Village de la Justice www.village-justice.com

5 règles à connaitre en matière de salaire. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : jeudi 26 octobre 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/regles-connaitre-matiere-salaire,47667.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Les juges protègent la rémunération du salarié (pour en savoir plus Panorama des primes d’objectifs en 2022 (Partie 1/2)).
Voici un rappel de 5 règles à connaître pour obtenir votre salaire, prime, rémunération variable, bonus, etc.

1/ La charge de la preuve du paiement du salaire repose sur l’employeur.

La question de la preuve de ce que vous réclamez est essentielle dans un procès judiciaire.

En matière d’heures supplémentaires la charge de la preuve est répartie entre le salarié et l’employeur, mais c’est à l’employeur qu’il incombe de contrôler le temps de travail du salarié : Comment prouver vos heures supplémentaires en 2023 ?

En matière de rémunération, retenez les 2 principes suivants :

En voici quelques illustrations concrètes à travers 2 décisions :

Un chirurgien-dentiste conteste un trop perçu de salaire réclamé par son employeur et des retenues sur salaire pratiquées par celui-ci.

La cour d’appel se borne à constater que sur l’année 2018 objet du litige, le salarié a perçu des salaires supérieurs à ceux de l’année 2017.

« Estimant que cette différence conséquente nullement justifiée par le salarié accrédite la thèse défendue par l’employeur d’un trop perçu », la Cour d’Appel condamne le salarié à payer la somme réclamée par l’employeur.

La Cour de Cassation casse cette décision estimant que le raisonnement de la Cour d’appel reposait sur des motifs inopérants : la comparaison entre les réclamations salariales du salarié et les rémunérations qu’il a perçu au cours d’autres périodes, « alors qu’il incombait à l’employeur de rapporter la preuve du trop perçu allégué, la cour d’appel qui a inversé la charge de la preuve a violé le texte susvisé ».

Dans cette même décision, la Cour de Cassation reproche à la Cour d’Appel d’avoir jugé en fonction des bulletins de salaires communiqués alors « qu’il incombe à l’employeur d’établir qu’il a effectivement payé au salarié la rémunération qu’il lui doit.
Lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire
 ».

Ce que la cour d’appel n’a pas fait puisqu’elle s’est contentée de juger à partir des bulletins de salaire communiqués par l’employeur et non d’exiger de celui-ci qu’il prouve effectivement qu’il avait payé un trop perçu sur salaire (par exemple : avec des extraits bancaires, des attestations de l’expert-comptable etc).

Un charpentier-coffreur conteste son licenciement et demande le paiement de salaires impayés et congés payés.

Pour rejeter ses demandes, la Cour d’Appel se contente d’indiquer que « ces demandes ne reposent sur aucune explication ni ne sont étayées par l’indication d’aucun document ».

Cette décision est cassée, la Cour de Cassation rappelle qu’il « incombe à l’employeur de rapporter la preuve du paiement du salaire, la Cour d’Appel qui a inversé la charge de la preuve a violé le texte susvisé » [4].

2/ A quelles conditions un usage peut devenir un élément permanent du salaire [5] ?

Nous allons comprendre ici quand une rémunération non prévue par un contrat, que l’on appelle un usage, devient permanente et s’intègre au salaire du salarié : en savoir plus : Salariés, obtenez le paiement de votre prime d’objectifs (III).

Un responsable du service accastillage retraité réclame le paiement d’un arriéré de primes.

L’employeur s’y oppose au prétexte que cette prime non fixée par le contrat de travail n’était qu’un usage non obligatoire puisque uniquement versé à ce salarié « unique représentant d’une catégorie de personnel ».

Effectivement, une rémunération versée non pas en fonction d’une clause du contrat de travail mais de ce qu’on appelle un usage ne devient obligatoire pour l’employeur et donc un élément de la rémunération du salarié que lorsque cette rémunération est versée à tous les salariés de la même catégorie de personnel, de manière constante et avec un montant fixe.

Dans cette espèce, le salarié occupait seul cette fonction de responsable de service accastillage.

Néanmoins, la cour condamne l’employeur reconnaissant cet usage car :
- « Le critère de généralité était rempli », le salarié étant le seul à occuper un emploi de cette catégorie de personnel ;
- Cette rémunération était versée constamment depuis plusieurs années ;
- Cette prime était « calculée suivant un mode de calcul prédéterminé et des seuils fixes précis
 ».

La cour d’appel en a justement déduit que cette prime versée « résultait d’un usage et que les demandes en paiement devaient être accueillies ».

3/ A quelles conditions une prime qualifiée de discrétionnaire devient un élément régulier du salaire [6] ?

En savoir plus sur la prime discrétionnaire qui devient un élément de la rémunération du salarié : Salariés, obtenez le paiement de votre prime d’objectifs en 2022.

Un vendeur international licencié pour motif économique sollicite le paiement d’un bonus qualifié de « discrétionnaire ».

Il gagne en appel, arrêt confirmé par la Cour de Cassation qui relève comme la cour d’appel que nonobstant sa qualification de « discrétionnaire » ce bonus a été versé chaque année au salarié pendant 7 ans, devenant un élément permanent de la rémunération du salarié.

Le versement régulier d’une prime durant plusieurs années peut donc la rendre obligatoire

4/ Le salarié peut avoir accès aux données confidentielles de l’entreprise si elles sont nécessaires pour calculer sa prime d’objectifs [7].

Plusieurs salariés réclament le paiement de leur bonus, leurs demandes sont rejetées par la cour d’appel qui retient que « l’employeur a porté à la connaissance des salariés des données qui leur permettent de vérifier les calculs de leur rémunération variable, qu’un commissaire aux comptes saisi par l’employeur a validé la fixation et l’atteinte d’éléments pris en compte par le « board » donnée discrétionnaire qu’il convient de garder confidentielle compte tenu du secteur d’activité concurrentiel qui a des objectifs mondiaux ».

La cour d’appel en concluait à tort que l’employeur avait « respecté ses devoirs » en matière de prime variable.

Peu importe le caractère confidentiel, la Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel en constatant que « l’un des éléments composant la partie variable de la rémunération, le BRM, était fondé sur des données confidentielles, non portées à la connaissance des salariés en début d’exercice ».

En savoir plus sur l’obligation par l’employeur de fixer les conditions de la prime d’objectifs en début d’exercice Panorama des primes d’objectifs en 2022 (Partie 1/2).

- 5/ La modification de la rémunération exige un accord exprès du salarié cassation sociale [8].

Un directeur d’étude senior licencié demande le paiement d’un rappel de bonus, dans les conditions fixées par un accord collectif, l’employeur précisant qu’un nouvel accord a été négocié et que le salarié avait été informé de ce renouvellement par courrier.

Puis un nouveau système de rémunération, se substituant à celui existant, avait été mis en place postérieurement qui ne mentionnait pas le bonus.

Constatant que le salarié avait signé l’avenant, la cour d’appel en déduisait de manière erronée « qu’en signant cet avenant, le salarié avait accepté la suppression de cet élément de sa rémunération ».

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel les juges n’ayant « pas caractérisé une volonté claire et non équivoque du salarié d’accepter la suppression de cet élément de sa rémunération ».

Retenez qu’il ne suffit pas que le salarié signe un document révisant son système de rémunération s’il n’est pas explicitement indiqué sur le document signé que le salarié accepte que cette nouvelle rémunération vienne en lieu et place du précédent système supprimé.

A l’aide de ces 5 règles vous connaissez mieux désormais vos droits en matière de paiement de vos salaires, bonus, rémunérations variables, primes dites discrétionnaire, prime dites d’usage, etc.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com

[1Art. 1353 du Code civil.

[2Cassation sociale 27 septembre 2023 n°21-17029.

[3Cassation sociale 5 juillet 2023 n°22-11187.

[4Art. 1353 du Code civil.

[5Cass. Soc. 21 juin 2023 n°21-22076.

[6Cassation sociale 5 juillet 2023 n°21-16694.

[7Cassation sociale 27 septembre 2023 n°22-13083.

[821 juin 2023 numéro 21 - 21 572.