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Loi Egalim 3 : obligation de négocier de bonne foi, mais pas de rupture abusive des relations contractuelles en cas d’échec des négociations entre fournisseur et distributeur. Par Olivier Castellacci, Avocat.
Parution : jeudi 14 mars 2024
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Les relations commerciales entre un fournisseur et un distributeur sont soumis à un cadre législatif relativement strict.
Il est ainsi notamment imposé une date butoir au 1ᵉʳ mars de chaque année pour négocier et signer un nouvel accord commercial lorsque celui-ci, dont la durée ne peut excéder 3 ans, est arrivé à échéance [1].

Ce « légalisme », matérialisé par les lois Egalim qui se sont succédé à des intervalles très rapprochés [2], a été jugé nécessaire par les législateurs notamment pour tenter de corriger, au moins en partie, le déséquilibre qui se constate chaque année entre les enseignes de la grande distribution et les industriels au moment des négociations annuelles.

Notamment, l’un des apports majeurs de la dernière loi Egalim 3 est qu’elle a permis de clarifier, certes toujours imparfaitement et de manière uniquement expérimentale, les règles et les sanctions en cas d’échec des négociations et d’absence de conclusion d’un nouvel accord à la date butoir.

Il avait en effet été constaté en pratique, qu’en cas d’échec des négociations, les fournisseurs se retrouvaient contraints de continuer à devoir livrer les distributeurs aux prix de l’année précédente.

En période d’inflation, cette situation était très favorable aux enseignes de la grande distribution pouvant continuer à commander pendant plusieurs mois des milliers de produits à l’ancien tarif alors que les fournisseurs étaient de leur côté confrontés à la hausse du coût des matières premières et à la hausse de leurs coûts de production.

Et si les fournisseurs décidaient au contraire de mettre purement et simplement un terme à leur partenariat, ils s’exposaient au risque de se voir reprocher une rupture brutale des relations commerciales établies.

La loi Egalim 3 a ainsi apporté les modifications suivantes.

1. L’obligation de négocier de bonne foi réaffirmée.

Ni les fournisseurs ni les distributeurs n’ont un intérêt à l’échec des négociations commerciales, les premiers craignant la perte d’un débouché commercial incontournable, les seconds une limitation de l’offre proposée aux consommateurs.
Toutefois, afin de limiter le risque de non-conclusion de la convention annuelle, la loi Egalim III a réaffirmé l’obligation (qui n’est pas nouvelle puisqu’elle était déjà consacrée par le droit commun) de négocier, « de bonne foi » sous peine de sanction.

Dans sa version définitive de la loi, il a ainsi plus précisément été décidé :

La bonne foi dans les négociations implique notamment de respecter les délais fixés pour l’envoi de la proposition commerciale s’il est défini ou à défaut, de respecter un délai raisonnable.

Elle nécessite en outre une volonté non équivoque de chacune des parties de parvenir à un nouvel accord.

2. Et que se passe-t-il si malgré les négociations de bonne foi aucun accord n’est conclu ?

La loi Egalim 3 a mis en place d’un dispositif expérimental, d’une durée de 3 ans, en cas d’échec de la négociation annuelle à l’échéance légale entre le fournisseur et le distributeur et en l’absence de signature de la convention unique entre le fournisseur et le distributeur.

Les parties peuvent désormais mettre fin à leur relation commerciale :

Elles peuvent également avoir recours au médiateur des relations commerciales agricoles ou au médiateur des entreprises afin de s’accorder sur les conditions de ce préavis (durée et prix applicable).

En cas d’accord sur ce préavis, le prix convenu s’appliquera rétroactivement au 1ᵉʳ mars et pendant toute la durée du préavis.

« Il demeure toutefois la question du prix applicable pendant la durée du préavis si celui-ci a effectivement été accepté par les deux parties ».

A défaut d’accord, le fournisseur pourra cesser la relation commerciale et opter pour l’une de deux possibilités exposées ci-dessus (rupture avec/sans préavis).

En l’absence de disposition légale sur cette question et d’accord des parties, l’article L442-1, II du Code de commerce dispose qu’il conviendra alors de prendre en considération « les conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties ».

Cette disposition, relativement floue, offre ainsi au juge un nouveau critère d’appréciation et une évidente insécurité juridique pour les fournisseurs et distributeurs confrontés à cette difficulté.

Aussi, en dépit de cette nouvelle tentative de clarification, des zones d’ombre persistent et laissent logiquement présager qu’une loi Egalim 4 verra prochainement le jour… sans aucun doute à la fin de la phase expérimentale de la loi Egalim 3, si ce n’est avant.

Olivier Castellacci, Avocat au barreau de Nice Associé NMCG Avocats

[1A titre exceptionnel, la date butoir de signature a été avancée cette année de quelques semaines (4 ou 6 semaines selon la taille du fournisseur) dans le secteur du commerce de détail à dominante alimentaire.

[2La loi Egalim 1 a été promulguée le 1ᵉʳ novembre 2018. Elle a été remplacée par la loi Egalim 2, promulguée le 19 octobre 2021, elle-même remplacée par la loi Egalim 3 promulguée le 30 mars 2023.