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Du formalisme ad validitatem au principe de proportionnalité du cautionnement, quels enseignements ? Par Yohanne Kessa, Doctorant.
Parution : mardi 30 janvier 2024
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Au regard du droit ancien, cette solution est assurément pragmatique, mais révèle, finalement, les limites tant critiquées du formalisme ad validitatem. Certes, il est nécessaire de protéger les cautions personnes physiques en sécurisant le cautionnement, et donc leurs engagements, mais il est frustrant de récompenser l’éventuelle mauvaise foi de certaines d’entre elles au nom de la sécurité juridique.

L’étude du droit des sûretés en général, et du droit du cautionnement en particulier, révèle au juriste, si besoin en était, que la certitude dans l’application du droit laisse sans cesse place à l’incertitude pour, à nouveau, tendre vers la certitude de ce que le droit doit constamment s’adapter à la réalité et à l’exigence des outils juridiques qui en sont l’émanation. L’existence d’intérêts divergents rend essentiel la nécessité de trouver un juste équilibre entre la protection de la caution et le souci impérieux d’assurer une sécurité juridique suffisante au créancier pour préserver la vie des affaires et un environnement économique reposant sur la confiance. En conséquence, si le travail du législateur n’est pas négligeable, ce dont témoigne notamment l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, celui du juge est tout aussi précieux, puisqu’il est plus à même de connaître les forces en présence et qu’il assume un rôle créateur d’équilibrisme juridique.

Ainsi, en dépit du formalisme ad validitatem qui l’encadre, la jurisprudence contemporaine œuvre à ne pas aller au-delà de la radicalité des règles de forme imposées par le législateur pour les cautionnements souscrits avant le 1er janvier 2022, par des personnes physiques au profit de créanciers professionnels.

L’arrêt du 29 novembre 2023, n°22-17.913, rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation est l’occasion d’observer à nouveau cette œuvre prétorienne. Cette décision est fort stimulante à double titre. D’abord, parce qu’elle poursuit le travail de détermination de la portée du formalisme de la mention manuscrite validant tout cautionnement sous seing privé consenti par des époux cautions à un créancier professionnel, à peine de nullité. Ensuite, parce qu’elle règle une question sous-jacente au formalisme ad validitatem, particulièrement celle ayant trait au principe de proportionnalité de l’engagement de la caution personne physique.

En l’espèce, par un contrat de prêt, un établissement de crédit (la Caisse régionale de crédit mutuel du Languedoc) a consenti un prêt d’un montant de 320 000 euros d’une durée de quatre-vingt quatre mois à une société (la société Laurika). Par le même acte, deux époux se portèrent cautions solidaires du remboursement de ce prêt, à concurrence d’une somme inférieure à celle objet du contrat de prêt.

La société devint défaillante, et fut mise en redressement puis liquidation judiciaire.

La banque assigna l’épouse en exécution de son engagement.

Pour refuser de payer l’établissement de crédit, l’épouse plaida, à la fois, la nullité de son engagement de cautionnement et son inefficacité. Celle-ci invoqua la nullité du cautionnement souscrit au motif que la mention manuscrite ne stipulait aucune limitation de durée de l’emprunt cautionné. Ensuite, la caution argua la disproportion manifeste de son engagement. A cet effet, elle fit valoir que la mention manuscrite recopiée dans l’acte sous seing privé ne lui permit pas d’avoir une pleine connaissance de la portée de son engagement, et qu’en raison d’une imprécision de la limitation de l’emprunt cautionné, ledit engagement était disproportionné.

Les juges du fond retinrent cette plaidoirie et annulèrent le cautionnement litigieux.

La banque se pourvoit en cassation en alléguant qu’une telle argumentation violait aussi bien l’article L341-2 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016, que l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicables au contentieux de l’espèce.

Mais la Cour de cassation ne la suit pas dans son argumentation et rejette le pourvoi en jugeant qu’à défaut de précision de la durée de l’emprunt cautionné et apposée dans la mention manuscrite, celle-ci ne permettait pas à la caution d’avoir une pleine connaissance de la portée de son engagement.

Ce faisant, la Cour régulatrice se penche, non seulement sur la validité du cautionnement (I), mais également sur l’efficacité du contrat de cautionnement (II).

I- La validité du cautionnement étudiée.

Il est acquis qu’afin de protéger la caution, et d’éclairer son consentement à l’acte auquel il s’engage, la jurisprudence a progressivement mis à la charge du créancier un devoir de mise en garde, semblable à celui dont profite l’emprunteur [1].

L’établissement bancaire devait donc mettre en garde la caution quant à sa capacité financière et quant aux risques de l’endettement financière né de l’octroi des prêts consentis au débiteur principal [2].

L’on observe que la solution est rendue au visa de la combinaison de l’article L341-2 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016, et de l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.

Le second texte ne posant pas réellement de difficultés puisqu’il renvoie à l’idée selon laquelle le contrat est la loi des parties [3], c’est davantage le premier qui mérite quelques observations.

L’article L341-2 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016 obligeait à déterminer la durée du cautionnement donné par acte sous seing privé par une personne physique en faveur d’un créancier professionnel, mais n’imposait, ce faisant, pas l’énonciation d’une date fixe. Aussi, dans la mesure où ce texte prévoyait l’indication d’une durée déterminable, cette exigence n’était pas respectée, puisque la mention manuscrite reproduite par l’épouse ne lui permettait pas d’avoir une pleine connaissance de la portée de son engagement et que l’acte de cautionnement, ne portant pas l’indication d’une durée précise de l’engagement souscrit, violait les dispositions de l’article L341-2 du Code de la consommation.

Rappelons que le formalisme informatif de l’article L341-2 du Code de la consommation imposait, à peine de nullité, pour les cautionnements sous seing privé conclus par une personne physique envers un créancier professionnel, une double exigence : la mention manuscrite légale qui devait faire référence au montant de la somme garantie (« en me portant caution de X dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal… »), ainsi qu’à la durée de l’engagement de la caution (« en me portant caution… pour la durée de … »). Par cette rédaction précise du texte, l’on pouvait déceler l’intention du législateur de limiter l’étendue de ce type de cautionnement.

L’article L341-2 du Code de la consommation était complété par l’article L341-6 du même code qui imposait une obligation annuelle d’information de la caution personne physique par le créancier professionnel, et régissait expressément le cas de l’engagement de la caution à durée indéterminée. Il impose le rappel par le créancier de la faculté de révocation du cautionnement à tout moment, et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. Pourtant, si l’article L341-2 du Code de la consommation visait expressément l’acte sous seing privé, l’obligation d’information n’était pas conditionnée par la forme de l’engagement de la caution.

En l’occurrence, l’acte de prêt étant dactylographié, cela n’enlève pas l’obligation selon laquelle la mention manuscrite de la durée du cautionnement doit être exprimée de manière précise et sans qu’il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l’acte. Or, par la formulation « pour la durée de l’emprunt », la cour a considéré que cette durée n’était pas précisée. Autrement dit, s’agissant de la durée du contrat de cautionnement, la mention doit se suffire à elle-même. En raison de son imprécision, la mention manuscrite litigieuse invalide le contrat de cautionnement, et donc l’engagement de la caution.

Au regard du droit ancien, cette solution est assurément pragmatique, mais révèle, finalement, les limites tant critiquées du formalisme ad validitatem. Certes, il est nécessaire de protéger les cautions personnes physiques en sécurisant le cautionnement, et donc leurs engagements, mais il est frustrant de récompenser l’éventuelle mauvaise foi de certaines d’entre elles au nom de la sécurité juridique.

L’interprétation des textes est donc ici discutable. Se déduit alors de cette jurisprudence l’idée que la caution doit avoir, au travers de la seule mention manuscrite, une parfaite connaissance de l’étendue et de la durée de son engagement sans nécessairement avoir lu l’acte de cautionnement, tout au moins les clauses de montant et de durée du contrat. La moindre erreur est par conséquent sujette à la nullité du contrat de cautionnement, et donc à une remise en cause d’obligations contractuelles préexistantes entre les parties (le créancier professionnel, le débiteur principal et la caution), la mention manuscrite apposée devant énoncer, par une formulation claire et non équivoque, la durée de l’engagement souscrit.

Ce faisant, la solution de la cour interroge quant à l’efficacité du cautionnement (II).

II- L’efficacité du cautionnement discutée.

En l’espèce, en tant que contrat, le cautionnement doit se conformer aux exigences des articles du Code civil relatifs aux contrats. A cet effet, les règles du droit commun des obligations contractuelles inhérentes au contenu du contrat sont applicables au cautionnement, notamment au cautionnement commercial, si bien que l’obligation doit avoir pour objet une prestation déterminée ou déterminable [4].

Par conséquent, la dette principale, objet de l’obligation de la caution, doit être délimitée avec un minimum de précision, ce qui ne suscite guère de difficultés, en l’occurrence, la dette principale étant de 320 000 euros.

En délaissant la thèse du formalisme ad probationem pour un formalisme ad validitatem, le formalisme informatif des anciens articles L341-2 et suivants du Code de la consommation avait pour ambition de faire prendre pleinement conscience à la caution de la portée et de la gravité de l’engagement qu’elle s’apprêtait à prendre.

Cette ambition préventive du formalisme légal avait donc pour finalité de sécuriser les contrats de cautionnement visés par les textes en responsabilisant les cautions et en réduisant les sources de contestation [5] pour préserver un environnement juridique relatif aux contrats de cautionnement plus sécurisant. Cette ambition vertueuse a vite rencontré des difficultés, puisque rapidement la sanction de ces formalités était la nullité, certes relative [6] du cautionnement, les cautions se sont précipitées dans cette brèche pour tenter de faire invalider leurs engagements de cautions. Alors, l’exigence du formalisme ad validitatem est devenue une source de contentieux où les juges ont essayé de faire preuve de pragmatisme dans leurs décisions pour éviter que la règle morale dans les obligations [7] ne soit bafouée et que des personnes de mauvaise foi ne soient libérées de leurs obligations contractuelles de manière inopinée.

C’est ce qu’en l’occurrence, par le prisme de l’ancien article 1134 du Code civil, l’établissement de crédit a soulevé dans son argumentation contre la caution, laissant ainsi entendre que les conventions légalement formées tenant lieu de loi à ceux qui les ont faites, la caution était tenue de respecter son engagement de payer la banque en cas de défaillance du débiteur principal.

La Cour régulatrice rejette ses prétentions. Cette position s’inscrit dans une position jurisprudentielle pragmatique. En effet, la jurisprudence retient une application assez souple des textes sur la base d’une grille de lecture : en cas de divergence entre la mention légale et celle apposée dans un acte de cautionnement, avant de conclure la nullité du cautionnement, il faut vérifier s’il s’agit d’une erreur matérielle, à défaut, si le sens et la portée de la mention ne sont pas affectés, et enfin, si tel était le cas, d’observer si celle-ci était favorable [8] à la caution.

C’est pourquoi, si cette sécurisation du contrat de cautionnement avait pour finalité son efficacité et une certaine proportionnalité de l’engagement de la caution avec ses facultés de paiement, elle s’est également traduite par une délimitation de l’étendue du cautionnement, le respect stricto sensu de l’exigence légale de la mention manuscrite pouvant limiter la liberté des parties.

Une question demeure cependant. Comment la mention manuscrite devait-elle finalement exprimer en la cause cette durée obligatoire ? En effet, l’on observe que l’ancien article L331-1 du Code de la consommation ne fixait pas la manière dont la durée de l’engagement devait être mentionnée dans l’acte de cautionnement [9].

Généralement, lorsqu’une simple durée est indiquée, celle-ci précise le terme extinctif de l’engagement de la caution. Au-delà de ce terme extinctif, la caution est libérée de son engagement. Mais alors, les parties pouvaient-elles aménager ce terme, voire ne pas limiter la durée de l’engagement de la caution ? Une durée indéterminée était-elle envisageable ? La mention « pour la durée de l’emprunt » comme durée précisée du cautionnement se suffisait-elle réellement en l’espèce ?

Il appert que pour la Cour de cassation cette mention n’était pas complète, suffisante, et ne permettait pas à la caution d’avoir une pleine connaissance de la portée de son engagement et de la proportionnalité dudit engagement avec ses facultés de paiement. Ce qui peut être mal vécu par l’établissement de crédit, eu égard au fait que l’acte de cautionnement était contenu dans le même acte que le prêt cautionné en l’espèce, et que l’acte de prêt avait une durée de quatre-vingt quatre mois. Par déduction de la mention « pour la durée de l’emprunt », la durée du contrat de cautionnement devait donc être également de quatre-vingt-quatre mois.

Que faut-il en déduire pour l’avenir ?

La réforme issue de l’Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a abrogé les textes relatifs à la mention apposée par la caution, et intégré une exigence de formalisme dans le nouvel article 2297 du Code civil. A peine de nullité du contrat, la caution devra désormais apposer elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que doit le débiteur principal en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. Il n’y a ainsi plus le modèle légal à respecter. Le contentieux portant sur le point de savoir si la caution avait bien recopié le modèle n’existe donc plus.

En outre, la mention n’a plus à être manuscrite, ce qui complète la nouvelle rédaction des articles 1174 et 1175 du Code civil qui visent à permettre la conclusion des sûretés sous forme électronique. De plus, à la différence des anciens articles L331-1 et L331-2 du Code de la consommation, l’article 2297 ne vise que le créancier, sans distinction. La mention sera par conséquent requise dans tous les cautionnements signés par une caution personne physique, que le créancier soit un non un professionnel.

Si le cautionnement est commercial, donc solidaire, la mention apposée par la caution doit en plus préciser que celle-ci ne peut exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions [10].

Le texte dispose qu’à défaut de cette mention spéciale, la caution conserve le droit de se prévaloir de ces bénéfices. Il est permis d’en conclure que la sanction n’est pas la nullité du cautionnement, mais le simple « effacement » de la solidarité. Le contrat de cautionnement devient simple.

Les enseignements tirés de cette décision sont au nombre de trois.

Premièrement, les contentieux ayant trait aux contrats, y compris le contrat de cautionnement, conclus avant la réforme issue de l’ordonnance du 16 février 2016 continuent d’être régis par les dispositions du Code civil antérieures à cette réforme.

Deuxièmement, la Cour régulatrice invite les parties au contrat de cautionnement à préciser dans la mention manuscrite la portée de l’engagement de la caution, de sorte à ne pas alimenter de nouveaux contentieux propres à encourager les établissements bancaires à ne pas accepter les cautions personnes physiques qui ne sauraient honorer leurs engagements en raison de la disproportion de ces engagements.

Dernièrement, l’efficacité du contrat de cautionnement a pour corollaire l’efficacité de la vie des affaires. A cet effet, des contrats de cautionnement valides et efficaces participent d’une efficacité de cet outil juridique, lequel outil juridique participe à ce propos à l’efficacité de la vie des affaires.

Un contrat de cautionnement, c’est bien ; mais un contrat de cautionnement valide, efficace, et simple, c’est mieux.

Yohanne Kessa Doctorant en droit privé à l'Université Paris Cité

[1Civ. 1re, 12 juill. 2005, n°03-10.770 et 02-13.155, JCP E 2005. 1521, note D. Legeais.

[2Cass., ch. Mixte, 29 juin 2007, n°05-21.104, D. 2007.2081, note S. Piedelièvre ; JCP E 2007, n°38, p.11, note D. Legeais. – Com., 10 mars 2009, n°08-10.721.

[3C.civ., art. anc. 1134 : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

[4C.civ., art. 1163.

[5V. M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, Sirey, 6e éd., 2018, n°241.

[6Pour la nullité relative du cautionnement simple en cas de violation de l’article L331-1 du Code de la consommation, les stipulations de solidarité et de renonciation au bénéfice de discussion étant, quant à elles, réputées non écrites de manière contra legem en cas de non-respect de l’article L331-2 c. conso, pour la chambre commerciale, v. com. 16 oct. 2012, n°11-23.623, D. 2012.2509, obs. V. Avena-Robardet, 2013.1706, obs. P. Crocq, et 2420, obs. D.R. Martin ; comme pour la première chambre civile, civ. 1re, 5 avr. 2012, n°11-12.515, D.2012.1004, obs. V. Avena-Robardet, 1573, obs. P. Crocq ; JCP E 2012. 1329, note D. Legeais.

[7J. Flour, Quelques remarques sur l’évolution du formalisme, Mélanges G. Ripert, LGDJ, 1950, t.1, p.95, n°18-19.

[8Com. 31 janv. 2017, n°15-15.890, D. 2017. 294, et 1996, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2017.377, obs. H. Barbier, et 444, obs. P. Crocq.

[9Com. 26 janv. 2016, n°14-20. 202, D. 2016.1955, obs. P. Crocq, et 2017.539, obs. H. Aubry ; Dr. et patr. janv. 2017, p.87, obs. P. Dupichot, où la Cour régulatrice juge que l’expression « mensualité » fait référence au montant et non à la durée, et annule le cautionnement, faute de mention manuscrite conforme.

[10C. civ., art. 2297, al. 2.