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Arrêt maladie et congés payés font maintenant la paire : quelles conséquences pour les employeurs ? Par Myriam Adjerad et Céline Dailler, Avocats.
Parution : mardi 7 novembre 2023
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En avril 2023, la Cour de cassation rappelait que le droit français n’était toujours pas conforme au droit européen en matière de congés payés [1] mais, en septembre 2023, la cour est allée plus loin en écartant le droit national, au profit du droit européen.

Par une série de trois arrêts en date du 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation, réunie en formation plénière, a mis fin à une dichotomie juridique observée entre le droit français et le droit de l’Union Européenne depuis de nombreuses années sur les modalités d’acquisition des congés payés des salariés français.

Pour rappel, en droit interne, l’article L3141- 3 du Code du travail conditionne l’acquisition des congés payés à du travail effectif, ce qui, selon l’article L3141-5 du même code, exclut les périodes d’arrêt maladie d’origine non professionnelle, sauf disposition conventionnelle contraire.

Il résulte également desdits articles qu’en cas de maladie ou d’accident d’origine professionnelle, la durée d’acquisition des congés payés est limitée à un an.

Se fondant à la fois sur la Charte des droits fondamentaux [2] et la Directive Européenne du 4 novembre 2003 [3], la Cour de cassation a outrepassé le droit interne en dégageant trois nouveaux principes [4] :

En statuant de la sorte, la Haute-Juridiction s’est placée en juge de conventionnalité de la loi, rendant ainsi caduques certaines dispositions du Code du travail.

Mais quel est l’impact de ces décisions pour les employeurs ?

Dans le strict respect des nouvelles règles jurisprudentielles, tout employeur devra donc accorder aux salariés placés en arrêt maladie, ou ayant présenté des arrêts maladie par le passé, des congés payés calculés proportionnellement à la durée de leur absence.

En effet, la jurisprudence bénéficiant par principe d’un effet rétroactif, il y a lieu de considérer que les arrêts de travail passés sont également concernés.

Mais dans quelle limite ? En effet, si la prescription en matière de congés payés est de trois ans, il résulte de la position de la Cour de cassation que celle-ci ne débute qu’à partir du jour où l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés.

Or, compte tenu de la nouveauté de ces règles, il s’en déduit nécessairement qu’aucune mesure n’a pu être prise à ce jour, de sorte que la mise en conformité pourrait, en théorie, être sans limite de temps ?

Ou bien devrions-nous considérer que la période pour laquelle la régularisation peut être demandée s’entend forcément de la période postérieure au 1ᵉʳ décembre 2009, date à laquelle la Charte des droits fondamentaux a acquis une force obligatoire et dont l’article 31 fonde aujourd’hui la position de la Cour de Cassation ?

En l’état, en l’absence de précisions supplémentaires de la cour et d’intervention législative, il y a lieu de recommander la plus grande prudence.

Afin de limiter le risque lié aux périodes antérieures (périodes pour lesquelles aucun congé payé n’est accordé) et de déclencher la prescription de 3 ans, il est possible de communiquer auprès des salariés sur ces évolutions. Pour ce faire, il est vivement recommandé d’être accompagné par un avocat spécialisé en la matière.

En tout état de cause, cette mise en conformité avec la jurisprudence européenne pourrait avoir de lourdes conséquences financières pour les entreprises, en fonction du volume de salariés absents et de la durée de leurs absences. Elle pose par ailleurs une vraie difficulté pratique puisqu’elle peut concerner de nombreux salariés : nouveaux et anciens salariés.

Au surplus, au-delà de l’application de ces nouvelles règles, des questions complémentaires doivent être soulevées et notamment la question relative à l’impact sur les congés conventionnels.

Il semblerait, compte tenu de la rédaction des arrêts susvisés, que ces jurisprudences ne devraient pas impacter les congés conventionnels mais une fois encore, en l’absence de précision, cela reste à clarifier.

Quoi qu’il en soit, concernant ces derniers, il doit être fait application des modalités et conditions d’acquisition prévues dans chaque convention collective ou accord collectif.

Dès lors, si les règles d’acquisition des congés conventionnels sont alignées sur les règles d’acquisition des congés payés, il s’en déduirait une possible application des nouvelles règles jurisprudentielles.

Devant tant d’incertitudes, la Cour de cassation sera donc nécessairement amenée à préciser comment elle entend organiser son revirement de jurisprudence, véritable raz de marée pour les employeurs.

Sans surprise, des cours d’appel commencent à appliquer cette jurisprudence, notamment celle de Paris dans un arrêt du 27 septembre 2023 qui a accordé 6 000 euros d’indemnité pour des absences de 2018 à 2020 et dans un arrêt du 12 octobre 2023 la somme de 7 000 euros pour des absences sur 3 années rappelant qu’un « Etat membre ne peut pas subordonner le droit au congé annuel payé à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence ».

Myriam Adjerad, Céline Dailler, Avocats au Barreau de Lyon Adjerad Avocat [->contact@adjeradavocats.fr] https://fr.linkedin.com/in/myriam-adjerad-473903121

[1Cass. soc. 13 avril 2023, n°21-23.054.

[2Article 31.

[32003/88/CE.

[4C. trav., art. L3141-3 et c. trav., art. L3141-5.

[5Cass. soc., 13-09-2023, n° 22-17.340.

[6Cass. soc., 13-09-2023, n° 22-17638.

[7Cass. soc., 13-09-2023, n° 22-10529.