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Tarification des AT/MP : le point sur deux dispositifs fort attendus. Par Renaud Deloffre, Magistrat.
Parution : jeudi 4 janvier 2024
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Avec le décret n°2023-1317 du 28 décembre 2023 paru au journal officiel du 29 décembre 2023, il a été mis fin à l’attente par les praticiens de la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles du dispositif de la majoration des cotisations pour accidents du travail récurrents dont l’entrée en vigueur était attendue depuis plusieurs années.
Les praticiens restent toujours dans l’attente du texte règlementaire permettant l’entrée en vigueur du dispositif prévu par l’article 5 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 prévoyant, dans l’objectif de favoriser l’emploi des salariés âgés, la mutualisation entre les entreprises des coûts liés aux maladies professionnelles dont l’effet est différé dans le temps.

Si l’on met à part les arrêtés portant nomenclature des risques et fixation des coûts moyens qui sont certes attendus avec beaucoup d’intérêt en toute fin d’année mais n’entraînent pas de bouleversements de la matière, les praticiens de la tarification des accidents du travail sont depuis de nombreux mois, et même pour l’un d’entre eux depuis plusieurs années, dans l’attente de la parution de deux textes de nature règlementaire pouvant avoir des incidences notables sur la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Etait ainsi attendue la promulgation de l’arrêté permettant l’entrée en vigueur du dispositif de majoration des cotisations d’accidents du travail et de maladies professionnelles des entreprises soumises à la tarification collective et mixte en cas d’accidents du travail récurrents tandis que reste attendue celle du décret d’application de l’article 5 de de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 prévoyant la mutualisation entre les entreprises des coûts liés aux maladies professionnelles dont l’effet est différé dans le temps, dans l’objectif de favoriser l’emploi des salariés âgés.

Il y a été mis fin à cette attente en ce qui concerne le dispositif de la majoration des cotisations en cas d’accidents de travail récurrents, dont l’entrée en vigueur a été retardée à plusieurs reprises et qu’il a finalement été décidé d’abroger.
Vient en effet d’être publié au journal officiel du 29 décembre 2023 un décret n°2023-1317 du 28 décembre 2023 portant abrogation du dispositif de majoration forfaitaire du taux de cotisations « accidents du travail-maladies professionnelles » prévu aux articles D.246-6-11 et D.242-35 du code de la sécurité sociale.

Ce dispositif, jamais entré en vigueur, était prévu par les articles D. 242-6-11 et, pour les établissements situés en Alsace-Moselle, par l’article D. 242-35 du code de la sécurité sociale.

Il résultait de l’article D. 242-6-11 dans sa rédaction résultant du décret n° 2017-337 du 14 mars 2017, qu’à partir de la date du 1er janvier 2022 pour les entreprises dont l’effectif est au moins égal à 10 salariés le taux net collectif de l’établissement serait majoré à un montant fixé par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget dans la limite de 10 % du taux moyen national lorsque au moins un accident du travail ayant entraîné un arrêt de travail est intervenu au sein de l’entreprise chacune des trois dernières années connues (il s’agit de l’avant-dernière et des deux précédentes).

L’article D.242-35 du Code de la sécurité sociale applicable aux établissements d’Alsace Moselle dans sa rédaction résultant du décret n° 2017-337 du 14 mars 2017 prévoit les mêmes dispositions pour les entreprises dont l’effectif est au moins égal à 10 et inférieur à 20 salariés et introduit une condition supplémentaire pour les entreprises de 20 salariés et plus, à savoir un total d’accidents ayant entraîné un arrêt de travail au moins égal à 7 sur la période précitée, s’agissant des entreprises de 20 à 34 salariés, et un total d’accidents ayant entraîné un arrêt de travail au moins égal à 9 sur la même période s’agissant des entreprises de 35 à 149 salariés.

On voit que ce dispositif dit de la majoration pour accidents récurrents nécessitait pour son entrée en vigueur l’intervention d’arrêtés ministériels.
Sa date d’entrée en vigueur avait été reportée au 1er janvier 2023 par l’article 1 du décret n° 2021-1615 du 9 décembre 2021 puis au 1er janvier 2024 par l’article 1 du décret n° 2022-1644 du 23 décembre 2022.

Ce dispositif, dont il était susceptible de résulter une majoration du taux collectif, ne devait de facto s’appliquer qu’aux entreprises en tarification collective et mixte puisque le taux de cotisation en tarification individuelle n’est pas fixé en fonction des taux collectifs prévus à la nomenclature des codes risques publiée chaque année mais repose sur la fixation d’un taux brut, calculé en fonction de la sinistralité de l’établissement et de sa masse salariale, auquel s’ajoutent des majorations fixées chaque année par arrêté ministériel ce qui donne le taux net de cotisations applicable à l’établissement.

Le dispositif de la majoration du taux collectif pour accidents récurrents ne portait en outre que sur les accidents du travail et non sur les maladies professionnelles.

Pour illustrer le mécanisme qui était prévu et qui a finalement été abandonné, on peut effectuer une simulation hors Alsace Moselle de l’application du dispositif pour la tarification de l’année 2024 d’une entreprise employant 18 salariés et donc soumise à la tarification collective ( moins de 20 salariés)

Les trois dernières années connues, déterminées selon ce qui est indiqué plus haut, correspondent aux années 2022, 2021 et 2020.

Si le dispositif était entré en vigueur en 2024, la majoration n’aurait pas été applicable dans l’hypothèse suivante :
2020 : un accident sans arrêt de travail.
2021 : trois accidents avec arrêt de travail et un sans arrêt de travail.
2022 : deux accidents avec arrêt de travail.

Il n’était en effet pas intervenu d’accident avec arrêt de travail pendant les trois années consécutives.

Par contre, si en 2020, au moins un accident avec arrêt de travail s’était produit, le nombre d’accidents étant inchangé pour 2021 et 2022, l’établissement se serait vu appliquer pour 2024 la majoration forfaitaire ( d’un pourcentage devant être déterminé par l’arrêté d’application prévu par les textes) puisqu’il serait alors survenu au moins un accident de travail sur chacune des années de la période de référence.

Ce dispositif des accidents récurrents avait pour objectif de corriger pour les entreprises d’au moins 10 salariés la déresponsabilisation possible des employeurs inhérente aux systèmes de tarification mixte et surtout collective dans la mesure où la sinistralité AT/MP n’impacte aucunement le taux de cotisations des entreprises en tarification collective et ne l’impacte pour celles en tarification mixte que de manière inversement proportionnelle à leur effectif.

Il était de nature à générer une augmentation sensible des demandes d’inopposabilité présentées par les petites entreprises puisque celles en tarification collective n’ont actuellement aucun intérêt sur le plan de la tarification1 à contester l’opposabilité d’une décision de prise en charge ou de fixation d’un taux d’incapacité, tandis que celles en tarification mixte à faible effectif n’y ont qu’un intérêt inversement proportionnel à l’importance de leur effectif.

Ce dispositif des accidents de travail récurrents est donc abrogé, mettant fin à l’attente du texte d’application par les praticiens depuis plusieurs années.

Ces derniers restent par contre toujours dans l’attente du décret d’application de l’article 5 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 qui pose le principe de la mutualisation des maladies professionnelles dont l’effet est différé dans le temps pour favoriser l’emploi des salariés âgés et qui procède donc d’une préoccupation antagoniste de la volonté de responsabilisation accrue de certains employeurs qui inspirait le dispositif avorté des accidents récurrents2.

Cet article 5 ajoute au premier alinéa de l’article L. 242-5 du code de la sécurité sociale prévoyant que le taux de cotisations due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé annuellement pour chaque catégories de risques par la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’après les règles fixées par décret en le complétant par une phrase prévoyant que « ce décret prévoit que les modalités de calcul du taux de cotisation permettent la mutualisation entre les entreprises des coûts liés aux maladies professionnelles dont l’effet est différé dans le temps, dans l’objectif de favoriser l’emploi des salariés âgés. » et, de manière plus secondaire, il complète l’article L. 751-15 du code rural et de la pêche maritime par la phrase selon laquelle : « Cet arrêté prévoit que les modalités de calcul du taux de cotisation permettent la mutualisation entre les entreprises des coûts liés aux maladies professionnelles dont l’effet est différé dans le temps, dans l’objectif de favoriser l’emploi des salariés âgés. »

Il s’ensuit qu’est prévue par la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 l’intervention d’un décret et, s’agissant des cotisations AT/MP du régime agricole, celle d’un arrêté prévoyant tous deux la mutualisation des coûts liés aux maladies professionnelles dont l’effet est différé dans le temps pour favoriser l’emploi des salariés âgés.

L’idée exprimée par le législateur est qu’un employeur pourrait être dissuadé d’embaucher un salarié âgé à raison du risque de voir imputer sur son compte le ou les coûts d’une maladie professionnelle contractée par ce dernier à la suite d’une exposition au risque au service d’un ou plusieurs autres employeurs précédents et qu’il faudrait donc mutualiser le risque correspondant c’est-à-dire le faire supporter par la collectivité des employeurs et non par le dernier employeur exposant au risque.

Cette affirmation du législateur selon laquelle le système de tarification peut dissuader des employeurs d’employer des salariés âgés est parfaitement compréhensible pour qui pratique la tarification des AT/MP.

La pratique de cette matière fait en effet apparaître que de nombreux employeurs sont imputés sur leur compte, en qualité de derniers exposants, du coût de maladies relevant au sens large des troubles musculo-squelettiques [1] et dont on peut raisonnablement penser, sans qu’il semble y avoir de certitudes médicales absolues sur ce point, que leur fait générateur est imputable à l’activité du salarié chez un ou plusieurs précédents employeurs.

La pratique du contentieux fait également apparaître que, compte tenu des règles probatoires en la matière, les employeurs ainsi impactés rencontrent d’importants obstacles pour obtenir l’inscription des coûts correspondants au compte spécial notamment pour multi-exposition.

Et on comprend très bien que le législateur, parfaitement conscient de cette situation, ait estimé qu’il y avait là un frein à l’embauche des salariés âgés, ces derniers étant de par la durée de leur parcours professionnel les plus susceptibles de développer des pathologies professionnelles liées principalement à l’usure accumulée des articulations ou de la colonne vertébrale.
Mais si l’intention du législateur est claire, beaucoup d’options restent ouvertes au pouvoir réglementaire.

Il appartiendra en effet à ce dernier en premier lieu de définir la notion de maladie à effet différé et de cette définition dépendra l’étendue de la mutualisation des maladies susceptibles d’affecter les salariés âgés.

Il appartiendra également au pouvoir réglementaire de déterminer l’âge du salarié déclenchant la mutualisation de la ou des maladies déclarées après son embauche.

Et enfin, pour éviter tout effet d’aubaine au profit d’employeurs ayant embauché des salariés avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif, le pouvoir réglementaire prévoira peut-être que la mutualisation des maladies professionnelles des salariés âgés sera limitée aux embauches réalisées à partir de l’entrée en vigueur du texte d’application.

L’essentiel du dispositif prévu par le législateur est donc encore à définir par le décret d’application dont le praticien est bien évidemment impatient de découvrir le contenu, compte tenu de son impact pour la matière de la tarification des AT/MP.

Renaud Deloffre Conseiller à la Chambre de la Protection Sociale de la Cour d’Appel d’Amiens. Docteur de troisième cycle en sciences juridiques.

[1Ces maladies constituent d’ailleurs la très grande majorité des maladies professionnelles puisque si l’on consulte les statistiques de l’assurance maladie risques professionnels pour 2021 ( rapport annuel 2021 de l’assurance maladie risques professionnels p 154 ) on constate que les troubles musculo-squelettiques ( tableaux 57,98,79,97 et 69) représentent un peu plus de 86% des maladies professionnelles de 2021 tandis que les maladies liées à l’amiante en représentent un peu moins de 5%.

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