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Diffamation sur internet : comment se défendre juridiquement ? Par Yann-Maël Larher, Avocat et Céliane Ferrin, Juriste.
Parution : lundi 15 janvier 2024
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Avec l’explosion des réseaux sociaux et des plateformes numériques, la diffamation en ligne émerge comme un défi juridique de taille, touchant à la fois les individus et les entreprises. Dans ce contexte, il devient essentiel de maîtriser les mécanismes de protection contre les atteintes à la réputation, souvent résultant de propos diffamatoires. Cet article explore les différentes options légales pour y faire face et détaille des stratégies efficaces pour défendre ses droits et protéger sa réputation en ligne.

Comment définir la diffamation sur Internet ?

La diffamation peut se manifester sous de nombreuses formes en ligne, allant des commentaires sur les réseaux sociaux aux articles de blog diffamatoires, une vidéo en ligne ou à un commentaire sur un site de notation. La complexité du monde numérique rend la lutte contre la diffamation encore plus délicate, en particulier lorsqu’il s’agit d’identifier les auteurs anonymes ou de comprendre les nuances entre diffamation publique et privée.

De manière générale, la diffamation est définie par l’article 29 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1981 : il s’agit de l’affirmation d’un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. Le fait doit être suffisamment précis, visant une personne identifiable, mais il n’est pas nécessaire que cette personne soit expressément nommée. La diffamation reste avérée même si l’allégation est faite de façon déguisée ou dubitative [1]. Cela peut être le cas lorsque l’auteur des propos diffamatoires insinue le propos sans l’affirmer avec des hypothèses ou omet de citer précisément la victime tout en la rendant identifiable.

Comme l’illustre la presse People [2], un célèbre candidat de téléréalité française, Kévin Guedj, a par exemple assigné en justice son ex-femme, Carla Moreau, pour diffamation dans le cadre d’une autobiographie qu’elle a publié relatant les faits d’une personne “K”. En effet, selon le plaignant ni les lecteurs, ni les internautes n’auraient eu de doutes sur l’identité du personnage aux actes relatés controversés.

Cette définition s’applique quel que soit le support, qu’il s’agisse d’un blog, d’un réseau social ou d’un autre média. Toutes les personnes, publiques ou non, ont droit au respect de leur honneur et de leur réputation. Les personnalités publiques, cependant, sont plus exposées à la critique en raison de leur statut et de leur visibilité.

Le dénigrement, quant à lui, se rapporte à la qualité d’un service ou d’un produit et est différencié de la diffamation. Par exemple, l’envoi d’une lettre recommandée par une entreprise concurrente, relatant la non-conformité d’un produit aux normes, relève du dénigrement [3].

Distinction entre la diffamation publique et privée.

La diffamation se divise en deux catégories : publique et privée. La première concerne les propos diffusés à des tiers étrangers à la victime et à l’auteur, tels qu’une accusation sur les réseaux sociaux ou un blog. La seconde se produit dans un cadre privé, comme dans une messagerie personnelle.

Concernant les groupes WhatsApp, la classification peut varier. Si l’accès est limité à des membres ayant un lien commun, on pourrait parler de diffamation privée comme c’est le cas d’un groupe Facebook ouvert uniquement à 14 personnes [4]. Cependant, si le groupe est large ou fluctuant, le caractère public pourrait être retenu. S’il entend critiquer de façon virulente l’entreprise qui l’emploie, le salarié doit ainsi s’assurer qu’il le fait en cercle privé et restreint [5].

Que risque l’auteur des propos diffamatoires ?

L’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit des sanctions pénales pour diffamation, tandis que l’article 1240 du Code civil ouvre droit à des dommages et intérêts pour préjudice subi, qu’il soit moral, matériel ou les deux.

Sur le volet pénal, la diffamation publique est soumise à des sanctions plus sévères que la diffamation privée, avec une amende de 12 000 euros pour la première, contre une contravention de 38 euros pour la seconde.

En matière de réparation civile, le préjudice moral prend en compte l’atteinte à l’honneur et à la réputation, tandis que le préjudice matériel vise des pertes financières (par exemple la baisse de chiffre d’affaire pour une entreprise).

L’évaluation du préjudice prend également en compte la gravité de la diffamation, son étendue et l’impact sur la victime. Les tribunaux considèrent la nature des propos, l’intention de l’auteur et la vulnérabilité de la victime. Par exemple, la parution de propos diffamatoires dans le magazine So Foot « David Donadei : La vérité si je mens » a entraîné une condamnation à verser 4 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice subi par l’ancien joueur [6].

Que faire en cas de diffamation ?

Agir rapidement : L’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 fixe un délai de prescription de 3 mois à compter de la diffusion des propos diffamatoires. Pour la diffamation en ligne, le délai court à partir de la première mise en ligne du contenu incriminé. La loi du 9 mars 2004 étend ce délai à un an en cas de propos à caractère raciste.

Consulter un avocat : Face à des propos sérieusement préjudiciables à votre réputation, il est crucial de réagir avec sérieux. La reconnaissance d’une diffamation implique une procédure juridique spécifique et complexe, d’où l’importance de l’accompagnement par un avocat.

Récolter les preuves : Il est essentiel de rassembler tous les éléments attestant de la diffusion des propos diffamatoires, comme des captures d’écran ou des enregistrements audio/vidéo, en indiquant la date et l’heure de chaque publication.

Faire constater la diffamation : Un huissier de justice peut dresser un procès-verbal attestant des propos litigieux et de leur caractère public, en respectant les normes juridiques et la norme Afnor Z67-147. Ce procès-verbal est une preuve cruciale pour étayer votre plainte.

Mettre en demeure l’auteur des propos diffamatoires : Avant d’entamer une action en justice, il est conseillé de mettre en demeure l’auteur des propos par lettre recommandée avec accusé de réception, en détaillant les faits reprochés et en exigeant le retrait ou la rectification des propos dans un délai déterminé.

Quelles sont les actions possibles en cas de diffamation ?

La poursuite en justice d’une diffamation dépend de sa qualification correcte. Si vous engagez des poursuites pour diffamation alors qu’il s’agit en réalité d’injure publique, votre demande risque d’échouer. Contrairement à la diffamation, l’injure ne repose pas sur l’affirmation d’un fait vérifiable, mais plutôt sur une expression outrageante.

L’injure est une parole, un écrit ou une expression de la pensée adressés à une personne dans l’intention de la blesser ou de l’offenser. L’injure ne comporte pas l’affirmation d’un fait précis et objectivement vérifiable, mais seulement une allégation outrageante. Par exemple, déclarer lors d’un débat public qu’un adversaire politique est une « peste » [7].

1. Limiter les dommages.

Lorsque vous avez identifié l’existence des propos diffamatoires mais que vous êtes en dehors des délais ou que vous n’avez pas intérêt à poursuivre leur auteur vous pouvez effectuer des actions pour limiter leur portée sur Internet.

Effacement du contenu par l’hébergeur : En tant que victime de diffamation en ligne, vous pouvez demander à l’hébergeur du site internet de supprimer le contenu en question, en invoquant le droit à l’oubli, consacré par le RGPD. Cette démarche implique une demande écrite détaillée et précise à l’entreprise concernée.

Déréférencement du contenu : Vous pouvez aussi demander le déréférencement du contenu sur les moteurs de recherche, en suivant les procédures établies par chacun d’eux. Les principaux moteurs de recherche tels que Google, Bing, et Yahoo ont des procédures spécifiques à suivre, vous devrez ainsi consulter les politiques de déréférencement de chaque moteur de recherche. Certains hébergeurs peuvent être plus difficiles à contacter en raison de l’absence de présence physique en France.

Exercice du droit de réponse : Toute personne qui se retrouve expressément nommée sur un site internet a également un droit de réponse, conformément aux dispositions de l’article 13 de la loi de la presse du 29 juillet 1881. La loi pour la confiance en l’économie numérique du 21 juin 2004 a confirmé un droit de réponse pour les contenus diffusés en ligne. Il offre la possibilité, pour toute personne concernée par un propos litigieux publié, d’exposer son point de vue, ses explications ou encore ses protestations dans le même support et dans les mêmes conditions. Ce droit de réponse a été mis en place pour limiter le préjudice des victimes de diffamation. En revanche, ce droit n’emporte pas la suppression des propos litigieux originaux mais vous offre l’opportunité d’y répondre.

2. Réparer et condamner l’auteur.

Des poursuites judiciaires peuvent être engagées pour réparer votre préjudice et condamner l’auteur des propos diffamatoires. Cette démarche implique différentes étapes :

Plainte simple pour diffamation : Si vous êtes victime de propos diffamatoires sur internet (sur un forum ou sur un réseau social) vous avez 3 mois pour déposer plainte en vous rendant dans un commissariat (1 ans en cas de caractère raciste ou discriminatoire). La plainte sera ensuite transmise au procureur de la République pour qu’il décide de la suite (enquête, classement sans suite...).

Demander une levée d’anonymat : Les auteurs peuvent se cacher derrière un pseudo. La levée d’anonymat est une action en référé, encadrée par l’article 809 du Code de procédure civile. C’est une procédure d’urgence, qui permet d’aboutir à une réponse rapide du tribunal. Dans une ordonnance de référé en date du 25 février 2021, le Tribunal judiciaire de Paris a estimé qu’une demande de communication des données d’identification par requête ou par référé n’est pas incompatible avec le dépôt, en parallèle, d’une plainte pénale en diffamation. Ainsi, si vous êtes victime d’un propos diffamatoire publié sur les réseaux sociaux sous un pseudonyme, vous pouvez porter plainte pour diffamation et entreprendre une demande de levée d’anonymat pour connaître l’identité de l’auteur.

Plainte pénale en diffamation avec constitution de partie civile : Si vous souhaitez suivre l’enquête ou que ne connaissez pas l’identité de l’auteur des propos diffamatoires, vous pouvez aussi effectuer une plainte avec constitution de partie civile. La plainte est alors adressée directement au juge d’instruction. Il va procéder à une enquête, puis renverra l’affaire devant le tribunal correctionnel s’il considère que la diffamation est établie.

Citation directe pour diffamation : Si vous connaissez l’identité, les coordonnées de l’auteur des propos diffamants et que vous avez suffisamment de preuves, vous pouvez aussi saisir directement le tribunal correctionnel au moyen d’une citation directe. Cette procédure est plus rapide, car elle permet d’éviter l’enquête du juge d’instruction. Elle présente trois avantages majeurs : une saisine directe du tribunal par assignation, la rapidité de la procédure et l’absence de la phase d’instruction.

Attention, les tribunaux sont souvent prudents face à la justesse des preuves et du préjudice. Malheureusement, les personnalités publiques doivent souvent démontrer non seulement que les déclarations sont fausses et diffamatoires, mais aussi qu’elles ont été faites avec une intention malveillante pour obtenir justice.

Pourquoi faut-il aussi mesurer l’opportunité d’une action en justice en cas de diffamation ?

Il est crucial de reconnaître que le processus judiciaire lui-même peut influencer négativement la réputation des parties impliquées, indépendamment de l’issue du procès. Initiées avec de bonnes intentions, les poursuites judiciaires pour diffamation peuvent paradoxallement attirer l’attention des médias et du public, amplifiant ainsi le problème initial et portant potentiellement préjudice à la réputation de la personne qui intente l’action. Ce phénomène, souvent appelé « effet Streisand », est mis en lumière par des cas célèbres, tels que celui où l’équipe de Beyoncé a demandé le retrait de photos peu flatteuses lors du Super Bowl de 2013, ce qui a ironiquement entraîné leur propagation virale. De même, engager des poursuites en diffamation peut inciter l’accusé à adopter une posture défensive, exacerbant le conflit.

De plus, le parcours judiciaire peut s’avérer émotionnellement éprouvant, attirant des critiques supplémentaires sur la partie plaignante et maintenant l’affaire sous les feux des projecteurs médiatiques. Cela a été illustré par le procès en diffamation intenté par Victoria Abril contre Lucie Lucas, à la suite d’allégations de violences sexuelles, attirant de nouveau l’attention des médias sur cette affaire. Il est donc essentiel de peser minutieusement l’impact médiatique contre la gravité de la diffamation avant d’agir.

Enfin, la défense contre la diffamation peut parfois se transformer en une tactique de contre-attaque. Dans certains cas, l’accusé peut tenter de discréditer son accusateur en prétendant que les accusations portées contre lui sont en elles-mêmes diffamatoires. Cette stratégie, qui sous-entend souvent une menace de poursuites judiciaires en cas de mention de certains sujets ou individus, est fréquemment observée dans l’univers médiatique.

En conclusion, se défendre juridiquement contre la diffamation en ligne exige une approche prudente et éclairée. La décision de poursuivre en justice ou d’opter pour une autre stratégie doit être prise après une analyse minutieuse de la situation, en considérant les risques, les preuves disponibles, les coûts, ainsi que l’impact potentiel sur la réputation et le bien-être personnel.

Yann-Maël Larher, Avocat au barreau de Paris Docteur en droit social - relations numériques de travail [->contact@yml-avocat.fr] https://legalbrain-avocats.fr https://yml-avocat.fr et Céliane Ferrin, Juriste

[3Cass. Com. 28 sept. 2010.

[4Cass. soc., 12 sept. 2018, n°16-11.690.

[6Cour d’appel de Paris, 29 mars 2023 RG n° 22/03981.