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L’assistance judiciaire en République Gabonaise. Par Alden Virgil Hury Moukouangui, Juriste.
Parution : jeudi 7 décembre 2023
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L’assistance judiciaire est un dispositif public permettant aux personnes ayant de faibles revenus, d’avoir accès au droit et ou de recourir aux services d’un auxiliaire de justice. Elle est mise en place dans de nombreux pays du Nord [1], pour garantir l’accès à la Justice pour tous, indépendamment de la condition sociale. Il s’agit d’un mécanisme si peu répandu sur le continent africain, que son fonctionnement dans l’un des rares pays à le consacrer attire notre attention. Qu’implique cette assistance ? Qui est chargé de l’attribuer et comment en bénéficier ?

L’assistance judiciaire est un dispositif public qui permet à une personne qui n’a pas les moyens financiers d’avoir accès au droit et ou de recourir aux services d’un auxiliaire de justice (avocat, huissier, etc…), de bénéficier d’une assistance juridique gratuite ou à coût réduit. Elle est mise en place dans de nombreux pays pour garantir l’accès à la justice pour tous, indépendamment des capacités financières.

La Constitution gabonaise dans sa version du 26 mars 1991, reconnaît implicitement le droit à l’assistance judiciaire pour toute personne qui pour sa défense ou l’introduction d’une action en justice, n’a pas les moyens financiers de s’attacher les services d’un auxiliaire de justice. L’article 1er paragraphe 4 de la Constitution de mars 1991 [2], dispose que :

« Les droits de la défense, dans le cadre d’un procès, sont garantis à tous ».

Dans son préambule, elle affirme également son attachement solennel aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, résultant des textes internationaux et nationaux tels que la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981 (article 7) et la charte nationale des libertés de 1990.

C’est sans doute pour traduire de manière concrète l’accès au service public de la justice aux plus démunis, que le parlement gabonais a voté en juillet 1984, la loi 4/82 du 22 juillet 1982 fixant le régime de l’assistance judicaire en République Gabonaise. Cette loi a été suivie d’un décret pris en juin 2012 pour son application, il s’agit du décret N° 0253/PR/MJGSDHRIC du 17 juin 2012 portant organisation et fonctionnement des bureaux de l’assistance judiciaire.

Traiter ce sujet revêt pour nous un double intérêt de vulgarisation d’un dispositif d’aide juridictionnelle rare sur le continent, mais également d’amélioration des dispositions légales qui l’encadrent. En effet, on peut observer que de nombreux citoyens gabonais « économiquement faibles » [3], pourtant premiers visés par cette aide, et même certains juristes gabonais ignorent son existence.
En outre, nous estimons humblement à la lecture des textes consacrant cette assistance et au regard de la pratique, que ces derniers comportent des lacunes qui mériteraient d’être comblées.
Qu’implique cette assistance ? Qui a la charge de son attribution et comment en bénéficier ? Nous tenterons de répondre à ces questions dans leur ordre chronologique, avec une approche comparative sur certains aspects.

I/ Du champ d’application de l’assistance judiciaire : un domaine d’intervention aux contours flous.

Le législateur gabonais définit l’assistance judiciaire comme :

« l’aide financière ou juridique accordée par l’Etat aux justiciables dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice, soit en demande soit en défense. Elle consiste dans la prise en charge, en tout ou partie, des frais de procédure, des honoraires d’avocat et d’huissier » [4].

Contrairement au droit Gabonais, la législation française relative à l’aide juridictionnelle [5], opère une distinction entre les personnes physiques et les personnes morales en ce qui concerne le bénéfice de cette assistance. En effet, elle précise que l’aide juridictionnelle peut être accordée à des personnes morales à but non lucratif, mais que cela doit rester exceptionnel [6].
L’aide juridictionnelle est donc principalement dirigée à l’endroit des personnes physiques.
Au Gabon en revanche, le législateur se contente de parler de « justiciables », l’utilisation de ce terme traduirait pour nous, une volonté d’exclure les personnes morales de cette aide, non pas parce que ces dernières ne seraient pas également des justiciables, mais surtout parce que les documents à fournir [7] – selon le décret pris en application de la loi sur l’assistance judicaire – s’analysent objectivement comme ne pouvant concerner que les personnes physiques.

De même qu’en France, l’aide judiciaire au Gabon implique un aspect financier par la prise en charge totale ou partielle des frais engendrés par une procédure, et le cas échéant par le recours aux services d’un avocat ou d’un huissier [8].

Elle induit également une aide juridique renvoyant a priori, à la possibilité pour le bénéficiaire d’obtenir des informations ou des conseils juridiques auprès de points d’accès au droit. C’est semble-t-il le rôle de la direction des affaires sociales, de la protection de l’enfance et de l’assistance judicaire du ministère de la Justice Gabonais [9].
Il est important de souligner que les justiciables gabonais peuvent également avoir accès à des informations juridiques et à des renseignements à propos de démarches juridiques et administratives, de manière gratuite au travers du site de la direction des publications officielles, dit « Journal officiel » et des autres sites d’organismes publics et d’administrations similaires. Même s’il ne s’agit pas d’un mécanisme expressément prévu par les textes sur l’assistance judiciaire, il n’en demeure pas moins que cela reste un instrument public contribuant au pan « aide juridique » de l’assistance judicaire. Cependant, en dépit de ces efforts, on peut observer que l’accès des justiciables au droit reste limité et même très limité notamment pour les populations de l’intérieur du pays, si on en croit les conclusions d’un rapport de ClientEarth [10].

La loi gabonaise aurait pu aller beaucoup plus loin, dans la mise en place de moyens publics d’accès gratuit à une information juridique fiable et vulgarisée. Le législateur Gabonais aurait par exemple pu commencer par définir ce qu’il entend inclure dans la notion « d’aide à l’accès au droit ». En outre il pouvait consacrer, l’institution dans les différentes localités, d’un organisme public chargé de recenser les besoins en la matière, de définir une politique locale d’aide juridique et administrative concrète et de déterminer les actions à mener. Enfin, il avait la possibilité d’introduire dans le texte sur l’assistance judiciaire, une mise à contribution accrue des membres des professions juridiques ou judicaires règlementées, des juristes de différents domaines d’activités et des associations spécialisées, à la concrétisation d’un vrai service public d’aide juridique.

L’article 50 du code de procédure civile gabonais dispose que « L’assistance judiciaire peut être accordée en tout état de cause à tout plaideur ». Autrement dit, le national comme l’étranger régulièrement établi sur le territoire national, en demande comme en défense, pourrait bénéficier de l’assistance judiciaire, dès lors qu’il justifie d’une insuffisance de ressources l’empêchant d’exercer ses droits en justice. Cela n’est qu’une interprétation, mais il nous parait que l’expression « à tout plaideur » renverrait à inclure les nationaux comme les étrangers établis de manière régulière.
La loi française sur l’aide juridictionnelle est en revanche, sans équivoque :

« Sont admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle les personnes physiques de nationalité française et les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne.
Les personnes de nationalité étrangère résidant habituellement et régulièrement [11] en France, sont également admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle
 » [12].

Il serait peut-être bienvenu que le législateur gabonais, lève cette ambiguïté aussi bien sur la question de savoir si le national et l’étranger peuvent en bénéficier au même titre, comme sur celle de savoir si cette aide concerne autant les personnes morales que les personnes physiques.

Il ressort de la lecture combinée des dispositions des articles 50 et 51 du Code de Procédure Civile, que l’assistance judicaire en République Gabonaise, peut être accordée en matière civile – litiges et actes de juridiction gracieuse – comme en matière pénale.
A propos de cette dernière matière particulièrement, il semblerait que la partie qui met en mouvement l’action publique et qui en principe doit consigner auprès du greffe le montant correspondant à la couverture des frais de ladite procédure, s’en trouve dispensée dès lors qu’elle peut produire un certificat de non-imposition ou tout autre document attestant de la faiblesse de ses ressources [13].

Le contenu de l’assistance judicaire en République gabonaise ayant été circonscrit, abordons à présent la composition de l’entité désignée par les textes, pour prononcer son attribution.

II/ Le bureau de l’assistance judiciaire : une entité composite.

L’assistance judiciaire est prononcée par un bureau [14] spécialement désigné à cet effet auprès des différentes juridictions de chaque ordre [15]. Il est composé de six membres nommés par un arrêté du ministre chargé de la justice, dont un président qui est généralement le président de la juridiction auprès de laquelle la demande est faite, ou Président d’une des chambres qui composent la même juridiction. Il y’a parmi les cinq membres restants, un représentant du Ministère des affaires sociales, du Ministère de la justice, de la Direction générale du domaine et des enregistrements, de la Direction générale des services du trésor, et un avocat membre du barreau [16]. Nous pouvons noter l’absence d’un représentant des organisations de la société civile, œuvrant dans l’accès au droit. Le bureau de l’assistance judiciaire dispose d’un secrétariat, assuré par le greffe de la juridiction auprès de laquelle l’intéressé introduit la demande d’assistance.
A ce propos, la loi française sur l’aide juridictionnelle institue également un bureau d’aide juridictionnelle pour son attribution. Elle va plus loin que la législation gabonaise en se prononçant sur la désignation du bureau matériellement compétent pour attribuer la précieuse aide, si jamais le ou les bureaux saisis se déclaraient incompétents. De même, elle soumet expressément « les membres des bureaux d’aide juridictionnelle et le personnel de leurs services (…) au secret professionnel » [17] . Le législateur gabonais pourrait s’en inspirer.

S’il est intéressant de connaitre la composition de l’organe en charge de l’octroi de la précieuse aide, il nous semble encore plus adéquat à ce stade de la présentation, d’évoquer les démarches concrètes en vue d’en bénéficier.

III/ De la procédure d’admission et de l’octroi de l’assistance judiciaire : un appui financièrement limité.

L’article 8 du décret de juin 2012 sur l’organisation et le fonctionnement des bureaux de l’assistance judiciaire au Gabon, indique que le demandeur au bénéfice de l’aide judicaire doit fournir un certain nombre de documents, pour l’étude de sa demande.
Parmi ceux-ci :

Comme souligné dans la première partie de l’article, on peut noter que les documents demandés sont loin d’être ceux que pourrait fournir une personne morale. Pour nous, cela tombe sous le sens : soit ils sont clairement exclus du bénéfice de l’assistance judicaire, soit la législation présente des insuffisances desservant dans une certaine mesure, le but qu’elle recherche.

Le bureau de l’aide judiciaire dispose d’un délai « maximum » d’un mois pour se prononcer. Il peut également avoir recours à toutes les mesures d’information et d’instruction nécessaires à l’étude de la demande. Si une instance est en cours au moment où le demandeur saisit le bureau de l’assistance judiciaire, cette saisine a pour effet de la suspendre.

L’accord du bureau de l’assistance judicaire a pour effet d’attribuer l’aide dans les proportions suivantes :

Nous remarquons que le législateur gabonais possède une vision qui lui est propre de la notion de « prise en charge totale ». En effet, il nous semble que la prise en charge totale devrait induire le remboursement de tous les frais occasionnés par une instance [18], à partir du moment où le bénéficiaire répond aux critères d’octroi. Or le fait de limiter à 500 000 FCFA, le montant total de la prise en charge, signifierait que si les frais vont au-delà du seuil, ils sont à la charge du justiciable dont le revenu mensuel n’excède pourtant pas 80 000 FCFA. Nous devons avouer que cela nous laisse perplexe.

L’assisté peut cependant se voir retirer le bénéfice de l’aide s’il retrouve des ressources suffisantes, ou s’il est établi qu’il a utilisé des moyens frauduleux pour l’obtenir. Le retrait de l’assistance judiciaire a pour effet de rendre exigibles les droits, redevances, honoraires, émoluments, consignations et avances dont l’assisté avait été dispensé. Les textes ne précisent pas si les décisions de retraits sont susceptibles de recours.

Concernant la procédure d’admission à l’assistance judiciaire, en dépit du nombre, du type de documents à fournir et de l’organe administratif à saisir. La règlementation gabonaise gagnerait à être un peu plus explicite sur les éléments constitutifs de la demande. A l’instar du Gabon, un dispositif similaire existe en République de Côte d’Ivoire.
A propos de la demande écrite notamment, la législation ivoirienne donne des détails plus précis sur les éléments devant y figurer : « les noms, prénoms, profession et domicile du requérant, ou si celui-ci est une personne morale, ses dénominations, objet et siège social ainsi que les noms et prénoms de ses représentants statutaires » [19]. Elle rajoute la nature du litige, un exposé sommaire des faits, et le cas échéant la juridiction saisie, la nature de l’acte conservatoire ou de la voie d’exécution ou encore les noms et adresses de l’avocat, ou de tout autre officier public ou ministériel ayant accepté de prêter son concours au titre de l’assistance judiciaire. Il pourrait être pertinent que l’administration gabonaise, propose un formulaire de demande de l’assistance judicaire disponible sur place dans les bureaux ou en libre téléchargement sur le site du journal officiel. Ainsi, les justiciables n’auraient plus qu’à le remplir et à y joindre les autres documents nécessaires.

En conclusion, l’institution par les autorités gabonaises d’un dispositif d’aide à l’accès à la justice et au droit pour les justiciables économiquement vulnérables, est une politique publique à saluer. Elle implique une aide financière et ou juridique attribuée par un bureau dédié, à la suite d’une procédure encadrée par décret. La question d’une meilleure redéfinition des contours légaux et pragmatiques de ladite assistance, constitue à notre avis un sujet majeur à traiter, pour une efficience de cette politique d’intérêt général et l’avènement d’un véritable service public de l’accès au droit et à la justice en République Gabonaise.

Alden Virgil Hury Moukouangui Juriste https://www.linkedin.com/in/alden-virgil-hury-moukouangui/details/volunteering-experiences/ [->moukouanguihury@outlook.fr]

[1Nord au sens géopolitique du mot.

[2Nous choisissons de nous appuyer sur cette version de la Constitution, car cette dernière est la résultante directe de la conférence Nationale de 1990, a été façonnée par des élus issus d’une élection multipartite et consacre des institutions protectrices de l’Etat de Droit.

[3Expression courante au Gabon, pour désigner les personnes socialement défavorisées.

[4Article 2 du Décret N° 0253/PR/MJGSDHRIC du 17/06/2012 portant organisation et fonctionnement des bureaux de l’assistance judiciaire. JOURNAL OFFICIEL N°117 DU 30 JUILLET 2012.

[5L’équivalent français de l’assistance judiciaire au Gabon.

[6Article 2 de la loi N° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l’aide juridique en République Française.

[7Le détail des documents et la demande du bénéfice de l’assistance judicaire, sont évoqués dans la suite de l’article.

[8Lecture combinée des articles 50 et 51 du code de procédure civile.

[9Décret N°000369/PR/MJ/GS Portant Attributions et organisation du ministère de la Justice, Garde des Sceaux.

[10Rapport de l’organisation Britannique à but non lucratif de Droit de l’environnement ClientEarth, intitulé « Outil d’évaluation de la législation nationale : le droit à l’accès à la justice au Gabon ». Lire notamment à ce propos, les points 13 et 20 et les commentaires y dédiés. Disponible sur le site www.clientearth.fr

[11Exceptionnellement des étrangers en situation irrégulière peuvent en bénéficier, c’est le cas : de l’étranger mineur témoin assisté, inculpé, prévenu, accusé, condamné, ou partie civile, de certaines procédures liées à l’entrée, au séjour et à l’éloignement, des demandeurs d’asile formant un recours devant la commission des recours des réfugiés, des procédures de refus de séjour lorsque la situation de l’étranger apparaît particulièrement digne d’intérêt.

[12Article 3 de la loi Française du 10 Juillet 1991 relative à l’aide juridique.

[13Rapport de l’organisation Britannique à but non lucratif de Droit de l’environnement ClientEarth, intitulé « Outil d’évaluation de la législation nationale : le droit à l’accès à la justice au Gabon ». Il est important de noter que pour avancer cette idée, ce rapport se fonde sur l’article 83, semble-t-il du code de procédure civile gabonais. Cependant cet article 83 n’est pas consultable sur support numérique.

[14Article 3 du Décret N° 0253/PR/MJGSDHRIC du 17/06/2012 portant organisation et fonctionnement des bureaux de l’assistance judiciaire.

[15Ordre judiciaire, administratif, et juridictions d’exceptions.

[16Article 4 du Décret N° 0253/PR/MJGSDHRIC du 17/06/2012 portant organisation et fonctionnement des bureaux de l’assistance judiciaire.

[17Article 17 de la loi Française du 10 Juillet 1991 relative à l’aide juridique.

[18De l’acte introductif d’instance à l’exécution de la décision de justice finale, en passant par le moment où le juge vide sa saisine.

[19Article 12 du décret numéro 2016-781 du 12 octobre 2016 fixant les modalités d’application de la loi numéro 72.833 du 21 décembre 1972 portant code de procédure civile, commerciale et administratif en République de Côte d’Ivoire.

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