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[Réflexion] De la notification de ses droits à la personne mise en cause et du droit de se taire, quelles applications ? Par Gueswendé Patrick Ouedraogo, Doctorant en droit.
Parution : lundi 29 janvier 2024
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En matière pénale, le droit de toute personne, faisant l’objet de poursuites judiciaires, de garder le silence, de se taire, à toute étape de la procédure, consiste pour celle-ci à ne pas collaborer. Celle-ci est libre de ne pas répondre aux questions qui lui sont adressées lors de son audition et à son interrogatoire. Celle-ci doit pouvoir jouir de cette liberté, dès sa mise en cause jusqu’au prononcé de son jugement.

Il est un principe essentiel en matière pénale, lequel principe garantit le respect des droits et des libertés fondamentaux de la personne judiciairement mise en cause [1]. La personne, présumée innocente, l’est jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par un tribunal impartial, conformément aux règles de procédure et de fond prévues à cet effet dans le cadre d’un procès équitable [2]. Le mis en cause doit pouvoir jouir pleinement, durant la procédure, de ses droits inhérents aux garanties constitutionnelles, sous réserve des restrictions tant expresses que nécessaires, à seule fin de manifestation de la vérité et au bon fonctionnement de la justice.

Contrairement à l’adage juridique selon lequel nul n’est censé ignorer la loi, celui à l’encontre de qui ou à l’égard duquel, est déployée l’initiative pénale est informé de ses droits, dont celui de se taire, à peine de l’illégalité des mesures restrictives et privatives des droits et libertés [3] des citoyens. Un droit institué légalement [4] aux termes de dispositions des articles 61-1, 63-1, 393 et 803-6 du Code de procédure pénale.

Partant, le juge constitutionnel a été saisi afin que soit déclaré contraire à la Constitution les dispositions de l’article 394 du Code pénal, lesquelles ont été mises en cause par un prévenu traduit devant le juge des libertés et de la détention, au motif de ne pas prévoir que le prévenu puisse être informé de son droit de garder le silence lorsqu’il est traduit devant ce juge.

Par une décision n°2021-934 QPC du Conseil constitutionnel du 30 septembre 2021, relative à l’information du prévenu, du droit qu’il a de se taire devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer sur des mesures de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence, dans le cadre de la procédure de convocation par procès-verbal, le juge constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les dispositions de la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article 394 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2019, aux termes duquel, lorsque le juge des libertés et de la détention est appelé à statuer, dans le cadre de cette procédure, sur le placement du prévenu sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence

« ce magistrat peut, après audition du prévenu, son avocat ayant été avisé et entendu en ses observations, s’il le demande, prononcer l’une de ces mesures dans les conditions et suivant les modalités prévues par les articles 138,139,142-5 et 142-6 ».

Dès lors, le Conseil constitutionnel a considéré qu’était établie la violation d’un droit que la Constitution garantit aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel article 9 dispose que

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

A ce propos, le droit de se taire a été déduit du principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser.

Ce droit s’entend d’une stratégie et d’un moyen de défense du mis en cause ayant pour objet de faire échec à la démonstration des accusations portées contre lui en gardant le silence et ne déférant pas aux questions et demandes d’explications dont il fait l’objet.

Or, il ne suffit pas d’énoncer une règle. Encore faut-il l’encadrer pour permettre son application, conformément aux règles fondamentales et constitutionnelles propres à lui assurer une valeur juridique sérieuse.

En outre, le droit de se taire révèle un caractère relatif. D’une part, si nul ne peut être contraint à s’autoaccuser, l’obligation incombe à un-non suspect [5] de se tenir à disposition des enquêteurs et faire sa déposition relative à l’enquête dont il est l’objet ; à un témoin de déclarer en justice conformément aux faits qu’il a lui-même constatés, sous peine de sanction [6], sauf à établir un motif d’une excuse valable et légitime [7]. L’obligation de comparaitre, de prêter serment et de déposer [8] emporte nécessairement celle de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Or, il peut advenir des obligations légales susvisées qui pèsent sur un non-suspect ou un témoin, une déclaration qui fonde sa mise en cause, laquelle déclaration participe de sa propre incrimination et justifie, a posteriori, la remise en cause de son statut juridique, si, au regard des dites déclarations le juge procède à son inculpation tirant de justes conséquences d’un aveu de faits établis. En effet, l’obligation de dire la vérité heurtera l’exécution du droit de se taire.

D’autre part, la loi incite à l’auto-accusation spontanée, laquelle auto-accusation, parfois, justifie l’atténuation de la peine encourue [9] ou le sursis de la peine prononcée [10], dont peut s’en prévaloir le mis en cause sans préjudice de la qualification des faits en cause.

Le droit du mis en cause de garder le silence sur les accusations à lui portées intègre un cadre général. Il en résulte une créance d’information sur ses droits en vue de garantir une meilleure préparation de sa défense [11]. Sans doute, sa mise en œuvre est circonscrite à la matière pénale et disciplinaire. Cela implique un nécessaire respect des principes généraux à l’instar du principe de l’application stricte de la loi pénale ou de l’interprétation stricte de la loi pénale [12].

Dès lors, il importe d’évoquer le droit de se taire au travers le contexte général de notification de droits (I) afin d’en relever des modalités de mise en œuvre (II) dans la mesure où l’information du mis en cause de ses droits présente un enjeu sérieux au fond de sauvegarde des droits de la défense.

I/ De l’obligation d’informer le mis en cause de ses droits.

L’obligation d’informer la personne mise en cause de ses droits incombe à une autorité investie de prérogatives propres à engager la responsabilité pénale de celle-ci. Il en ira ainsi en raison de la menace aux droits de la défense. Dès lors, le bénéficiaire dudit droit s’en prévaudra en sa qualité de mis en cause, à toute fin utile, contre l’auteur de sa mise en cause dans le cadre d’une procédure de type pénal.

A/ Du respect des droits de la défense.

Un mis en cause est un justiciable visé par des poursuites judiciaires disciplinaires ou pénales. Ce dernier est fondé, eu égard à son statut, à exiger de la personne qui le met en cause un respect de son droit à être informé des prescriptions des articles 61-1, 63-1 et 803-6 du Code de procédure pénale, lesquels articles que

« La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen du formulaire prévu au treizième alinéa : […] »

de même que

« Toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté en application d’une disposition du présent code se voit remettre, lors de la notification de cette mesure, un document énonçant, dans des termes simples et accessibles et dans une langue qu’elle comprend, les droits suivants, dont elle bénéficie au cours de la procédure en application du présent code […] ».

Il en résulte cinq critères principaux de mise en œuvre. D’une part, l’article 63-1 du Code de procédure pénale vise :

Les dispositions exhaustives de l’article 63-1 susvisé portent sur l’objet de l’information dont la garde à vue [13], ses motifs et ses modalités ; des circonstances de commission de l’infraction en cause et sa qualification juridique ; le droit de prévenir ou communiquer avec des personnes ; le droit à un examen médical ; le droit à l’assistance d’un avocat ; le droit d’accès à l’interprète ; le droit de consulter soi-même ou par un conseil des pièces de procédure ; le droit de faire des observations au procureur de la République ou au juge des libertés et de la détention ; le droit de faire des déclarations ou de répondre aux questions ou de se taire ; le droit immédiat de mise à disposition d’un écrit récapitulatif des droits visés dès le début du placement en garde à vue.

D’autre part, l’article 803-6 du Code de procédure pénale vise :

La personne suspectée ou poursuivie est sitôt avisée dans une langue et en des termes qui lui est accessible ses droits à faire valoir au cours de cette procédure. Des droits visés à l’article 803-6 du Code de procédure pénale sont identiques à ceux visés à l’article 63-1 du même code. A cet égard, des droits de la défense sont limitativement énoncés dont celui de se taire et se défendre, de communiquer et d’avoir accès aux soins.

Cependant, ces textes obéissent chacun à des conditions propres. En effet, l’article 63-1 vise à dessein la garde à vue. Tandis que l’article 803-6 vise la circonstance large de l’entrave générale à la liberté vu le Code de procédure pénale, sans viser nécessairement le Code de justice pénale des mineurs comme dispositif dérogatoire.

Stricto sensu, la garde à vue est une mesure coercitive d’un officier de police judiciaire qui prive de liberté le mis en cause, présumé innocent, sous l’effet de poursuites et d’enquêtes diligentées notamment par le ministère public [15], en application du Code de procédure pénale [16].

Le mis en cause est placé en isolement en un lieu confiné prévu à cet effet, maintenu une durée strictement déterminée, sur un plausible soupçon d’avoir commis ou tenté un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement [17], d’un spécial motif [18]. Dès lors, la garde à vue est distincte d’autres modalités de privation ou de restriction de liberté. L’article 803-6 du Code de procédure pénale vise des circonstances par-delà le domaine propre de la garde à vue. A cet égard, notons la retenue du mineur visée par le Code de justice pénale des mineurs [19]. Par ailleurs, une personne convoquée se présentant à cet effet au titre d’une audition libre [20] relève du dispositif de l’article 806-3 susvisé, sous réserve de l’évolution de son statut [21].

Néanmoins, les dispositions des articles 63-1 et 806-3 du Code de procédure pénale susvisés procèdent d’un commun esprit de sauvegarde des droits et libertés fondamentales. Sur ce point, le respect est dû aux droits de la défense qui pèse sur des autorités disposant du pouvoir et de la qualité de mettre en cause la partie adverse, contre lesquelles celle-ci peut faire valoir la violation de ses droits essentiels en justice. A ce titre, il y va de la responsabilité générale d’une autorité exerçant des poursuites ou qui participe de celles-ci, de notifier san délai les droits découlant de la procédure de placement en garde à vue à qui de droit.

Notons-le, la responsabilité dont s’agit est distincte de celle spécifique relative au respect du contradictoire et la communication en temps utile de pièces de procédure à laquelle sont, en tout état de cause, assujetties toutes parties, défenderesse et demanderesse.

Aussi, un retard dans la mise en œuvre de l’obligation qui n’est pas justifié par une circonstance insurmontable porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée [22], ou de la partie concernée [23], quand bien même il n’aurait été procédé à aucune audition de l’intéressé entre le moment de son placement en garde à vue et celui de la notification de ses droits [24]. La jurisprudence considère que l’atteinte est établie si la personne a été gardée sous la contrainte de policiers au service de police [25].

Cependant, si l’obligation d’informer la personne mise en cause sur les droits de la défense et son droit de se taire apparait une exigence fondamentale, il s’avère que l’article 61-1 du Code de procédure pénale vise une dérogation. En effet, toute procédure relative à l’audition libre d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté une infraction ne peut être initiée qu’à l’issue de la notification des droits susvisés, sous réserve de l’hypothèse où la personne mise en cause a été conduite, sous contrainte, par la force publique, devant l’officier de police judiciaire. C’est à se poser des questions, pourquoi celle-ci ne mérite-t-elle pas la protection dont s’agit ?

Toutefois, au vu du pouvoir de contrainte physique légal reconnu à l’officier de police judiciaire de restreindre des droits et libertés, si, le cas échéant, un grief d’excès de pouvoir est établi à son encontre, l’atteinte aux droits en résultant sera présumée de caractère civil, sous réserve de faits manifestement insusceptibles d’être rattachés aux missions et prérogatives dudit agent. En principe, est exclue la qualification pénale enlèvement et séquestration par l’officier de police judiciaire outrepassant ses prérogatives. Des faits qui, s’ils sont imputables à un auteur non habilité à appréhender une personne ou un délinquant, établissent à l’encontre de celui-ci une atteinte illégale à la sûreté d’autrui passible de peines encourues au titre des infractions ci-avant, sous réserve de l’excuse valable ou la légitime défense.

En principe, au vu de ses compétences résiduelles, l’agent de police judiciaire ne devrait pas pouvoir prétendre au régime applicable à un officier de police judiciaire.

Du reste, les parties au procès sont réciproquement tenues, l’une à l’égard de l’autre, au respect scrupuleux des droits de la défense. Celles-ci ne peuvent soumettre au juge des pièces obtenues par des procédés déloyaux. Or, le droit de se taire, dont s’agit en l’espèce, n’est qu’un aspect des droits de la défense. Fondamental soit-il, sa mise en œuvre en tant qu’une disposition légale obéit d’abord à des conditions primaires propres. De celles-ci découleront ensuite des modalités d’exécution. Ce double aspect juridique révèle la singularité du droit de se taire.

B/ De la notification et de la protection du droit de se taire.

En matière pénale, le droit de toute personne, faisant l’objet de poursuites judiciaires, de garder le silence, de se taire, à toute étape de la procédure, consiste pour celle-ci à ne pas collaborer. Celle-ci est libre de ne pas déférer ni répondre aux questions qui lui sont adressées lors de son audition et à son interrogatoire. Celle-ci doit pouvoir jouir de cette liberté, dès sa mise en cause jusqu’au prononcé de son jugement [26]. Néanmoins, deux points essentiels doivent être relevés.

D’emblée, le droit de se taire relève de la matière pénale. Mais, son application n’est pertinente qu’en un certain seuil du droit pénal. Il ne peut être invoqué en dehors de situations où la loi vise la mise en œuvre d’une procédure pénale, laquelle implique qu’une atteinte a été portée aux droits de la défense.

En principe, les circonstances doivent établir du point de vue de la nature de l’infraction à raison de laquelle des poursuites ont été déployées, une procédure pénale visant à la répression d’un crime ou un délit [27].

Le mis en cause peut être astreint à une mesure privative ou restrictive de liberté en vue de la manifestation de la vérité. Pour autant, en cette double circonstance, pèse sur l’officier et l’agent de police judiciaire l’obligation impérative d’avoir à établir le respect par eux de la notification spontanée du droit de se taire au justiciable concerné qui allègue ne pas avoir été informé en connaissance de cause. La charge qui pèse sur ceux-ci est présumée en matière de crime et délit.

Toutefois, la règle est écartée pour des contraventions de quatre premières classes, lesquelles contraventions fixent des infractions matérielles dont la seule constatation suffit à établir la commission voire la culpabilité. La constatation confond l’auteur présumé sans mise en cause préalable. Aussi, l’officier de police judiciaire qui prive le mis en cause de ses libertés ne peut en principe justifier l’entrave ni se prévaloir de la notification d’un droit de se taire par ailleurs de nul effet. Par dérogation, le mis en cause au titre d’une contravention de la classe cinq [28] peut être l’objet d’une procédure d’enquête ou d’instruction par des auditions et des interrogatoires soumises aux exigences de notification sus-indiquées du droit de se taire. En tout état de cause, à la lettre, le mis en cause jouit de sa pleine liberté d’observer le silence en défense face aux questions qui lui sont posées et face aux charges portées à son encontre.

Néanmoins, compte tenu de l’esprit de la loi, ce droit, en principe, s’entend d’un moyen de défense procédurale à effet juridique provisoire et relatif. Aussi, le mis en cause est légitime en sa posture défensive jusqu’à ce qu’il soit mis en mesure de se défendre convenablement, après qu’il a pris connaissance des charges retenues contre lui, du dossier, de la procédure, notamment avec l’entremise et l’assistance d’un conseil. L’obligation de se défendre réapparait active et le mis en cause est tenu de se défendre, sous peine de subir l’effet obligatoire d’une décision juridictionnelle prononçant à son détriment des mesures contraires à ses intérêts. Partant, le droit de se taire fait l’objet d’une protection juridique d’une triple portée.

Premièrement, c’est un droit consacré en droit international [29], et qui est opposable aux Etats et qui s’impose à la communauté internationale.

Deuxièmement, en droit européen, il s’agit d’un dont la valeur conventionnelle a été établie par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 6 CEDH [30].

Enfin, ce droit a été fixé en droit interne où le Conseil constitutionnel l’a déclaré comme un principe à valeur constitutionnelle par une décision considérant que « ni le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, qui découle de l’article 9 de la Déclaration de 1789, ni aucune autre exigence constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu’une personne suspectée d’avoir commis une infraction reconnaisse librement sa culpabilité et consente à exécuter une peine ou de mesure de nature à faire cesser l’infraction ou en réparer les conséquences ; que par suite, les disposions contestées ne méconnaissent pas la présomption d’innocence » [31].

Il en résulte le caractère essentiel du droit de se taire dont le domaine et l’effet couvrent aussi bien des actes extrajudiciaires que des mesures juridictionnelles [32] dont la validité en dépend. Néanmoins, des modalités d’application de ce droit heurtent la cohérence du système juridique et en affectent la réelle portée alors que son caractère fondamental a été maintes fois réaffirmé.

II/ De l’application nuancée du droit de se taire et de ses effets inattendus.

Le droit de se taire est une garantie attitrée. Seul le mis en cause lésé peut s’en prévaloir. A cet effet, celui-ci dispose du droit facultatif de résister provisoirement aux effets de la procédure pénale à l’égard d’autorités en charge de l’action publique [33], au vu d’exigences légales [34] qui ne profitent ni n’enjoignent la victime. Il en résulte en principe l’ouverture stricte du contentieux relatif au respect du droit de se taire en considération des personnes expressément visées.

Aussi, les autorités d’enquête sont tenues au respect du droit de se taire. Il en va de même des autorités de poursuite dont le ministère public, en sa qualité de partie, jointe [35] ou principale [36]. En dernier lieu, l’autorité de jugement y est aussi tenue. Les autorités dont s’agit disposent toutes d’un pouvoir propre au titre de la procédure afin d’engager activement la responsabilité du mis en cause. Seules ces dernières sont en principe tenues à l’obligation visant la notification du droit de se taire. Or, la pratique s’en écarte heurtant l’interprétation stricte de la loi pénale [37].

A/ De l’application du droit de se taire à l’égard d’un majeur mis en cause.

La mise en cause procède d’un processus juridictionnel d’initiative conjointe et partagée de la partie lésée et des autorités visées aux termes de l’article 1er du Code de procédure pénale. Il en résulte l’action publique d’une part, la phase d’instruction d’autre part, et enfin le jugement. Au fur et à mesure des différentes étapes du procès pénal, la personne mise en cause bénéficie des dispositions visant à garantir ses droits et libertés fondamentales dont celui de ne pas s’autoaccuser qui caractérise le droit de se taire.

Le principe de l’application stricte du droit pénal est de rigueur à l’égard de la procédure et à l’égard du fond. Dès lors, le contentieux relatif à la question du respect effectif de l’obligation d’informer sur le droit de se taire est lié à la compétence propre de l’autorité concernée fondée sur un pouvoir spécial d’engager la responsabilité du mis en cause. Nul n’est en effet contraint qu’en vertu de la loi [38]. En outre la loi pénale est d’application et d’interprétation stricte. A cet égard, sont irrecevables des allégations du mis en cause d’un vice de procédure non prévu par la loi. De même, sont nulles et de nul effet l’incrimination par analogie et le fait de retenir la compétence d’une autorité par extension du domaine de la loi pénale de fond et de procédure.

A cet égard, le Code de procédure pénale vise des autorités chargées de l’application de la loi pénale, lesquelles sont à même d’engager la responsabilité pénale de la personne mise en cause, mise en examen ou étant en tout état de cause poursuivie, dont des déclarations recueillies dans le cadre d’une procédure pénale pourraient s’avérer d’un effet à charge contre elle.

A cet effet, la police judiciaire, mise en œuvre sous la direction du procureur de la République, l’est par des institutions spécialement désignées [39], conformément aux modalités et finalités visées [40]. Si le procureur de la République et le juge d’instruction disposent du choix des formations dont relève les officiers de police judiciaire [41], il reste qu’il n’en résulte pas un pouvoir d’étendre ou de modifier leur habilitation légale étant le référent prototype dont les qualités [42] et les missions [43] sont visées par des références légales strictes [44].

Bien que des autorités assimilées visées puissent être investies en cette qualité et ce statut [45] juridique, la liste instituée apparait exhaustive et limitative. En dehors de ces cas exprès [46], l’incompétence de l’autorité doit être déclarée d’office. Ainsi, un agent de police judiciaire ou son adjoint ne peut valablement exercer de telles missions que sous la responsabilité d’un officier de police judiciaire [47].

En conséquence, des autorités sont habilitées et tenues de notifier au mis en cause son droit d’observer le silence. Aussi, la responsabilité de celles-ci peut être engagée d’y contrevenir à l’obligation visée à l’article préliminaire du Code de procédure pénale outre les articles 63-1 et 806-3 dudit code. Seules sont visées des autorités investies de prérogatives propres à déterminer et à conduire l’exercice de l’action publique et l’instruction disciplinaire et pénale.

Dès lors, il appert que doit être remplie au préalable une condition minimale, nécessaire mais non suffisante, laquelle condition tient dans le pouvoir et la qualité de celui à l’encontre duquel sont dirigées des prétentions du mis en cause tendant à engager sa responsabilité au motif d’une violation de l’obligation de lui notifier son droit de se taire.

Aux termes de l’article premier du Code de procédure pénale, ce droit est une garantie des droits de la défense en matière pénale, tant au titre de l’action civile que de l’action publique. Des conditions requises à cet effet à l’alinéa 1er de l’article 1er du Code de procédure pénale à peine d’illégalité visent les autorités chargées de l’initiative de l’action publique pour l’application d’une peine, laquelle action publique incombe aux magistrats et aux fonctionnaires auxquels la loi a investi de telles prérogatives. En principe, les magistrats disposent de tels pouvoirs. En revanche, seuls des fonctionnaires expressément habilités y seront tenus. Toutefois, si au vu de l’alinéa 2 de l’article 1er du Code de procédure pénale la partie lésée, la partie civile, est habilitée à mettre en mouvement l’action publique, il importe de relever que celle-ci est tenue au respect des droits de la défense sans l’être relativement au droit de se taire.

Du reste, aux termes des articles 41 et 81 du Code de procédure pénale, le procureur de la République et le juge d’instruction peuvent saisir le service pénitentiaire d’insertion et de probation ou le service de la protection judiciaire et de la jeunesse aux fins de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d’une personne mise en cause, en vue d’adapter des réquisitions, le prononcé d’une peine ou son aménagement ou pour fixer des mesures appropriées d’insertion sociale. Or, l’état du droit en la matière contraste avec l’exigence impérative d’un recueil de renseignement socio-éducatif sur la personnalité d’un mineur en droit pénal, au titre duquel des modalités de mise en œuvre du droit de se taire sont singulières.

B/ De l’application du droit de se taire à l’égard d’un mineur mis en cause.

Le droit de se taire est régi par de textes qui visent un principe général non assorti de dérogation. En l’espèce, la qualité du mis en cause n’est pas de nature à introduire une pratique nuancée. Par ailleurs, seules des autorités habilitées à procéder à une mise en cause en matière pénale sont strictement visées. Or, une habilitation expresse n’est pas établie à cet effet au profit du service de la protection judiciaire.

Elle n’est pas établie pour des éducateurs dans la cadre d’un entretien éducatif au cours d’une procédure de défèrement d’un mineur ni celle de sa convocation par officier de police judiciaire audit entretien. Pourtant, lors de ces procédures, l’éducateur notifie au mis en cause son droit de se taire.

Or, au regard de la qualité de l’éducateur, de ses missions, des modalités de son intervention à la procédure pénale ainsi que l’autorité hiérarchique dont il dépend et dont il doit répondre, l’on est en droit de s’interroger de savoir si le personnel de la protection judiciaire de la jeunesse, celui du service pénitentiaire d’insertion et de probation et celui de l’association de contrôle judiciaire socio-éducatif sont légalement tenus de notifier au mis en cause son droit de se taire.

Autrement dit, le non-respect par le personnel dont s’agit d’exigences liées au droit de se taire produit-il l’effet juridique identique à celui imputable à l’acte de l’officier de police judiciaire ?

Dans l’affirmative, l’effet juridique en cause ressort-il du droit commun régissant la violation de l’obligation de notifier le droit de se taire ? Où, serait-ce un régime dérogatoire propre à la compétence dévolue au personnel dont s’agit, notamment en application du droit pénal des mineurs concernant l’éducateur de protection judiciaire de la jeunesse ?

Toute réponse apportée, quelle que nuancée qu’elle puisse être, aura le mérite de relever le niveau de garantie constitutionnelle visée aux termes du droit de se taire.

Si à cet effet l’on plaide pour une pratique uniforme, encore faut-il l’harmonier à l’endroit de tous les acteurs précédemment cités en s’assurant de réintégrer le droit de se taire dans le système de protection des droits de la défense.

Aussi, des questions majeures restent en suspens. En effet, le mineur reste sous la responsabilité de ses responsables légaux qui disposent du pouvoir de le représenter dans les actes juridiques. La question est de savoir si en l’espèce le mineur est assez discernant pour saisir valablement la portée de l’acte juridique de son droit de se taire, lequel acte emporte de sérieux effets juridiques et, auquel, celui-ci consent dans des circonstances assez particulières en apposant sa signature ? Dans la négative, ses responsables légaux sont-ils légitimes à faire valoir leur pouvoir de représentation ? L’hypothèse n’est pas anecdotique dans le cadre d’une procédure de défèrement où le mineur rencontre à huis clos un éducateur. Quel sera donc la place et le pouvoir de ses responsables légaux en l’espèce ? Mieux encore, la loi consacre-t-elle réellement cette situation hors l’assistance de l’avocat du mineur ?

Le peut-elle la loi, légitimement, alors qu’il s’agit en l’espèce d’une phase procédurale qui ne saurait déroger au régime de protection des droits de la défense que la Constitution garantit, que le Conseil constitutionnel a reconnu en sa décision n°2021-934 QPC du 30 septembre 2021 ? Les responsables légaux du mineur sont-ils en droit de signer ou cosigner le document pour attester d’une parfaite information ou d’une information sous réserve du droit de se taire ?

Du reste, si la responsabilité pénale est individuelle, il reste que le document fixant le droit de se taire est un acte juridique auquel il faut, outre la personnalité juridique, disposer également de la capacité et la qualité juridique à l’engagement.

De plus, la question relative au statut du service de la protection judiciaire de la jeunesse et la portée juridique de ses actes est tranchée par deux dispositions légales majeures [48]. Partant, l’éducateur n’a pas le statut d’officier de police judiciaire. Les actes qui émanent de lui et les déclarations qu’il a consignées, s’ils venaient à pouvoir engager la responsabilité de ceux qui s’y sont prononcés soit-il en connaissance de cause, laisseront dubitatifs sur leur qualification d’autant plus que la loi dispose que

« sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements » [49].

Est-ce la valeur juridique du recueil de renseignements socio-éducatifs ?

D’aucuns y voient une pièce du dossier. Mais encore faut-il préciser sa nature véritable. Car des trois types dont les pièces de forme, les pièces de procédure et les pièces probatoires, celle-ci, (le recueil de renseignement socio-éducatif) déroge au régime juridique de tels actes. En effet, le recueil ainsi établi est un rapport qui ne se limite pas nécessairement à la compétence de son auteur, d’autant plus qu’y peut être abordé un fait constitutif de l’infraction alors qu’il ne s’agit pas d’une procédure d’enquête prévue à cet effet. L’entretien éducatif n’est nullement la poursuite de l’enquête ni de l’instruction qu’a pu faire l’objet le mineur concerné. De même les procès-verbaux peuvent être signés par plusieurs personnes.

Or, en l’espèce, la pratique notoire atteste de la signature exclusive du mineur concerné à l’exclusion de celle de ses responsables légaux.

La notification du droit de se taire implique dans l’absolu le droit d’aborder des faits constitutifs d’une infraction et de consigner leur commission à la charge du mis en cause. Pour autant, si le service éducatif est habilité à établir un recueil de renseignement socio-éducatif à l’intention notamment du procureur de la République, du juge d’instruction ou de la juridiction pour mineurs, encore doit-il établir l’autorisation d’une disposition légale spéciale [50] pour évoquer des faits en cause, sous réserve de leur caractérisation ou constatation de sorte à engager la responsabilité pénale du mineur à l’égard des destinataires commettant dudit recueil.

Or, aucune disposition spéciale ne semble accorder au service de protection judiciaire de la jeunesse un tel pouvoir. C’est en réalité une mission propre à la police judiciaire confiée aux officiers de police judiciaire ou sous leur contrôle et dirigée par le procureur de la République ou le juge d’instruction. A cet égard, les rapports et procès-verbaux établis à l’issue d’auditions par ces derniers concourent à la procédure d’enquête ou d’instruction aux fins d’un jugement.

A l’opposé de celle de l’éducateur, la mission principale d’un officier de police judiciaire consiste à procéder au recueil d’éléments permettant de constater l’infraction à la loi, d’en rassembler les preuves et de rechercher les auteurs, de sa propre initiative, puis sur délégation des juridictions d’instruction au vu de leurs réquisitions dans le cadre de l’ouverture d’une information judiciaire.

Ceux-ci ne peuvent nullement faire l’impasse sur des faits et des circonstances de l’infraction. Ce positionnement professionnel dénote de celui de l’éducateur qui n’a pas vocation à aborder les faits eu égard au motif d’un recueil de renseignement socio-éducatif. Le caractère facultatif de cette rubrique en atteste de la nature et de la portée juridique.

Le Code de justice pénale des mineurs est une législation dérogatoire au droit commun, laquelle législation vise la procédure pénale applicable aux faits commis à la minorité du mis en cause. Néanmoins, force est de s’interroger sur la pertinence et le fondement juridique de l’obligation que s’imposent des services d’observer la notification d’un droit de se taire alors qu’il n’en résulte pas une obligation légale qui leur incomberait. Sans doute qu’en l’espèce s’agit-il d’une obligation morale dépourvue d’une valeur juridique.

Toutefois, le droit de se taire est un droit substantiel que la Constitution garantit. Dès lors, il apparait judicieux que le législateur s’en saisissent en l’espèce pour fixer une règle officielle afin d’harmonisation de la pratique. La procédure de présentation dite de comparution par officier de police judiciaire et la procédure de défèrement constituent des modes de mise en jeu sérieux de la responsabilité pénale, au surplus de mineurs, parfois non accompagnés, lesquelles procédures méritent davantage de garanties au profit du mis en cause.

Gueswendé Patrick Ouedraogo Doctorant en droit Université d'Evry - Paris Saclay

[1L’article 5 CEDH vise le droit à la liberté et à la sûreté et dispose que « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales [...] ». Il en résulte des modalités et circonstances de restriction par un tribunal dans un délai raisonnable (§1, 3 et 4) après notification à la personne des raisons de sa mise en cause (§2), sous peine de réparation du dommage à elle causée (5).

[2Il en résulte des dispositions de l’article 6 CEDH et de la jurisprudence européenne y relatives.

[3L’article 9 DDHC de 1789 dispose que « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêté, toute rigueur qui ne sera pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

[4Le droit de se taire résulte de la loi n°2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (1).

[5Article 62 CPP.

[6Articles 397-5 CPP, 438 à 441 CPP.

[7Articles 326 CPP et 439 CPP.

[8Articles 434-15-1 CPP, 109 alinéa 1 CPP, 153 alinéa 1 et 2 CPP.

[9Articles 495 CPP dite procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

[10Article 41-1 CPP.

[11Articles 61-1 CPP, 63-1 CPP, 393 CPP et 803-6 CPP.

[12Articles 111-4 CP.

[13L’article 62-2 CPP définit clairement la notion de garde à vue à distinguer de tous autres faits et mesures.

[14Ce statut répond à la qualification d’une personne mise en examen aux termes des articles 86 et 105 CPP.

[15Aux termes des articles 31 à 33 et s. CPP, le ministère public détermine et dirige la poursuite des infractions dans l’intérêt de la société au titre de la police judiciaire.

[16Notamment les articles 12 à 15-5 et suivants CPP.

[17Article 62-2 alinéa 1er CPP.

[18L’article 62-2 CPP vise six (6) objectifs exhaustifs pouvant justifier une mesure de placement garde à vue.

[19Articles L413-1 et s. CJPM.

[20L’audition libre a été encadrée par la loi n°2011-392 du 14 avril 2011 à l’article 61-1 alinéa 1er CPP et 62 CPP.

[21Du statut de l’audition libre stricte (art. 62 CPP) à l’audition libre d’un suspect (art. 61-1 CPP) à celui d’un garé à vue (art. 62-2 CPP). Toutefois, l’évolution en sens contraire apparait improbable qui établit l’erreur grossière d’appréciation et qualification juridique.

[22Crim. 2 mai 2002, pourvoi n°01-88.453.

[23Crim. 30 avr. 1996, Bull. crim. n°182 ; RS crim. 1996. 879, obs. Dintilhac ; 3 déc. 1996, Bull. crim. n°443 ; Procédures 1997. Comm. 68, obs. Buisson.

[24Crim. 10 mai 2000, Bull. crim. n°182.

[25Crim. 11 oct. 2000, Bull. crim. n°296 ; Dr. pénal 2001. Comm. 13, obs. Maron ; 6 déc. 2000, Bull. crim. n°367 ; Dr. pénal 2001. Comm. 39, obs. Maron ; Procédures 2001. Chron. 69, obs. Buisson.

[26Article 153 alinéa 3 CPP. Le mis en cause sur lequel pèse des soupçons d’être l’auteur ou le complice d’une infraction n’est pas obligé de prêter serment ni de déposer. La liberté de ne pas répondre est le principe.

[27Article 79 CPP.

[28Article 44 CPP.

[29Art. 14. 3, g. du Pacte international des droits civils et politiques de 1966.

[30Conv. EDH, art. 6, §1 et 2 ; CEDH, Cour (grande chambre), 8 févr. 1996, affaire n°18731/91, John Murray c/ Royaume-Uni, AJDA 1996. 1005, 1996, chron. J.-F. FLAUSS.

[31Cons. const. 9 avr. 2021, n°2021-895/901/902903 QPC, Dalloz actualité, 27 avr. 2021, obs. D. Goetz ; Cons. const. 26 sept. 2014, n°2014-416 QPC, Association France Nature Environnement/Transaction pénale sur l’action publique en matière environnementale, (cons. n°15), JORF du 28 sept. 2014, p. 15791, texte n°50.

[32Articles 44, 79, 80 alinéa 1er, 114, 145-4 et 145-5 CPP.

[33Les articles 11 à 29-1 CPP visent des autorités chargées de la conduite de la politique pénale, de l’action publique et de l’instruction.

[34Des exigences sur le droit de se taire sont visées au III de l’article préliminaire du Code de procédure pénale.

[35Articles 424 et suivants du Code de procédure pénale.

[36Article 422 et 423 du Code de procédure pénale.

[37Article 111-4 CPP.

[38Article 5 DDHC de 1789.

[39Article 12 CPP.

[40Articles 14 et 41 CPP.

[41Article 12-1 CPP.

[42Article 16 CPP.

[43Article 17 CPP.

[44Voir les articles 53 à 67 CPP et articles 75 à 78 CPP.

[45Article 28 CPP.

[46Articles 15 et 16 CPP.

[47Articles 20 et s. CPP, articles 60 et 75 CPP.

[48Articles 13 et 224 CPP.

[49Article 430 CPP.

[50Article 431 CPP.