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Tracteurs vs Etat : responsabilité sans faute de l’Etat pour les dommages causés à l’occasion de manifestations. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : jeudi 1er février 2024
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L’actualité de ces derniers jours, avec un très fort mouvement social des agriculteurs qui rappelle par son ampleur et son caractère national celui des gilets jaunes, invite à revoir le régime de responsabilité de l’Etat à l’occasion de manifestations.

Mouvements des gilets jaunes, mouvements liés à la réforme des retraites et actuellement mouvement du monde agricole, la France connaît depuis plusieurs années d’importants mouvements sociaux, qui ont malheureusement pour conséquence des dommages causés aux tiers tout aussi importants.

Un rappel est donc de mise.

C’est un régime de responsabilité sans faute qui pèse sur l’Etat en cette matière. En effet, l’article L211-10 du Code de la sécurité intérieure dispose que :

« L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ».

La jurisprudence a notamment pu préciser que « (…) L’application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l’indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés (…) » [1].

Le juge est venu compléter ce considérant de principe en indiquant que : « (…) Par ailleurs, ne peuvent être regardés comme étant le fait d’un attroupement ou rassemblement au sens des dispositions précitées les actes délictuels commis alors qu’ils ne procédaient pas d’une action spontanée dans le cadre ou le prolongement d’un attroupement ou rassemblement mais d’une action préméditée, organisée par un groupe structuré à seule fin de les commettre (…) » [2].

Les conditions cumulatives à remplir pour obtenir satisfaction sont donc les suivantes :

Il convient en premier lieu de pouvoir démontrer matériellement l’existence d’un dommage survenu à l’occasion et en lien direct et certain avec un rassemblement.

Le dommage peut aussi bien être causé aux biens qu’aux personnes (privées ou publiques).

Parmi les dégradations habituellement constatées, on relève celles causées sur le mobilier urbain [3] ou encore celles causées aux commerces (pour des grilles, vitrines et mobiliers cassés) [4] et habitations situées le long ou à proximité du passage de la manifestation ou du rassemblement.

S’agissant des blessures causées aux personnes, on peut notamment mentionner le cas du flashball [5] ou encore des coups [6].

En cas de paiement au titre d’un contrat d’assurance, l’assureur est subrogé dans les droits de son assuré [7].

En deuxième lieu, les dommages doivent avoir été causés dans le cadre d’un crime ou délit. Il convient donc d’exclure de ce régime de responsabilité les faits de nature contraventionnelle.

Au titre des crimes et délits, on peut notamment évoquer la destruction de biens [8] ou encore le vol [9] mais également les incendies volontaires [10].

En troisième lieu, ces délits et crimes doivent avoir été commis de manière spontanée et non préméditée. Dans le cas contraire, cette préméditation rompt le lien avec l’attroupement et avec la manifestation et donc fait obstacle au régime de responsabilité sans faute de l’Etat.

Récemment, le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt d’une cour en relevant que :

« (…) En jugeant, pour retenir l’engagement de la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L211-10 du Code de la sécurité intérieure, que les actes délictuels commis sur l’autoroute devaient être regardés comme étant le fait d’un attroupement ou rassemblement au sens des dispositions de cet article, alors qu’ils ne procédaient pas d’une action spontanée dans le cadre ou le prolongement d’un attroupement ou rassemblement mais d’une action préméditée, organisée par un groupe structuré à seule fin de les commettre, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis (…) » [11].

Autrement dit, bien que favorable aux victimes, il conviendra bien de réaliser au cas par cas une analyse pour déterminer si les conditions sont réunies pour obtenir réparation auprès de l’Etat.

Antoine Louche Barreau de Lyon Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1TA Paris, 7 mars 2023, n° 2105534.

[2TA Montreuil, 9 mars 2023, n°2110075.

[3CAA Lyon, 23 février 2023, n°21LY00665.

[4TA Paris, 28 février 2023, n°2019208.

[5TA Lille, 22 novembre 2022, n°2009059.

[6CAA Bordeaux, 27 décembre 2005, n°02BX02661.

[7TA Montreuil, 9 mars 2023, n°21100.

[8TA Bordeaux, 2 octobre 2023, n°2104816.

[9TA Paris, 5 janvier 2024, n°2010100.

[10TA Montpellier, 18 avril 2023, n°2104737.

[11CE, 28 octobre 2022, n°451659.