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Comment récupérer l’indemnité compensant la perte de valeur d’un bien saisi ? Par Nicolas Pillet, Avocat.
Parution : mardi 27 février 2024
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Comment récupérer l’indemnité compensant la perte de valeur qui a pu résulter de l’usage du bien qui est évoquée aux articles 41-5 et 99-2 du Code de procédure pénale ? Il est précisé que ce « mode d’emploi » a été rédigé à la suite d’une affaire pour laquelle l’avocat, également rédacteur de l’article, avait été mandaté au cours de l’année 2023.

Cadre général.

Au cours d’une procédure pénale, il peut arriver que certains de vos biens soient saisis et mis à disposition de certains services de police ou gendarmerie, voire d’autres services qui effectuent des missions de police judiciaire.

C’est par exemple et souvent typiquement le cas de véhicules saisis, qui sont ensuite affectés à certains services de police pour exercer leur mission (filatures, déplacements, transports, etc selon le type de véhicule).

Cette hypothèse est prévue par les articles 41-5 et 99-2 du Code de procédure pénale, qui concerne respectivement le procureur de la République et le juge d’instruction.

Ces dispositions ne sont d’ailleurs pas inutiles dans la mesure où l’utilisation des véhicules saisis concourent, d’une certaine façon, à préserver leur entretien et leur fonctionnement pour éviter qu’ils ne rouillent et dépérissent en restant à l’abandon et sans entretien, dans une fourrière ou un autre lieu.

Cette affectation n’est pas un transfert de propriété, c’est-à-dire que les véhicules saisis et affectés restent la propriété des personnes mises en causes dans le cadre de la procédure pénale (Cass. Crim. 12 septembre 2018, n° 18-81.110 ; Cass. Crim. 5 décembre 2018, n° 18-81.110 ; Cass. Crim. 16 janvier 2019, n° 18-81.118).

C’est la raison pour laquelle les deux articles du Code de procédure pénale prévoient que :

« En cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, ou lorsque la peine de confiscation n’est pas prononcée, le propriétaire qui en fait la demande obtient la restitution du bien, assortie s’il y a lieu d’une indemnité compensant la perte de valeur qui a pu résulter de l’usage du bien ».

Magnifique ! La disposition est aussi claire que limpide et elle est « juste » !

Mais, concrètement : comment faire ?

A qui présenter la demande ? Comment est évaluée la perte de valeur ? Que faire en cas d’absence de réponse ou de réponse insatisfaisante ? En somme, comment récupérer cet argent ?

Premier réflexe

Le premier réflexe à avoir est de consulter (ou retrouver …) le courrier par lequel vos scellés vous sont restitués dont l’objet est souvent : « restitution de scellés ». C’est par ce courrier qu’il vous est indiqué que vous pouvez prendre attache avec les services qui en ont été attributaires afin que ces derniers vous soient restitués.

Attention, le courrier devrait comporter la mention suivante :

« Nous vous rappelons que conformément aux dispositions de l’article 41-4 du Code de procédure pénale, si le propriétaire ou la personne à laquelle la restitution a été accordée ne réclame pas les objets dans le délai d’un mois, les objets non restitués deviennent propriété de l’Etat, sous réserve des droits des tiers ».

Il faut donc être particulièrement vigilant sur ce premier point.

Deuxième réflexe

Le deuxième réflexe à avoir, et ce que le courrier ne dit généralement pas, est que vous pouvez réclamer la fameuse indemnité compensant la perte de valeur qui a pu résulter de l’usage des biens.

En général encore, lors de la restitution des biens, vous sont également donnés des comptes-rendus d’expertise préalables à la remise des biens mentionnant une valeur du véhicule. Ces comptes-rendus sont parfois plus ou moins détaillés, mais ils ont le mérite d’être effectués par et aux frais de l’administration.

On peut, à ce stade, quantifier la perte de valeur et il faut désormais récupérer la somme due.

Troisième réflexe

Le troisième réflexe à avoir est celui de ne pas perdre de temps à contacter les services attributaires : aucun service de police, gendarmerie ou autre ne prendra la responsabilité d’appliquer le texte à la lettre et de verser l’indemnité, surtout si celle-ci est de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Il faut en revanche tenter de contacter l’AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués) [1] qui vous dira rapidement si la demande la concerne (par exemple en renseignant la plaque d’immatriculation des véhicules).

Mais ce n’est malheureusement pas toujours si simple et bien souvent aucun service ne prend naturellement la responsabilité d’accorder la somme pourtant due.

Quatrième réflexe

Le quatrième réflexe à avoir est celui de ne pas perdre de temps à contacter la préfecture de police de Paris.

En effet, on aurait pu croire que s’agissant d’une dette de « l’administration » et des services de police, la préfecture serait compétente (et qu’il s’agirait d’un contentieux administratif).

Et bien non !

La préfecture de police constatera que la circulaire du 11 septembre 2013 d’application de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (L.O.P.P.S.I.), relative aux conditions de mise en œuvre de la procédure d’affectation aux services d’enquête de véhicules saisis avant jugement (NOR/INT/C/) est désormais abrogée faute d’avoir été publiée dans les conditions de l’article R312-7 du Code des relations entre le public et l’administration.

L’administration se borne alors à renvoyer auprès du ministère de la Justice, lequel devrait répondre de manière générique (voire erronée … ?) en visant l’article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire :

« La mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat envers les usagers, à raison d’un fonctionnement défectueux du service de la justice, est subordonnée à l’existence d’une faute lourde ou d’un déni de justice conformément aux dispositions de l’article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire.
Or, l’étude de votre requête ne fait apparaitre aucuns manquements ou dysfonctionnements du service de la justice au sens de l’article précité.
En conséquence j’ai le regret de vous informer qu’il ne peut être réservé une suite favorable à votre requête.
Je vous informe que je transmets, pour suite à donner, votre requête à la Préfecture de police de Paris
 ».

Ce qui n’est qu’une nouvelle illustration du serpent qui se mord la queue (on a vu que la préfecture de police se déclarait incompétente)… outre que la réponse fondée sur les dispositions de l’article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire est un non-sens puisque notre demande ne concerne ni une faute lourde, ni un déni de justice mais simplement une demande d’indemnisation, prévue par le Code de procédure pénale, résultant de l’utilisation, toujours prévue par le Code de procédure pénale et on la suppose normale, de véhicules saisis.

Cinquième réflexe.

Le cinquième réflexe à avoir, qui est donc prioritaire, est alors celui de contacter l’agent judiciaire de l’Etat [2].

Il est naturellement compliqué de trouver le bon numéro de téléphone mais un peu de persévérance et d’agilité (et de temps ou un avocat ayant l’habitude de ce type d’affaire) permettent de trouver le bon interlocuteur.

A ce stade, une négociation peut débuter dans la mesure où l’agent judiciaire de l’Etat est plutôt favorable à une résolution amiable des différends grâce à la transaction (pour information, voir la brochure consacrée à l’AJE [3]).

Toutefois, si la négociation ne peut aboutir, il faut alors se résigner à assigner l’agent judiciaire de l’Etat et donc recourir aux services d’un avocat, qui saura invoquer les bons fondements juridiques, qui soutiendront l’argumentation.

En ce qui concerne le Tribunal judiciaire de Paris, il faut prendre date sur e-barreau sous la rubrique à la dénomination parfaitement intuitive : « CTT/RESP/PREJCORPO/MISENECAUSEETATPERS ».

En général, et sauf changement récent, les audiences sont le lundi à 15h et il faut donc s’en assurer lors de la réservation ou, en cas de doute, joindre le greffe, qui sera d’une aide précieuse.

Il faut tout de même relever que le greffe ne semble, parfois, pas avoir l’habitude de ce type de contentieux, si bien que demeure un aléa, pour ne pas dire une inconnue, dans ce type de litige. Au demeurant, la jurisprudence accessible ne fournit pas d’exemple précis concernant ce type de contentieux (en tout cas au regard de ce qui est accessible sur les bases de données accessibles gratuitement).

Autrement dit, une fois assigné et une fois le conseil de l’agent judiciaire de l’Etat constitué, il sera toujours utile d’amorcer des échanges entre avocats - donc confidentiels - pour favoriser une résolution amiable et rapide du litige. Si un accord est trouvé, le conseil de l’agent judiciaire de l’Etat transmet un projet de protocole d’accord qui, une fois signé, permet le désistement de l’action initiée en contrepartie du versement de la somme négociée, qui devra alors transiter par le compte Carpa du conseil du requérant.

Tel est donc mon humble et récent « retour d’expérience » en la matière. J’espère que ce « mode d’emploi » pourra utilement guider tous les intéressés, qu’ils ou elles soient des confrères ou des consœurs, dans cette jungle semi-administrative-pénale.

Nicolas Pillet, avocat inscrit au barreau de Paris

[1Service indemnisation au 01 55 04 04 78 et pole-juridique-uri chez agrasc.gouv.fr.

[2L’adresse est la suivante : Direction des Affaires Juridiques, Bâtiment 6 - Condorcet - Télédoc 353, Ministère des Finances, 6 Rue Louise Weiss, 75013 Paris.