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Le bail du local d’activité d’un artiste-auteur. Par Marie-Dominique Luccioni Faiola et Max Eraerts, Avocats.
Parution : jeudi 28 mars 2024
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La loi de finances pour 2024, promulguée le 29 décembre 2023, est venue étendre le bénéfice de l’exonération de la cotisation foncière des entreprises (CFE) à des nouvelles catégories d’artistes-auteurs.
La fiscalité du local d’activité d’un artiste-auteur était déjà favorable aux peintres, sculpteurs, graveurs, dessinateurs depuis le 1ᵉʳ juillet 1979, du temps de la taxe professionnelle, à laquelle s’est substituée depuis la CFE.

Ainsi, et depuis le 31 décembre 2023, l’exonération de la CFE s’applique aux artistes-auteurs d’œuvres graphiques et plastiques, d’œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, mentionnés à l’article L382-1 du Code de la Sécurité sociale, à l’exception toutefois des auteurs de logiciels et d’œuvres audiovisuelles réalisées en collaboration ou radiophonique.

L’évolution du régime fiscal du local d’activité des artistes-auteurs est l’occasion de revenir sur le régime juridique de la location d’un tel local.

L’application du statut du bail commercial.

Par principe, le contrat de location conclu entre un bailleur et un artiste-auteur portant sur le local d’activité de ce dernier est un bail commercial.

C’est le principe posé par l’article L145-2, 6°, du Code de commerce qui étend le statut du bail commercial aux

« artistes admis à cotiser à la Caisse de Sécurité sociale de la Maison des Artistes et reconnus auteurs d’œuvres graphiques et plastiques, tels que définis par l’article 98A de l’Annexe III du Code général des impôts ».

Le Code général des impôts exclut toutefois les articles manufacturés décorés à la main, les toiles peintes pour les décors de théâtres, les fonds d’ateliers ou usages analogues, mais encore les procédés mécaniques ou photomécaniques pour la création de gravures, estampes ou lithographies, ou enfin, les œuvres qui excèdent un certain nombre d’exemplaires en fonction des œuvres (huit pour les tapisseries et textiles muraux ou les fontes de sculptures, ou trente pour les photographies signées).

L’artiste-auteur retiendra donc que l’application du statut du bail commercial n’est pas systématique car elle obéit à une double exigence : celle de cotiser à la Caisse de Sécurité sociale des artistes-auteurs, désormais gérée par l’URSSAF Limousin, et d’être à jour de ses cotisations (i) et celle d’être reconnu auteur d’œuvres graphiques et plastiques et de réaliser dans les lieux loués des travaux de création, que ce soit à titre principal ou accessoire, et ce sous les réserves et dans les limites de l’article 98
A de l’Annexe III du Code général des impôts (ii).

En revanche, l’artiste-auteur se trouve dispensé de l’immatriculation au Registre du commerce et des sociétés ou à l’inscription au Répertoire des métiers.

La preuve de l’exigence de cotisation à la Caisse de Sécurité sociale des artistes-auteurs se rapporte aisément en produisant une attestation de l’URSSAF.

A cet égard, il est recommandé aux artistes-auteurs d’avoir une situation juridique conforme à leur situation sociale. Exerçant en Entreprise Individuelle, l’artiste-auteur se voit attribué un numéro unique d’identification (SIREN) par l’INSEE. L’avis de situation délivré par l’INSEE précise le code APE qui est une classification statistique attribuée en fonction de la déclaration faite par l’artiste-auteur au moment de sa prise d’activité. Elle doit en principe relever du code APE 90.03A « Création artistique relevant des arts plastiques » ou du code APE 90.03B « Autre création artistique ».

Si une classification conforme à l’activité exercée n’est pas une exigence du Code de commerce, il n’en demeure pas moins qu’elle permet d’atténuer le risque d’une éventuelle contestation du bailleur sur l’application du statut des baux commerciaux.

La preuve de l’exigence d’être l’auteur d’œuvres graphiques et plastiques ne peut, quant à elle, s’exercer au moment de la conclusion du bail que par un engagement contractuel de l’artiste-auteur.

L’artiste-auteur devra donc créer des œuvres dans le local d’activité qu’il prendra en location. Il s’agit d’une exigence stricte pour bénéficier du statut des baux commerciaux [1]. Toutefois, il n’est pas exigé que l’activité de création soit exclusive, elle peut être accessoire.

En cas de dénégation du statut des baux commerciaux par le bailleur en cours de bail, fondée notamment sur la disparition de l’exigence de création artistique, l’artiste-auteur pourra se défendre en rapportant la preuve de la création artistique notamment par un constat d’Huissier de l’état de son atelier, des factures d’achat de matières premières et autres matériaux nécessaires à ses créations, des témoignages, diverses photographies, des articles de presse, et des expositions de ses œuvres.

Cette soumission au statut des baux commerciaux est avantageuse pour les artistes auteurs à plusieurs égards.

Les bénéfices du bail commercial.

Le premier bénéfice du statut du bail commercial est la garantie de la stabilité pour l’artiste-auteur, qui ne se verra pas privé de la jouissance de son local pour un certain nombre d’années.

En effet, la durée du bail commercial est de 9 années minimum [2].

Le second bénéfice du statut du bail commercial, corolaire de la stabilité locative, est le droit au renouvellement du bail commercial à son échéance.

Cela signifie en synthèse que le bailleur qui entendrait se séparer de son locataire artiste-auteur devrait lui verser une indemnité d’éviction. Cette indemnité pour refus de renouvellement du bail commercial correspond au préjudice de l’artiste-auteur locataire, comprenant notamment la valeur marchande de son fonds déterminée suivant les usages de la profession, les frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur.

A défaut d’accord entre l’artiste-auteur et son bailleur sur l’évaluation de l’indemnité d’éviction, un Expert judiciaire peut être désigné afin d’en fixer le montant.

Cependant, il est également à noter que ce statut des baux commerciaux inclut également certaines contraintes pour l’artiste auteur qui en bénéficie.

Les limites au bail commercial.

En contrepartie de la garantie de stabilité et du droit au renouvellement du bail commercial, l’artiste-auteur locataire ne doit pas omettre que la conclusion d’un bail commercial l’engage pour 9 années.

S’il souhaite quitter le local d’activité spontanément soumis au statut des baux commerciaux, il ne pourra le faire que dans les conditions de l’article L145-4 du Code de commerce, à savoir à chaque période triennale (3ᵉ, 6ᵉ, 9ᵉ, et ainsi de suite, à chaque date anniversaire du bail commercial).

Un congé doit être délivré au moins six mois à l’avance par lettre RAR ou acte extrajudiciaire.

Si l’artiste-auteur souhaite quitter son local d’activité entre deux échéances triennales, il sera tenu au paiement des loyers et charges, impôts et taxes exigibles jusqu’à la prochaine échéance triennale.

Cela représentera des exigibilités financières importantes (loyers, charges, taxes), de sorte qu’en pratique, l’artiste-auteur pourrait envisager de céder son droit au bail à un autre artiste-auteur, voire à un professionnel d’un autre secteur d’activité sous réserve que la destination du bail commercial soit « tout commerce » - assez rare en pratique.

L’artiste-auteur comprendra donc que le bail commercial lui impose une durée d’engagement locative minimum de 3 ans.

Si cette durée freine son engagement, il pourra recourir à une forme de « période d’essai » par le recours au bail « dérogatoire », visé à l’article L145-5 du Code de commerce.

La durée du bail dérogatoire est fixée à l’avance et de façon ferme. L’artiste-auteur locataire ne bénéfice toutefois d’aucun droit au renouvellement et d’aucune indemnité d’éviction au terme d’un tel bail.

Il peut être conclu autant de baux dérogatoires que le bailleur et l’artiste-auteur locataire le souhaitent, sous réserve de ne pas dépasser une durée totale de trois années pour tous les baux successifs.

À l’issue du délai maximal de trois années précité, si l’artiste-auteur reste dans les lieux, un nouveau bail soumis aux dispositions du bail commercial prend effet. Dans ces conditions, l’artiste-auteur locataire est à nouveau engagé sur 9 années avec une durée minimale d’engagement de 3 années mais il bénéficiera du droit au renouvellement.

Il est à noter que les dispositions relatives au bail dérogatoire ne s’appliquent que pour autant que l’artiste-auteur remplisse les conditions pour bénéficier du statut des baux commerciaux.

Avant ou pendant la location d’un local d’activité, les artistes-auteurs auront donc tout intérêt à faire réaliser par le biais de consultations juridiques, d’un juriste ou d’un avocat spécialisé, un contrôle de conformité préalable à la signature de tout contrat de location et/ou à faire réaliser un check-up juridique du bail déjà conclu.

Marie-Dominique Luccioni Faiola, Avocat à la Cour d’Appel de Paris Max Eraerts, Avocat associé chez Brumaire Avocats

[1Cass. Civ. 3e, 21 février 2007, n°06-12.491.

[2Art. L145-4 du Code de commerce.