposition ne comporte que des demandes au titre des intérêts de retard et de l’indemnité forfaitaire 40 € par facture impayée.

Il semble donc utile de parcourir les principaux arrêts rendus depuis janvier 2021 pour faire le point sur l’état de la jurisprudence en la matière et, on l’espère, contribuer à une plus large application de l’indemnisation intégrale des créanciers vis-à-vis de leurs débiteurs B2B.

II. Des nombreuses certitudes…

Il ne fait aucun doute que les dispositions de l’article L.441-10 du Code de commerce sont d’ordre public et s’appliquent de plein droit sans que le créancier ait à justifier d’un préjudice (CA Lyon 5 janv. 2021, n°19/04501 ; CA Versailles 14 juin 2022, n°21/01623 ; CA Paris 16 juin 2022, n°21/05752 ; CA Paris 10 janv. 2023, n° 19/07103).

Il en découle que les pénalités de retard et les indemnités pour frais de recouvrement sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir à être mentionnées dans les CGV ou sur les factures du créancier (et malgré le fait que la présence de telles mentions est exigée par les articles L.441-9 et L.441-10 sous peine de sanctions pénales).

En effet, leur exigibilité est de nature légale et non conventionnelle, de sorte qu’une omission sur la facture ou dans les CGV n’est pas censée y faire obstacle (CA Aix-en-Provence 23 mars 2021, n°20/07657 ; CA Douai 22 avr. 2021, n°19/05700 ; CA Angers 16 nov. 2021, n°18/00600).

Les décisions dissidentes sur ce point sont très rares et ne sauraient être approuvées (CA Poitiers 11 mai 2021, n°19/01607). Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de mentions obligatoires et qu’il convient de s’assurer que ses propres factures et CGV soient conformes aux exigences légales et réglementaires.

Autre certitude, le caractère irréductible des pénalités dues en application de l’article L.441-10. Celles-ci ne constituent pas une clause pénale et ne peuvent donc pas être réduites en raison de leur caractère abusif (CA Lyon 5 janv. 2021, n°19/04501 ; CA Paris 6 janv. 2021, n°20/00614 ; CA Bordeaux 28 oct. 2021, n°19/00001 ; CA Douai 28 avr. 2022, n°21/04179).

Aucun doute également concernant le champ d’application de cette disposition, qui peut être invoquée par tout producteur de biens ou prestataire de services à l’égard de tout débiteur professionnel, sans que l’un ou l’autre doive avoir la qualité de commerçant.

C’est notamment le cas des avocats et des experts-comptables, mais il en va de même des autres professions libérales et même des associations 1901 qui exercent une activité professionnelle (CA Colmar 12 janv. 2021, n°19/04378 ; CA Paris 21 janvier 2021, n°18/00589 ; CA Grenoble 16 févr. 2021, n°19/01322 ; CA Rennes 22 mars 2021, n°20/05548).

Enfin, sans surprise, lorsque le créancier demande que le débiteur soit condamné à lui verser une indemnité complémentaire au titre des frais qu’il a exposés, il doit en justifier.

A cet égard, il appartient au créancier de produire les factures émises par le conseil ou par la société de recouvrement qu’il a mandaté pour obtenir le règlement des factures impayées (CA Versailles 30 sept. 2021, n°19/04502 ; CA Versailles 14 juin 2022, n°21/01623 ; CA Paris 9 mars 2023, n° 21/00207 ; CA Basse-Terre 13 mars 2023, n° 21/00493).

La simple production du contrat conclus avec son mandataire, même s’il précise la rémunération due à ce dernier, n’est pas considérée suffisante par certaines décisions (CA Douai 28 avr. 2022, n°21/04179).

III. … et quelques errements.

Comme rappelé en introduction, le créancier a le droit d’obtenir le remboursement intégral de tous les frais qu’il a exposés pour recouvrer sa créance, ceci incluant l’intégralité des honoraires de l’avocat qu’il a mandaté dans le cadre du recouvrement judiciaire (CA Paris 9 juin 2016 n°14/16967 ; CA Aix-en-Provence 26 sept 2019 n°16/19309 ; CA Paris 5 nov. 2019 n°18/00748).

Ce principe est confirmé et, lorsque ces factures sont versées à la procédure par le créancier, la créance qu’il en résulte à l’égard du débiteur est jugée non sérieusement contestable dans son intégralité (CA Paris 4 nov. 2021 n°21/03863 ; CA Grenoble 27 janvier 2022, n° 20/02533).

Toutefois, de temps à autre, il n’est pas exclu de tomber sur des arrêts dissidents…

A titre d’exemple, dans une occasion, la Cour d’appel de Paris a pu contredire sa propre jurisprudence en minorant la condamnation du débiteur au motif que l’indemnité sollicitée par le créancier était d’un « montant qui correspond presque à celui du principal HT réclamé » (CA Paris 29 mars 2021 n°19/05181).

Une telle motivation, qui rappelle l’appréciation en équité admise par l’article 700 du CPC, n’est cependant pas justifiée au regard de l’article L.441-10 du Code de commerce et ne saurait être approuvée.

Autre exemple. La Cour d’appel de Versailles a pu juger que les « frais de recouvrement peuvent viser les frais engagés dans le cadre du recouvrement et résultant de l’intervention d’un avocat, prestataire de service. Toutefois, seuls les frais de recouvrement sont visés, ce qui n’est pas le cas des frais d’avocat engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire. Or, il résulte des factures d’honoraires du cabinet X versées aux débats que sont ainsi seulement justifiés les frais d’avocat engagés dans le cadre de la présente action en justice, pour lesquels une indemnisation est prévue sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, caractérisant à cet égard également une contestation sérieuse » (CA Versailles 22 sept. 2022 n°22/00730).

A l’évidence, dans la mesure où l’article 700 du CPC est une disposition générale (qui concerne tous les frais irrépétibles) alors que l’article L.441-10 du Code de commerce est une disposition spéciale y dérogeant (et qui concerne uniquement les frais exposés dans le cadre d’un recouvrement de créance), une telle décision mérite d’être désapprouvée.

A peine un mois plus tard, dans une autre affaire, la Cour d’appel de Versailles s’est ravisée et a condamné le débiteur à rembourser le créancier une somme correspondant à l’intégralité des notes de frais et d’honoraires de son avocat au titre de la procédure de recouvrement (CA Versailles 25 oct. 2022 n°21/02815).

Dans le même sens, par un arrêt du 22 mars 2023, la Cour d’appel de Paris a confirmé que « les frais de recouvrement sont ceux engagés pour permettre la perception d’une somme d’argent et correspondent aux coûts administratifs et internes, ainsi qu’aux frais exposés par le créancier pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement de créances ». (CA Paris 22 mars 2023 n°21/01812).

Il s’agissait toutefois d’une espèce particulière, où le créancier était demandeur reconventionnel dans une instance beaucoup plus vaste et où son conseil n’avait pas ventilé ses diligences, afin d’isoler celles consacrées au recouvrement. La Cour d’appel a donc été contrainte d’appliquer le seul article 700 en raison de l’impossibilité d’appliquer l’article L.441-10.

Ainsi, malgré ces rares « errements jurisprudentiels », le principe de l’indemnisation intégrale du créancier est désormais admis largement et les mauvais payeurs s’exposent à devoir rembourser tous les frais de recouvrement exposés par le créancier, en sus du paiement de la somme principale et des autres pénalités.

Aux créanciers B2B, il ne reste plus qu’à solliciter cette indemnisation complémentaire et, bien évidemment, à justifier le montant réclamé.

Tommaso Cigaina Avocat au Barreau de Paris GIE Onze Cent Trois avocats