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Evolution de la qualification des contrats en cours dans les procédures collectives : le cas des contrats de prêt. Par Josué Mezath, Etudiant.
Parution : mardi 16 avril 2024
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Il arrive qu’à l’ouverture d’une procédure collective, certains contrats soient encore en cours, c’est-à-dire qu’ils aient été conclus avant le jugement d’ouverture de la procédure collective mais n’aient pas complètement épuisé leurs effets à cette date ; ils sont donc en cours d’exécution. Ainsi, le débiteur n’a pas accompli sa prestation caractéristique.

Seulement, dans un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 février 2016, cette logique semble avoir été quelque peu ébranlée s’agissant d’un contrat de prêt. Dans cet arrêt, la Cour de cassation ne s’est pas appuyée sur l’accomplissement ou non de la prestation caractéristique pour exclure le contrat de prêt de la qualification de contrat en cours comme il en était le cas antérieurement.

Mais avant d’aller plus loin, comprenons tout d’abord ce qu’est un contrat en cours.

Notion de contrat en cours.

« Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle. Aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ».

Focalisons-nous ici sur la notion fondamentale de "contrat en cours" abordée dans l’article L 622-13 du Code de commerce. Bien que cette notion ne soit pas définie par cet article, elle n’est, de prime abord, pas difficile à saisir.

En effet, lorsqu’une entreprise se retrouve en "difficulté", il arrive que le juge soit amené à décider de l’ouverture d’une procédure collective dans le but de la sauver.

Quand on parle de contrat en cours il s’agit donc, d’une part, d’un contrat définitivement formé et, d’autre part, d’un contrat dont l’exécution n’est pas achevée.

Le débiteur doit en effet pouvoir poursuivre les contrats qu’il a noués avant l’ouverture de la procédure et qui sont utiles à son redressement. Dès lors, il peut exiger leur poursuite, aucune indivisibilité, résiliation, ou résolution d’un contrat en cours ne pouvant résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire, y compris en ce qui concerne les contrats intuitus personae [1].

Jusque-là, pas trop de difficultés. Les problèmes apparaissent lorsqu’il s’agit de qualifier juridiquement ce qu’est ou non un contrat en cours, s’agissant en l’occurrence du contrat de prêt, qui nous concerne dans cet article. Cette qualification est d’un grand un intérêt.

Intérêt de la qualification.

La qualification ou non de contrat en cours est pour le moins importante dans le cadre d’une procédure collective.
Pour faire simple, l’une des principales finalités de la procédure de sauvegarde est la poursuite de l’activité économique de l’entreprise. S’il est vrai qu’il convient à l’entreprise de se décharger de certains contrats, il est tout aussi vrai qu’elle peut avoir tout intérêt à maintenir certains contrats, dans l’objectif d’assurer la pérennité de son activité.

La qualification d’un contrat en cours permet de déterminer quels contrats peuvent être poursuivis par le débiteur pendant la procédure collective. Cela favorise la continuité de l’activité économique de l’entreprise en difficulté, ce qui peut être crucial pour sa survie ou son redressement.
En identifiant les contrats en cours, les parties impliquées dans la procédure collective peuvent mieux évaluer les engagements contractuels en cours et décider de les maintenir, de les résilier ou de les modifier dans l’intérêt de toutes les parties concernées.

Une fois que ce point est clair, abordons à présent l’évolution de l’appréciation jurisprudentielle de la qualification ou non de contrat en cours s’agissant de contrat de prêt.

Etape 1 : exécution de la prestation caractéristique : élément fondamental d’appréciation

Dans un arrêt rendu par sa chambre commerciale en 1993, la Cour de cassation a considéré, en matière de prêt, que

« les fonds ayant été remis aux sociétés emprunteuses avant l’ouverture de leur redressement judiciaire et le contrat de prêt n’étant donc pas un contrat en cours au sens de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 (...) » [2].

Ainsi, le contrat de prêt est exclu de la qualification de contrat en cours lorsque les fonds dont il est question avaient été remis à l’emprunteur avant l’ouverture de la procédure collective.
La Cour de cassation s’est donc appuyée sur l’exécution ou non de la prestation caractéristique afin de qualifier le contrat de prêt en contrat en cours. Dans un arrêt rendu par la même chambre de la Cour de cassation en 2016, il en a été autrement.

Etape 2 : la prise en compte du consentement comme élément fondamental d’appréciation au détriment de l’exécution de la prestation caractéristique

Dans un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 février 2016 il a été jugé que le prêt consenti par un professionnel de crédit avant l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de l’emprunteur n’est pas un contrat en cours au sens de l’article L622-13 et ne peut donc être cédé au titre des contrats visés par l’article L642-7 [3].

La Chambre commerciale n’exige donc plus que les fonds aient été remis à l’emprunteur avant l’ouverture du redressement judiciaire pour exclure la qualification du contrat en cours, le seul consentement suffit. Il ne s’agit pas véritablement d’une modification par la Cour de cassation de sa jurisprudence mais d’avantage d’une véritable clarification tenant en fin de compte au fait que le contrat de prêt n’est plus un contrat réel.

Contrat de prêt : contrat consensuel.

S’il est vrai que l’on considérait qu’un contrat de prêt pouvait être exclu de la qualification de contrat en cours en considération de la remise antérieure des fonds à l’ouverture de la procédure collective, c’était en tenant compte du fait que le contrat de prêt était autrefois compris tel un contrat réel.

Pour rappel, aux termes de l’article 1109 du Code civil

« Le contrat est réel lorsque sa formation est subordonnée à la remise d’une chose ».

Aujourd’hui la catégorie des prêts contrat réel se réduit à l’hypothèse des prêts consentis par des particuliers. Mais de manière assez générale, le contrat de prêt est un contrat consensuel. Cela suppose donc que ce dernier est formé dès la rencontre des consentements.

C’est donc tout à fait logiquement que dans cet arrêt la Cour de cassation ne subordonne pas la qualification du contrat de prêt en contrat en cours à la remise ou non des fonds mais plutôt au consentement des parties.
Ainsi, le seul fait que le prêt ait été consenti par le professionnel du crédit avant l’ouverture de la procédure collective suffit à exclure le prêt de la catégorie des contrats en cours sans considération de la remise ou non des fonds.

Josué Mezath E. Etudiant en droit des affaires

[1Com. 8 déc. 1987, n° 87-11.501.

[2Com. 14 décembre 1993, n°92-11.647.

[3Com. 9 févr. 2016, no 14-23.219.