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[Point de vue] Rappel de quelques règles sur la mobilité internationale des soignants. Par Vincent Ricouleau, Professeur de Droit.
Parution : lundi 5 février 2024
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Les travailleurs de la santé, recherchés par tous les pays, sont-ils des migrants comme les autres ? Quels accords possibles entre les pays d’envoi, de transit, d’accueil ? Reconnaissance des diplômes, formation, statut, rémunération, intégration, les lignes bougeront nécessairement devant la pénurie de soignants. Certaines règles, forgées par l’OMS, sont toutefois à respecter. Mais la concurrence entre les pays risque d’abstraire une certaine éthique.

Gabriel Attal n’était pas contraint, par l’article 49 alinéa 1 de la constitution, de faire une déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale. Mais il l’a fait quand même, car la pratique républicaine en fait une obligation. Bruno Le Maire s’est chargé de la lire à la tribune dans un sénat autrement plus respectueux.

Ces déclarations de politique générale, souvent ampoulées et fastidieuses sont néanmoins, le moment de réaffirmer des objectifs.

C’est, parmi d’autres annonces, dans le domaine médical, que le projet de désigner un émissaire, chargé de recruter des médecins étrangers, est officiellement né. Le terme, venant du latin emissarius, de emittere, signifiant envoyer dehors. Il est défini par le Larousse comme une personne chargée d’une mission, plus ou moins secrète ou personnelle, et que l’on dépêche auprès de quelqu’un.

Détourner de son personnel de santé, certains pays, pauvres, en guerre déclarée ou en guerre larvée, avec une population malnutrie, affamée, dans des régions en sécession de droit ou de fait, avec des minorités discriminées, déportées, réfugiées dans des camps, ne convainc personne de sensé. On connaît aussi les ravages de la contrefaçon des médicaments. Les opérations incessantes, menées par Interpol, sont expliquées sur le site de l’organisation intergouvernementale.

Les populations de ces pays veulent conserver leurs soignants. Tous, sans exception.

Mais la vision et la générosité ne l’emportent pas forcément en politique. Des impératifs de politique intérieure guident nos gouvernants. Ces derniers savent que nous ne savons pas vraiment gérer nos effectifs de médecins étrangers. Les articles Quelques observations sur les PADHUE et Propositions pour un statut des PADHUE rappellent les difficultés à intégrer les médecins à diplôme étranger. Avant de tenter de recruter à l’étranger, via un émissaire, il conviendrait d’adapter nos règles nationales.

L’observatoire national de la démographie des professions de santé, (ONDPS), régi par le décret n°2010-804 du 13 juillet 2010, site dont la mise à jour sur le site du ministère de la santé, date du 31 août 2023, n’est a priori pas l’instrument le plus efficient. Mais a-t-on besoin de cet observatoire quand les retours du terrain démontrent un besoin gigantesque de soignants, dans toutes les disciplines.

La démographie médicale est un enjeu stratégique et mondial. Aucun pays n’est épargné par une inadéquation des effectifs à la couverture des soins.

En première ligne, l’organisation mondiale de la santé (OMS) dirigée par le docteur Adhanom Ghebreyesus.

Il existe un Code de pratique mondial pour le recrutement international des personnels de santé, qui n’est d’ailleurs, pas bien connu du milieu médical et politique.

Ce code, adopté par l’Assemblée mondiale de la Santé, en 2010, (résolution WHA.63.16) établit des pratiques pour le recrutement international éthique du personnel de santé. Il appelle les pays, à mettre en œuvre des stratégies efficaces, de planification, d’éducation, de formation et de rétention des personnels de santé. L’objectif est de maintenir un nombre de soignants, adapté aux conditions spécifiques, de chaque pays. C’est certes du bon sens mais difficile à faire respecter.

L’OMS a, en outre, établi la liste des pays nécessitant des mesures de soutien et de sauvegarde des effectifs de santé (Health Workforce Support and Safeguards List, 2020). En mars 2023, elle a publié une autre liste d’appui et de sauvegarde.

L’article 7 du Code encourage les États membres à échanger des informations sur le recrutement international et les migrations des personnels de santé. Le Directeur général de l’OMS est chargé de soumettre, tous les trois ans, un rapport.

En théorie, des textes rédigés pour protéger les populations. En pratique, les Etats n’oublient pas leur souveraineté à organiser leur propre politique de recrutement.

L’OMS, l’organisation mondiale du travail (OIT) et l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ont lancé la plateforme internationale, sur la mobilité des personnels de santé, à Genève, en septembre 2019.

En avril 2023, a été organisée à Genève par l’OMS, le cinquième forum mondial sur les ressources humaines pour la santé. C’est le plus grand rassemblement de professionnels, de décideurs, de partenaires multifactoriels, du domaine de la santé. Le thème était « Protéger et préserver les personnels de santé et d’aide à la personne et investir en leur faveur ».

Ce forum a été organisé, plus de cinq ans après l’adoption de la Stratégie mondiale sur les ressources humaines pour la santé à l’horizon 2030. La mise en œuvre du Plan d’action 2022-2030 « S’engager pour la santé » continue, toujours sous l’égide de l’OMS.

Cette dernière recommande que tous les pays augmentent le nombre de diplômés dans le domaine de la santé pour atteindre 8 à 12% de la main-d’œuvre active par an. Ainsi, un pays, comptant 5 000 médecins, au total, devrait former entre 400 et 600 médecins par an, pour maintenir et améliorer ses capacités, par rapport aux besoins de la population et à la demande du système de santé.

Les enjeux sont tragiquement simples. La formation des soignants doit continuer coûte que coûte, dans chaque pays, même si leur gouvernance, évidemment, est un frein.

Plutôt que d’envoyer un émissaire, notion juridique ou politique à définir tout comme ses moyens, il conviendrait de développer une diplomatie multilatérale, médicale, universitaire, de manière à former à distance, à échanger, à regrouper, à valider, à accompagner et à intégrer. La simulation est particulièrement efficace pour former.

Elle est onéreuse. Il faut la financer. Les soignants ont un droit à la mobilité qui dépend d’un droit de la mobilité, interne, européen et international. La conciliation est complexe mais possible.

Ce que la France oublie, c’est son dénominateur commun avec nombre de pays africains, la langue. Un fantastique atout insuffisamment exploité.

A défaut d’un réveil brusque, le cauchemar du mercenariat médical bousculera encore davantage l’humanité.

Reste à connaître le nom de l’émissaire...

Bibliographie sélective.

Site Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé
OMS / Health workforce support and safeguards list 2023
OMS / World Health Assembly Resolution WHA75/14 3 mai 2022
Rapport de l’OCDE. Recent Trends in International Migration of Doctors, Nurses and Medical Students (juillet 2019)
Code de pratique mondial pour le recrutement international des personnels de santé de l’OMS
OMS / Global strategy on human resources for health : Workforce 2030
Global skills Partnerships and health workforce mobiliy, puruing a race to the bottom, par Remco van de Pas et Linda Mans (28 pages) Public Services International (PSI) (novembre 2018)
Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 19 septembre 2016 : Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants.

Vincent Ricouleau Professeur de droit (CAPA)- Vietnam