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Motif contaminant : nullité du licenciement prononcé pour un motif lié à l’exercice par le salarié de sa liberté d’expression. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 16 octobre 2023
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Le licenciement prononcé, même en partie, par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul.
C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 4 octobre 2023 (n° 22-17.734).

1) Faits et procédure.

M. [H] a été engagé en qualité de conducteur receveur par la société Transdev Ile-de-France le 5 février 2013.

Par lettre du 8 décembre 2017, il a écrit à sa direction, ainsi qu’au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’entreprise, pour prévenir de difficultés rencontrées dans le cadre de l’exécution de son travail.

Licencié pour faute grave le 16 janvier 2018, il a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement.

Dans un arrêt du 14 avril 2022, la Cour d’appel de Versailles a validé la faute grave du salarié.

Ce dernier s’est pourvu en cassation.

2) Moyens.

Le salarié reprochait à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles de dire que son licenciement reposait sur une faute grave et de le débouter, en conséquence, de l’intégralité de ses demandes.

Il rappelait que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression ; que le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice, par le salarié, de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement indépendamment des autres manquements reprochés au salarié dans la lettre de licenciement.

La Cour d’appel de Versailles avait écarté la demande de nullité du licenciement de M. [H] pour violation de sa liberté d’expression et de sa qualité de lanceur d’alerte.

La cour a dit que le licenciement reposait sur une faute grave à raison des autres griefs invoqués par la société Transdev dans la lettre de licenciement.

Le salarié relevait que la cour d’appel a constaté que concernant les propos tenus dans sa lettre du 8 décembre 2017 il n’avait pas outrepassé la liberté d’expression dont il jouissait car il avait simplement interrogé son employeur sur le respect des règles légales s’appliquant à sa situation et en en informant le CHSCT de l’entreprise, de sorte que ce grief énoncé dans la lettre de licenciement n’apparaissait pas constitué, ce qui rendait nul le licenciement.

3) Réponse de la Cour de Cassation.

Au visa de l’article L1121-1 du Code du travail et de l’article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de Cassation affirme qu’il résulte de ces textes que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Le licenciement prononcé, même en partie, par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul.

Pour débouter le salarié de sa demande en nullité de son licenciement, l’arrêt retient qu’en interrogeant simplement son employeur sur le respect de règles légales s’appliquant à sa situation et en en informant le CHSCT de l’entreprise, le salarié n’a pas outrepassé la liberté d’expression dont il jouissait. Examinant ensuite les autres griefs reprochés dans la lettre de licenciement, l’arrêt, après avoir relevé que le grief tiré du comportement incitatif à la contestation des usagers le 30 novembre 2017 était établi, en déduit qu’il rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et constitue une faute grave.

En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté qu’il était notamment reproché au salarié un exercice non abusif de sa liberté d’expression, ce dont elle aurait dû déduire que le licenciement était nul, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

La Cour de Cassation casse et annule l’arrêt du 14 avril 2022.

L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Versailles autrement composée.

4) Analyse.

Cet arrêt doit être approuvé.

C’est une confirmation de jurisprudence [1].

Sauf abus, le salarié jouit d’une liberté d’expression au sein de l’entreprise et en dehors de celle-ci.

Toute limitation apportée à cette liberté fondamentale doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

Dès lors qu’aucun abus n’est caractérisé dans le cadre de l’exercice de cette liberté, le salarié ne peut faire l’objet d’une sanction fondée sur celle-ci, à défaut de quoi celle-ci est nulle.

La Cour de Cassation applique la théorie dite du « motif contaminant » selon laquelle les juges du fond n’ont pas à apprécier les autres griefs invoqués aux fondements du licenciement dès lors que l’un d’eux justifie à lui seul la nullité du licenciement.

Source.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Cf aussi Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060.