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Licenciement : insuffisance professionnelle ou faute, il faut (bien) choisir ! Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : lundi 5 février 2024
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Dans un arrêt du 17 janvier 2024 (Cass. soc. 17-1-2024, n° 22-14.114), la Cour de cassation réaffirme que si la lettre de licenciement reproche au salarié des manquements professionnels, l’employeur doit nécessairement se placer sur le terrain disciplinaire.

1/ Les contours de l’insuffisance professionnelle.

L’insuffisance professionnelle peut être définie comme l’incapacité, pour le salarié, à accomplir de manière satisfaisante son travail, alors qu’il dispose des compétences et de la formation nécessaires.

A titre d’illustrations, constituent une insuffisance professionnelle :

L’insuffisance professionnelle peut donc revêtir différents aspects, tels que des erreurs répétées, une mauvaise exécution du travail, des difficultés dans l’exercice des fonctions ou, encore, un retard dans l’accomplissement des tâches.

Elle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, même si elle n’a pas entraîné un préjudice au détriment de l’employeur [4].

Il est cependant évident que le licenciement sera plus facilement reconnu comme justifié si l’entreprise a subi un préjudice avéré : mécontentement des clients, retard dans la livraison d’un produit, perte financière, etc.

A titre d’illustrations, sont constitutifs d’une insuffisance professionnelle :

En tout état de cause, pour être retenue à l’encontre du salarié, l’insuffisance professionnelle doit reposer sur des éléments précis, objectifs et imputables à ce dernier.

L’incompétence reprochée au salarié ne peut pas se fonder sur une appréciation subjective de l’employeur, mais doit au contraire, s’appuyer sur des éléments concrets.

Ainsi, le « manque d’imagination, d’initiative et de dynamisme commercial » ne peut valablement pas être reproché au salarié [8].

Par ailleurs, l’insuffisance professionnelle ne peut pas être imputée au salarié s’il n’est pas établi qu’il en a été personnellement responsable [9].

A cet égard, l’employeur ne peut pas invoquer l’inadaptation du salarié à une nouvelle technique, une nouvelle méthode de travail, ou à un nouveau poste, s’il ne l’a pas formé préalablement de manière adéquate.

En effet, il résulte de l’article L6321-1, alinéas 1ᵉʳ et 2 du Code du travail que l’employeur doit assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.

En d’autres termes, l’employeur ne peut pas licencier le salarié dont le travail est devenu insuffisant du fait de l’évolution des techniques, alors que l’intéressé aurait dû bénéficier d’une formation au poste de travail.

2/ L’exclusion du régime disciplinaire.

Le comportement fautif est celui qui résulte d’un fait établi et imputable au salarié, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail.

La faute commise par le salarié correspond à l’une de ces trois qualifications, en fonction de sa gravité : faute simple, faute grave, faute lourde.

Or, l’insuffisance professionnelle ne constitue pas une faute, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié [10].

La différence entre l’insuffisance professionnelle et la faute n’est pas toujours parfaitement claire.

Pourtant, elle est fondamentale car, si l’employeur se place sur le terrain disciplinaire alors que les faits relèvent en réalité de l’insuffisance professionnelle, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse [11].

Dans l’arrêt du 17 janvier 2024, la Cour de cassation censure la Cour d’appel de Montpellier [12] ayant jugé que les faits relevés dans la lettre de licenciement ne revêtaient pas un caractère disciplinaire déguisé qui aurait nécessité l’autorisation du conseil d’administration, dans la mesure où l’employeur reprochait à la salariée des difficultés de positionnement dans ses nouvelles fonctions de directrice régionale ainsi qu’une absence de résultats.

En l’espèce, la lettre de licenciement invoquait divers manquements de l’intéressée à ses obligations professionnelles, tels son refus d’assurer le poste de secrétaire de l’instance départementale d’instruction des recours amiables, ses absences aux comités de direction (alors qu’elle avait été alertée à plusieurs reprises par des instructions de son supérieur sur l’importance d’assister à ces réunions) ou, encore, ses absences aux réunions de l’instance régionale de coordination des CHSCT alors que sa fiche de poste précisait qu’elle gérait la politique régionale.

Pour la Cour de cassation, la cour d’appel devait en déduire que le licenciement avait été prononcé pour un motif disciplinaire et vérifier si la procédure disciplinaire avait été respectée.

Dans cette affaire, l’employeur aurait donc dû obtenir l’autorisation du Conseil d’administration avant de procéder au licenciement pour faute.

Certaines conventions collectives prévoient l’obligation, pour l’employeur, de saisir une commission de discipline (souvent paritaire) appelée à donner son avis sur le projet de licenciement.

Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, la Cour de cassation assimilait de telles dispositions conventionnelles à des garanties de fond dont l’inobservation privait le licenciement de cause réelle et sérieuse [13].

L’article L1235-2, alinéa 5 du Code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance susvisée, assimile désormais le non-respect de la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement à une irrégularité de procédure.

Le non-respect de ces dispositions ne remet donc pas en cause la validité du licenciement et ouvre seulement droit à l’indemnité prévue pour les irrégularités de procédure [14].

En conclusion, notons que certaines conventions collectives contiennent des dispositions spécifiques en matière d’insuffisance professionnelle.

En ce sens, l’article 79, alinéa 1ᵉʳ des sociétés d’assurance dispose que

« si l’employeur constate chez un salarié une insuffisance de travail, en qualité ou en quantité, ne résultant pas de mauvaise volonté, et non susceptible à ce titre de relever d’une mesure disciplinaire, il lui en fait l’observation au cours d’un entretien particulier ».

Le texte ajoute que le salarié doit pouvoir s’exprimer sur l’insuffisance professionnelle alléguée et que l’entretien entre les parties doit être confirmé par un écrit de l’employeur précisant, s’il y a lieu, les mesures de nature à porter remède à cette situation.

Ici encore, l’inobservation de ces dispositions ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse, mais l’employeur a tout intérêt à les respecter, sauf à fragiliser la mesure de licenciement.

Xavier Berjot Avocat Associé au barreau de Paris Sancy Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1Cass. soc. 15-9-2009, n° 07-43.478.

[2Cass. soc. 4-1-2000, n° 97-45.292.

[3Cass. soc. 4-12-2013, n° 12-23.063.

[4Cass. soc. 24-9-1987, n° 85-43.093.

[5CA Versailles 25-4-2013, n° 11/01891.

[6Cass. soc. 2-4-2014, n° 13-12.670.

[7Cass. soc. 9-1-2008, n° 06-44.522.

[8Cass. soc. 2-6-1988, n° 85-44.486.

[9Cass. soc. 10-12-1991, n° 90-44.768.

[10Cass. soc. 11-3-2008, n° 07-40.184.

[11Cass. soc. 11-3-2008, n° 07-40.184.

[12CA Montpellier 2-2-2022, n° 18/00422.

[13Cass. soc. 23-3-1999, n° 97-40.412.

[14Cass. soc. 22-9-2021, n° 19-21.605.