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Intoxication alimentaire au « fait maison » : actions de la victime et responsabilité du restaurateur. Par Aude Sebert et Aurélie Tardy, Avocats.
Parution : lundi 18 septembre 2023
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La sardine n’est plus la bienvenue dans les assiettes bordelaises : alors qu’elles dinaient tranquillement en famille ou entre amis, plusieurs personnes ont été victimes d’une intoxication à la botuline, neurotoxine produite par des bactéries qui se développent dans les conserves d’aliments mal stérilisées.
Cette affaire n’est pas sans rappeler le scandale de la tapenade ayant intoxiqué gravement huit personnes en 2011 dans le Vaucluse et dans la Somme.

Ces faits divers posent la légitime mais épineuse question des actions ouvertes aux victimes et des responsabilités susceptibles d’être engagées en cas d’intoxication alimentaire.

Si les restaurants font l’objet de stricts contrôles d’hygiène et de salubrité et peuvent se voir infliger des sanctions administratives qui peuvent aller de l’amende à la fermeture de l’établissement, ne seront envisagées dans cet article que les conséquences juridiques d’une intoxication alimentaire au prisme de l’action pénale (I) et civile (II).

I. La voie répressive.

Les conséquences d’une intoxication alimentaire peuvent être mortelles et à tout le moins, à l’origine de séquelles irréversibles. Preuve en est des victimes de l’ingestion de sardines avariées à Bordeaux en raison d’un conditionnement pour le moins douteux du restaurateur. En effet, au compteur, on recense d’ores et déjà un mort et les autres victimes, hospitalisées, sont atteintes, pour la plupart, d’affections neurologiques.

La première porte qui s’ouvre aux victimes est naturellement celle de l’action pénale, enclenchée par le ministère public ou par la victime elle-même par le biais d’une plainte ou d’une citation directe.

Mais quelle infraction retenir contre un restaurateur qui, vraisemblablement, n’avait pas l’intention d’attenter à l’intégrité physique de ses clients ?

La loi du 10 juillet 2000 n°2000-647 apporte une définition précise de l’élément moral en matière de délits non intentionnels (dont l’homicide involontaire et les blessures involontaires sont les infractions phares) à l’article 121-3 du Code Pénal.

L’élément moral est, aux termes de la loi précitée, constitué par une faute simple (imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement) ou une faute qualifiée (violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence prévue par la loi ou le règlement ou faute caractérisée qui expose autrui à un risque d’une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer).

Quid dans le cas d’un restaurateur ayant servi des sardines non comestibles à ses clients ?

L’obligation de traçabilité alimentaire qui pèse sur le restaurateur a notamment été entérinée par un règlement communautaire n°178/2002 plus connu sous le nom de « Food law ».

Il met en place trois niveaux de traçabilité alimentaire dont une traçabilité interne. La traçabilité interne induit que le restaurateur doit être à même de prouver toutes les étapes de transformation qu’il a réalisées sur le produit initial afin d’aboutir au produit fini vendu au consommateur. En pratique, le restaurateur sera obligé de vérifier les dates limites de consommation (DLC) et les dates de durabilité minimale (DDM), et, pour se faire, il devra étiqueter les produits qu’il a lui-même cuisinés, les plats « fait maison ».

De même, la circulaire n°8082 du 27 juin 1980 relative aux règles d’hygiène applicables aux matériels prévoit que :

« Les matériels employés lors de toutes transformations de denrées alimentaires, que celles-ci aient lieu en atelier, en laboratoire ou en cuisine de restauration, doivent répondre à certaines règles d’hygiène afin de mettre les consommateurs à l’abri de tout risque d’intoxication ou de toxi-infection alimentaire ».

Cette circulaire vise notamment les matériels et accessoires durables utilisés dans la préparation, la cuisson, le refroidissement, le stockage, le transport, la distribution des denrées alimentaires.

L’ensemble de ces règles est nécessairement connu des restaurateurs, soumis à une obligation de formation hygiène alimentaire (HACCP) depuis 2012.

Il existe donc bon nombre de loi ou règlements imposant aux restaurateurs des règles particulières de prudence ou de sécurité.

Le restaurateur qui propose des produits « faits maison » à sa clientèle sans assurer la traçabilité de sa préparation ni vérifier la capacité du matériel utilisé à assurer une bonne stérilisation de celle-ci commet donc une faute de nature à engager sa responsabilité pénale.

Par ailleurs, le restaurateur, en sa qualité de professionnel des métiers dits « de bouche », doit être vigilant quant à la présence, au sein de son établissement, de produits avariés. Il est présumé averti des risques induits par l’ingestion d’un produit ne respectant pas les règles de conditionnement. Tel est notamment le cas lorsque des sardines sont anormalement odorantes et nécessite qu’une partie des conserves soit jetée…

Le restaurateur s’expose donc à un risque pénal non négligeable, qui peut aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende [1].

Néanmoins, si la responsabilité pénale du restaurateur peut être engagée en cas d’intoxication alimentaire, la victime reste soumise aux affres de la procédure pénale, par essence inquisitoire. Ainsi, force est de constater que la partie civile reste écartée de l’expertise pénale, non contradictoire, et que l’action publique reste entre les mains du procureur de la République qui dispose, in fine, de l’opportunité des poursuites. En effet, si la partie civile garde la possibilité d’introduire une citation directe en cas de classement sans suite cette dernière est conditionnée au versement d’une consignation bien souvent dissuasive.

Si la voie pénale permet la répression, la voie civile demeure reine pour la réparation d’autant que la loi du 10 juillet 2000 est venue mettre fin au principe d’identité des fautes civiles et pénales.

II. La voie de la réparation.

Alors que l’action pénale a un rôle de catharsis pour la victime et joue un rôle préventif dans la réitération de l’infraction, l’action civile tend à rétablir les victimes dans une situation semblable à celle dans laquelle elles se trouvaient avant de consommer l’aliment pathogène.

De la simple indigestion au décès, les conséquences d’une intoxication alimentaire sur la santé sont nombreuses et doivent, lorsqu’elles surviennent dans le cadre d’une activité de restauration, faire l’objet d’une réparation intégrale sur le fondement de l’article 1240 du Code civil :

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

En matière de restauration, les professionnels sont soumis aux règles du droit de la consommation, qui leur imposent une obligation générale de sécurité.

L’article L421-3 du Code de la consommation prévoit notamment que

« les produits et les services doivent présenter (...) la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes ».

Aussi, les cas d’intoxications alimentaires sont soumis au régime des produits défectueux issu de la loi n°98-389 du 19 mai 1998, et codifié aux articles 1245 et suivants du Code civil.

La responsabilité civile des restaurateurs est donc une responsabilité sans faute, qui peut être engagée dès lors qu’il existe un lien direct et certain entre l’ingestion du produit servi et l’intoxication alimentaire du client qui l’a consommé, peu importe la façon dont le produit a été préparé ou conservé.

Cette lourde responsabilité qui pèse sur les restaurateurs a conduit le législateur, en 2007, à étendre le champs des assurances professionnelles obligatoires aux structures offrant un service de restauration pour les intoxications alimentaire, également appelées « toxi-infection alimentaire collective » (TIAC).

Cette obligation d’assurance intoxication alimentaire permet ainsi aux victimes d’avoir un débiteur solvable et facilite les recours indemnitaires.

Sur ce point, la victime peut obtenir réparation de ses préjudices soit par le biais d’une procédure amiable dirigée contre l’assureur du responsable ou le responsable lui-même, soit par l’intermédiaire du juge, qui fixera le montant des indemnisations.

Quoi qu’il en soit, toute demande d’indemnisation suppose, au préalable, la preuve d’un préjudice.

Dans la mesure où les intoxications alimentaires, en ce qu’elles portent atteinte à la santé des personnes, sont à l’origine d’un dommage corporel, la mise en œuvre d’une expertise médicale, qu’elle soit amiable ou judicaire, est essentielle pour déterminer l’étendue des préjudices subis et évaluer, conformément au principe de réparation intégrale, le montant des indemnisations.

Réprimer les causes des intoxications alimentaires et en réparer les conséquences sont donc autant d’enjeux majeurs de santé publique visant à assurer le respect de règles strictes d’hygiène et de salubrité dans le domaine de la restauration, garantes du rayonnement de la gastronomie à la française.

Aude Sebert et Aurélie Tardy, Avocats au Barreau de Paris

[1Articles 221-6, 222-19, et 222-20 du Code pénal.

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