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Le « caractère propre » de l’école privée sous contrat. Par Mélina Berkouk.
Parution : mardi 9 avril 2024
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Les récentes polémiques relayées par la presse et les réseaux sociaux au sujet des lycées Averroès à Lille et Stanislas à Paris, nous invitent à mettre en lumière le régime juridique de l’école privée sous contrat en France.

Alors que les propos de la Ministre Mme Oudéa-Castéra ont défrayé la chronique, suite à la révélation par la presse de la scolarisation de ses enfants au sein du prestigieux établissement privé catholique Stanislas, pratiquant notamment une instruction non mixte et un recrutement des élèves en fonction de leur confession, le lycée Averroès a fait l’objet d’une résiliation de son contrat d’association avec l’Etat suite à un contrôle pédagogique et administratif, duquel est ressortie son incompatibilité avec les valeurs de la République.

Dans un contexte de défiance envers l’école publique, et de soupçons de choix partisans dans l’exercice du contrôle des écoles privées, prenons le temps de rappeler le régime juridique de l’école privée en France.

Afin d’assurer une coopération entre l’enseignement public, devenu laïc et l’enseignement privé essentiellement catholique [1], le dispositif de la loi Debré entré en vigueur en 1959 distingue trois formes d’école : publique, privée sous contrat et privée hors contrat.

L’article L442-1 du Code de l’éducation dispose ainsi que

« dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus aux articles L442-5 et L442-12, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’Etat. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances, y ont accès ».

En effet, une école privée sous contrat peut opter entre le contrat d’association [2] et le contrat simple [3]. Si le premier contrat permet de répondre à un « besoin scolaire reconnu » en instaurant une association très étroite entre l’Etat et l’établissement bénéficiaire, le second se borne à permettre une simple coopération financière.

Quelle que soit la nature du contrat, l’établissement doit respecter plusieurs engagements. Sur le plan pédagogique, elle se doit d’appliquer les programmes scolaires tels que définis par les articles L311 et suivants du Code de l’éducation. Sur le plan administratif, elle s’engage à garantir un accès à tous les enfants « sans discrimination d’origine, d’opinion ou de croyances » [4]. Dans un esprit de maintien des valeurs républicaines, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République également soumis ces écoles à la signature d’un contrat d’engagement républicain (CER) auquel a dûment souscrit l’école Averroès en 2023.

En contrepartie de ces engagements, l’école peut ainsi bénéficier d’une subvention conséquente de l’Etat : dans son rapport, la Cour des Comptes en 2022 rapporte ainsi l’attribution d’un budget de 8 milliards d’euros, auquel viennent s’ajouter également le forfait d’externat attribué par les collectivités locales, ramenant le montant global à près de 12 milliards d’euros en 2024 [5].

A l’égard de cette dépendance financière, les écoles privées sous contrat sont-elles donc en mesure de pouvoir respecter leur « caractère propre » ?

Si la liberté de l’enseignement a été érigée au rang de principe constitutionnel par la décision n°77-87 du 23 novembre 1977, cette dernière continue de faire l’objet d’une riche appréciation jurisprudentielle et doctrinale, de surcroît à l’heure actuelle, où l’on soulève l’opacité des mécanismes de contrôle effectués par les Igen [6].

Les cas des lycées Averroès et Stanislas en sont deux exemples.

A l’instar du prestigieux établissement Stanislas, le lycée Averroès, ouvert en 2003, compte environ 500 élèves et présente un taux de réussite au baccalauréat avoisinant les 98%. Suite à deux contrôles, les inspecteurs pointent du doigt un cours « d’éthique musulmane » qui, bien que facultatif, tend à véhiculer des valeurs non respectueuses des principes de la République comme la prohibition de l’apostasie ou encore la non-mixité des classes. Ce constat se soldera ainsi par la résiliation du contrat d’association avec l’Etat, confirmé par le Tribunal administratif de Lille en février 2024.

Si la question des limites du « caractère propre » des établissements peut être à nouveau discutée, elle l’est bien moins que celle portant sur les raisons qui motivent ces contrôles. Les révélations de l’enquête de Médiapart sur les pratiques de l’école Stanislas va ainsi faire naître un sentiment de « deux poids, deux mesures » [7] : alors que cette dernière pratique également la non-mixité et demande aux élèves postulants de faire état de leur conviction religieuse avant leur recrutement, aucun rapport d’inspection n’a été produit, aucune remise en question du contrat d’association n’a été évoquée.

Doit-on estimer que le « caractère propre » de l’école privée sous contrat fait l’objet d’une appréciation à géométrie variable ? Il en va de la liberté de penser de chacun.

Force est de constater que ce questionnement traduit une évolution de notre système éducatif : pensé à l’origine dans un souci de collaboration avec l’enseignement catholique, il doit désormais s’acclimater à l’émergence de l’enseignement privé musulman [8]. Un sujet prometteur d’une littérature riche pour les prochaines années, les affaires Averroès, Al Kindr et Milli Gorus s’imposant comme les premiers exemples jurisprudentiels.

Mélina Berkouk Chercheur ISP - Université Paris Saclay

[1B. Poucet - 2011.

[2Article L442-5 du Code de l’éducation.

[3Article L442-12 du Code de l’éducation.

[4Article L442-1 du Code de l’éducation.

[5J.F Collin - AOC Média, 22 janvier 2024 ; S. Henette Vauchez - Ajda 2024.309.

[6S. Henette-Vauchez - Ajda 2024.309.

[7AEF - Dépêche n°538355 du 31 mai 2016.

[8A. Hacquet - Rfda 2009.515.