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Peut-on donner son avis sur internet en toute impunité ? Par Grégory Rouland, Avocat.
Parution : vendredi 15 décembre 2023
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Un prestataire de service, un restaurateur, un vendeur, etc. qui propose à sa clientèle un site internet en lui offrant la possibilité de faire part de sa satisfaction ou de son insatisfaction s’expose par nature au risque d’avis négatifs. Ces derniers sont-ils libres ? tout peut-il être dit derrière son écran sans crainte d’impunité ?

Concernant les avis laissés en ligne, le cadre légal s’est renforcé depuis l’entrée en vigueur du décret n°2017-1436, issu de la loi pour une République Numérique [1] en date du 7 octobre 2016.

Ce décret a mis fin, à ce qu’on pourrait qualifier d’anarchie virtuelle, en raison des faux avis et pratiques trompeuses qui sévissaient et ce, sans aucune régulation.

Aussi, le législateur est intervenu pour défendre l’authenticité et la transparence des avis, ce qui a permis de voir apparaître l’article L111-7-2 du Code de la consommation disposant que :

« Toute personne physique ou morale dont l’activité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, à modérer ou à diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs est tenue de délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne ».

Ce cadre légal touche les sites internet marchand, non marchand et les plateformes dédiées à la collecte et diffusion d’avis client.

Le décret n° 2017-1436 du 29 septembre 2017 relatif aux obligations d’information relatives aux avis en ligne de consommateurs précise les obligations d’information des sites permettant aux consommateurs de déposer des avis en ligne.

Ces sites doivent indiquer clairement et visiblement :

1. à proximité des avis :

2. dans une rubrique spécifique facilement accessible, les sites devront indiquer :

Enfin, lorsque la personne exerçant l’activité exerce un contrôle sur les avis, elle doit veiller à ce que les traitements de données à caractère personnel réalisés dans ce cadre soient conformes à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée et préciser dans une rubrique :

En revanche, il ne faut pas omettre que si les avis négatifs sur internet sont protégés par la liberté d’expression, c’est à condition de ne pas excéder certaines limites, dont notamment la diffamation ou le dénigrement.

II. On peut tout dire sur internet grâce à la liberté d’expression : oui ! mais avec des limites !

A. La liberté d’expression limitée en cas de diffamation et/ou de dénigrement.

Émettre un avis négatif sur Internet n’est pas un acte répréhensible et relève de la liberté d’expression, droit fondamental, consacré par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En revanche, ce droit trouve sa limite lorsque les propos tenus sont diffamatoires, outrageants, dégradants ou dénigrants.

L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, dispose que toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé est une diffamation. La publication de cette allégation ou de cette imputation est punissable même si elle est faite sous la forme dubitative ou si elle vise une personne non expressément nommée mais dont l’identification est rendue possible par les termes incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.

Selon l’article 35 de la même loi, la vérité des imputations diffamatoires et injurieuses peut toujours être prouvée à la différence de l’action en dénigrement.

En effet, l’exception de vérité ou la bonne foi ne peuvent pas justifier un acte de dénigrement.

A ce propos, il y a dénigrement, lorsqu’on discrédite publiquement une personne ou une entreprise en critiquant ses produits ou son travail dans le dessein de lui nuire.

Les propos ni mesurés ni objectifs et témoignant d’une animosité personnelle sont abusifs et traduisent une attitude dénigrante.

B. Exemples.

Pour illustrer nos propos ci-dessus, citons quelques exemples concrets.

Il n’y a ni diffamation, ni dénigrement lorsqu’une personne émet un avis négatif sévère contre un garagiste, dont il est insatisfait du travail, y compris lorsque l’auteur de l’avis se qualifie lui-même "d’abruti" pour avoir confié son véhicule au commerçant :

« L’avis litigieux est un avis émis par un consommateur à la suite d’une prestation de service qui ne l’a pas satisfait de la part d’un professionnel de l’automobile à qui il avait confié son véhicule. Son propos a été de décrire son expérience et les problèmes rencontrés. [...] S’agissant du choix du terme "abruti" reproché par le garage X, la Cour constate qu’il n’est à l’évidence pas dirigé contre le garage. Monsieur Y a simplement décrit l’impression qu’il a eue d’avoir été pris pour un "abruti" car le garage ne prenait pas en considération ses réclamations. Ce propos ne peut être qualifié d’injure » [2].

De même, il n’y a pas dénigrement lorsqu’un consommateur publie son ressenti, malgré des termes forts et peu élogieux pour le vendeur, suite à un achat désastreux et que le vendeur se permet d’insulter allégrement celui-ci :

« si les termes employés ’le personnel nous balade et nous prend pour des imbéciles’ et ’continuer à nous berner’ ou encore ’grosse arnaque’ peuvent apparaître virulents ils restent, compte tenu des circonstances dans lesquelles ils ont été écrits, dans les limites de ce qui peut être admis d’une consommatrice sur un site dédié à l’expression des consommateurs, dont l’expérience a été particulièrement négative dans la mesure où ayant commandé un meuble le 12 septembre 2013 elle avait reçu deux fois de suite des colis ne correspondant pas à sa commande finalement annulée au mois de décembre après une promesse de livraison au mois de janvier 2014, et n’ayant été remboursée partiellement qu’au mois de janvier 2014, aucun autre message n’ayant été publié ensuite à l’exception d’une réponse à la réponse de la direction publiée sur le site ’site des marques.com’, réponse dont les termes apparaissent mesurés, alors que Mme Y produit aux débats une attestation émanant de Mme ... qui indique qu’elle était présente à son domicile lors d’une conversation téléphonique avec M. ... et que celui-ci s’était montré très agressif et s’était permis d’insulter Mme Y de connasse  » [3].

En revanche, il y a dénigrement si l’intention de nuire est démontrée. Tel est le cas d’un garagiste qui répond à l’avis négatif de son client en publiant sur le site Google® les nom, prénom et adresse de ce dernier !

Eh oui ! la réponse à un avis négatif n’échappe pas à la règle :

« Il est établi que la société X a sciemment publié un message sur Google, en réponse à un commentaire de Monsieur [Aa] sur les prestations du garage à l’occasion d’une vente de véhicule, ses coordonnées personnelles.
Cette démarche avait été annoncée par un sms du représentant de la société, aux termes duquel il indiquait notamment : "Je répondrai publiquement en citant votre nom, prénom, adresse exacte et complète, vous serez bientôt célèbre sur Google (...)" ;
Il est démontré également que cette publication a perduré, nonobstant la mise en demeure du 4 août 2021 et qu’au jour du constat d’huissier de justice mandaté par l’intimé - le 18 novembre 2021- le message était toujours présent
 » [4].

Quant à la diffamation, cette dernière est constituée lorsqu’une société a publié sur son site internet des avis exclusivement négatifs sur les produits d’un concurrent et en publiant, après avoir retiré ces avis, une mention selon laquelle elle avait, à la demande de ce concurrent, supprimé des avis jugés dénigrants par ce dernier [5].

III. Responsabilité de l’auteur de l’avis négatif dénigrant ou diffamatoire.

A. Quel(s) fondement(s) juridique(s) ?

L’article 1240 du Code civil dispose que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » : peut-on peut invoquer ce dernier en cas d’abus de liberté d’expression ?

En principe, non, mais il y a exception à cette règle.

1. La responsabilité pénale de l’auteur.

Le 12 juillet 2000, l’Assemblée plénière a posé un principe clair : « les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 devenu 1240 du Code civil » [6].

Aussi, en principe, on ne peut que rechercher la responsabilité pénale de l’auteur d’un avis négatif en se fondant uniquement sur le régime spécial de responsabilité issu de la loi du 29 juillet 1881 [7].

Cependant, cette règle trouve exception.

2. La responsabilité civile de l’auteur au cas de dénigrement des produits et services.

La Cour de cassation a introduit une exception à la règle ci-dessus exposée, en matière de dénigrement de produits et de services : l’action en dénigrement de produits et services, qui échappe à la loi du 29 juillet 1881 [8], est soumise au droit commun de la responsabilité civile [9] : « hors restriction légalement prévue, la liberté d’expression est un droit dont l’exercice, sauf dénigrement de produits ou services, ne peut être contesté sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil ».

B. Quelles sanctions ?

En premier lieu, si l’auteur de l’avis a dénigré le commerçant, il s’agira d’une infraction civile. Dans ce cas, l’auteur sera condamné à verser des dommages et intérêts à la victime pour l’indemniser de son préjudice moral [10] et éventuellement financier. Mais dans ce second cas, il faut démontrer que la baisse du chiffre d’affaires résulte directement des propos litigieux... ce qui est compliqué !

En deuxième lieu, en cas de diffamation, l’infraction est d’ordre pénal. Dans ce cas, l’auteur de l’avis a fait l’objet d’un dépôt de plainte ou a été déféré devant le tribunal correctionnel et pourrait se retrouver avec un casier judiciaire et devoir payer une amende pouvant aller jusqu’à 12 000 euros [11].

En dernier lieu, il faut évoquer le cas des faux avis positifs, sollicités par les professionnels pour augmenter la côte de leur entreprise et/ou tromper les consommateurs. Dans ce cas, l’infraction relève de l’article L131-2 du Code de la consommation pour concurrence déloyale. Elle expose son auteur à pouvoir être condamné à une peine de deux ans de prison et d’une amende de 300 000 euros.

IV. L’écran n’est pas toujours anonyme : l’identité de l’auteur de l’avis litigieux peut être révélée en justice.

On peut demander en justice, au moyen d’une procédure accélérée au fond [12], sur le fondement de l’article 6-I-8 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour La Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN), l’identité des auteurs des avis laissés sur internet, malgré l’utilisation de pseudonymes :

« Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

Il résulte de ce texte que seul le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, est compétent pour prescrire les mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Ce droit inclut la communication de données d’identification si celle-ci s’avère nécessaire à la prévention ou à l’arrêt du préjudice subi par l’avis litigieux.

Ce texte permet donc de prévenir et de faire cesser un dommage.

Pour autant, ce texte n’empêche pas de saisir le juge des référés pour ordonner, en application de l’article 145 du Code de procédure civile, les mesures d’instruction légalement admissibles - notamment la communication de données d’identification, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

Effectivement, il est parfaitement possible, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, de solliciter la levée de l’anonymat afin d’engager une future action pénale (par exemple, en vue de sanctionner une pratique commerciale trompeuse), mais il reviendra au demandeur de démontrer l’existence d’un motif légitime suffisamment sérieux pour permettre d’accueillir sa demande.

V. En résumé.

Lorsqu’on décrit son expérience et les problèmes rencontrés au travers d’un avis sur internet, on est pas sanctionnable.

Un avis négatif et/ou une critique même sévère ne sont pas répréhensibles, car ils relèvent de la liberté fondamentale d’expression consacrée par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme.

Cependant, ce principe n’est pas absolu et trouve une limite : il est interdit, dans son avis, de porter atteinte à l’honneur ou à la considération du commerçant ou de ses salariés, ou du dirigeant, en employant une ou plusieurs expressions outrageantes, méprisantes ou invectivantes.

On peut indiquer « avoir été victime, avoir le sentiment d’avoir été pris pour un imbécile, avoir subi des désagréments, être déçu, ne pas comprendre un manque de professionnalisme faute d’avoir reçu un bien conforme, etc » mais il est interdit d’user d’insultes ou de chercher à nuire intentionnellement au commerce d’une société sous peine de sanctions civiles et/ou pénales.

On peut toujours retrouver l’auteur de l’avis sur internet.

Grégory Rouland Docteur en Droit et Avocat [->gregory.rouland@outlook.fr]

[1Article L111-7-2 du Code de la consommation.

[2CA Lyon, 07 novembre 2019, RG n°18/04830.

[3CA Douai, 28 janvier 2016, RG n° 14/06152.

[4CA Nancy, 12 décembre 2022, RG n° 22/00726.

[5Cass. com., 24 novembre 2009, n° 08-15.002.

[6Ass. plén., 12 juillet 2000, n° 98-11.155.

[7Cass. crim., 7 février 2017, n° 15-86.970.

[8Cass. civ. 1ère, 30 mai 2006, n° 05-16.437.

[9Cass. civ. 1ère, 25 mars 2020, n°19-11.554.

[10TGI Paris, 17ème, 26 octobre 2011, RG n° 09/17817.

[11Article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

[12Cette procédure remplace la procédure en la forme des référés, cf. article 839 du Code de procédure civile.