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Hydroélectricité : nature juridique du bail emphytéotique. Par Anne-Margaux Halpern, Avocat.
Parution : vendredi 25 août 2023
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Par un arrêt du 15 juin 2023 [1], la Troisième Chambre civile de la Cour de cassation a qualifié d’administratif le bail emphytéotique portant mise à disposition d’une centrale hydraulique, installée sur un barrage, appartenant à une commune. Pour retenir son incompétence pour connaître de cette convention, la Cour de cassation s’est fondée sur les objectifs de politique énergétique, visés aux articles L 100-1 et L 100-2 du Code de l’énergie, à savoir la diversification des sources d’énergie et le développement des énergies renouvelables.

1/ Rappel des faits.

Le 18 mars 2013, une commune a conclu avec une société hydroélectrique un bail emphytéotique portant sur la mise à disposition d’une centrale hydraulique, installée sur un barrage appartenant à la commune. Par un arrêté préfectoral du 30 janvier 2017, la société hydroélectrique a été mise en demeure de satisfaire aux prescriptions de l’article L. 214-18 du Code de l’environnement et de procéder à l’installation de dispositifs maintenant dans le lit du cours d’eau un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux et empêchant la pénétration du poisson dans le canal
d’entrée.

Ultérieurement, la société hydroélectrique s’est vue refuser l’autorisation d’exploiter la centrale hydroélectrique, par arrêté préfectoral du 27 février 2019.

A la suite de ce refus la privant de toute possibilité d’exploiter la centrale, la société hydroélectrique a assigné la commune, devant les juridictions judiciaires, aux fins d’une part qu’elle réalise les travaux de mise en conformité de l’ouvrage et d’autre part, qu’elle l’indemnise pour le préjudice subi. Dans le cadre du litige, pendant devant la juridiction judiciaire, la commune a soulevé une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative en se prévalant du caractère administratif du bail.

Par un arrêt du 21 juillet 2021, la cour d’appel d’Orléans a retenu l’exception d’incompétence, soulevée par la commune, et jugé que le bail emphytéotique avait un caractère administratif dès lors que la mise à disposition de la centrale hydroélectrique constituait une opération d’intérêt général, relevant de la compétence de la Commune. La Cour d’appel s’est donc déclarée incompétente pour connaître des demandes de la société.

La société hydroélectrique a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. A l’appui de son pourvoi, la société contestait la nature administrative du bail en se fondant sur le fait que l’activité de production d’électricité était une activité commerciale et que ce n’est qu’à titre accessoire qu’elle était tenue à des obligations d’intérêt général de continuité et de volume de l’eau. Selon la société hydroélectrique, la mise à dis-position de la centrale avait pour objectif premier de lui permettre d’exploiter, économiquement, la centrale. Ce n’est qu’à titre accessoire que la société preneuse se voyait mettre à sa charge des obligations d’intérêt général. Par suite, la société hydroélectrique reproche à la cour d’appel d’Orléans d’avoir fait primer les obligations mises à sa charge sur le caractère économique de l’exploitation.

La Cour de cassation a rejeté le moyen et qualifié d’administratif le bail emphytéotique administratif portant mise à disposition d’une centrale hydroélectrique.

2. Arrêt du 15 juin 2023 de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation.

Cass., civ. 3., 15 juin 2023, pourvoi n°21-22816.

La Cour de cassation a procédé à un raisonnement en deux temps.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a commencé par rappeler les dispositions de l’article L 1311-2 du Code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable à la date des faits, lesquelles pré-voient que :

« un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique prévu à l’article L 451-1 du Code rural et de la pêche maritime en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence. Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif ».

La Cour rappelle ensuite que de tels contrats sont administratifs par détermination de la loi.

Dans un second temps, la Cour de cassation s’est intéressée à l’objet du bail emphytéotique, et plus précisément à la question de savoir si ce bail avait été conclu en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la commune.
La Cour s’est fondée, d’une part, sur les dispositions du 4° de l’article L 100-1 du Code de l’énergie, dans leur version en vigueur au 18 mars 2013, qui prévoient que :

« la politique énergétique […] préserve la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre […] »

Et d’autre part, sur le 3° de l’article L 100-2 du Code de l’énergie qui prévoit que : « pour atteindre les objectifs définis à l’article L 100-1, l’Etat, en cohérence avec les collectivités territoriales et leurs groupements et en mobilisant les entreprises, les associations et les citoyens, veille, en particulier, à […]diversifier les sources d’approvisionnement énergétique, réduire le recours aux énergies fossiles, diversifier de manière équilibrée les sources de production d’énergie et augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale ».

Après avoir rappelé que les communes concourent avec l’Etat à la protection de l’environnement et à la lutte contre l’effet de serre par la maîtrise et l’utilisation rationnelle de l’énergie [2], la Cour en a conclu que :

« la mise à disposition, par l’effet d’un bail emphytéotique, d’une centrale hydroélectrique, en vue de la production et de la vente d’électricité à un fournisseur d’énergie, en ce qu’elle favorise la diversification des sources d’énergie et participe au développement des énergies renouvelables, constitue une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la commune ».

La Cour a donc rejeté le pourvoi et confirmé la compétence de l’ordre juridictionnel administratif pour con-naître de ce contentieux.

Arrêt :

« 1. Selon l’arrêt attaqué (Orléans, 21 juillet 2021), par acte du 18 mars 2013, la commune de [Localité 1] (la commune) a donné à bail emphytéotique à la société hydro-électrique du [Adresse 2] (la société) une centrale hydraulique installée sur un barrage.

2. Par arrêté du 30 janvier 2017, le préfet du Loir-et-Cher a mis en demeure la société de satisfaire aux prescriptions de l’article L 214-18 du code de l’environnement par l’installation de dispositifs maintenant dans le lit du cours d’eau un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux et empêchant la pénétration du poisson dans le canal d’entrée.

3. Par arrêté du 27 février 2019, il a refusé d’accorder à la société l’autorisation d’exploiter la centrale hydroélectrique.

4. Le 28 février 2019, la société a assigné la commune en condamnation à réaliser les travaux de mise en conformité et en indemnisation. La commune a soulevé une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.

[…]

5. La société fait grief à l’arrêt de dire que le contrat liant les parties est un bail emphytéotique administratif et que les juridictions de l’ordre administratif sont compétentes pour connaître du litige né de ce contrat, alors :

« 1°/ que pour qu’un bail emphytéotique soit qualifié d’administratif, l’activité du bailleur ou l’opération en vue de laquelle le bail est conclu doivent se rattacher à l’intérêt général par un lien direct et principal ; que sauf dans le cas où elle est assujettie à des obligations particulières de continuité ou de volume, la production d’électricité à des fins commerciales ne constitue pas une activité d’intérêt général ; qu’en se fondant, pour qualifier le contrat de bail emphytéotique administratif et se déclarer incompétente, sur la circonstance qu’il devait permettre la production d’électricité non carbonée, la cour d’appel, qui n’a pas constaté que cette production était soumise à des sujétions particulières, a violé l’article L 1311-2 du Code général des collectivités territoriales ;

2°/ que le bail emphytéotique qui a essentiellement une finalité commerciale et ne remplit un objectif d’intérêt général que de façon accessoire et incidente ne peut être qualifié de bail emphytéotique administratif ; qu’en se fondant, pour qualifier le contrat de bail emphytéotique administratif et se déclarer incompétente, sur la circonstance que l’exploitation du barrage devait permettre non seulement la production d’électricité non carbonée mais également la conservation d’un plan d’eau utilisé à des fins touristiques, sportives et de loi-sirs, et que la société hydro-électrique du [Adresse 2] avait accepté de financer pour partie les travaux de mise en transparence nécessaire au maintien du barrage, la cour d’appel a violé l’article L 1311-2 du Code général des collectivités territoriales ».

Réponse de la Cour :

« 6. Selon l’article L 1311-2, alinéa 1, du code général des collectivités territoriales, dans sa version en vigueur au 18 mars 2013, un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique prévu à l’article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence. Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif.

7. Selon l’article L 1311-3, 4°, du même code, les litiges relatifs aux baux emphytéotiques administratifs sont de la compétence des tribunaux administratifs.

8. Selon les articles L 100-1 et L 100-2 du code de l’énergie, dans leur version en vigueur au 18 mars 2013, la politique énergétique vise notamment à préserver la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre. Pour atteindre cet objectif, l’Etat, en cohérence avec les collectivités territoriales, veille, en particulier, à diversifier les sources d’approvisionnement énergétique, réduire le recours aux énergies fossiles et augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale.

9. Selon l’article L 1111-2 du code général des collectivités territoriales, les communes concourent avec l’Etat à la protection de l’environnement et à la lutte contre l’effet de serre par la maîtrise et l’utilisation rationnelle de l’énergie.

10. Il en résulte que la mise à disposition, par l’effet d’un bail emphytéotique, d’une centrale hydroélectrique, en vue de la production et de la vente d’électricité à un fournisseur d’énergie, en ce qu’elle favorise la diversification des sources d’énergie et participe au développement des énergies renouvelables, constitue une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la commune.

11. La cour d’appel a, dès lors, retenu, à bon droit, abstraction faite de motifs surabondants critiqués par la seconde branche du moyen, que la convention liant la commune et la société était un bail emphytéotique administratif.

12. Elle en a exactement déduit que le litige né de ce bail relevait des juridictions de l’ordre administratif.

13. Le moyen n’est donc pas fondé ».

3. Analyse de la décision de la Cour de cassation.

Cet arrêt interpelle et ce, à deux titres.

En premier lieu, la nature commerciale ou non de l’activité d’exploitation d’une centrale hydroélectrique n’est pas prise en compte par la Cour de cassation. Cette dernière ne l’appréhende qu’à travers les conséquences de cette activité. En d’autres termes, l’activité d’exploitation de la centrale hydroélectrique apparaît comme un moyen permettant à la commune de répondre aux objectifs de politique énergétique.

En second lieu, pour apprécier l’existence d’une opération d’intérêt général, la Cour de cassation se fonde sur les objectifs visés aux articles L 100-1 et L 100-2 du Code de l’énergie qui posent des principes très généraux. La Cour ne procède pas à une analyse in concreto de l’activité exercée mais rattache l’objet du bail une compétence de la Commune.

Par cet arrêt, la Cour étend la possibilité d’une qualification administrative des baux emphytéotiques conclus par une commune dès lors qu’ils se rattachent à une opération relevant de sa compétence.

Anne-Margaux Halpern Avocat au barreau de Lyon - Droit public des affaires

[1Cass., civ. 3., 15 juin 2023, pourvoi n°21-22816.

[2Article L 1111-2 du Code général des collectivités territoriales.