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Analyse de la réforme de la formation continue des avocats.
Parution : jeudi 11 janvier 2024
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Le décret n° 2023-1125 du 1er décembre 2023 (J.O.2) réforme en profondeur la formation professionnelle, initiale et continue, des avocats, aménage les passerelles d’accès dérogatoires à la profession, et comporte diverses dispositions techniques relatives à l’administration des centres régionaux de formation professionnelle d’avocats (CRFPA), ainsi qu’au fonctionnement du Conseil national des barreaux (CNB) et de sa commission institutionnelle de la formation.
Par ailleurs, la décision normative du CNB n° 2023-002 relative à la formation continue des avocats, adoptée par l’assemblée générale le 17 novembre 2023, a été publiée au Journal officiel du 12 décembre 2023 (texte n° 11). Elle remplace et abroge la précédente décision du 20 juillet 2018 ; elle est d’application immédiate.

I - Analyse du décret concernant la formation continue.

(Inspirée par Stéphane Bortoluzzi, Directeur général du CNB, in Dalloz actualités, 13 décembre 2023 [1].)

Création d’un avocat référent pour les jeunes avocats.

Sans rétablir le régime du stage qui existait avant la réforme de 2004, le décret met en place un avocat référent en vue d’accompagner les jeunes avocats au cours de leurs deux premières années d’exercice professionnel.

J-Christophe Beckensteiner

On rappellera à ce titre que l’élève avocat titulaire du CAPA peut exercer la profession d’avocat selon l’une des modalités prévues par l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971, et notamment s’établir à titre individuel.
Les nouveaux avocats devront désormais suivre, pendant les deux premières années d’exercice, un total de dix heures de formation consacrées à la gestion d’un cabinet d’avocat et dix heures annuelles de formation consacrées à la déontologie mais aussi au statut professionnel [2].
Il appartiendra au conseil de l’ordre de désigner à chaque nouveau titulaire du CAPA, un avocat référent, ayant exercé pendant au moins deux années, « chargé de parfaire la formation pratique de l’avocat qu’il accompagne et de l’aider dans son parcours professionnel » [3].
Cette mesure entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2025.

Sanction de l’omission de l’obligation de formation continue.

La nature et la durée des activités susceptibles d’être validées au titre de l’obligation de formation continue sont définies par l’article 85 du décret du 27 novembre 1991. Sur ce point, le décret du 1er décembre vient simplement clarifier la liste des actions permettant de satisfaire à cette obligation pour l’avocat. Est notamment précisé dans le décret que les colloques ou conférences suivis devront être en lien « direct » avec l’activité professionnelle, la précédente rédaction n’imposant que l’existence d’un simple lien [4].

Mais la grande nouveauté du décret fait surtout de la formation continue une condition d’exercice de la profession en instaurant la possibilité d’omission de l’avocat du tableau en cas de manquement à l’obligation de formation continue [5]. La formation continue est une obligation légale de nature déontologique, elle est la conséquence du devoir de compétence de l’avocat à l’égard de ses clients [6].

Jusqu’à présent la sanction du non-respect de l’obligation de formation continue, formellement non prévue par les textes, relevait de l’article 183 du décret du 27 novembre 1991 exposant de manière générale tout avocat qui contrevient aux lois et aux règlements, ou qui commet une infraction aux règles professionnelles, à des sanctions disciplinaires.

Partant du constat que ce contrôle disciplinaire des ordres est rarement actionné et la sanction le plus souvent inadaptée, le CNB avait proposé sur rapport de sa commission de la formation professionnelle adopté lors de son assemblée générale des 6 et 7 juillet 2018 de permettre la sanction du non-respect de l’obligation de formation continue par la voie de l’omission.
Le décret du 1er décembre 2023 concrétise enfin cette proposition de réforme. Le non-respect de l’obligation de formation continue sera désormais un motif d’omission [7] ; la voie disciplinaire restant également ouverte. [8]

Cette disposition est applicable à compter du 1er janvier 2024, obligeant les ordres à la mettre en œuvre dès cette date.

Modalités d’obtention et de retrait d’un certificat de spécialisation.

Les modalités d’obtention et de retrait d’un certificat de spécialisation sont précisées.
Pour rappel, la spécialisation de l’avocat est acquise par une pratique professionnelle continue d’une durée de quatre années et validée par un jury qui vérifie les compétences professionnelles dans la spécialité sur la base d’un dossier constitué par l’avocat. La condition tenant à la durée de pratique professionnelle doit être remplie à la date à laquelle l’avocat en sollicite la délivrance [9].

Le décret prévoit désormais que le temps de pratique professionnelle requis pourra avoir été suspendu quatre mois (et non plus trois) et, sur dérogation accordée par la commission formation professionnelle du CNB, quatre mois de plus [10]. Cette évolution du texte permet notamment la prise en compte des temps de parentalité, et spécialement un congé maternité, sans incidence sur la possibilité d’obtenir un certificat de spécialisation.

Le décret énonce que le CNB doit intégrer la liste nationale des avocats titulaires de mentions de spécialisation dans l’annuaire national des avocats prévu par l’article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 [11].
L’avocat titulaire d’un certificat de spécialisation peut désormais demander au président du CNB, par tout moyen conférant date certaine à sa réception, son retrait de la liste nationale [12]. Le CNB doit procéder à ce retrait dans les deux mois suivant la réception de la demande. Il doit en aviser l’avocat et le bâtonnier concerné, étant précisé que ce retrait est définitif.
La justification d’une pratique professionnelle autre que celle d’avocat dans certaines fonctions (en entreprise, à l’université ou dans la magistrature) doit aussi permettre à l’avocat titulaire d’une mention de spécialisation de continuer à en faire usage au-delà d’une période de suspension supérieure à deux ans [13].

Le texte revoit également la composition du jury de l’entretien de validation des compétences professionnelles en vue de l’obtention d’un certificat de spécialisation par la suppression de la fonction du rapporteur du jury. La recevabilité du dossier de candidature est désormais examinée par la commission de la formation professionnelle du CNB [14]. Cette recevabilité s’entend du caractère complet du dossier et du respect de la condition de pratique professionnelle continue de quatre années. En cas d’irrecevabilité, la commission rendra une décision motivée, notifiée au candidat par tout moyen conférant date certaine à sa réception, et susceptible de recours devant la Cour d’appel de Paris.
A défaut de précisions, ces dispositions sont applicables au 1er janvier 2024.
 [15]

II - La décision normative du CNB n° 2023-002 relative à la formation continue des avocats.

Adoptée par l’assemblée générale le 17 novembre 2023, a été publiée au Journal officiel du 12 décembre 2023 (texte n° 11).
Elle remplace et abroge la précédente décision du 20 juillet 2018 ; elle est d’application immédiate.

Le texte vise à mieux adapter les règles de la profession à la diversité des offres de formation destinées aux avocats, notamment les formations en ligne qui se sont fortement développées depuis la crise sanitaire de 2020 et les formations dispensées par les cabinets d’avocats.

À cette fin, la décision renforce l’obligation de l’organisme de formation à diffuser certaines informations préalablement à la formation : modalités d’accès, tarifs, contacts, objectifs, thèmes traités et mentions de spécialisation concernées, niveau d’enseignement, nombre d’heures programmées, déroulé précis, méthodes mobilisées, noms et références professionnelles des personnes ayant conçu et animant la formation, accessibilité aux personnes handicapées, et nombre maximal d’apprenants sur place et à distance [16].

Les niveaux d’enseignement sont clarifiés ainsi :

S’agissant des formations en tout ou partie à distance, devront être indiquées les modalités d’assistance et d’accompagnement de l’apprenant et, pour les formations en e-learning, les activités pédagogiques à effectuer à distance et leur durée moyenne et la date de dernière mise à jour des modules [18].
La durée globale de chaque formation reste fixée à deux heures [19].
De surcroît, la décision supprime le quota maximum qui encadrait les formations à distance pour le suivi de l’obligation de formation continue des avocats, auparavant fixé à 10 heures par an ou 20 heures au cours de deux années consécutives, et prévoit expressément leurs modalités de mise en œuvre [20].
En outre, les cabinets et structures d’avocats pouvant désormais exercer une activité commerciale accessoire, notamment de formation, la décision intègre les formations organisées par ces derniers lorsqu’elles sont ouvertes à tout avocat, leur permettant ainsi d’être homologuées par le CNB [21]. Elles entrent désormais dans le régime de droit commun si elles sont ouvertes à des avocats extérieurs.
Auparavant, le cabinet devait disposer de l’accord préalable du CRFPA de son ressort, mais attention : cette obligation demeure pour les formations internes.

Par ailleurs, la décision clarifie le régime de validation des heures d’enseignements dispensées par l’avocat. Une heure d’enseignement dispensée équivaut toujours à quatre heures de formation reçue, mais il est précisé que l’enseignement peut être dupliqué « une ou plusieurs fois ». Chaque séance de formation n’est alors comptabilisée que pour un maximum équivalent à douze heures de formation reçue si l’enseignement a lieu devant des auditoires différents – et non plus uniquement « dans d’autres lieux de formation » – au cours de deux années consécutives – et non plus seulement durant l’année considérée [22].

La décision permet par ailleurs au CNB d’homologuer des formations gratuites, et homologue de droit les formations du Centre de formation de la juridiction administrative et de l’École nationale des greffes ouvertes aux avocats, à l’instar de ce qui existe pour l’École nationale de la magistrature et, bien évidemment, les CRFPA [23].

Enfin, les causes de réduction au prorata temporis du nombre d’heures de formation à justifier sont élargies.
Actuellement, les avocats inscrits au tableau de l’ordre en cours d’année, ou n’ayant pas exercé temporairement « pour cause de congé maladie ou congé maternité ou paternité », ou pour omission, sont soumis à un nombre d’heures de formation continue réduit s’appréciant prorata temporis de la durée d’exercice professionnel sur l’année civile considérée. Afin de prendre en cause la diversité des situations (notamment le congé parentalité et le congé en cas d’adoption), la décision prévoit désormais que la règle s’applique aux avocats n’ayant pas exercé temporairement « pour un motif légitime apprécié par le conseil de l’ordre » [24].

S’agissant du contrôle des actions de formation organisées en interne par les structures d’exercice de la profession, la décision prévoit que :

J-Christophe Beckensteiner Avocat honoraire Président de la commission du contrôle de la formation Barreau de Lyon

[2Art. 32 modifiant l’art. 85-1 du décret du 27 nov. 1991

[3Art. 33 insérant un art. 85-2 au décret du 27 nov. 1991

[4Art. 31 modifiant l’art. 85 du décret du 27 nov. 1991

[5Art. 49 modifiant l’art. 105 du décret du 27 nov. 1991

[6Décret n° 2023-552, 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats, art. 3 ; RIN, art. 1.3

[7Omission facultative de l’art. 105 du décret du 27 nov. 1991

[8L’omission sera prononcée par le conseil de l’ordre, l’intéressé étant convoqué au moins quatre mois avant la séance du conseil, délai lui permettant peut-être de se mettre à jour.

[9Civ. 1re, 27 févr. 2013, n° 12-13.942, inédit

[10Art. 35 modifiant l’art. 90 du décret du 27 nov. 1991

[11Art. 34 modifiant l’art. 86 du décret du 27 nov. 1991

[12Art. 43 insérant un art. 92-7 au décret du 27 nov. 1991

[13Art. 43 insérant un art. 92-8 au décret du 27 nov. 1991

[14Art. 38 remplaçant l’art. 92-1 du décret du 27 nov. 1991

[15Source : Décret n° 2023-1125 du 1er décembre 2023 relatif à la formation professionnelle des avocats - Légifrance (legifrance.gouv.fr) Chap. V, VI, VII et IX.

[16Art.1a

[17art.1a

[18Art.1d

[19Par ex. un cycle de 4 x ½ h au moins

[20Art.1d

[21Art.7

[22Art.4

[23Art.7

[24Art.8

[25Art.3

[26Source : CNB, DCN, 17 nov. 2023, déterminant les modalités d’application de la formation continue des avocats, NOR : JUSC2333384S : JO, 12 déc. 2023.