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Qu’est-ce que la transaction juridique ? Quand l’utiliser ? Quels en sont les éléments constitutifs ? Par Daniel Pérot, Notaire Assistant.
Parution : lundi 20 novembre 2023
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Selon un adage bien connu, « un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès ». Cette expression reflète une tradition populaire et juridique ancienne, selon laquelle il serait préférable de résoudre un différend à l’amiable plutôt que de recourir à la justice. En effet, la justice est souvent perçue comme lente, coûteuse et aléatoire.

Cette critique n’est pas nouvelle et remonte à l’Ancien Régime. Pour y répondre, de nombreuses réformes ont été engagées pour améliorer notre système judiciaire. Mais cette critique peut aussi s’appliquer à toute institution aussi ancienne et importante que la justice. Par exemple, la charge de travail des magistrats est un problème récurrent.

« La réflexion sur la charge de travail des magistrats revêt aujourd’hui une acuité particulière dans un contexte de crise majeure de la justice et d’augmentation des recrutements ».

Pour alléger cette charge, les modes alternatifs de règlement des différends ont été développés, notamment par la loi du 18 novembre 2016 sur la modernisation de la justice du XXIe siècle. Ces modes sont encouragés par le législateur, qui les rend obligatoires avant toute action en justice dans certains cas.

Ainsi, l’article 54 du Code de procédure civile dispose que :

« 5° Lorsqu’elle doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative ».

Ces procédures peuvent conduire à une transaction entre les parties, qui est un contrat par lequel elles mettent fin à leur litige ou préviennent un litige futur.

La transaction est définie à l’article 2044 du Code civil :

« la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit ».

La transaction présente des avantages pour les parties et pour la justice. Elle permet d’éviter un procès long et incertain. Elle est généralement moins chère, plus rapide et plus prévisible. Elle clôt le litige entre les parties et se substitue à la décision judiciaire. Elle privilégie le résultat plutôt que la procédure. Elle « termine une contestation… ». Elle n’est pas rendue « au nom du Peuple français », mais au « nom des parties », qui acceptent de la signer et de lui donner un contenu.

Cependant, la transaction nécessite aussi une certaine prudence. Il est conseillé d’être accompagné par des professionnels du droit qui peuvent offrir un avis éclairé aux parties. En effet, si la transaction est un outil, ses conséquences peuvent être regrettables pour la partie qui n’a pas mesuré l’étendue de ses engagements. Face à cet outil, comment la loi encadre-t-elle son fonctionnement et permet-elle aux parties de l’utiliser pour mettre fin à leur contestation ?

La transaction est un outil strictement encadré par la loi, tant dans son objet que dans le consentement requis (I). Mais c’est aussi un mode alternatif de règlement des litiges au service des parties (II).

I. La transaction : un outil encadré.

La transaction n’est pas un acte anodin. Elle met fin à un litige ou le prévient, en échange de concessions réciproques. Elle doit donc être encadrée pour garantir le consentement des parties et la sécurité juridique (A). De même, l’objet de la transaction doit respecter les conditions posées par la loi (B).

A- Un consentement exigé et attesté.

Pour que la transaction soit valable, il faut que les parties y consentent librement et en connaissance de cause.

Il s’agit d’une condition essentielle pour assurer la sécurité juridique des parties. Sinon, les conséquences pourraient être désastreuses pour l’une ou l’autre. Le consentement doit donc répondre à des critères de fond et de forme.

Sur le fond, les parties doivent accepter de faire des « concessions réciproques » [1]. Elles doivent donc donner leur consentement [2].

En effet, la transaction doit avoir pour objet de terminer une contestation née ou à naître [3]. Ce consentement doit être libre et éclairé, c’est-à-dire sans contrainte d’une partie, par une personne capable [4] et informée. Le Code civil impose que les parties soient de bonne foi. Elles ne doivent pas se cacher des informations importantes sur l’objet de leur accord. Ces informations doivent leur permettre d’apprécier la portée de leurs droits et obligations.

La conséquence logique est que les parties doivent avoir la capacité de contracter [5]. Il est précisé que « le tuteur ne peut transiger pour le mineur ou le majeur en tutelle » qu’avec l’autorisation du conseil de famille ou à défaut du juge des contentieux de la protection.

La question du consentement est cruciale comme pour tout contrat et peut faire l’objet de sanctions. En effet, le consentement ne doit pas être vicié par le dol, l’erreur, ou la violence. Le vice du consentement peut entraîner la nullité relative du contrat [6] :

B- Un objet de la transaction conforme à la loi.

L’objet de la transaction, en vertu de l’article 2044 du Code civil, est de mettre fin à une contestation née ou à naître. Cela vise notamment les cas où des droits et des obligations font l’objet d’un différend susceptible d’être résolu par la voie juridique.

« Constitue une transaction la convention qui tend à prévenir une contestation à naître, même si elle porte que sur certains faits susceptibles de contestation et ne comporte pas de renonciation totale des parties à exercer leurs droits » [7].

« D’une manière unanime, il est admis qu’elle implique la présence d’un litige et qu’elle ne concerne alors que les différends susceptibles d’être portés devant un procès. Selon une approche processualiste de la transaction, la res litigia suppose l’existence d’un droit d’action, justifié par sa dimension juridictionnelle » [8].

La contestation à naître concerne des droits futurs certains.

Par exemple, lorsque le salarié reproche à son employeur certains faits survenus pendant la relation de travail. Ces faits peuvent faire l’objet d’une contestation à naître. Toutefois, il peut y avoir un critère temporel à respecter. Dans le cadre d’une rupture conventionnelle, la transaction ne devrait intervenir qu’après l’homologation de la rupture conventionnelle [9].

En outre, l’objet de la transaction est de faire des concessions réciproques. Il n’y a pas de transaction lorsqu’une partie « abandonne ses droits pour une contrepartie si faible qu’elle est pratiquement inexistante » [10].

Les parties doivent ainsi mettre fin à leur différend en abandonnant des droits et des obligations qui ont de la valeur pour elles. Pour autant, cela ne signifie pas que les prestations doivent être équivalentes ou qu’il s’agit seulement d’une renonciation [11].

Par exemple, dans le cadre d’un litige entre voisins, l’un d’entre eux abandonne sa demande à son voisin de couper l’arbre, contre une indemnisation ou une garantie de son voisin de couper périodiquement les arbres surplombant sa propriété. Cet objet de la transaction en constitue aussi sa condition.

Plus généralement, l’objet de la transaction doit respecter un certain contenu et certaines limites.

L’article 2046 du Code civil dispose qu’on « ne peut transiger sur l’intérêt civil qui résulte d’un délit. La transaction n’empêche pas la poursuite du ministère public ».

Cette limite est posée dans le cadre d’une procédure pénale.

De plus, les parties ne peuvent transiger sur les matières touchant à l’ordre public [12].

Par exemple, les transactions vont être interdites s’agissant de l’état des personnes [13] comme le divorce, la filiation, etc. Elles peuvent être admises pour régler les conséquences pécuniaires sous certaines conditions.

En droit du travail, elles permettent de régler non pas la rupture, mais d’autres différends liés à l’exécution du contrat de travail.

De plus, le contenu du contrat doit « être licite et certain » [14]. Il faut ainsi [15] que :

II. La transaction : un mode alternatif de règlement des litiges au service des parties.

La transaction permet de régler les litiges, car elle met un terme aux sources de conflit entre les parties (A). Cependant, elle ne lie pas les tiers, sauf dans certaines hypothèses (B).

A - La disparition des contestations entre les parties.

Les parties disposent d’un mécanisme juridique, dont les effets sont puissants. Il va clore leur différend.

En effet,

« les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu » [16].

De façon positive, tout ce qui est compris dans l’objet de la transaction entraîne une renonciation à tous droits, actions et prétentions. Il n’est plus possible pour une partie de soulever la même question. Puisqu’elle a déjà été résolue. Par les concessions mutuelles, les parties ont renoncé à leurs prétentions. Elles acceptent finalement de tourner la page sans revenir encore sur les points qui ont fait l’objet d’une transaction. La transaction a un effet libératoire, c’est-à-dire qu’elle éteint toutes les contestations entre les parties sur le litige qu’elle a pour objet. La transaction s’impose également aux successeurs.

De façon négative, le texte indique que seule ce qui a fait l’objet de la transaction fait l’objet d’une renonciation. Il y a un principe d’interprétation restrictive de la transaction : « elle relève d’un principe d’interprétation restrictive justifié par le fait que ce type de contrat suppose une renonciation à leur prétention de la part des parties » [17].

A ce sujet, cela s’entend de tout ce qui est indiqué dans la transaction, mais aussi de ce qui constitue le corollaire logique de ce qui est exprimé [18].

Enfin, les parties ne peuvent plus saisir la justice à propos du litige ayant fait l’objet d’une transaction.

« La transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet » [19].

C’est-à-dire que ces effets s’appliquent aux instances en cours, mais aussi aux instances qui auraient pu être introduites.

B - La non-opposabilité aux tiers.

En principe, la transaction ne s’impose pas aux tiers. En effet, les tiers n’ont pas consenti à la transaction et ne peuvent donc pas être liés par ses effets. C’est le principe de l’effet relatif des contrats, qui est consacré par l’article 1199 du Code civil.

« Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter… » [20].

Le tiers doit respecter l’existence du contrat et ne pas y porter atteinte en empêchant son exécution par exemple.

Cependant, il existe des exceptions à ce principe. En effet, la transaction peut s’imposer aux tiers dans les cas suivants :
_* Si les tiers y ont consenti. Par exemple, si un tiers est subrogé dans les droits d’une partie à la transaction, il sera alors lié par les effets de la transaction

S’agissant de ce dernier cas, nous retrouvons ici l´étendue du pouvoir du juge chargé d´homologuer une transaction. Son rôle est de contrôler la nature de la convention, sa conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs [21]. Ce contrôle est donc limité et purement formel. Celui-ci doit donc veiller à ce que l’accord soit exécutable sans se soucier des autres éléments de cause de nullité du contrat » [22].

Quant à l’homologation, elle confère alors la force exécutoire à la transaction. Selon l’article 1565 du Code de procédure civile, la transaction

« peut être soumise, aux fins de (la) rendre exécutoire, à l’homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée ».

Enfin, la transaction peut aussi être reçue par un notaire. Il y a plusieurs avantages :

La jurisprudence a confirmé cette possibilité. Elle a jugé que

« les dispositions de l’article 1441-4 du Code de procédure civile ne font pas obstacle à ce qu’une transaction soit reçue par un notaire et que celui-ci lui confère force exécutoire » [23].

En conclusion, la transaction est un moyen efficace et sécurisé de résoudre les conflits. Elle permet aux parties de mettre fin à leur différend, en faisant des concessions réciproques, sans passer par la justice.

Les parties doivent être conscientes des conditions de validité et des effets de la transaction avant de la signer. Elles doivent notamment vérifier que la transaction respecte l’ordre public et les bonnes mœurs, qu’elle porte sur des droits disponibles, qu’elle est librement consentie et qu’elle est clairement exprimée.

La transaction a des effets juridiques importants, tels que l’extinction des contestations, l’impossibilité de revenir sur l’accord, l’opposabilité aux tiers dans certains cas et la force exécutoire. La transaction peut être reçue par un notaire, qui lui confère une valeur authentique et une sécurité juridique renforcée. En effet, la transaction présente l’avantage de clore très rapidement le litige et confère aux parties « la maîtrise de leur destin juridique ».

Daniel Pérot - Notaire assistant.

[1Article 2044 du Code civil, Cour de cassation, première chambre civile, 3 mai 2000.

[2Article 1128 du Code civil.

[3Article 2044 du Code civil.

[4Article 1129 du Code civil.

[5Article 2045 du Code civil.

[6Article 1130 du Code civil et article 1131 du Code civil.

[7Civ. 1re, 12 juillet 1976.

[8Frédérique Julienne, Synthèse Transaction, Lexis 360.

[9Ibid.

[10Civ. 1re, 4 mai 1976.

[11Ibid.

[12Article 1162 du Code civil.

[13Hervé Croze et Olivier Fradin, Fasc 10 Transaction, Lexis 360.

[14Article 1128 du Code civil.

[15Article 1163 du Code civil.

[16Article 2048 du Code civil.

[17Synthèse transaction, Ibid.

[18Article 2049 du Code civil.

[19Article 2052 du Code civil.

[20Article 1199 du Code civil.

[21Cass. 2e civ., 26 mai 2011, n°06-19.527.

[23Cass. 2e civ., 21 oct. 2010.